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Les différentes données

Dans le document Identité (Page 87-92)

C’est en effet la variété et la richesse des données qu’elle suscite qui font l’intérêt et la fécondité de l’expérience groupale. Ces données se situent dans plusieurs registres.

Il y a d’abord les comportements observés. L’expérience permet de cons- tater quelle place chacun tend à occuper spontanément, les prises de rôle, les conduites d’affirmation ou de retrait, les prises de parole ou le silence, l’opposition ou la coopération, la recherche de similitude ou de différencia- tion, etc. Autant de comportements qui sont significatifs de l’identité que chacun manifeste dans l’interaction avec les autres. Dans cette optique, la

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parole apparaît comme un comportement et c’est sa dimension d’acte (performatif ou illocutoire en termes de pragmatique linguistique) qui est prise en compte. Il y a aussi les comportements non verbaux : les postures, les gestes, les mimiques, les mouvements, les déplacements… C’est la récurrence des mêmes comportements qui permet de saisir des relations, d’établir des corrélations, de dégager des mécanismes et d’inférer à partir de là certains processus cognitifs et interactifs. Ainsi, par exemple, il apparaît assez vite que, face à une situation anxiogène comme le silence, certains réagissent par la recherche d’action (prise de parole, proposition de thèmes ou de tâches…) et l’affirmation de soi alors que d’autres manifestent au contraire une inhibition de l’action et une recherche d’effacement.

Il y a ensuite le niveau des discours tenus par les participants dans la situa- tion, discours qui sont l’expression directe de leur vécu, en réaction à la situation, aux événements de la vie du groupe, aux relations interpersonnel- les. Cette expression subjective est prise pour elle-même en tant qu’elle reflète la façon dont les participants perçoivent, ressentent et pensent ce qu’ils vivent. À ce niveau, le discours est utilisé comme l’expression du soi

phénoménal qu’il s’agit plus d’enregistrer que d’interpréter1.

Il y a aussi le métadiscours tenu par les participants sur ce qu’ils vivent et observent, sur ce que disent les autres, sur la façon dont ils comprennent et interprètent leurs comportements, leurs réactions, leurs sentiments et ceux d’autrui. Il s’agit là d’une expression plus introspective et réflexive qui, lorsqu’elle porte sur la perception de soi, renvoie plus au soi conçu qu’au soi

vécu. Cependant l’expérience montre que les participants développent, très

vite pour certains, une sensibilité psychologique qui les amène à traduire avec beaucoup de finesse leurs perceptions d’eux-mêmes et celles qu’ils ont d’autrui2.

Il y a enfin les témoignages verbaux ou écrits que les participants peuvent élaborer et communiquer (soit spontanément, soit sur suggestion de l’anima- teur), à l’issue de l’expérience, sur ce qu’elle leur a apporté dans la connais- sance d’eux-mêmes et notamment la perception de leur identité. Il s’agit là d’un discours introspectif, plus élaboré, tendant à ressaisir de façon synthéti- que et globale ce qui s’est vécu dans le déroulement du groupe. Là encore, on peut constater que les participants développent, pour la plupart, à travers cette expérience, leurs capacités d’expression, leur aptitude à l’insight et leur compréhension souvent très juste de certains mécanismes psychologiques.

1. C’est pourquoi, dans la suite de l’ouvrage, je donnerai de nombreuses citations du discours des participants, le plus souvent sans commentaires, de façon à ne pas surajouter d’autres significa- tions à celles qu’eux-mêmes ont voulu exprimer. Concrètement, j’ai travaillé pour cet aspect sur des enregistrements au magnétophone de séances de groupes.

2. Pour ce niveau, j’ai travaillé sur des observations de séances rédigées par des participants (dans plusieurs expériences de groupes, des observateurs étant désignés à chaque séance pour effec- tuer ce travail).

Bien entendu, on ne peut pas écarter l’hypothèse que certains ont été influen- cés par des lectures portant sur la question, mais j’ai privilégié dans les cita- tions que j’apporterai les expressions qui apparaissaient comme les plus authentiques et les plus spontanées.

Démarche

Telles sont les données qui constituent la base de cette réflexion et qui seront utilisées et présentées dans la suite de l’ouvrage1. Chacune a son intérêt

propre et permet de saisir un aspect de la problématique identitaire. Mais c’est aussi leur rapprochement et leur confrontation qui se révèlent féconds. Ce sont les données tirées de l’observation qui ont fourni les hypothèses initiales et les orientations directrices : elles font apparaître des redondances, révèlent des mécanismes et des processus qui structurent le champ étudié. Mais ensuite, la signification des phénomènes analysés est fournie par la mise en regard des comportements observés avec l’expérience intime qu’en ont les participants. Même si, apparemment, l’expression subjective de l’expérience vécue semble privilégiée, cette démarche phénoménologique ne prend sens que sur le fond d’observation des comportements et des processus interactifs et groupaux. Ainsi, par exemple, dans une discussion, deux parti- cipants manifestent un désaccord sur un contenu – en l’occurrence la notion d’implication – mais l’observation montre qu’ils s’opposent assez fréquem- ment dans le groupe et qu’à un niveau latent – car non exprimé – ce qui sous- tend cette opposition est une rivalité pour le leadership ; la recherche de pouvoir est déniée au niveau de l’expression verbale (elle peut même être inconsciente chez les intéressés) et s’exprime essentiellement au niveau des attitudes, des comportements relationnels, verbaux et non verbaux, et de la place occupée dans le groupe.

Ces données vont nous permettre d’explorer les interactions entre l’indivi- duel et le social dans la construction de l’identité. Elles révèlent une ambiva- lence profonde : l’individu a besoin de se sentir intégré au groupe pour étayer et conforter son identité ; et par ailleurs il peut vivre autrui et le groupe comme une menace. L’expérience groupale permet d’observer sur le

1. Les citations des discours et des témoignages des participants présentées dans cette étude proviennent donc de deux corpus différents : soit de retranscriptions d’enregistrements oraux, soit d’un corpus d’écrits. La typographie différenciera ces deux types de citations (le discours oral sera cité entre guillemets et en italique et le discours écrit entre guillemets mais en caractère romain). Pour les retranscriptions de discours oraux, j’ai quelquefois simplifié la retranscription, sauf quand les hésitations et les ratés du langage parlé pouvaient être significatifs. L’approche retenue étant essentiellement de nature « qualitative », le matériel n’a pas fait l’objet d’un traite- ment quantitatif et statistique. Cependant, la plupart des extraits de discours cités sont illustratifs de nombreux propos allant sensiblement dans le même sens.

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vif les stratégies identitaires que génèrent ces vécus contradictoires (chap. 4).

Elle permet aussi de mettre en lumière les liens nombreux, et le plus souvent inconscients, qui relient l’identité personnelle et la groupalité ; liens provenant de l’intériorisation et de la personnalisation du groupe ; et aussi de l’identification projective qui fait percevoir la réalité externe à travers le prisme de l’expérience subjective et projeter sur elle une groupalité interne (chap. 5).

L’interaction de l’individuel et du social est donc constitutive de l’identité ; mais plutôt que d’opposer et de juxtaposer identité personnelle et identité sociale, comme on le fait souvent, je montrerai comment le soi intime et le soi social sont les deux faces à la fois distinctes et indissociables de l’identité (chap. 6).

Enfin, j’expliciterai la fonction fondamentale du « miroir de l’autre » dans la formation de l’image de soi (chap. 7).

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