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L’image de l’animateur

Dans le document Identité (Page 166-170)

7 LE MIROIR DE L’AUTRE

7.4 L’image de l’animateur

Dans l’expérience groupale, l’animateur (ou les animateurs) occupe une place particulière. Son statut, ses fonctions, son mode d’intervention le distinguent des autres participants. Tous ces éléments font qu’il est l’objet d’un regard et d’une attention spécifiques. Ce phénomène peut être éclairé par des notions comme celles de transfert, de projection, de rapport à l’auto- rité, etc. Sans vouloir traiter directement des mécanismes qu’elles impliquent (ce qui nous éloignerait du thème de cet ouvrage), je relèverai seulement quelques caractéristiques de l’image de l’animateur qui lui confèrent une identité spécifique.

7.4.1 Une image ambivalente

L’animateur apparaît d’abord comme représentant le groupe dans son unité, ses valeurs et son projet ; en ce sens il est perçu un peu comme le support d’une sorte d’idéal du moi groupal. C’est pourquoi sa place est ressentie comme « unique ». De ce fait, les participants vivent mal que l’un d’eux cherche à occuper cette place ; c’est ce que note Jeanne en traitant Philippe (qui pour elle « joue à l’animateur ») d’« usurpateur » ; elle ajoute : « Ceci m’amène donc à penser que la place de l’animateur est ressentie par le groupe comme unique, précieuse et inviolable. »

La situation groupale, ainsi qu’on l’a souligné, suscite chez les partici- pants tout un imaginaire de menaces, de conflits potentiels et d’agression. L’animateur est perçu alors comme celui qui peut protéger les participants du « fantasme de casse » (Anzieu, 1975, p. 196), servir de barrière aux débordements pulsionnels et notamment aux manifestations d’agressivité.

Éric, s’adressant à moi (animateur) : « J’ai trouvé que vous constituez une

sorte de “garde-fou” pour le groupe qui lui permet de ne pas s’égarer. »

On retrouve ici la fonction de l’idéal qui est de servir à la fois de repère et de modèle et d’assumer en même temps un rôle de « formation réactionnelle » contre les angoisses et les pulsions qui peuvent menacer le sentiment d’intégration et d’identité personnelle.

Mais il apparaît très vite que cette image est teintée d’ambivalence. Car la place et le pouvoir conférés à l’animateur entraînent à la fois des attitudes de dépendance, et des réactions de défense et de contre-dépendance.

Florence : « Il me semble que vous êtes perçu comme le personnage cen- tral du groupe, celui auquel on accorde son attention, on prête un certain pouvoir (de par vos connaissances notamment), mais également dont on se défend […] Il y a une sorte de dépendance sentimentale vis-à-vis de votre jugement auquel nous attachons de l’importance ».

Le versant de la dépendance se traduit notamment par la projection sur l’animateur d’une image de leader : les participants attendent de lui qu’il conduise le groupe, qu’il le nourrisse de son savoir, qu’il lui évite les conflits que peut provoquer la situation.

Au départ, ils ne comprennent pas très bien pourquoi il n’assume pas vrai- ment ce rôle ; mais c’est justement en se situant en décalage par rapport aux demandes des participants que l’animateur peut leur permettre de saisir les attentes qu’ils projettent dans l’image qu’ils ont de lui.

Bruno : « Pourquoi demander à l’animateur de proposer une activité ? Pour- quoi ne pas le demander au groupe ou en proposer une soi-même ? Comme si l’animateur était celui qui devait décider pour le groupe […] Ce qui me venait à l’esprit, c’est que si l’animateur était un leader pour le groupe, c’était nous qui le placions là et non une prise de pouvoir de sa part. » Mais le pouvoir même qui lui est attribué suscite des attitudes de contre- dépendance : les participants sont tentés de s’opposer peu à peu à ce pouvoir, ressenti comme castrateur.

Ariane : « L’animateur intervient pour faire une remarque, après quoi s’ensuivit un silence : le maître avait parlé, personne n’avait plus rien à dire ou du moins c’était l’impression que me laissait l’attitude des mem- bres du groupe. »

L’opposition, d’abord passive, s’exprime progressivement plus ouvertement ; en affrontant l’animateur, certains participants prennent cons- cience des traits qu’ils lui prêtent et contre lesquels ils se rebellent.

Véronique, qui a été perçue pendant plusieurs séances comme briguant une place de leader, en rivalité avec l’animateur, confie au groupe avec beaucoup d’émotion : « C’est vrai, je me rends compte que je ne supporte

pas l’autorité ; mon premier réflexe c’est de prendre les armes et de lutter contre ; je ne peux pas m’empêcher de voir l’animateur comme le pouvoir, alors je n’ai qu’un désir, m’opposer à lui… C’est drôle quand j’y réfléchis, moi-même j’ai envie de prendre le pouvoir. Je sais pas, peut-être que je suis finalement très autoritaire… C’est troublant… J’ai pas arrêté de retourner ça dans ma tête après la dernière séance. »

7.4.2 Une figure surmoïque

C’est dans cette phase généralement que les participants prennent vraiment conscience de l’image surmoïque qu’ils se sont construite de l’animateur.

Étienne : « C’est fou, je m’aperçois que jusqu’ici je voyais l’animateur

comme un véritable tyran… Le mot semble peut-être fort, mais j’avais vraiment l’impression qu’il m’empêchait complètement de parler, que si je disais quelque chose il allait me tomber dessus… c’est dingue que j’aie pu

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penser ça, en fait je vois bien qu’il n’est pas du tout comme ça [rires]… En fin de compte, on est libre, je veux dire, ça dépend que de nous, c’est nous qui plaçons des barrières… Ça nous arrange peut-être de penser que c’est de sa faute. »

Ce rôle de surmoi projeté sur l’animateur se révèle très clairement dans la différence de langage et de comportement en sa présence et hors de sa présence ; tous les participants constatent, par exemple, que pendant les pauses les langues se délient, on contrôle moins ce que l’on dit, on parle plus facilement de lui.

Charlotte est frappée par le changement de climat au moment où l’anima- teur (Marc) sort de la salle : « J’ai eu l’impression d’une salle de classe, plus que d’une séance de dynamique de groupe. En effet, Marc s’absente et j’ai assisté alors à un véritable « chahut » collectif : tout le monde se mettait à parler et à rire. Marc fut alors associé à un prof dont les élèves profitent de l’absence momentanée pour se permettre un certain relâche- ment, un défoulement impossible en sa présence. Cet événement m’a beaucoup surprise ».

Les participants ne projettent pas seulement leur propre surmoi sur l’animateur ; ils le constituent aussi en une sorte de surmoi groupal, chargé de contenir les expressions pulsionnelles trop fortes, de réguler les conflits, de faire respecter les règles. (Hélène : « Pour moi, l’animateur représente un peu la “conscience du groupe” et sa présence est rassurante même si elle nous inhibe un peu »).

Le surmoi commence à s’alléger lorsque les participants ont pu dépasser la dépendance et la contre-dépendance et se détacher de la peur du jugement projetée sur l’animateur.

Valérie constate qu’à partir d’un certain moment « les membres du groupe ne “contrôlaient” plus l’impact de leurs paroles dans le regard de l’anima- teur (comme cela se passait auparavant). »

7.4.3 Spécificité du statut

À ce stade, l’ambivalence est reconnue et acceptée.

Léa s’exprimant sur l’animateur : « Je crois qu’on peut parler de l’ambiva- lence de son image […] La toute-puissance (en quelque sorte) qu’on lui accorde est à double tranchant : on est reconnaissant de son aide (amour) et on lui attribue des actions malfaisantes que son pouvoir lui permet (peur, voire haine). Ce pouvoir aurait pour origine son statut et son savoir. Ceci se traduit entre autres par une certaine distance à respecter aussi bien du point de vue physique que sur le plan de la communication (vouvoie- ment, ton). »

Joue aussi dans ce sens l’image de l’animateur comme « psy », qui est perçu comme quelqu’un qui peut pénétrer notre intimité, « lire dans nos pensées », avoir une emprise sur nous.

Christian : « Je crois qu’il a toujours, face à l’animateur, l’image du

« psy » ou un truc comme ça quoi : […] moi je crois qu’il y a une crainte, une crainte d’être violé intérieurement ou d’être, heu… On a des choses qui sont intimes, qu’on ne veut pas… On a toujours peur d’être dénaturé, d’être violé par l’autre. »

Cependant, même si l’animateur s’efforce de ne pas creuser la différence et la distance que suggère son statut, les participants ont beaucoup de peine à le considérer comme « un membre du groupe comme les autres » ; ils ont tendance à penser que c’est sa position, plus que le regard qu’ils posent sur lui, qui en est responsable (bien entendu, les deux interviennent) ; ils sont donc portés à « objectiver » l’image qu’ils se font de lui.

Fernand : « L’animateur ne sera jamais un membre du groupe à part entière mais plutôt un membre entièrement à part ; car […] bien qu’il fasse tout son possible pour garder une certaine transparence, pour fusion- ner dans le groupe, il garde toujours un certain recul par rapport au groupe. » De même Claire en évoquant une discussion à laquelle l’anima- teur participait note : « J’ai pensé qu’il y entrait parce qu’il exprimait sim- plement ses idées, sans essayer de faire jouer son statut. Il agissait comme un membre du groupe, tout simplement. Ce qui m’a frappé, par contre, c’est que personne ne fut en désaccord avec lui, ce qui a consolidé l’idée que, même lorsqu’il n’essaie pas de se placer comme leader, les autres individus du groupe lui confèrent ce statut. »

On peut penser que cette tendance répond à un besoin profond du groupe, puisque l’image de l’animateur-leader persiste même lorsque les participants sont tout à fait conscients qu’elle ne correspond pas à la réalité : besoin d’une certaine dépendance, sur un mode transférentiel enfant-parent ; besoin d’une incarnation symbolique de l’idéal et des règles groupales ; besoin d’une instance régulatrice ; défense aussi contre ce qui est perçu de mena- çant dans son pouvoir et qui entraîne le désir de maintenir une certaine distance à son égard.

Estelle : « Le rôle de l’animateur parmi nous fut une question souvent soulevée pendant toute la dynamique. Pour moi, ce rôle fut, sans conteste, celui de leader ; mais il semble qu’il a tout fait pour ne pas l’être. Il a voulu se cantonner au rôle de celui qui explique les phénomènes en cours de séance mais pas de celui qui mène les débats. Je me rends compte que, personnellement, je lui ai refusé le statut de membre du groupe à part entière : pour moi, il était le professeur animant un groupe de travail, pas d’ambiguïté dans cela. C’est peut-être pour cela, comme on me l’a fait

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remarquer, que j’ai toujours refusé de le tutoyer, d’une façon un peu osten- tatoire comme dans les dernières séances. »

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