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Représentation d’autrui et conscience de so

Dans le document Identité (Page 170-174)

7 LE MIROIR DE L’AUTRE

7.5 Représentation d’autrui et conscience de so

Les liens entre conscience de soi et l’image que l’on se fait d’autrui sont des liens complexes et paradoxaux. En effet, autrui est saisi à la fois comme différent de soi, comme étranger et en même temps comme un alter ego, comme quelqu’un qu’on ne peut percevoir qu’à travers le prisme de sa subjectivité, c’est-à-dire en transposant à la représentation qu’on se fait de lui les catégories tirées de son expérience propre.

7.5.1 Perception et relation affective

J’ai souligné l’importance des mécanismes projectifs dans la construction de l’image d’autrui ; mais l’on ne peut cependant réduire celle-ci à l’effet de ces mécanismes. Autrui existe aussi comme objet spécifique différent du sujet et perçu dans ses caractéristiques propres ; j’ai même indiqué que dans la perception des autres pouvait jouer une « clairvoyance » plus grande que dans la perception de soi. Il faut préciser aussi que ce n’est pas l’image de lui-même que le sujet projette sur autrui mais plutôt son rapport subjectif à ce dernier : ainsi l’image que nous nous construisons de quelqu’un reflète la relation – le rapport de places et le lien affectif – que nous nouons avec cette personne, à la fois au niveau de l’imaginaire et de la réalité.

Marianne : « L’image que je me suis faite de Danièle a évolué tout au long de l’année ; au départ, elle m’intimidait : son âge, le fait qu’elle paraissait très à l’aise, qu’elle parlait sans difficultés m’impressionnait et en même temps me rassurait et j’ai cherché à me rapprocher d’elle. Mais peu à peu elle a commencé à m’agacer : elle parlait trop, elle voulait toujours s’occuper des autres, elle affichait une gentillesse qui pour moi sonnait faux ; je n’avais plus qu’une envie : la contredire, m’opposer à elle et c’est ce que je faisais à chaque occasion (maintenant je pense qu’elle me rappe- lait par certains traits ma mère et que c’est aussi cet aspect qui a expliqué l’agressivité que j’ai eue à son égard).

Mais j’ai été très surprise de voir que mon attitude l’affectait, qu’elle pou- vait être vulnérable et que j’avais même un certain pouvoir sur elle ; c’est ce qu’elle m’a expliqué après une séance où je l’avais encore attaquée ; elle avait les larmes aux yeux et tout à coup je me suis aperçu que j’avais construit tout un personnage qui lui ressemblait un peu, mais qui ne repré- sentait qu’une partie d’elle-même. C’est comme ça que nous sommes devenues amies ; ça ne veut pas dire qu’il ne nous arrive pas de nous

accrocher, mais maintenant un déclic se fait dans ma tête et je suis capable d’en rire au lieu de me cabrer. »

Mais inversement, l’image que je me fais d’autrui influence ma propre perception de moi-même, car c’est toujours par rapport à lui que je m’évalue et me situe (dans un rapport de symétrie ou de complémentarité) ; c’est à travers son regard que je me vois et selon l’imaginaire que je fixe dans ce regard je vais me sentir admiré ou méprisé, confiant ou craintif, intéressant ou insignifiant, valorisé ou dévalorisé.

7.5.2 Quelques recherches

Il existe donc une interaction complexe entre l’image que j’ai de moi, celle que j’ai d’autrui et celle qu’autrui a de moi ou que je pense qu’il a de moi. Ce constat tiré de l’expérience groupale rejoint les conclusions de plusieurs recherches d’inspiration plus expérimentale. On peut citer, par exemple, l’étude de H. Rodriguez-Tomé sur la représentation de soi chez les adoles- cents (1972) : elle met en lumière à la fois l’existence d’une image de soi relativement stable et « la présence dans ce moi de l’autre chez qui il doit se reconnaître semblable à la perception qu’il a de lui-même, quitte à accorder ses propres perceptions avec l’image sociale que les réactions de l’autre lui permettent d’appréhender » (1972, p. 74).

En effet, chaque individu est confronté à une multiplicité de situations et de relations interpersonnelles impliquant des partenaires changeants. Dans ces circonstances variées, il doit rester le même tout en s’ajustant à autrui :

Mais l’autre n’est pas quelconque : il est quelqu’un, porteur au moins d’un la- bel, si vague et général soit-il. De plus l’autre et le moi sont insérés dans un système de statuts et de rôles à l’intérieur duquel l’identification de chacun de- vient possible et nécessaire. C’est ainsi qu’ayant à se redéfinir devant chaque situation le moi ne peut y réussir qu’en définissant ou redéfinissant du même coup l’identité de l’autre, son partenaire. Il en résulte qu’à tout instant de ce temps interpersonnel le moi ne se réalise pas sans autrui : et la diversité des autres et des situations retombe sur le moi qui est à la fois divers et unique. Il en résulte aussi que les images de soi chez autrui, les images sociales, varie- ront suivant l’identité du partenaire considéré (1972, p. 75).

Les recherches de J. Maisonneuve sur les affinités interpersonnelles arri- vent à des conclusions comparables, tout en mettant l’accent sur l’influence des mouvements affectifs. Elles montrent qu’il y a une interférence étroite entre affects et percepts tant au niveau intra- qu’interpersonnel ; on a affaire à une série complexe de processus en feed-back. Ainsi nous avons tendance à conférer des traits positifs aux personnes qui nous sont sympathiques et réciproquement, à ressentir une affinité pour les personnes dont l’image est positive à nos yeux.

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© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

Isabelle : « Solange ne m’apparaît plus de la même manière. Avant, elle m’ennuyait ; j’avais l’impression qu’elle jouait les filles faussement timi- des au look se voulant décontracté à la Charlotte Gainsbourg. En étant assise à côté d’elle, je me suis rendu compte de son émotion. Ça m’a rendu le personnage plus véritable et donc plus sympathique ; je me suis aussi reproché mon jugement hâtif. »

J. Maisonneuve dégage une corrélation entre l’attribution de traits favora- bles, la présomption de réciprocité et la présomption d’attitudes semblables :

Entre moi et autrui s’interposerait le plus souvent soit l’image que je tends à me faire de son attitude en fonction de la mienne à son égard, soit le modèle sur lequel je règle mon attitude selon ce que je crois percevoir de la sienne en- vers moi (1972, p. 351).

Plusieurs expériences montrent que des sujets perçoivent les personnes qu’ils préfèrent comme plus semblables à eux-mêmes que celles qu’ils rejettent ; ils perçoivent également leurs préférés comme plus semblables à leur moi idéal que ceux qu’ils rejettent ; mais en fait ils ne sont pas plus semblables aux uns qu’aux autres – tant pour la description de leur moi que pour celle de leur moi idéal ; en outre, les sujets tendent à percevoir leurs préférés comme assez semblables entre eux.

Ainsi « l’image prêtée par nous à nos amis est intermédiaire entre celle que nous nous faisons de nous-mêmes et celle qui exprimerait notre “moi idéal”. Plus précisément encore, cette oscillation paraît dépendre du degré d’“estime de soi” que nous pouvons posséder : mieux nous nous acceptons nous-mêmes, plus nous tendrons à attribuer à nos amis des traits semblables à notre moi “actuel”. Sinon c’est à notre “moi idéal” que nous l’identifions » (id., p. 496).

On peut conclure de ces recherches qu’entre l’image de soi et l’image d’autrui il y a un jeu subtil d’influences réciproques et que cette dernière est un mixte de projections et de clairvoyance. Mais le phénomène de projection semble, au moins dans les premiers temps, l’emporter sur l’empathie.

7.5.3 L’empathie

L’image d’autrui pose, en effet, la question de l’acuité et de la clairvoyance perceptive du sujet percevant. Si l’empathie est l’aptitude à se mettre à la place d’autrui, à saisir sa façon de penser, de sentir et d’agir, elle implique la capacité de percevoir l’autre dans sa réalité spécifique, sans que cette percep- tion soit « contaminée » par les projections et les mécanismes de défense du sujet qui perçoit. Cependant, ce ne peut être qu’une sorte d’attitude « idéale » jamais totalement atteinte ; en effet, comme on l’a montré, affect et perception ont tendance à retentir l’un sur l’autre et, surtout dans le champ des relations interpersonnelles, il est impossible d’échapper à la subjectivité.

Il n’y a pas de perception « neutre » et « objective » de l’autre car le regard que je porte sur lui est toujours fonction de ma personnalité, de la situation où je me trouve avec lui et de l’interaction qui nous réunit. Et pourtant, c’est un fait d’expérience qu’un certain degré d’empathie existe et varie d’une personne à l’autre. Mais il y aura toujours un écart infranchissable entre la perception que j’ai de l’autre et la « réalité de l’autre » (cette notion étant d’ailleurs très difficile à cerner). L’image d’autrui (et peut-être l’image propre) se situe donc dans un espace transitionnel entre moi et autrui, n’appartenant ni totalement à l’un, ni totalement à l’autre.

Jean-Pierre. – La question que je me pose actuellement, eh bien, c’est sur-

tout… enfin je voudrais savoir comment les autres me voient.

Claudine. – Pourquoi, ça te préoccupe ?

Jean-Pierre. – Oui, bien sûr ça me préoccupe, parce que c’est ça que vous

pouvez m’apporter. On a pas mal parlé de comment on voit les autres, mais ça je le sais, je sais à peu près l’image que j’ai d’eux, ça m’appar- tient. Mais moi, mon image, elle ne m’appartient pas, c’est les autres qui me voient.

Soulignons enfin l’interaction entre les facteurs perceptuels et les facteurs relationnels : c’est en fonction de l’image que je me fais d’autrui, de l’iden- tité que je lui confère, que je vais nouer avec lui un certain type de relation ; mais cette relation va modifier à son tour la représentation que j’ai de lui. Dans ce processus circulaire et évolutif, interviennent à la fois des mécanismes sociocognitifs (comparaison sociale, catégorisation, attribu- tion…) et des mécanismes intra- et intersubjectifs (projection, identification, idéalisation, mécanismes de défense…).

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