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PARTIE II L’ADAPTATION AU MILIEU CARCÉRAL

2. Les stratégies de révolte, d’attaque et de diversion :

2.1 La contestation, la dénonciation et les plaintes:

Les personnes rencontrées ont fait état de nombreuses situations dans leur vécu carcéral où ils ont contesté des décisions ou se sont portés à la défense de leurs droits. C’est par l’intermédiaire de discussions, de conflits verbaux, d’argumentation, de plaintes écrites, de l’implication de l’Enquêteur correctionnel, d’usage de la grève de la faim ou de l’automutilation, de recours en justice voire même, de dénonciations dans les médias, qu’ils ont tenté d’obtenir gain de cause. De surcroît, certains disent utiliser ces stratégies lorsqu’ils s’ennuient, lorsqu’ils ont des frustrations à l’égard de la façon dont l’administration gère les décisions qui les concernent, lorsqu’ils vivent des déceptions, lorsque des injustices sont perçues dans les décisions ou que les décisions compromettent leur sécurité, lorsqu’ils ressentent le besoin de déplacer leurs frustrations sur le personnel ou encore et de manière plus

importante, lorsqu’ils ressentent la nécessité d’alerter les membres du personnel face à ce qui se passe dans le milieu.

2.2 La guerre psychologique :

La guerre psychologique est la stratégie la plus couramment présentée dans le discours de nos interlocuteurs. Elle consiste surtout en l’usage de la menace et de l’intimidation en tant que moyen pour convaincre les individus qui les opposent de lâcher-prise ou de reculer devant une décision. C’est également un moyen utilisé pour attirer l’attention du personnel sur un conflit entre les détenus qui risque de dégénérer vers la violence.

De plus, plusieurs interviewés ont souligné avoir été victimes de coups montés de la part de codétenus qui souhaitaient obtenir quelque chose comme un transfert, une part du marché illicite ou un meilleur statut carcéral :« I guess some guys were kind of scared of me and they started hiding knives in my cell

and told the pigs that if they didn’t lock me up, I was gonna get killed or I was gonna kill someone right?» (Kyle, 31 ans, 15 ans d’incarcération, dont 4 ans en sécurité maximale-élevée). Lorsqu’un coup

monté est à l’origine d’une décision ayant, par exemple, pour effet d’isoler un détenu; la colère et la vengeance font également partie du discours des interviewés qui en ont été victimes. Un participant ira même jusqu’à dire qu’il y a eu une période dans son histoire carcérale où il a utilisé de fausses rumeurs afin de discréditer des ennemis ou de créer des conflits entre des groupes adverses afin qu’ils s’éliminent sans son implication. Cependant, selon les dires des participants, les détenus qui font usage de fausses rumeurs, de coups montés, de menaces ou de gestes d’intimidation répétées face à leurs adversaires, deviennent des cibles potentielles de représailles puisqu’ils accumulent un nombre élevé d’incompatibilités avec leur codétenus, ce qui a pour résultat d’affecter leurs placements et leurs risques de victimisation ultérieurs.

De même, les participants avouent tenter d’exercer des pressions psychologiques sur les membres du personnel. Un interviewé explique avoir menacé de s’en prendre à lui-même afin de convaincre un membre du personnel d’acquiescer à une demande de nature sexuelle.

2.3 L’endommagement du matériel :

La moitié des interviewés ont relaté des expériences où ils ont, par exemple, démoli une rangée, lancé des objets, inondé ou incendié leur cellule. Ceci représente, dans la majorité des cas, des actes de contestations, des pertes de contrôle par accumulation d’événements de vie difficiles à gérer ou le désir de se faire craindre en favorisant l’impression chez leurs codétenus qu’ils représentent un danger afin de faire reculer des adversaires dans l’éventualité que l’on désire s’en prendre à eux. Ceci vise également l’obtention de ce que l’on désire de la part du personnel, d’alerter les membres du personnel face à un risque de violence dans le milieu ou de créer une diversion en amenant le personnel à faire arrêter la routine du pénitencier (« lockdown ») pour prévenir un geste de violence. Créer une perturbation, malgré son côté dérangeant pour les codétenus, est jugé préférable à l’agression. La plupart des détenus qui ont abordé leurs expériences de vandalisme, ont précisé que ces comportements étaient plus fréquents lorsqu’ils étaient de jeunes détenus moins expérimentés.

2.4 L’émeute :

En ce qui a trait à l’émeute comme stratégie pour faire face à la vie en institution, dans tous les événements où elle a été abordée, les personnes rencontrées parlent d’un effet d’entraînement d’un groupe de personnes qui agissent leurs frustrations ensemble. Plusieurs détenus qui se sont impliqués dans des émeutes disent n’avoir que suivi leurs codétenus dans la barricade, la destruction, le vandalisme et l’agression. Or, dans plusieurs émeutes racontées, il semble qu’un objectif caché était présent, c’est-à-dire que l’émeute n’était pas une fin en soi, mais plutôt une diversion pour une agression planifiée sur un codétenu. Dans ce cas, le ou les agresseurs agissent alors sur une cible qui participe naïvement à l’émeute. Les initiateurs de l’émeute comptent alors sur l’accumulation de frustrations chez leurs codétenus afin de générer le soulèvement. De plus, il semble que l’émeute permette aux détenus qui y participent de se déresponsabiliser face à l’événement en se partageant la responsabilité. Le danger étant, selon les participants de l’étude, de voir la gravité de leurs gestes posés et des conséquences associées s’amplifier due à l’effet d’entraînement.

2.5 L’agression :

l’évasion avec prise d’otage, l’agression sexuelle, le meurtre ainsi que les voies de fait armés, pour n’en nommer que quelques-unes. Dans tous les cas, ceux-ci expliquent qu’ils utilisent l’agression que lorsqu’ils jugent n’avoir aucun autre recours :

« Now I don’t enjoy fighting eh? (…). Like you might find this hard to believe because I have had a life with violence, but I don’t like hurting people. If I have to stab somebody, I will, if I have to punch somebody out, I will. But if I knew that I could talk it through somehow and get it over with, I would. But in here, I have to go do it up even though it hurts me inside» (Lewis, 20 ans, 1 an et demi d’incarcération, dont 1 an en sécurité

maximale-élevée).

Dans le cas de l’agression sur autrui, que ces gestes aient été planifiés, impulsifs ou réactionnels, ils ont été abordés plus longuement par nos interviewés que les autres stratégies d’adaptation. La manière d’aborder leurs divers gestes d’agression varie beaucoup d’un interviewé à l’autre et même chez un même interlocuteur d’une fois à l’autre. Certains rient de façon nerveuse en racontant ces événements, d’autres s’animent, d’autres miment les événements, d’autres encore, se disent honteux, bégaient ou expriment de la culpabilité.

Les gestes de violence sexuelle racontés se distinguent, cependant, des autres expériences de violence en contexte d’enfermement. Pour certains détenus qui ont tenu un discours par rapport à de gestes de cette nature posés à l’égard d’un membre du personnel, il semble qu’ils ont répété des gestes similaires à ceux pour lesquels ils ont été condamnés. Certaines frustrations spécifiques aux femmes ou aux victimes telles qu’une rupture récente avec une conjointe ou la perception qu’un membre du personnel mérite une leçon pour des décisions, refus ou comportements inappropriés à l’égard des détenus semblent être la perspective de ces interviewés. Selon les dires des personnes rencontrées, ces gestes de violence sexuelle semblent davantage liés à la colère, au rejet ou encore, à une perception d’injustice subie que sur la privation de sexualité.

Nous verrons dans la partie suivante comment les détenus rencontrés justifient leur usage de violence en contexte carcéral.

Chapitre 4 – PRÉSENTATION DES DONNÉES (suite…)

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