• Aucun résultat trouvé

Les dépendances au jeu, aux produits illicites et leur lien avec la violence en milieu carcéral :

PARTIE I – PORTRAIT DE LA VIOLENCE EN MILIEU CARCÉRAL

2. Les éléments de compréhension de la violence intra murale liés aux individus :

2.3 Les dépendances au jeu, aux produits illicites et leur lien avec la violence en milieu carcéral :

Indépendamment de l’origine de la violence en contexte correctionnel, il semble que certaines activités augmentent le risque d’agression physique et verbale entre les détenus en raison des conflits qu’ils génèrent (Beauregard, 2012).

De manière générale, la dépendance à la nicotine, depuis l’implantation des politiques prohibitives canadiennes et américaines dans les institutions carcérales, ont profondément affecté les marchés parallèles des institutions, la monnaie de ces marchés ainsi que la manière dont les différents individus du milieu carcéral interagissent dans leur quête de maintenir leur habitude. Ayotte (2012) et Thompkins (2007) vont même jusqu’à dire que ces nouvelles politiques ont fait éclater le niveau de violence dans les prisons. Non seulement le manque de nicotine se traduit par des tensions et de l’agressivité (Guyon et al., 2010; Kauffman, Ferketich, & Wewers, 2007), mais l’absence de ce produit comme monnaie d’échange a transformé ce produit en objet convoité de contrebande avec toutes les conséquences punitives et relationnelles qui s’en suivent. Les auteurs ont donc constaté une augmentation des mesures disciplinaires, une augmentation des prix du tabac, une augmentation des techniques d’allumage augmentant le risque d’incendie, etc. Alors qu’une blague de tabac se vend approximativement seize dollars dans la communauté, elle peut se vendre jusqu’à 1000 $ dans un pénitencier à sécurité maximale occasionnant, par le fait même, des dettes pour certains fumeurs. Il est donc clair que les gains associés au trafic du tabac deviennent alléchants. Selon Caulkins and Reuter (1998), de manière générale, le prix d’un marché varie selon différents facteurs tels que les coûts liés à l'importation ainsi que les frais liés à la main d’œuvre, aux produits eux-mêmes ainsi qu’aux pertes engendrées par la détection et les biens saisis. Ce prix inclut également une compensation pour les risques et conséquences potentielles encourus par les importateurs. Ces conséquences potentielles en institution peuvent prendre la forme d’une perte d’accès aux roulottes familiales, d’un isolement disciplinaire ou d’une limitation des possibilités de libération ou de transfert. Selon le discours des participants de l’étude d’Ayotte (2012), l’augmentation de l’offre et de la demande associées au tabac sur le marché noir des institutions a entrainé un délaissement du marché de la drogue au profit du marché du tabac. D’une part, une priorisation de la consommation de tabac à celle de la drogue par les

reclus a été constatée. D’autre part, la vente de tabac est considérée comme beaucoup moins risquée que la vente de drogue. De surcroît, la légalité du produit dans la communauté facilite la participation d’acteurs extérieurs au pénitencier qui risquent peu de conséquences légales si les produits sont interceptés. Si nous considérons que le tabac devient, en effet, la drogue de choix et que les marchés de la drogue sont désinvestis, quels sont les impacts potentiels sur la vie carcérale des consommateurs de drogue dans le cas où la demande excède l’offre? Plusieurs ont indiqué que, suite à l’interdiction de tabac dans les institutions, des perturbations dans les divers milieux telles que des soulèvements collectifs, de la tolérance au tabagisme de la part certains agents correctionnels dus à leur inconfort d’intervenir à ce sujet et l’augmentation des prix de la drogue dus au désinvestissement des gangs de rue face à l’importation de ces produits au profit de celle du tabac (Ayotte, 2012; Delisle, 31 janvier 2014; Renaud, 19 février 2013a, 19 février 2013b). Ayotte (2012) abonde dans le même sens en ajoutant qu’il y a un risque de victimisation associé avec la prohibition de tabac: « En effet, les prix du

tabac sont afférents, ce qui crée une augmentation du nombre d’individus endettés, risquant des représailles et du rejet des codétenus».

Si nous nous retournons désormais vers l’alcoolisme et la toxicomanie, un examen des rapports de médecins légistes relatifs à 388 décès en établissement survenus entre 2000 et 2009 révèle que les drogues ou l’alcool ont causé 36,6% des décès en établissement (Winterdyk & Antonowicz, 2014). De plus, bien que la surdose n’ait causé que deux décès au Service correctionnel entre 2010 et 2011 selon l’Enquêteur correctionnel, 93 surdoses interrompues seraient survenues. L’exploration des résultats de Plourde et Brochu (2002) en fonction des différents niveaux de sécurité révèle que les détenus qui proviennent d’institutions à sécurité maximale (52%) et moyenne (35%) se présentent comme les plus grands consommateurs en établissement. Parmi ceux qui ont consommé des drogues, 15% rapportent le faire généralement chaque jour et 62% des participants consomment au moins une fois par semaine. Lorsque questionnés sur la facilité à se procurer des produits illicites dans leur établissement, 90% des détenus mentionnent qu’il est relativement facile de s’en procurer, mais il serait plus difficile de s’approvisionner dans les établissements plus sécuritaires. Entre 1985 et 1986, le Service correctionnel canadien a signalé 181 incidents majeurs comportant une forme quelconque de violence. La drogue aurait été le facteur à l’origine de 106 incidents. En fait, la drogue a été responsable de 6 meurtres de détenus, 54 voies de fait graves sur des détenus, 15 voies de fait graves sur des membres du personnel, 26 perturbations importantes, 2 prises d’otages et 3 suicides (Grega & Mohlmann, 1987). Voici comment Grega and Mohlmann (1987) aborde le lien entre la violence et les divers marchés illicites en milieu carcéral :

« Seul le mot « violence » peut caractériser les répercussions du marché de la contrebande dans les établissements. Même si l’on suppose souvent que la violence est un élément non-souhaité, mais inévitable de la vie carcérale, peu réalisent l’importance du rôle que joue les drogues illicites sur l’incidence de la violence» (p.6)

Bien que plusieurs raisons en lien avec le contexte carcéral motivent les détenus à consommer comme la solitude, l’ennui, la fuite, l’incapacité d’accepter la durée de la sentence ou le délit commis, l’insomnie, la dépendance et l’influence des pairs, Chayer (1997) dénote une consommation moins problématique à l’intérieur des murs que dans la communauté pour les détenus de leur étude. À priori selon l’auteur, plusieurs détenus désirent consommer, mais de nombreuses raisons expliquent une consommation modérée telles que des sources de revenus limitées, le prix élevé des drogues et le manque d’accessibilité de certaines substances.

Grega and Mohlmann (1987) ainsi que Chayer (1997) font état de nombreux détenus qui possèdent des antécédents en lien avec la drogue à titre d’utilisateur, de vendeur ou les deux et que cette participation au marché de la drogue dans la communauté se maintiendrait lors de l’incarcération. De surcroît, les marchés survivraient grâce à une augmentation des contacts des détenus avec l’extérieur ainsi qu’à une augmentation des associations entre les détenus. Ainsi, les marchés seraient facilités par le faible risque de détection et les punitions jugées trop minimes en cas de détection. En effet, Kalinich (1980) et Marchetti (2001) estiment qu’environ 95% des substances introduites ne sont pas détectées et, lorsque détectées, des sanctions administratives telles que les pertes de privilèges plutôt que légales sont octroyées. D’ailleurs, la drogue apparaît comme un marché particulièrement présent en milieu carcéral puisque la toxicomanie fait partie de la réalité de plus de 40% des détenus fédéraux canadiens (Comité permanent de la lutte à la toxicomanie, 2003).

Par ailleurs, plusieurs auteurs mentionnent que la violence peut également découler de la pratique du jeu de hasard en institution carcérale (Bowker, 1980; Williams & Hinton, 2006). La violence psychologique dans ce contexte serait plus fréquente que la violence physique surtout en ce qui a trait aux conflits générés par le jeu. Malgré que l’agression physique soit généralement associée à l’endettement, rares seraient les agressions physiques qui découleraient de cet endettement (Beauregard, 2012; Williams & Hinton, 2006). Les détenus qui participent à des jeux d’argent en détention le font surtout pour la recherche de sensations fortes, pour le besoin de s’occuper au quotidien, pour fuir la réalité quotidienne, pour s’intégrer socialement au milieu, pour se faire accepter et obtenir la protection d’un groupe de pairs (Beauregard, 2012). Grâce aux jeux d’argent, les détenus

plus vulnérables au caïdage pourraient, selon l’auteur, bénéficier d’une forme de protection due aux relations créées par le jeu. Il est à noter que l’auteur rapporte que la plupart des joueurs de son étude ne sont pas endettés et parient sporadiquement pour se divertir. Les événements violents, comme les règlements de compte faisant suite à des dettes impayées seraient donc exceptionnels. De surcroît, ces incidents s’expliquent parfois mieux par la sous-culture carcérale qui encourage la compétition entre les détenus que par la dépendance aux jeux d’argent, car un faible nombre de détenus en seraient dépendants. De manière générale, les résultats de Beauregard (2012) démontrent que les conséquences négatives associées au jeu pour les joueurs demeurent rares et que la violence qui en découle serait principalement le résultat de disputes entre les joueurs qui surviennent suite à des tentatives de tricherie ou à la non-acceptation d’une défaite. Les conflits plus sérieux qui se soldent violemment sont davantage imputables à la récupération de dettes non payées et aux abus financiers de la part des prêteurs usuraires malhonnêtes qui exploitent leurs emprunteurs.

En somme, comme Levine et Rosich (1996) l’indiquent pour la consommation, la violence ne semble pas autant issue des effets de la consommation de certains produits ou de la participation à certaines activités que des conditions entourant l’usage de la drogue, de la sous-culture et de la présence de marchés illicites (Ayotte, 2012; Beauregard, 2012; Plourde & Brochu, 2002).

Outline

Documents relatifs