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PARTIE II L’ADAPTATION AU MILIEU CARCÉRAL

1. Les stratégies de protection, de prévention et de retraite :

1.1 La cueillette d’informations :

En premier lieu, la lecture de bouquins psychologiques, criminologiques, légaux, psychiatriques ou portant sur les médicaments et les drogues sont un moyen pour certains détenus de se comprendre et comprendre leurs codétenus. Certains suggèrent qu’ils désirent changer et que, s’informer de cette manière devient une option intéressante.

En deuxième lieu, l’observation et la patience serviraient à constamment évaluer l’environnement afin de prendre des décisions rapides et éclairées dans des situations difficiles.

En troisième lieu, l’usage de la correspondance, de documents officiels, d’appels téléphoniques et des médias sont des moyens employés pour s’enquérir des codétenus, de transiger avec l’extérieur dans le cas de marchés illicites, de poursuivre d’anciennes activités lucratives qu’ils effectuaient lorsqu’en liberté, d’assurer la sécurité de leurs proches ainsi que faire respecter les valeurs du milieu. Toutefois, quelques détenus affirment que l’apparition de fausses rumeurs dans les médias ou la médiatisation des délits à l’origine de leur peine auraient grandement mis leur sécurité en péril. De même, les documents officiels remis aux détenus peuvent également causer des problèmes lorsque leurs pairs exigent de les voir et que l’information qu’ils contiennent, même celle qui a été biffée, amènerait les codétenus à déduire les responsables de bris de silence ou de coups montés.

1.2 La résolution amicale du problème et la négociation :

Selon les dires des interviewés, il serait parfois possible de s’entendre amicalement si les deux partis se montrent ouverts à cette possibilité, si la situation à l’origine du conflit s’avère mineure ou si le conflit n’escalade pas dans l’immédiat. Plusieurs détenus avouent explorer l’option de lâcher-prise autant que possible, avant de choisir un recours violent :

« Everybody’s telling him “Man! When Peter comes out, you’re getting it (rit)!”. And like, I trained nonstop for three months every day just getting ready to give it to this guy. And plus everybody knew it so they told him. So he went, and wined to the committee. The committee came and said “Look Peter, we don’t want to have problems

with you, ba, ba, ba” (…). The guys came in and try to get me in my back” I said “I’m not letting that go again”. They said “Listen, we give you our word. If anything happens we’ll get involved”. I said “Alright”. So I went and smoked a couple of joints with the guy » (Peter, 34 ans, 16 ans d’incarcération, dont 3 ans en sécurité maximale-

élevée).

1.3 Les demandes d’aide :

Le discours des personnes rencontrées aborde non seulement les individus à qui l’on demande de l’aide, mais également les raisons pour lesquelles il serait impossible d’en demander. Plus couramment, les détenus demanderaient conseil à leurs codétenus ou à des personnes à l’extérieur du milieu face à un problème : « Mon chum, y me dit souvent occupe-toi-zen pas » (Ian, 25 ans, 5 ans d’incarcération, dont 4 ans en sécurité maximale-élevée).

Bien que la majorité des détenus rencontrés affirment ne pas être en mesure d’accepter de l’aide de la part des membres du personnel pour plusieurs motifs tels qu’abordés précédemment, plusieurs diront tout de même tenter, de manière indirecte, de pister les intervenants sur la réalité qu’ils vivent dans leur environnement. Pour la majorité, ils ont rapporté quelques situations au cours de leur histoire carcérale où ils ont dû faire appel aux membres du personnel pour les aider. Ils considèrent, toutefois, que c’était dans des moments de crise et que c’était une stratégie de dernier recours face à une victimisation probable.

1.4 L’évitement et la fuite :

Cette catégorie de stratégies d’adaptation à la vie carcérale comprend tous les moyens que les détenus utilisent afin de prendre une pause des irritants de la vie quotidienne ou éviter des situations risquées. Ces moyens, abordés par une majorité des personnes rencontrées, servent également à réfléchir, à se divertir, à oublier, à faire passer le temps ou à fuir des émotions et situations difficiles à gérer. Des exemples de stratégies d’évitement sont les demandes de transferts et d’isolement, les demandes de protection, la consommation, l’automutilation, les conduites dangereuses, le plaisir ainsi que l’évasion sans violence :

« I was gettin’ where I had the best of status bringing in drugs and I got myself in a bit of trouble whereas I was gonna end up getting hurt, and out of fear I went to protective custody. » (Nick, 35 ans, 13 ans et demi d’incarcération, dont 1 an et demi en sécurité

maximale-élevée).

« Tu peux pas dire c’est quoi que tu vis (…), pis tu fermes ta gueule tsé. Pis les psychologues, pis les affaires de même là y t’parleront pas là. Émotivement là tsé, j’étais perturbé. J’commençais à développer des craintes. Faque j’ai été pris dans une affaire d’évasion quelque temps après » (Gabriel, 39 ans, 21 ans d’incarcération, dont 3 ans en

sécurité maximale-élevée).

Certains détenus affirment qu’il serait préférable pour eux de demeurer en isolement complet par l’intermédiaire d’un isolement préventif ou d’un transfert qu’ils auront intentionnellement provoqué afin de quitter une situation difficile. Ainsi, leurs codétenus n’auraient pas la possibilité de croire qu’ils ont manqué de courage en fuyant la situation puisque les rapports officiels refléteront une décision administrative involontaire. Les insultes, les menaces et les réactions à l’endroit des membres du personnel ou de codétenus qui semblent spontanés, démesurées et sans fondement par rapport aux circonstances en cours sont des exemples de ce type de stratégie. De plus, ce moyen semble surtout envisagé par les détenus placés en « population » ou par les détenus « solides » de la protection. Une fois en isolement, certains avouent dire ce qu’il faut afin d’être maintenu en détention ou en isolement préventif. À l’inverse, certains participants avouent qu’ils se sentent maintenant coincés dans un cercle vicieux puisque les autorités carcérales de l’USD exigent qu’ils fassent des programmes afin de réintégrer la population régulière et éventuellement accéder à un transfert. Or, cette demande créée un dilemme important chez ces détenus puisque cette exigence était, au moment de l’étude à l’USD, contraire aux valeurs du milieu pour certaines clientèles et, par conséquent, pouvait les mettre à risque d’agression. Ainsi, ils jugent ne pas avoir d’autres choix que de rester en isolement pour survivre et éviter le recours à la violence.

1.5 Prétendre avoir une instabilité mentale ou une dangerosité excessive :

Cette stratégie serait utilisée à plusieurs sauces telles que pour convaincre les autorités judiciaires d’une responsabilité limitée afin d’amoindrir les conséquences associées à un geste interdit, pour se disculper d’une responsabilité légale, pour convaincre les autorités carcérales de leur prodiguer des soins dans un établissement à vocation psychiatrique afin d’obtenir une médication qui aidera à faire passer le temps ou bien pour maintenir ses codétenus à distance en leur faisant croire que l’on est

imprévisible. Elle entraînerait, par contre, de nombreux effets pervers tels que la solitude et un impact à long terme sur leurs placements, transferts et possibilités de libération. Les détenus affirment même que cette stratégie mènerait vers une étiquette négative de santé mentale et de dangerosité élevée qui sont très difficile à se départir :

« I used to read a psychiatry book and go see the psychiatrist and I thought I was smart (…). I was just playing a game. To me it was a game to see what I could do with that person (…). But I didn’t know all that goes into my file, and that’s many years down the road later and it’s still affecting me now» (Oliver, 38 ans, 20 ans d’incarcération, dont 7

ans en sécurité maximale-élevée).

1.6 Affronter et faire face :

Premièrement, nos interlocuteurs soulignent que faire face aux conflits rencontrés sans reculer s’avère fondamental pour s’adaptation au milieu carcéral et y survivre. Un individu qui demeure stoïque devant une situation dangereuse ou devant un affront à sa réputation peut autant prévenir l’escalade d’une situation vers la violence que prévenir son risque de victimisation futur. En faisant face aux conflits, il serait possible de gagner le respect des codétenus selon les participants de l’étude. À l’inverse, le fait d’affronter une personne dans une situation déjà tendue, et ce, de manière irrespectueuse ou agressive pourrait faire rapidement basculer la situation vers la violence :

« And it was like 5 years, that I hadn’t hit anybody and I liked it, and I remember even here, in the SHU, I wasn’t willing to fight. And usually my idea of fighting was when I know somebody is coming for me, I’m going to get him first, right? And even if I made the decision I wasn’t gonna fight no more, man I don’t run away. There’s not one man in this fuckin’ world that could say I ever ran away from him (…). But I still go out, like the guys threatening to stab me, I went out with my magazines18, you know what I mean » (Peter, 34 ans, 16 ans d’incarcération, dont 3 ans en sécurité maximale-élevée).

1.7 Le port et l’utilisation d’armes :

Le choix de porter une arme ou d’en faire usage est une stratégie largement discutée par nos interviewés. Toutefois, les points de vue à ce sujet divergent. On peut constater que se battre sans arme est valorisé par les individus qui considèrent plus honorables de se battre ainsi. Pour les autres ou pour

les détenus pressentant que la situation l’oblige, la nécessité de s’armer est présente lorsque l’adversaire est lui-même armé, s’ils se perçoivent désavantagés dans un combat ou parce que le milieu de placement l’indique en raison de l’atmosphère tendue ou de la dangerosité des individus qui y sont logés. Les personnes rencontrées sont donc d’avis que porter une arme est un moyen de protection et que le simple fait d’en porter une peut parfois avoir un effet dissuasif pour leurs adversaires qui désirent s’en prendre à eux.

1.8 La tentative de suicide :

Commençons par préciser que onze des treize personnes rencontrées diront avoir fait usage de violence contre eux-mêmes au cours de leur histoire carcérale. Les interviewés expliquent leur choix d’avoir eu recours à la tentative de suicide par une complète perte d’espoir ou parce que les obstacles, dans leur vie, sont perçus comme étant insurmontables. Oliver (38 ans, 20 ans d’incarcération, dont 7 ans en sécurité maximale-élevée) va même jusqu’à expliquer que ses agressions sur les membres du personnel visaient à ce que les agents correctionnels l’abattent. Son intention sous-jacente était de mourir aux mains d’autrui, ce qui peut être considéré un suicide assisté. Il explique ses gestes par son incapacité à accepter sa longue sentence et son quotidien perçu comme insupportable.

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