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PARTIE III – LA DÉMARCHE MÉTHODOLOGIQUE ET ANALYTIQUE

2. Notre intégration au milieu

2.5 Le déroulement et la réalisation des entretiens

Par l’entremise du courrier interne de l’institution, un rendez-vous a été fixé avec chaque participant pour procéder à l’entrevue. Au moment de la rencontre, nous devions vérifier la disponibilité du local et effectuer une demande d’escorte auprès des agents correctionnels afin que le participant puisse se rendre à l’endroit désigné pour l’entretien. Puisque les détenus de l’USD sont physiquement séparés des membres du personnel et des autres détenus lors des déplacements, nos interviewés ne pouvaient donc pas circuler librement pour se présenter au rendez-vous. Une salle de conférence et l’aumônerie ont été mises à notre disposition pour réaliser nos entrevues. Les deux endroits étaient chacun munis d’une pièce adjacente, séparée physiquement de la pièce principale par un mur grillagé. Le participant, menotté et escorté par deux agents correctionnels se présentait dans cette pièce avoisinant la pièce principale. Une fois l’individu entré dans la pièce, la porte était verrouillée et un guichet était entrouvert pour permettre au participant de passer ses mains afin que les agents correctionnels lui retirent ses menottes. Le participant pouvait alors prendre place sur un tabouret métallique fixe et la conversation pouvait débuter. Une attention particulière devait être portée aux objets passés aux participants à travers le grillage (feuilles, crayons, etc.), tant sur la nature de l’objet et le risque qu’il

puisse être utilisé à mauvais escient pour affecter la sécurité de l’environnement, tant sur la manière de passer l’objet afin d’assurer notre propre sécurité dans nos interactions avec les participants.

Chaque participant a été accueilli par une conversation légère portant sur des sujets anodins qui visaient à le mettre à l’aise face à nous et au contexte d’entrevue. Un retour sur le formulaire de consentement ainsi que sur les règles de confidentialité et ses limites a ensuite été effectué pour chacun d’entre eux. Puis nous avons procédé au début des entretiens qui était marqué par l’activation du magnétophone.

Afin de permettre une plus grande liberté à nos participants pour partager leurs expériences en matière de violence carcérale et à l’importance qu’ils accordent spontanément au thème de la violence dans leur discours sur leur parcours institutionnel, la consigne de départ des entrevues se voulait très large :

« Je n’ai pas de question précise. J’aimerais simplement que vous me parliez de votre cheminement personnel et carcéral ». Une sous-consigne avait été prévue afin que les interviewés élaborent à propos

du sens qu’ils donnaient à leur transfert à l’Unité spéciale de détention. Puisque les transferts à l’USD se fondent sur des actes de violence commis ou supposés avoir été commis, cette sous-consigne devait permettre aux participants de donner un sens à leurs gestes de violence ainsi qu’à ce qui pourrait potentiellement les distinguer des autres détenus du Service correctionnel du Canada qui n’ont jamais été transférés à l’USD : « Seulement quelques détenus au Canada sont transférés à l’Unité spéciale de

détention. Selon vous, qu’est-ce qui pourrait expliquer que vous avez vécu cette expérience? » .

À la fin de chaque rencontre, nous devions téléphoner aux agents correctionnels afin qu’ils raccompagnent le participant à sa cellule.

Dans l’ensemble, toutes les entrevues se sont bien déroulées. Hormis quelques délais dans les escortes en raison d’urgences accaparant le personnel et un horaire strict à respecter afin de ne pas retarder la programmation de l’Unité, chaque participant a pu être rencontré pour une durée de 6 à 14 heures (établissement d’un lien de confiance, réponse à leurs questions, retour sur le formulaire de consentement, rappel des normes et limites de confidentialité, entretien, questionnaires à remplir). Ces rencontres étaient divisées en plusieurs moments de 2 à 3 heures chacun. Quelques participants se sont plaints de commentaires faits à leur égard par les surveillants lors des escortes quant à leur motivation

à nous rencontrer ce que nous avons dû tempérer avec eux avant de commencer les entrevues. Une entrevue a été interrompue à quelques reprises par un agent qui vérifiait si tout se passait bien. Aussi, certaines distractions ont eu lieu lors des entrevues : cris provenant de détenus placés dans la cellule d’observation avoisinante, gaz lacrymogène entrant par le système de ventilation, cirage de planchers, conversations ou déplacements bruyants dans les corridors, coups de semonce provenant des armes à feu des agents correctionnels lors de situations de violence, membres du personnel qui entraient par inadvertance pour utiliser la pièce, etc. D’autres situations originales ou inusitées se sont présentées lors de notre familiarisation avec nos interlocuteurs en début d’entretien. Par exemple, un détenu nous a expliqué comment fabriquer une bombe avec le contenu de ce qui se trouvait sur notre table, certains détenus nous ont partagé leurs dessins, leurs chansons ou leurs poèmes, un autre détenu désirait que nous regardions les photos de ses scènes de crime. Somme toute, outre certaines interruptions et l’inconfort dû à la froideur et les échos occasionnés par l’aspect métallique de la pièce où se trouvaient nos participants, les entrevues se sont déroulées de manière à favoriser l’échange.

L’enregistrement était toutefois vécu de manière intimidante au début de la plupart des entretiens. De plus, il a fait défaillance pour la moitié d’une des entrevues nous forçant à nous fier à nos notes d’entretiens pour cette proportion de celle-ci. De plus, certains passages se sont avérés difficiles à comprendre lors de la réécoute des entretiens en raison de bruits ou de sauts présents sur la bande d’enregistrement.

Concernant la confidentialité, un rappel de ses limites dans le cadre de notre étude a dû être effectué auprès d’un détenu puisqu’il saignait à notre retour d’une brève absence de la pièce, ce qui nous a semblé très louche. Il a été avisé que nous mettrions terme aux rencontres et aurions l’obligation d’aviser les agents correctionnels si nous avions l’impression qu’il pouvait représenter un risque sécuritaire ou que d’autres incidents louches se reproduisaient en notre présence. De même, un participant a dû être dénoncé à la sécurité préventive de l’établissement puisqu’il nous a fait parvenir des lettres à notre adresse personnelle par l’entremise de l’Université. Ce dernier avait été préalablement avisé de nos attentes quant aux conduites acceptables et inacceptables à adopter à notre égard.

Enfin, précisons que des entrevues informelles portant sur l’USD et ses détenus furent réalisées auprès de divers membres du personnel (agents correctionnels, superviseurs correctionnels, psychologue,

aumônier, agents de libération correctionnelle, gérant d’unité, agents de programme, agent de liaison autochtone, etc.), et ce, afin de nous familiariser davantage avec le milieu carcéral, l’incarcération, l’USD et le point de vue des divers intervenants du milieu sur les détenus logés dans leur institution et leurs gestes de violence. Ces entrevues informelles avec le personnel faisaient donc partie d’une stratégie qui visait à nous exposer sommairement à des perspectives sur la violence intra murale provenant d’autres acteurs du milieu. C’était également un moyen, pour nous en tant que chercheuse, de ne pas se « substituer à l’expérience » des intervenants du milieu, mais plutôt de s’en enrichir (Hammersley, 1992).

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