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1. Les limites associées au choix de la méthodologie

Comme tout projet de recherche, certaines limites peuvent être attribuables à la manière dont le chercheur recueille les informations, voire même, à la nature du projet lui-même et de son objet d’étude. Tout d’abord, bien que nous ayons mis en lumière les avantages de la méthodologie qualitative pour ce projet, les désavantages que l’on y associe souvent sont de l’ordre d’une incapacité à produire des résultats généralisables et d’une inefficacité à établir des relations causales. Cette critique renvoie, selon nous, à l’intention méthodologique d’un projet. Dans la mesure où l’intention du présent projet est de rendre compte d’une réalité sociale à partir du point de vue des personnes ayant vécu cette réalité, dans ce cas-ci les individus ayant déjà agi avec violence en milieu carcéral, et non pas de produire des connaissances généralisables ou des liens de causalités, le choix de cette méthodologie semble conserver sa pertinence pour atteindre les objectifs de ce mémoire. De même, l’espace alloué par l’entretien en profondeur à l’émergence de nouvelles dimensions peut nous aider à mieux comprendre cette réalité sociale. En ce sens, Groulx (1997) explique concernant la contribution de la recherche qualitative à la recherche sociale qu’elle permet de remettre en question les catégories administratives et spontanées ainsi que permettre l’émergence naturelle de catégorisations non considérées au préalable. Ben-David (1991) abonde dans le même sens en expliquant que la contribution de la recherche qualitative dans le champ de la recherche sociale peut être interprétée comme un processus d’innovation intellectuelle.

De plus, pour Lidz (1989), l’importance accordée au point de vue de l’acteur représenterait une autre limite des études qualitatives en raison de l’obligation qu’aurait un intervieweur d’établir un lien de confiance avec ses interlocuteurs. Selon l’auteur, ceci risque de créer une « suridentification » pouvant biaiser la collecte de données. En fait, Althabe (1992) abonde dans le même sens. Il explique que le résultat de la complicité entre le chercheur et l’univers social dans lequel il devient un acteur, pourrait devenir une production de connaissances à partir de la perspective que le chercheur partage avec ses interlocuteurs et non une production de la réalité construite provenant des participants. Cette question réfère, selon cet auteur, à la validité interne des données qualitatives où le chercheur est lui-même l’outil de collecte de données. Nous avons, cependant, pris de nombreuses précautions afin de nous assurer de la justesse et de la pertinence de nos interprétations en plaçant le sens qu’accordent les

acteurs au centre de notre analyse sur la violence en milieu carcéral (Laperrière, 1997). C’est en prenant compte de notre propre subjectivité par une tenue rigoureuse de notes de diverses natures (mémos, cahier de terrain) sur nos positionnements théoriques, émotifs et sociaux, tel que proposé par Laperrière (1997) , ainsi que par une réflexion analytique sur nos présupposés quant à l’objet d’étude et de nos interactions avec les acteurs du milieu que nous avons tenté de nous distancier et de nous objectiver tout au long de la démarche de recherche. Enfin, une réflexion a également été entreprise sur l’impact de nos caractéristiques personnelles (jeune, de sexe féminin, provenant de l’extérieur, étudiante, etc.) sur le désir de participation des détenus et sur l’ouverture des participants en entretien. Dans un même ordre d’idée, nous avons notamment constaté que les participants de l’étude ont perçu des gains secondaires que nous n’avions pas envisagés en début de projet tels qu’une hausse des heures passées en dehors de leur cellule, la possibilité d’échanger avec une personne provenant de l’extérieur du pénitencier, la stimulation intellectuelle, une première « visite » depuis longtemps, etc. Il est à également à noter que le passage du temps nous a grandement aidé à prendre une distance quant à nos propres suppositions et perceptions du milieu.

Par ailleurs, des critiques pourraient être soulevées en lien avec la saturation empirique de l’échantillon. Il demeure qu’il est difficile d’évaluer la saturation empirique dans le cadre de cette étude puisque seulement 13 discours ont été analysés. C’est en raison de limites financières et temporelles que la saturation empirique a été difficilement atteignable. Malgré cette limite, nous croyons que la profondeur et la qualité des entrevues nous ont permis d’atteindre les objectifs visés par l’étude.

Hammersley (1992), émet aussi des doutes sur une contribution possible de la recherche qualitative sur l’action sociale en raison du rôle d’éclaireur (« enlightener ») que le chercheur en recherche qualitative tenterait de se donner, basé sur la supposition que les praticiens sont dans l’erreur ou dans le « noir » et qu’ils ont besoin d’être éclairé par la recherche afin de connaître dans quelle direction ils doivent aller. Selon, cet auteur, une telle perspective s’appuie sur une vision erronée de l’intervention qui n’obéirait simplement pas à la même logique que la recherche. Par conséquent, les chercheurs ne pourraient se substituer à l’expérience des praticiens. Il précise, tout de même, que la recherche peut permettre d’informer la pratique. À ce sujet, nous n’avons pas, en tant que chercheur, la prétention de nous substituer à l’expérience des intervenants. Étant donné qu’une partie du terrain a été consacrée à l’observation et une autre à la réalisation d’entrevues informelles avec les membres du personnel, nous avons tenté de limiter cet effet en gardant une ouverture quant à la réalité des autres acteurs du milieu.

De plus, ayant déjà œuvré en Centre résidentiel communautaire (CRC) pour adultes, nous possédions déjà une connaissance sommaire du rôle et de la perspective des intervenants sur l’enfermement. Enfin, pendant la douzaine d’années écoulée entre la cueillette et l’analyse des données, notre rôle d’intervenante auprès d’adolescents en Centre jeunesse nous a potentiellement aidé à pallier à cette limite. Ainsi, nous avons été en mesure de constater que le sens que prend la violence dans les milieux institutionnels pour jeunes régis par la Loi sur le système de justice pénale pour adolescents (LSJPA), placés sous garde fermée et âgés de 12 à 20 ans, dont plusieurs ont commis des gestes de violence dans d’autres milieux de garde, semble assez similaire à celui recueilli chez les adultes rencontrés. De plus, à partir du sens qui nous a été transmis en lien avec le phénomène de violence en milieu institutionnel par les détenus adultes de l’USD, nous avons pu, avec l’aide et la contribution de notre équipe de travail, tenter diverses stratégies inspirées par certaines expériences de ces détenus en matière de violence carcérale auprès d’une clientèle juvénile. Plusieurs de ces démarches se sont montrées potentiellement favorables à une meilleure compréhension des individus en contexte d’enfermement, à l’importance de la sécurité dynamique et du lien de confiance, à la reconnaissance des signes précurseurs de violence en milieu institutionnel et à la capacité de mieux prévenir ce type de violence. Dans notre lieu de travail, ces nouvelles pratiques nous ont permis de remarquer une baisse de l’isolement et des mesures disciplinaires, une baisse du nombre de manipulations physiques, une diminution des incidents de violence, une augmentation de la réceptivité et de la motivation, etc. Il est important de préciser que, hormis quelques statistiques reflétant une constance des observations précédentes à travers le temps, aucune étude évaluative n’a toutefois été réalisée dans notre milieu de travail en lien avec ces stratégies.

2. Les limites du projet pouvant être attribuées au lieu de cueillette de données

Une première limite rencontrée à l’USD est en lien avec les normes de sécurités élevées de l’établissement puisque nous nous sommes retrouvées dépendantes des agents correctionnels pour tous les déplacements de détenus associés à l’étude. Il était donc difficile d’assurer un anonymat au moment de la cueillette de données. De plus, il y avait peu de locaux placés dans des lieux privés et paisibles afin de favoriser le dialogue. L’aumônerie et une salle de conférence ont été privilégiées. Toutefois, la salle de conférence que nous avons utilisée lors de la majorité des entrevues se situait dans une zone assez mouvementée, occasionnant des interruptions, de l’entretien ménager affectant la qualité des enregistrements et l’entente de cris et de coups de semonce pouvant affecter la concentration de nos interlocuteurs. Enfin, afin de pallier aux difficultés de communication associées à l’absence de moyen

pour rejoindre les détenus de manière confidentielle directement à leur cellule, les détenus communiquaient directement avec nous par des enveloppes de correspondances scellées qu’ils déposaient au début de leur rangée.

Comme nous l’avons précisé antérieurement, gagner la confiance des divers acteurs du milieu a été un défi, surtout en ce qui a trait aux Agents correctionnels et aux détenus. Dans le cadre de ce mémoire, les stratégies adoptées pour amoindrir cette méfiance étaient la patience, l’ouverture, la réponse aux questionnements quant à nos intentions de manière transparente ainsi que la conservation d’une attitude d’apprentissage impartiale et dépourvue de jugement dans nos échanges avec tous les acteurs.

3. Les enjeux potentiels liés au délai entre la cueillette de données et l’analyse des données

Il semble évident que la limite principale pouvant être attribuée à ce projet de recherche sera, sans doute, le passage du temps entre la collecte et l'analyse des données. Il est difficile d'évaluer les modifications qu'aura vécues le milieu carcéral pendant ce temps (modification des pratiques, diminution de l’adhésion au code de valeurs, etc.) tout comme d’évaluer l'impact de ces changements sur le point de vue expérientiel des détenus quant à la violence à l’intérieur des murs. Par exemple, tel que nous avons vu précédemment dans le Chapitre 1, Ayotte (2012) explique que la prohibition du tabagisme à l’intérieur des pénitenciers, interdiction qui n’était pas présente au moment de l’étude, a eu de nombreux impacts sur l’économie du milieu, que ce soit sur la monnaie ou l’organisation des marchés que sur la quantité de conflits et des gestes de violence associés à la privation du tabac puisqu’une hausse a été constatée. Ces effets semblent toutefois s’apparenter à ceux recueillis dans les entretiens en lien avec d’autres activités illicites dans les établissements. Il serait possible que les changements survenus en lien avec le tabagisme s’inscrivent tout de même dans la même culture de sens pour les acteurs que les autres activités du marché noir. Lorsque nous réfléchissons à la limite potentielle de l’étude en lien avec le délai d’analyse de nos données, nous sommes tentées de nous demander si les 42 années d’expérience d’incarcération en lien avec la violence intra murale présentées dans ce mémoire peuvent quand même nous permettre une compréhension de ce phénomène? De même, nous avons tendance à nous demander si l’absence de point de vue concernant les 10 dernières années d’expérience en matière de violence carcérale invalide vraiment la richesse des points de vue recueillis concernant une quarantaine d’années d'incarcération surtout puisque les détenus de l’USD représentent une population particulière du Service correctionnel du Canada qui demeure peu accessible et peu étudiée? Enfin, il nous semble possible que le passage du temps nous a permis

d’assurer un meilleur anonymat ainsi qu’une meilleure confidentialité à nos participants qui, pour certains, craignaient que leur participation les place en situation de victimisation. Lemire et Vacheret (2007), se sont également interrogés sur la question des changements en milieu carcéral de 1989 à 2007 et ont tiré la conclusion suivante: « (…) et si, sur certains points, il est possible de parler de

changements considérables, il est également frappant de constater que certaines analyses vieilles de plus de soixante ans ont encore leur pertinence aujourd'hui...» et ils ajoutent que : «depuis 1989, la prison a changé et elle est pourtant restée la même ».

Chapitre 3 – PRÉSENTATION DES DONNÉES :

Les représentations du milieu carcéral

PARTIE I - L’INSTITUTION CARCÉRALE PERÇUE COMME UN

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