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PARTIE I L’INSTITUTION CARCÉRALE PERÇUE COMME UN ENVIRONNEMENT HOSTILE

2. Le milieu carcéral présenté comme un lieu de tensions interpersonnelles :

2.2 Les interactions entre les détenus et les membres du personnel :

Au cœur du discours des personnes rencontrées concernant leurs relations avec les membres du personnel, se trouve le thème de la méfiance. Pour les détenus, la plupart des membres du personnel, pour certaines catégories professionnelles plus que d’autres, sont considérées comme des ennemis qui se soutiennent entre eux devant leurs torts. Ceci tend à être perçu par les participants comme des

injustices et des abus. Il semble important de préciser que ce thème est particulièrement central dans le discours des interviewés qui ont déjà reçu un transfert à l’USD pour des gestes de violence à l’égard du personnel. La majorité du discours de ces interviewés porte, conséquemment, sur les liens qu’ils entretiennent avec le personnel et ils adoptent un point de vue particulièrement négatif lorsqu’ils abordent cette question : « When they start working, they wanna play all little tough guy role and what

not else and they get sucker punched or spat at because they’re trying to play macho guard. And over a prolonged period of them working in packs, it carries » (Oliver, 38 ans, 20 ans d’incarcération, dont 7

ans en sécurité maximale-élevée).

En ce qui a trait aux interactions des détenus avec les agents de libération conditionnelle (ALC) et les psychologues, elles sont également empreintes de méfiance. Ce serait particulièrement le cas pour les ALC. Les interviewés racontent, pour appuyer cette affirmation, des situations où ils ont eu l’impression qu’on leur a fait de fausses promesses, de faux espoirs, qu’on leur a menti, bref, qu’on les a trahi. Le sentiment d’être incompris, d’être invalidé et de ne pas être considéré dans leurs échanges avec les intervenants pour des décisions qui les concernent, en plus de leur incompréhension face aux décisions sont omniprésents dans le discours de tous les interviewés. Par conséquent, la plupart des détenus sont d’avis qu’ils sont injustement traités par les intervenants carcéraux. Leur méfiance à l’égard des gens qui les prennent en charge limite, selon eux, la collaboration et l’ouverture qu’ils peuvent avoir face au changement. Les rapports rédigés à leur égard demeurent incompris et certains propos sont perçus de manière blessante et irrespectueuse. Plusieurs disent même s’être perçus comme des « monstres dangereux » à la suite de la lecture de leurs rapports. Les participants sont convaincus que leur équipe de gestion de cas ne leur perçoit aucun espoir de changement et ils vivent l’étiquette de dangerosité qui leur est attribuée de manière décourageante compte tenu qu’à leurs yeux, ils ne font que survivre. Ils hésitent à demander de l’aide, en partie en raison du système de valeurs sous-jacent au milieu carcéral17, mais aussi parce qu’ils se méfient de ce qui sera fait de leurs révélations. D’autres participants s’avouent trop orgueilleux pour demander de l’aide malgré leur désir d’en recevoir. Ils ont l’impression que ce qu’on leur propose comme solutions dans leur contexte actuel de détention n’est pas adapté à leur réalité de survie. Tous les interviewés qui ont abordé le thème de l’aide pensent devoir cascader vers un établissement à sécurité moyenne ou en libération avant de pouvoir recevoir l’aide dont ils nécessitent. Voici quelques témoignages qui illustrent les points de vue présentés ci- haut:

« Moé le lendemain matin, y m’avertit : « Tu prends l’avion pis tu t’en vas à nom de l’établissement ». « Comment ça?! T’es malade toé là! J’ai même pas été classé à rien pis vous m’envoyez au plein cœur de mes antagonistes là tsé » » (Gabriel, 39 ans, 21 ans

d’incarcération, dont 3 ans en sécurité maximale élevée).

« I can’t even get out of segregation because they’re telling me what to do so I’m going along with what I’m supposed to do and they’re adding more and more things to do to get out of segregation and it just becomes a game where they’re controlling me (…).These files are bullshit. I’ve got 5 different diagnoses, I’ve been in a psych center 5 times and so, to give you an example of my file, there are stories that I’ve made up too. I thought I was smart when I first got into the pen » (Oliver, 38 ans, 20 ans d’incarcération,

dont 7 ans en sécurité maximale-élevée).

« The priest is telling me euh, there's been an accident, and my brother's dead (…). I called home (…) and euh I said something like "well don't worry I'll get there one way or the other". Pffft, wrong thing to say man. They locked me up in the hole (…) and they were telling me they couldn't get me to the funeral because my brother's body couldn’t be held that long » (Peter, 34 ans, 16 ans d’incarcération, dont 3 ans en sécurité maximale

élevée).

De façon généralisée, les personnes rencontrées affirment entretenir des interactions hostiles avec les agents correctionnels en particulier. Ainsi, des qualificatifs personnels négatifs sont utilisés face aux surveillants correctionnels tels que corrompus, mensongers, abusifs, paresseux, irrespectueux, et autoritaires. Cette perception est créée, en partie, par le système de valeurs du milieu (ex. ne pas frayer avec l’ennemi), mais également parce que les détenus se méfient des décisions et des interventions faites à leur égard par les agents correctionnels. À cet effet, quelques détenus avouent qu’ils se sentent déshumanisés dans leurs interactions avec les agents correctionnels, et ce, en raison de la façon dont les agents correctionnels s’adressent à eux:

« Even when you talk to the officers or whatever, you can’t even be sincere; you can’t even have a conversation with them because it’s hard to have a conversation with someone that you know is looking down on you, like you’re a little ant on the ground. And they don’t ask for things like you know respectful, they tell ya be respectful do this and do that. And 9 times out of 10, if you’re telling somebody to do something, they’re gonna defy it. They just tell ya, do this do that, you eat! You’re on the same schedule day after day. It feels like I’m in hell. It’s torture in a sense... mentally » (James, 24 ans, 5 ans

d’incarcération, dont 9 mois en sécurité maximale-élevée).

Dans un même ordre d’idée, d’autres participants expriment se sentir stigmatisés par les agents correctionnels en raison du délit à l’origine de leur peine, en raison de leurs comportements carcéraux antérieurs ou parce qu’ils ont déjà agressé un membre du personnel :

« If you come to the SHU here for assaulting a guard or killing a guard mmm, you’re getting a hard time man. There was a guy on my range, every night they’d be doing a round man, they’d go by his door “CLINK CLINK” and kick it, EVERY NIGHT MAN… all night, I would hear them. Cause you can hear them intercoms in his cell and I would hear them, yelling and calling him names and speaking French to him and oh he was getting hot. Like me, at first, they did it too, they’d push my buttons a bit and maybe just to see the type of person I was. If I would react, but I don’t. » (James, 24 ans, 5 ans

d’incarcération, dont 9 mois en sécurité maximale-élevée).

De manière généralisée, les interviewés estiment que les agents correctionnels créent des luttes de pouvoir entre les détenus pour se divertir ce qui, par le fait même, a pour effet de compromettre la sécurité des détenus. Certains vont même jusqu’à dire qu’ils se sont sentis intentionnellement provoqués par certains agents au cours de leur cheminement carcéral. Le refus des agents d’ouvrir une porte afin qu’un détenu puisse entrer dans l’établissement alors qu’il vient de subir une agression dans la cour extérieure ou encore, l’ouverture intentionnelle de portes les plaçant en la présence d’incompatibles en sont des exemples. De même, certains détenus dénoncent des pratiques correctionnelles effectuées par les surveillants qu’ils considèrent traumatisantes et illégitimes (fouilles à nu, fouilles de cellule, bris de leurs biens personnels, jeux psychologiques, manipulations physiques, se faire attacher, se faire gazer, etc.), surtout pour ceux qui possèdent de longues expériences d’incarcérations. Les détenus se remémorent ces expériences bien des années après qu’elles se soient produites. Un exemple de ceci concerne les interventions physiques qui sont fréquemment interprétées, et ce, par plusieurs des détenus rencontrés, comme des assauts faits par les agents correctionnels sur eux ou comme des conflits personnels :

« Pis les gardes rentrent dans ma cellule, y m’pognent. Y m’couchent sul litte (…). J’me fais donner une piqure de débile. Chu t’attaché sul litte. Aïe j’ai uriné, j’ai toute faite sul litte toute la nuit (…). Le lendemain j’tais comme un légume. On m’a attaché inc par rapport que j’ai crié. Ça là, ça m’a faite sauter à coche. J’me suis révolté ben raide »

(Denis, 54 ans, 28 ans d’incarcération, dont 9 ans et ½ en sécurité maximale-élevée).

« I got attacked by that guard because I was flipping out verbally in the hallway. And so he attacked me with the mace and gave me a few cheap shots. He was a guard who started on me when I first got here and that was 6 years ago. I never did nothing to the guy (…), he attacks me first and says I attacked first and then he gets his co-worker to punch me in the nuts and knee me in the nuts. I wouldn’t hit back or anything » (Oliver,

38 ans, 20 ans d’incarcération, dont 7 ans en sécurité maximale-élevée).

Certains interrogés se disent convaincus que le département de la sécurité préventive possède les outils nécessaires afin que les agents agissent de manière préventive pour assurer la sécurité des détenus, perception qui est présente chez les détenus en dépit de la loi du silence. Ils pensent également que la

sécurité préventive choisirait intentionnellement de ne pas utiliser ces moyens pour ne pas s’ajouter des tâches supplémentaires dans l’exercice de ses fonctions. Inversement, les actions préventives qui s’avèrent erronées aux yeux des détenus visés par l’action préventive, génèrent énormément de colère, de l’hostilité, de la méfiance et de l’injustice perçue de la part des participants :

« The guards, they see everything, pretty near, you know? They see the big moves, the big plays, they see who's fuckin' who, who's calling the shots, who's got the money. They see it man, they watch us all the time. Alot of times they won't say anything cuz it’s work for them you know, the paperwork. So they just sit back, they ignore it man… until something big happens and then, they gotta get involved (…). Preventive security they have the means (…). I think that if they wanted to and if they'd work a little harder, they could prevent alot that happens inside, as far as the violence and the drug trafficking»

(Peter, 34 ans, 16 ans d’incarcération, dont 3 ans en sécurité maximale-élevée).

Ce qui ressort du discours des interviewés et qui semble important de préciser, est que les détenus déplorent les décisions qui peuvent entraîner des situations de violence à long terme entre les détenus en plus de contribuer à leur méfiance à l’égard du personnel. Par exemple, certaines décisions liées au placement telles que la rangée où le détenu est appelé à purger sa peine, la pression mise sur certains détenus pour transférer de la population en protection, la pression mise sur les détenus pour dénoncer leurs codétenus, l’utilisation d’informateurs qui ne donnent pas toujours de l’information juste ou les délateurs qui sont facilement identifiables dans les rapports rédigés, sont des exemples de décisions ou de pratiques pouvant augmenter le risque de victimisation. La colère due aux interactions avec le personnel peut être agie de plusieurs manières, selon le discours des participants, c’est-à-dire à l’égard du personnel, à l’égard des codétenus, à l’égard des objets matériels ou contre soi-même. Toutefois, bien que la violence à l’égard des membres du personnel puisse améliorer le statut carcéral d’un individu, la majorité des détenus disent l’éviter en raison des lourdes conséquences qu’ils y associent; dénonciations légales et interactions difficiles avec le personnel par la suite.

Il est à noter que les psychiatres et les agents de programme sont perçus différemment par les détenus dépendamment du contexte. Dans le cas des psychiatres, ils sont perçus comme des individus pouvant aider lorsqu’ils œuvrent dans des établissements à vocation psychiatrique. Quant aux agents de programme, l’ouverture à leur égard semble varier en fonction de la capacité d’un détenu d’entamer un processus de changement dans le contexte d’enfermement où il se trouve (force de l’adhésion aux valeurs de la population carcérale, règles de conduite, réceptivité au changement, réceptivité au programme, perception de l’utilité des programmes dans leur contexte d’incarcération, approche d’une libération, etc.). De plus, le désir d’implication dans les programmes est le facteur principal, selon les

détenus, qui détermineraient leur motivation au changement aux yeux du personnel. Toutefois, les détenus affirment qu’il est possible d’être motivé à changer sans pour autant pouvoir effectuer de programmes dû à des contraintes d’enfermement imposées par leur lieu de placement qui peuvent les rendre vulnérables à l’agression. Or, les décisions quant aux sorties d’isolement, aux transferts et aux placements sont déterminées en majeure partie par les programmes suivis par un détenu ou sa collaboration avec son ALC. À ce titre, les détenus ajoutent que les programmes offerts dans leur milieu ne correspondent pas à leur réalité d’enfermement et que les habiletés enseignées ne sont pas utilisables dans leur milieu. Ils n’ont donc pas l’occasion de pratiquer leurs apprentissages en prévision de leur libération. Enfin, un détenu a également affirmé qu’il n’arrive pas à se concentrer sur le matériel enseigné lors des programmes, étant davantage préoccupé par les tensions de sa rangée ou la présence d’individus des autres rangées au programme avec lesquels il a déjà eu ou risque d’avoir des conflits lors de la dispensation du programme. Bien qu’une séparation physique existe entre les détenus pendant les programmes, les échanges visuels et verbaux sont possibles.

Les interactions avec l’aumônier, l’aîné spirituel autochtone, le personnel médical, les professeurs et les bénévoles AA sont toujours décrites par les interviewés comme étant extrêmement positives. Les détenus nomment une sincérité qu’ils apprécient chez ces personnes et une possibilité d’interagir avec elles sans représailles potentielles de la part de leurs codétenus quant aux valeurs du milieu puisque ces personnes ne seraient pas considérées ennemies.

À l’inverse des perceptions ci-haut décrites, plusieurs ont contrasté leur discours portant sur leurs interactions avec le personnel. Ils soulignent qu’il est plus facile d’être respectueux dans leurs interactions avec les membres du personnel lorsque ceux-ci sont perçus comme justes, équitables, vaillants et humoristiques. Les interactions peuvent également se révéler positives lorsqu’elles sont basées sur l’échange et non sur l’intransigeance disciplinaire : « That guard there man, he’s actually a

decent guard eh? They were beating me down and that guard said something in French and they stopped beating me… » (Lewis, 20 ans, 1 an et demi d’incarcération, dont 1 an en sécurité maximale-

élevée). Une autre précision a été émise par plusieurs individus par rapport à leurs interactions avec le personnel dépendamment du lieu de placement, c’est-à-dire selon s’ils sont placés en « population », en « protection » ou en isolement complet. Ils indiquent que des interactions avec le personnel qui sont empreintes de courtoisie, d’humour et de respect sont davantage possibles en isolement, un peu moins en « protection », surtout dépendamment du type de « protection », mais nettement plus faciles qu’en « population ». Ils ajoutent que dans les trois types de clientèles carcérales, les interactions sont plus

chaleureuses et humoristiques à l’abri du regard des autres détenus. Les détenus estiment que plusieurs agents correctionnels comprennent l’obligation des détenus à se montrer abusifs et irrespectueux envers eux devant les regards de leurs codétenus, de crier afin que d’autres détenus soient témoins de leurs conversations avec les agents correctionnels, et ce, afin de ne pas éveiller des soupçons quant à leur respect de la loi du silence.

« But me here (isolement), I can go and have a conversation with a guard. Like joke around or something. In an open joint you can’t do that because the minute you do that, the guys are looking at you. “This guy is a fuckin rat or this guy’s this, he’s out talking to the screws right?” » (Eddy, 36 ans, 17 ans d’incarcération, dont 11 ans en sécurité

maximale-élevée).

Un faible nombre de détenus ont abordé un thème différent des autres interrogés soit les interactions avec le personnel féminin. Certains indiquent avoir eu des contacts limités dans le passé avec les femmes dans les divers milieux institutionnels, d’autres parlent de leur méfiance envers elles, d’autres encore reprochent à certains membres du personnel féminin d’inventer de fausses accusations à leur égard ou d’avoir des comportements inappropriés. Il est à préciser que la plupart de ces perceptions proviennent de détenus qui ont été transférés à l’USD pour des agressions de nature sexuelle sur le personnel féminin ou possèdent des antécédents d’agression sexuelle. Toutefois, la méconnaissance des femmes est un thème abordé également par les détenus interrogés qui possèdent une longue histoire de placement institutionnel sans qu’ils aient nécessairement eu des agissements sexuels inappropriés au cours de leur vie.

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