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PARTIE I L’INSTITUTION CARCÉRALE PERÇUE COMME UN ENVIRONNEMENT HOSTILE

1. Le milieu carcéral présenté comme un lieu de survie :

1.3 La hiérarchie sociale dans l’univers carcéral :

Nous avons vu que la population carcérale des pénitenciers canadiens est divisée en deux groupes de condamnés : ceux avec un régime carcéral régulier, nos interviewés vont parler de « population », et un régime carcéral dit de « protection ». Afin d’être considéré par les autorités carcérales pour la « population », un détenu ne doit avoir aucun délit connu et usuellement rejeté par la population carcérale dans son parcours de vie, tels que des délits contre les femmes et les enfants, et il ne doit pas avoir collaboré avec les autorités judiciaires. Selon nos interviewés, séjourner en « population » est extrêmement convoité alors que séjourner en « protection » occasionnerait certaines difficultés en raison du statut carcéral peu élevé qui lui est attribué :

« Pis là y m’ont mis une recommandation pour la protection. Pis j’avais pas signé protection (…). J’voulais pas rentrer là. Parce que c’était un milieu qui était rejeté là tsé de l’ensemble d’la population (…). Un coup que t’as un statut d’protection, c’est assez dur de t’envoyer dans une population régulière hen? T’es étiqueté comme tel tsé (…). Si j’m’en allais là, j’étais mort tsé, ça fait que je l’ai signé le papier de protection»

(Gabriel, 39 ans, 21 ans d’incarcération, dont 3 ans en sécurité maximale élevée).

Parallèlement à cette division « formelle », tous les interviewés précisent que les deux groupes de détenus possèdent ensuite des subdivisions. Plusieurs facteurs tels que le délit à l’origine de la peine, la réputation du détenu en terme d’adhésion au code de valeurs, les activités dans lesquelles il s’est impliqué en milieu carcéral ou en liberté, un placement à l’USD, les associations qu’il a créées avec d’autres détenus ainsi que son ouverture à faire usage de violence, déterminent le statut social carcéral

auquel un individu appartient. Il est à noter qu’un même détenu peut avoir un statut fluctuant au cours de ses années d’incarcération voire même, d’une institution à l’autre. Afin de favoriser la compréhension du lecteur quant à la hiérarchie sociale carcérale informelle telle que décrite par les interviewés, nous pouvons illustrer les différentes étiquettes sociales intra murales comme suit :

Figure 1 : Représentations de la hiérarchie carcérale informelle telle que présentée par les détenus rencontrés à l’Unité spéciale de détention

PROTECTION

(« LA PROTECT »)

Les têtes dirigeantes

Les nécessaires et les détenus « solides »

« Les indésirables »

Les ex-populations, les dirigeants d’activités illicites et les détenus solides

qui respectent le code de valeurs

Les délateurs

Les agresseurs sexuels de femmes adultes

Les abuseurs de femmes et d’enfants et ceux affichant leur sexualité

institutionnelle De filles mineures De garçons mineurs

« SUPER-PROTECTION »

(« LA SUPER-PROTEC »)

POPULATION

(« LA POP »)

Dans le groupe « population » se retrouvent, en premier lieu, les « têtes dirigeantes » soit les leaders de groupes influents tels que les groupes criminalisés (motards, gangs de rue, mafia), les détenus élus pour siéger sur le comité des détenus et d’autres groupes de détenus à qui l’on reconnait de l’influence ou du pouvoir parce qu’ils organisent et exécutent des activités importantes ou parce qu’ils sont craints par les autres détenus. À un statut carcéral moindre se retrouvent les « nécessaires », c’est-à-dire les individus qui possèdent un rôle dans les activités illicites de l’institution telles que la collecte de dettes, le prêt sur gages, l’entrée de drogues, etc. Les détenus qui ont de longues sentences et les détenus âgés à qui l’on se référerait pour leur expérience semblent également reconnus pour leur nécessité. On retrouve également à statut équivalent les détenus dits « solides » qui sont des individus qui adhèrent et se portent aisément à la défense du code des valeurs. De même, ils sont respectés de la part de leurs pairs. On peut aussi y retrouver les détenus ou les groupes de détenus qui possèdent une bonne réputation découlant de leurs activités autant à l’intérieur qu’à l’extérieur des murs. Par exemple, les anciens de l’Unité spéciale de détention, les détenus ayant commis un meurtre et les braqueurs de banque semblent avoir une certaine reconnaissance de la part de leurs codétenus. Les « indésirables » ou les « fausses populations », pour leur part, sont décrits par les interviewés comme étant des individus soupçonnés, à tort ou à raison, de délation, de délits non acceptables ou encore des détenus qui dérangent en raison de leur santé mentale fragile, de leur accumulation de petits écarts au plan du respect pour autrui au quotidien, ceux à qui l’on reconnait un manque de courage, etc. Bref, ce sont des détenus de la « population » que l’on tolère, que l’on tente de chasser ou que l’on exploite.

De l’autre côté, on retrouve les détenus dits de « protection ». Encore une fois, cette étiquette comporte des subdivisions impliquant une différence de statut dans la hiérarchie carcérale informelle. Les ex- populations comportent des détenus qui ont séjourné un certain nombre d’années en population et qui ont dû effectuer un passage de la « population » à la « protection ». Ce sont des détenus qui disent d’eux-mêmes être solides et ne plus avoir besoin de faire leurs preuves. Malgré le changement de statut carcéral de ces détenus, la réputation d’adhésion aux valeurs carcérales est maintenue auprès de leurs codétenus. Les anciens détenus de l’USD jouiraient également d’un statut élevé en « protection » lors de leur retour dans d’autres institutions en raison de la dangerosité que l’on associe à ces détenus. L’exception concerne toutefois les individus qui ont été transférés à l’USD pour une agression de nature sexuelle.

Nos interviewés précisent qu’un sous-groupe existe dans la « protection » qu’ils qualifient de « super protection » et que cette dernière est également composée des sous-classes de détenus. Les délateurs

sont les détenus qui, au cours de leur vie, ont collaboré avec les autorités policières, judiciaires ou carcérales. Les personnes qui ont des antécédents connus par la population carcérale de violence physique ou sexuelle contre les femmes et les enfants ainsi que les individus qui affichent une sexualité institutionnelle marginale et ouverte telle que l’homosexualité ou le travestisme. Cette sous-catégorie semble, par contre, exclure les individus qui ont des relations sexuelles consentantes avec des détenus plus vulnérables en échange de protection si ces gestes sont agis avec subtilité. Ce dernier type de détenus est, d’ailleurs, autant retrouvé en protection qu’en population et ceci ne semble pas affecter pour autant leur statut carcéral. La violence sexuelle entre codétenus ne semble pas directement mener en protection si la personne possède un statut social élevé, si elle est crainte par ses codétenus ou si les actes sont vengés en population. Les détenus qui ont commis des gestes de nature sexuelle lorsqu’en liberté semblent également décrits de manière hiérarchique par les personnes rencontrées en fonction du type de victimes. On peut constater ceci par le fait que les personnes rencontrées jugent certains gestes pires que d’autres. À cet égard, tous les détenus s’entendent pour dire que les individus ayant commis des actes contre les enfants et plus spécifiquement les garçons sont au bas de l’échelle carcérale. Ainsi, faire mal ou exploiter des enfants sexuellement est considéré inacceptable, incompréhensible et répréhensible selon les détenus de l’étude. Bien que l’agression sexuelle de fillettes ne soit pas acceptée, les délits sexuels impliquant de jeunes garçons susciteraient davantage de dédain de la part de la majorité de nos interviewés, mais surtout, de fortes réactions de la part d’individus qui ont vécu des expériences traumatiques de cette nature dans l’enfance.

« Like there’s two kinds of fucking PC7s. There’s the shit that belongs here right? Sex

offenders, diddlers8 and stuff right? Guys that run to PC, cowards (snaps fingers) with

the first sign of fucking violence they run to PC right? And you’ve got the kind like myself and my friends here in the SHU9 that have been through a thousand fuckin trips in

population, a thousand wars right? That ain’t cowards, that have proven time and time again that they ain’t running from shit ok? That everyone in population knows what they’re about and still respects them but still knows that they’re PC right? And euh, that just had one beef10 too many where they say fuck it, I’ve had enough right? I’ve gotta get

to the street, I’ve gotta put this kind of life behind me and end up going to PC» (Kyle, 31

ans, 15 ans d’incarcération, dont 4 ans en sécurité maximale-élevée).

7 Protective custody 8 Agresseurs sexuels d’enfants

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