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Le sentiment d’insécurité et le sens que peuvent prendre les demandes de transferts et de protection

PARTIE I – PORTRAIT DE LA VIOLENCE EN MILIEU CARCÉRAL

4. L’adaptation au milieu carcéral et ses modèles théoriques :

4.2 Les réactions face aux souffrances de l’enfermement :

4.2.3 Le sentiment d’insécurité et le sens que peuvent prendre les demandes de transferts et de protection

Sylvester et al. (1977) suggèrent que le nombre de demandes de protection par les détenus peut autant être un indicateur de violence à l’intérieur des murs qu’un motif potentiel de victimisation. Selon Vacheret et Lemire (2007a), plusieurs raisons sont à l’origine d’une demande de protection, par exemple, la délation, les dettes de jeu ou de drogue, la peur, avoir plusieurs antagonistes, être condamné pour un délit sexuel, etc. Les détenus tentent, dans la mesure du possible, d’éviter la protection, car elle constitue une étiquette négative dont il est parfois difficile, voire même, impossible, de se défaire. Toujours selon ces auteurs, le détenu ayant séjourné en protection devient en quelque sorte le « traître par excellence » et donc, par extension, la cible d’actes de violence et d’ostracisme. Le nombre croissant des demandes de protection au Canada témoigne d’un profond malaise dans l’univers carcéral et des liens sont possibles entre la peur pouvant motiver ces demandes et l’ampleur de la violence. Demander la protection deviendrait, dès lors, un moindre mal puisque la survie physique surpasserait le besoin de protéger sa réputation. Ces demandes peuvent donc servir d’indice du caractère insupportable du quotidien pour certains détenus (Conrad, 1977; Lockwood, 1985).

Un autre élément sur lequel les auteurs s’entendent est que la peur peut être un indice de violence présente dans un milieu pénitentiaire. Pour Vacheret et Milton (2007b), le sentiment de vulnérabilité est défini comme une peur abstraite, imprécise et non associée à des personnes ou à des actes précis. Crouch (1995) mentionne que la prison est un lieu de travail potentiellement dangereux, dans lequel peur, stress, incertitude et sentiment de vulnérabilité constituent les réalités quotidiennes des surveillants. Au Canada, une enquête menée en 1996 auprès des agents correctionnels établit à 76% la proportion d’agents de correction interrogés qui considèrent que leur sécurité personnelle pourrait être mise en danger par les détenus. De même, 14% des détenus questionnés, dans le cadre de la même

enquête, pensent que les gardiens pourraient être victimes de voies de fait de la part d’un détenu (Service correctionnel du Canada, 1995; Service correctionnel du Canada, 1996a). Vacheret et Milton (2007b) ajoutent que le sentiment d’insécurité est davantage présent chez les surveillants masculins (53,4%) que chez les surveillantes (36,5%). Le sentiment d’insécurité varie cependant selon le geste appréhendé de victimisation. Ainsi, les peurs reposent majoritairement sur des formes de violence verbale comme les menaces ou le dénigrement et sont ressenties par plus de 80% de leur échantillon, peu importe le genre des agents correctionnels. Le sentiment d’insécurité est également inversement proportionnel à la gravité objective de l’acte, c’est-à-dire que plus l’acte est grave, moins il est craint. Les craintes sont donc en lien direct avec la probabilité perçue qu’un tel acte puisse survenir. Ainsi, une grande proportion des agents croient qu’il est très probable que leurs collègues ou eux-mêmes soient victimes de menaces (55,2%) ou de dénigrement (60,6%). Plus spécifiquement aux surveillantes en établissement, si nous avons vu que les femmes révèlent un sentiment d’insécurité général plus faible que les hommes, leur peur concrète semble légèrement plus élevée surtout lorsque l’agression sexuelle est abordée. En effet, seuls 28,3% des hommes, comparativement à 61,25% des femmes, appréhendent ce type de victimisation. En ce qui concerne la crainte d’être victime d’agressions physiques, elle s’accentue à mesure que le niveau de sécurité des établissements augmente (Vacheret & Milton, 2007b). Les auteurs précisent que si les craintes de victimisation sont manifestes pour les agents correctionnels, elle ne s’appuie pas nécessairement sur un risque réel de victimisation.

De surcroît, la crainte d’être agressé semble affecter un nombre important de détenus. Le Service correctionnel du Canada (1996a) a évalué le sentiment d’insécurité chez les détenus. Leurs résultats révèlent que 42% des détenus craignent pour leur sécurité et que 34% considèrent que les voies de fait sont un problème. De même, l’agression sexuelle est considérée problématique pour 19% d’entre eux et 29% considèrent que les agressions armées sont également problématiques. Pour ce qui est de l’étude de McCorkle et al. (1995), 45% des détenus croient ne pas être en sécurité dans leur établissement, 47% se disent à risque de victimisation et 55% pensent être susceptibles d’être victime d’une attaque. Les résultats d’une étude canadienne (Chubaty, 2001) révèlent que certains détenus avouent consommer des drogues et de l’alcool pour apaiser ce sentiment. De plus, pour les mêmes raisons, ils porteraient une arme, deviendraient parfois eux-mêmes des agresseurs ou encore s’associeraient à un gang de rue ou à un groupe influent pour se protéger (Chubaty, 2001). McCorkle (1995), dans son étude, indique similairement que 25% des détenus conservent une arme à proximité, 46% s’entrainent physiquement et 69% admettent « jouer aux bras » en faisant valoir leur force afin d’éviter d’être persécutés ou exploités. Mashev (2013) ajoute que les perceptions du risque de

victimisation chez les détenus varient, tout comme celles des agents correctionnels, selon le type d’agression ou d’atteinte. Les insultes, les rumeurs, les menaces verbales, les intimidations et le vol sont perçus par les détenus comme étant probables par plus des trois quarts d'entre eux. Environ trois quarts des détenus estiment également que les coups, les claques, les bagarres, les contraintes, l'exclusion de rangée et d’activités sont des événements probables. Finalement, les agressions armées sont perçues comme étant probables par la moitié des détenus et un tiers des détenus estiment que des agressions sexuelles sont possibles. Selon Mashev (2013), il appert que le respect du code des détenus permette une meilleure intégration à la culture carcérale. Cette intégration culturelle affaiblirait le sentiment de vulnérabilité sociale des incarcérés et leur permettrait de circuler en toute sécurité dans la prison, sans crainte de victimisation. Les données obtenues par Mashev (2013) nous informent également que la victimisation antérieure et le fait d’avoir été témoin de violence précédemment sont les deux facteurs qui augmenteraient l’insécurité et la perception du risque de victimisation violente chez les détenus.

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