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CHAPITRE 4 : ANALYSE DES RÉSULTATS

4.1 Analyse des données

4.1.3 Stratégie, Installations fixes, Effectifs et Distribution

4.1.3.1 Stratégie

Comme expliquée dans le chapitre précédent, Québecor Média possède une grande quantité de quotidiens et d’hebdomadaires, et cela sans compter les chaînes de télévision détenues par le Groupe TVA et sa propre plate-forme Internet (Canoë.ca). Ainsi, depuis l’arrivée de Pierre Karl Péladeau, une stratégie de convergence de ces différentes entités est privilégiée par l’entreprise. Mais avant d’aborder ce sujet, il est important de définir certains termes soit, la concentration des médias et la convergence. Dans son livre

Médias et démocratie : le grand malentendu, Anne-Marie Gingras définit la

concentration des médias de la façon suivante :

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Dans une perspective d’affaires, la concentration s’inscrit dans la tendance à la maximisation des rendements sur l’investissement. La concentration permet des économies d’échelle, c’est-à-dire une réduction des coûts reliée à une « production accrue ». En achetant d’autres médias du même secteur ou en fusionnant, les entreprises augmentent leur part de marché et peuvent accroître leurs profits, de même qu’exercer une influence accrue sur les taux de publicité. Une forme fréquente de concentration s’exerce de manière verticale. En achetant des médias de secteurs connexes, les entreprises maîtrisent davantage leur environnement, en amont ou en aval, comme la production préalable et la distribution, la promotion, la diffusion. Les éléments en amont permettent d’influer sur les coûts de production alors que ceux en aval contribuent au succès du produit (2009 : 133).

Elle parle aussi du principe de complémentarité en indiquant que :

En investissant de plus en plus dans une variété de secteurs connexes, les entreprises font jouer la complémentarité, ce qui mène idéalement au contrôle de la chaîne de production-consommation; un produit est pensé, mis en forme, réalisé, publicisé, distribué, diffusé et consommé et chacune de ces étapes renvoie à un secteur d’activité médiatique particulier (2009 : 133)

Pour illustrer ce principe elle utilise l’exemple de Québecor, car l’entreprise « possède une station de télévision, des usines de papier, des quotidiens, des hebdomadaires, des magazines, des maisons d’édition, des entreprises de distribution, des sites Internet, entre autres » (2009 : 133) et qu’elle « vise le contrôle de la chaîne de production- consommation, dans ce cas-ci de la fabrication du divertissement à sa destination finale dans les foyers » (2009 : 134) Dans les faits, c’est par l’acquisition, en 2001, du groupe

Vidéotron (et du même coup de TVA) que Québecor Média est créé et devient un joueur

majeur dans le monde des médias. En effet, à partir de ce moment, l’entreprise possède à la fois le quotidien québécois ayant le plus fort tirage (Journal de Montréal) et la station de télévision la plus écoutée au Québec (TVA). Cela lui offre une situation de propriété croisée télévision/journaux ayant une ampleur considérable et lui permet d’appliquer sa stratégie d’affaire à grande échelle (Centre des médias, 2001). Lorsque l’on ajoute à cela l’acquisition de Canoë et la création de canaux de télévision comme LCN, l’organisation se construit à la fois par une concentration verticale (puisqu’elle contrôle toutes les étapes de la production d’un média papier) avec objectif de complémentarité (puisqu’elle possède à la fois des médias papier, télévisés et électroniques) (Centre des médias, 2011).

113 Du même coup, elle en vient à posséder un poids médiatique majeur dans le secteur de l’information.

Comme indiqué par le répondant patronal plus tôt dans le texte, avant le début du conflit de travail, l’un des deux objectifs de Québecor Média à l’aube de la négociation est d’intégrer le Journal aux plates-formes télévisuelles et électroniques de l’entreprise « afin de permettre au Journal de passer à un autre niveau et de partager les risques si ça va mal »151. Cette tangente est perceptible dans les premières offres de l’employeur en

décembre 2006 puisque celles-ci demandent aux journalistes de prendre des photos et de composer des textes pour les autres plates-formes de Québecor Média.

La dépendance de l’employeur concernant la stratégie peut être considérée faible puisqu’il a en sa possession de nombreux quotidiens et des ressources diversifiées. Il possède donc les outils nécessaires afin d’utiliser une stratégie de convergence sans difficulté. Cette situation est facilement observable au cours du lock-out puisque le

Journal a continué d’être publié par l’entremise des différentes ressources matérielles et

humaines de l’organisation, et ce, sans aucune journée d’interruption.

Il est permis de croire que la convergence peut vulnérabiliser un employeur, car un arrêt de travail dans une unité de production risque d’affecter la production des autres unités en lien avec celle-ci. Toutefois, comme expliqué précédemment, Québecor Média est une organisation construite sur un modèle de concentration verticale. Ainsi, par l’entremise de ses filiales nommées plus tôt dans ce chapitre, l’entreprise s’est donné les moyens pour faciliter la mise en œuvre de sa stratégie. En somme, à moins d’une grève simultanée du Journal de Montréal et du Journal (ce qui ne s’est jamais produit dans l’histoire des deux quotidiens, car les conventions des journaux sont toujours venues à échéance à des dates différentes152), la convergence est plutôt susceptible de permettre à

l’employeur de diminuer fortement sa dépendance en transférant ses activités d’une unité à une autre.

151 Entrevue avec un répondant patronal, Québec, 8 juin 2012. 152 Entrevue avec un répondant syndical, Québec, 29 septembre 2011.

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En somme, cette composante du modèle n’est pas véritablement un point de dépendance pour Québecor Média puisqu’il possède de nombreuses solutions de rechange lui permettant de mettre en œuvre sa stratégie de convergence et de concentration. Ces différentes solutions lui permettent de diminuer fortement la force de ce point de dépendance, et ce, même si l’engagement de l’employeur envers la stratégie est élevé. C’est pourquoi le moyen de pression alternatif n’a pas influencé ce point de dépendance de l’employeur au cours du conflit. La partie syndicale a plutôt cherché durant le conflit de travail à protéger les acquis des travailleurs par rapport au plan de convergence et au décloisonnement des salles de rédaction (par exemple en visant à établir des barèmes concernant l’utilisation de textes et d’images provenant d’autres entités de Québecor

Média)153. Il en sera question de manière plus approfondie dans la deuxième section de ce

chapitre.