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L'utilisation de moyens de pression alternatifs par les syndicats en négociation collective : le cas du Média matin Québec dans le conflit du Journal de Québec en 2007

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Texte intégral

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L’utilisation de moyens de pression alternatifs par

les syndicats en négociation collective : le cas du

Média Matin Québec dans le conflit du Journal de

Québec en 2007

Mémoire Sylvain Morin

Maîtrise en relations industrielles

Maître ès arts (M.A.)

Québec, Canada

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iii

RÉSUMÉ

Cette étude a pour objectif de contribuer à la réflexion sur la pertinence, pour les syndicats, de s’éloigner des moyens de pression traditionnels que sont la grève et le piquetage au profit de moyens alternatifs. Plus spécifiquement, ce mémoire porte sur la création, par les travailleurs du Journal de Québec, du journal gratuit Média Matin

Québec et sur les impacts qu’il a pu avoir sur la puissance en négociation de la partie

syndicale lors du conflit de travail avec Québecor Média en 2007.

Afin d’y parvenir, nous avons procéder à l’étude du conflit à chacune des étapes, de la fin de l’ancienne convention de collective jusqu’à la signature de la nouvelle. Nous avons pu suivre les répercussions de la création de ce média gratuit qui se positionnait à la fois comme un moyen de pression pour les travailleurs, mais aussi comme un compétiteur direct de l’employeur afin de faire revenir à la table des négociations.

Les résultats de ce mémoire montrent que le moyen de pression syndical n’aura pas trouvé son efficacité durant le conflit de travail en tant qu’arme offensive vis-à-vis l’employeur, mais plutôt comme moyen d’occupation des travailleurs leur permettant de poursuivre le conflit pendant plus de 16 mois. Cette recherche confirme que des moyens de pression dits défensifs et d’occupation peuvent s’avérer pertinents pour la puissance en négociation de la partie syndicale lorsque celle-ci est confrontée à un employeur ayant les ressources (autant matérielles que financière) pour poursuivre la production même en cas de grève ou de lock-out.

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iv

TABLE DES MATIÈRES

RÉSUMÉ ... iii

TABLE DES MATIÈRES ... iv

TABLE DES FIGURES ... vii

TABLE DES TABLEAUX... viii

REMERCIEMENTS ... ix

INTRODUCTION ... 1

CHAPITRE 1 : PROBLÉMATIQUE DE RECHERCHE ... 4

1.1 Qu’est-ce que la négociation collective ... 4

1.2 La puissance en négociation ... 6

1.3 Les stratégies et tactiques en négociation ... 11

1.4 Les moyens de pression syndicaux traditionnels en contexte québécois ... 13

1.4.1 La place des moyens de pression traditionnels au vingt-et-unième siècle .. 15

1.4.2 L’exemple des campagnes stratégiques ... 21

1.5 Cadre d’analyse ... 24

1.5.1 Les sources du cadre d’analyse ... 25

1.5.1.1 Le modèle de Bacharach et Lawler ... 25

1.5.1.2 L’analyse stratégique des entreprises ... 27

1.6 Intégration des deux modèles afin d’analyser la puissance en négociation ... 32

1.7 Modèle d’analyse intégré ... 33

1.7.1 Employeur cible ... 34 1.7.1.1 Histoire de l’entreprise ... 34 1.7.1.2 Stratégie ... 35 1.7.1.3 Information de base/Finances... 37 1.7.1.4 Direction ... 38 1.7.1.5 Produits et services ... 39 1.7.1.6 Effectifs ... 40 1.7.1.7 Installations fixes/Filiales ... 41

1.7.1.8 Résumé pour employeur cible ... 42

1.7.2 Instances décisionnelles ... 43

1.7.2.1 Conseil d’administration/Actionnaires/Investisseurs ... 43

1.7.2.2 Prêteurs ... 46

1.7.2.3 Secteur d’activité/Compétiteurs ... 48

1.7.2.4 Société mère ... 49

1.7.2.5 Résumé pour les Instances décisionnelles ... 50

1.7.3 Activités opérationnelles ... 51

1.7.3.1 Matières premières (fournitures et services)/Transport et approvisionnement ... 51

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1.7.3.3 Résumé pour les activités opérationnelles ... 54

1.7.4 Acteurs externes ... 55

1.7.4.1 Communauté/ Liens politiques/ Autres lois ou réglementations/ Environnement/ Santé et sécurité ... 55

1.7.4.2 Résumé pour les acteurs externes... 58

1.8 Objectif et question de recherche ... 59

CHAPITRE 2 : MÉTHODE DE RECHERCHE ... 62

2.1 Stratégie de recherche ... 62

2.2 L’unité d’analyse de l’étude ... 64

2.3 Techniques d’enquête ... 65

2.3.1 L’entrevue semi-dirigée ... 65

2.3.2 La recherche documentaire ... 67

2.4 Modèle d’analyse et indicateurs ... 68

2.5 L’analyse des données ... 69

2.6 Conclusion ... 71

CHAPITRE 3 : PRÉSENTATION ... 72

3.1 Les parties ... 72

3.2 La période d’avant-conflit ... 73

3.2.1 Le climat des relations de travail au Journal dans les mois qui précèdent la négociation de 2006-2007 ... 73

3.2.2 L’amorce de la négociation ... 75

3.3 La création du Média Matin Québec ... 78

3.4 Le début de la distribution et les premières injonctions ... 84

3.5 Les erreurs débutent et les opinions divergent ... 87

3.6 Les briseurs de grève ... 91

3.7 La survie du moyen de pression et de nouvelles façons de faire passer le message. ... 94

3.8 La réunion de l’Île d’Orléans ... 96

3.9 La fin du conflit ... 97

3.10 Les répercussions ... 101

CHAPITRE 4 : ANALYSE DES RÉSULTATS ... 103

4.1 Analyse des données ... 104

4.1.1 Historique de l’organisation ... 104

4.1.2 Produits et services, conseil d’administration, direction, société mère, filiales, industrie ... 106

4.1.2.1 Produits et services ... 106

4.1.2.2 Société mère/Filiales ... 108

4.1.2.3 Secteur d’activité/Clientèle et donneur d’ouvrage ... 110

4.1.3 Stratégie, Installations fixes, Effectifs et Distribution ... 111

4.1.3.1 Stratégie ... 111

4.1.3.2 Installations fixes... 114

4.1.3.3 Effectifs ... 116

(6)

vi

4.1.4 Compétiteurs/Secteur d’activités, Communauté, Liens politiques et Autres

lois ou réglementations. ... 122

4.1.4.1 Compétiteurs/Secteur d’activités... 122

4.1.4.2 Communauté ... 124

4.1.4.3 Autres lois et réglementations ... 125

4.1.5 Les composantes du modèle de Juravich n’ayant pas été touchées durant le conflit de travail de 2007 ... 128

4.1.5.1 Ressources matérielles brutes... 128

4.1.5.2 Finances/Approvisionnement/Services/Environnement/Santé et Sécurité au travail/Prêteurs/Investisseurs et actionnaires/Liens politiques/Informations de base/Conseil d’administration/Direction ... 129

4.1.6 Récapitulation des points de dépendances de l’employeur lors du conflit de travail de 2007 en fonction de l’opérationnalisation de Bacharach et Lawler par le modèle de Juravich. ... 130

4.2 L’impact du Média Matin Québec durant le conflit de travail de 2007 ... 131

4.2.1 Rappel du lien entre le modèle de Juravich et les stratégies syndicales ... 131

4.2.2 Le Média Matin Québec et l’exploitation de la dépendance de l’employeur 131 4.2.2.1 L’employeur cible (Produits, Installations fixes, Filiales, Effectifs, Histoire de l’entreprise, Stratégie et Direction) ... 132

4.2.2.2 Les instances décisionnelles (Secteur d’activité et Compétiteurs.) ... 134

4.2.2.3 Les activités opérationnelles (Distribution et Clientèle/donneur d’ouvrage.) ... 135

4.2.2.4 Les acteurs connexes (Communauté et Autres lois ou réglementations) 137 4.2.2.5 Analyse globale de l’exploitation de la dépendance de Québecor Média par le Média Matin Québec durant le conflit de 2007 ... 140

CONCLUSION GÉNÉRALE ... 144 Transférabilité ... 145 Limite de l’étude ... 148 BIBLIOGRAPHIE ... 150 ANNEXE 1 ... 163 ANNEXE 2 ... 165 ANNEXE 3 ... 167 ANNEXE 4 ... 169

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TABLE DES FIGURES

FIGURES

Figure 1 : La relation entre la dépendance et la puissance des parties ... 8 Figure 2 : Éléments formant la recherche stratégique sur les entreprises ... 28

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TABLE DES TABLEAUX

TABLEAUX

Tableau 1 : Données globales sur les conflits de travail au Québec selon leur nature et la période, 1981-2010 ... 17 Tableau 2 : Tableau comparatif des composantes de l’Employeur cible avec les

dimensions de la dépendance de Bacharach et Lawler affectées. ... 43 Tableau 3 : Tableau comparatif des composantes des Instances décisionnelles avec les dimensions de la dépendance de Bacharach et Lawler affectées. ... 50 Tableau 4 : Tableau comparatif des composantes des activités opérationnelles avec les dimensions de la dépendance de Bacharach et Lawler affectées. ... 55 Tableau 5 : Tableau comparatif des composantes des activités opérationnelles avec les dimensions de la dépendance de Bacharach et Lawler affectées. ... 58 Tableau 6 : Tableau récapitulatif des composantes de Juravich et les dimensions de la dépendance de Bacharach et Lawler abordés durant le conflit du Journal en 2007. ... 130

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ix

REMERCIEMENTS

Tout d’abord, je tiens à remercier l’ensemble des personnes ayant participé de près ou de loin, à la réalisation de ce mémoire de maîtrise. Que ce soit par les séances de travail dans les cafés de Québec, les soirées à rédiger ou simplement les mots d’encouragements, votre support et votre présence aura contribué à la concrétisation de ce projet.

Je tiens à remercier mon directeur de maîtrise, Pier-Luc Bilodeau pour ses judicieux conseils à chacune des étapes de réalisation de ce mémoire. L’étendue de tes connaissances en relation de travail n’aura cessé de m’étonner durant la création de ce projet et tu auras su me remettre sur le droit chemin lorsque je me dispersais un peu trop. Merci de la confiance que tu auras su me témoigner. Je remercie également les évaluateurs et j’espère que ce mémoire sera à la hauteur de vos attentes.

Je souhaite aussi remercier mes amis et amies de Relations industrielles avec qui j’ai partagé les diverses étapes menant à la création de ce mémoire. Marianne, merci d’avoir été présente et d’avoir fait partie de ma vie dès la première journée de mon parcours universitaire. David, Audrey et Andréanne vous aurez été, vous, aussi, d’une grande aide à travers toutes ces années. Je me dois aussi de souligner l’apport d’Émilie Bégin pour son temps et son aide concernant les aspects plus techniques de la rédaction. Tu auras, sans le moindre doute, rehaussé la qualité du texte que je présente aujourd’hui.

Je dois aussi souligner le support (voire la pression sociale!) témoigné par mes amis(es) Jean-François, Pascal, Jérôme, François, Olivier, Myriam, Cindy etc. Par vos paroles, vos gestes et parfois même vos regards désapprobateurs, vous avez su m’encourager et m’inciter à me rendre au bout de ce projet. Je me dois également de remercier la caféine pour sa présence continue et indéfectible dès les premiers balbutiements de ce mémoire. Je souhaite remercier mes parents, Paul et Micheline, et mon frère Éric pour le soutien et les encouragements constants tout au long de ce processus de rédaction. Vous m’avez accompagné jusqu’à la ligne d’arrivée, et ce, sans jamais avoir le moindre doute qu’elle finirait par être franchie. C’est à vous que je dédie ce mémoire et j’espère que vous serez, vous aussi, fiers du résultat final.

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INTRODUCTION

Au Québec, le phénomène des restructurations d’entreprise est souvent exposé comme la base de l’évolution du monde de l’emploi. Une idée répandue tend à associer ces restructurations au seul secteur manufacturier, ou presque, et à réduire celles-ci à des coupures massives d’emploi au profit de l’automatisation de la production ou de la délocalisation de l’entreprise. Cette vision s’avère toutefois restrictive puisqu’il existe une multitude d’autres actions possibles lors d’une restructuration. L’employeur peut viser des projets de désinvestissements, d’alliances stratégiques, d’acquisition de nouvelles certifications ISO, de mise en place de nouvelles formes d’organisation du travail, de concentration sur l’approche client, de la sous-traitance, etc. (Jalette, 2014). Jalette (2014) expose aussi que si par le passé les restructurations concernaient en majorité les entreprises en difficulté, ce n’est plus du tout le cas aujourd’hui. En effet, il indique que les restructurations « […] sont maintenant aussi le fait des entreprises en bonne santé, mais ambitionnant tout de même d’améliorer encore leur performance concurrentielle (Jalette, 2014 : 19). Par le passé, les entreprises qui mettaient ce plan en marche le faisaient dans un caractère défensif afin de pallier à une situation (crise économique, retard sur le marché d’un produit face à la concurrence, etc.) afin de remettre l’organisation sur le chemin de la rentabilité (Jalette, 2014). De nos jours, il y a de plus en plus d’entreprises qui vont vers une restructuration de compétitivité avec pour objectif d’accroître la valeur de l’organisation et le retour aux actionnaires et investisseurs.

Un secteur d’activité particulièrement touché par les restructurations est celui des médias. Que ce soit par la place sans cesse grandissante que prend la télé en flux continu (Netlflix,

Hulu, Tou.tv), pour le domaine télévisuel, les sites de musique en flux continu le domaine

de la radio musicale (Spotify) ou le développement de plateformes et d’applications pour appareils mobiles dans le domaine des médias papiers. Les entreprises sont soumises à une forte pression pour adapter leurs contenus et leurs façons de faire en tenant compte de cette nouvelle réalité sous peine de devenir rapidement non concurrentielles. La création, par Radio-Canada, de séries exclusivement disponibles sur leur plateforme Web

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2

ou la décision de La Presse de laisser tomber le journal papier pour se concentrer sur La

Presse + sont des exemples probants de cette situation. Les écrits concernant la

restructuration d’entreprise et les stratégies syndicales dans le monde des médias papiers se retrouvent surtout dans la littérature européenne comme les travaux de Didry et Jobert (2010) ou de Béroud et Guillaume (2013).

Il est possible de faire un parallèle entre cette tendance et la lecture que propose Juravich (2007) de l’évolution de la firme. Dans ce texte, il décrit l’évolution de firme qui, à travers les années, est passée d’une entreprise seule, centralisée et se concentrant sur un seul produit ou service à des multinationales pouvant posséder des infrastructures et des filiales pour chacune des phases de sa production, et ce, à travers le monde. C’est à ce type d’entreprise et à ce contexte économique se dirigeant de plus en plus vers la restructuration de compétitivité que doivent se confronter les syndicats dans les situations de restructuration et de conflits de travail au XXIe siècle. Ces modifications dans les façons de produire, diminue l’efficacité des moyens de pression syndicaux, car il devient fort compliqué, voire parfois impossible, de stopper la production d’une entreprise en cas de conflit entre la partie syndicale et patronale. Les médias papiers en sont un exemple concret puisque par l’arrivée de nouvelles technologies, il est possible pour le journaliste de transmettre le fruit de son travail sans avoir à se déplacer. Ce contexte devient un défi de taille pour les stratèges syndicaux désirant mettre de la pression sur un employeur. C’est pourquoi cette étude a pour objectif d’analyser l’impact que peut avoir la mise en place d’un moyen de pression alternatif sur la puissance en négociation d’un syndicat lors d’un conflit de travail. Afin d’atteindre ce but, il a été choisi d’étudier un cas précis soit la création du média gratuit Média Matin Québec par les travailleurs du Journal de Québec lors du conflit de travail de 2007. La compréhension du conflit se fera par l’interprétation des événements par un intervenant patronal et un intervenant syndical ayant participé au conflit et par une recherche documentaire permettant d’avoir une vision complémentaire du déroulement du conflit du travail et de l’impact qu’a eu média gratuit durant celui-ci.

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3 La démarche retenue afin d’atteindre cet objectif est exposée en quatre chapitres. Le premier chapitre permet d’avoir une compréhension des notions de négociation collective et de moyen de pression à travers la vision de différents auteurs. Il permet aussi une meilleure compréhension du cadre d’analyse et du modèle qui sera utilisé au cours de ce mémoire afin d’analyser le conflit de travail de 2007. Le deuxième chapitre permet de préciser la question de recherche en plus de spécifier la méthodologie et les outils qui sont utilisés afin de répondre à celle-ci. Le chapitre suivant porte sur la présentation des résultats sous la forme d’un résumé des événements marquants du conflit de travail, soit de l’émergence de l’idée de créer un média gratuit jusqu’à la conclusion du conflit de travail. Le chapitre final porte sur l’analyse des résultats en lien avec le modèle qui aura été exposé au chapitre 2.

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CHAPITRE 1 : PROBLÉMATIQUE DE RECHERCHE

Cette recherche porte sur les moyens de pression alternatifs lors d’une négociation collective et leur efficacité. Nous entendons étudier, sous une forme exploratoire, le cas précis de la création du Média Matin Québec (ci-après nommé MMQ) par les salariés du

Journal de Québec (ci-après nommé le Journal) lors du conflit de travail qui les a

opposés à leur employeur en 2007, afin de connaître l’efficacité qu’a pu avoir ce moyen de pression pour le syndicat. Dans ce chapitre, nous définirons les principaux concepts reliés à cette problématique soit, la négociation collective, la puissance en négociation, les stratégies et tactiques de négociation et les moyens de pression. Ces différents sujets seront abordés et décrits au sein de ce chapitre, par la confrontation et la comparaison des approches de différents auteurs concernant ces concepts.

1.1 Qu’est-ce que la négociation collective

Avant d’aborder la négociation collective, il est important de la définir. Dans la deuxième édition de son Dictionnaire canadien des relations du travail, Gérard Dion définit la négociation collective comme un :

Procédé selon lequel, d’une part, un employeur, une association d’employeur et, d’autre part, un syndicat cherchent à en venir à une entente sur des questions relatives aux rapports du travail dans l’intention de conclure une convention collective à laquelle les deux souscrivent mutuellement […] La négociation collective présuppose donc l’existence de parties distinctes, d’un but commun recherché ensemble et d’intérêts divergents qu’on cherche à accommoder pour une période habituellement déterminée […] Dans la négociation collective, chacune des parties s’efforce de convaincre l’autre du bien-fondé de son point de vue sur les sujets débattus et utilise, pour atteindre ses fins, les moyens de persuasion ou de pression dont elle dispose jusqu’à la grève ou au lock-out inclusivement si ceux-ci s’avèrent nécessaires et efficaces (Dion, 1986 : 310).

La négociation collective remplit les conditions d’une négociation, car les parties sont interdépendantes (les salariés ont besoin du salaire, les employeurs ont besoin de la force de travail) et elles sont capables d’obtenir, par des actions concrètes (les salariés par la grève, les employeurs par le lock-out), quelque chose que l’autre partie désire conserver

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5 (Barbash, 1984; Jensen, 1963). C’est cette interdépendance qui fait que chacun des intervenants peut infliger une perte à l’autre dans le but d’obtenir de sa part des concessions (Slichter, 1940). Bref, l’employeur et le syndicat, bien que devant coopérer et ayant comme but commun l’atteinte des objectifs spécifiques à l’organisation, sont des entités ayant des visions différentes, mais qui doivent faire converger celles-ci dans une convention collective (Zartman, 1977; Barbash, 1977; Jensen, 1963; Trudeau, 2004). C’est pourquoi dans la négociation on ne peut pas dire qu’il y ait un véritable gagnant, car les motivations afin d’accepter ou de refuser, de coopérer ou de créer un conflit, de concéder ou de se battre sont différentes pour chacun des acteurs (Zartman, 1977; Jensen, 1963).

La perception des éléments importants lors d’une négociation collective (et souvent du même coup d’un conflit de travail) varie d’un auteur à l’autre. Ainsi, Allan Flanders (1968) affirme qu’une négociation collective contient trois types de variables pouvant interférer dans le conflit et aider les parties à obtenir ce qu’elles veulent. Il qualifie ces variables d’« économiques », de « politiques » et de « puissance véritable » (1968 : 15). C’est l’ensemble de ces facteurs qui déterminent la conclusion de toute négociation collective. Dans le même ordre d’idées, Flanders décrit les enjeux sur lesquels les parties peuvent avoir une vision différente lors d’une négociation collective. Ces enjeux, qui affectent le résultat de la négociation, sont :

[…] (1) their long-run goals or motives, (2) their immediate standards, (3) their perceptions of the factual situation, (4) their expectations of the future, (5) their sympathy for and understanding of the other side, (6) their judgement of relative power and of the feasibility of gaining their objectives and (7) their skill in the bargaining and persuasion (Flanders, 1968 : 16) .

Finalement, il ne faut toutefois pas oublier que le « but d’une négociation n’est pas d’imposer des clauses coûteuses et défavorables à la partie adverse, mais bel et bien d’arriver à une convention collective acceptable pour chacune des parties en cause » (Chamberlain et Kuhn, 1986 : 173). La négociation collective devient donc une occasion où les parties patronales et syndicales sont conscientes de leurs intérêts communs dans le développement de l’entreprise et dans l’amélioration des conditions de travail, de qualité de vie et de sécurité d’emploi (Chamberlain et Kuhn, 1986; Zartman, 1977; Boivin et

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6

Sexton, 2010). Car, même lors de disputes, les deux parties ne considèrent pas que la relation est terminée, elles cherchent seulement à régler leurs différends tout en conservant le lien de confiance (Jensen, 1963; Boivin et Sexton, 2010).

1.2 La puissance en négociation

Lors d’une négociation collective qui stagne, l’employeur et le syndicat cherchent à déployer des moyens de pression afin d’inciter l’autre à adopter une position souhaitée. L’efficacité de ces moyens de pression dépend de la puissance en négociation de chacune des parties (Zartman, 1977; Jensen, 1963). Cette puissance se construit, en majeure partie, par la relation entre les acteurs et la combinaison des tactiques de pression utilisées par le syndicat et l’employeur (Hickey, 2004 ; Jensen, 1963). L’importance de cette puissance dépend du climat de travail, du temps, des circonstances et de la situation dans l’entreprise (Jensen, 1963).

La définition de ce qu’est la puissance en négociation diffère largement selon les théoriciens. Ainsi, Gérard Dion, dans la deuxième édition du Dictionnaire canadien des

relations du travail, définit le pouvoir1 de négociation comme suit :

Capacité que possèdent les parties contractantes, dans une négociation collective, de faire triompher leur position. Le pouvoir de négociation dépend moins de la valeur persuasive de l’argumentation dans les pourparlers que du rapport entre la capacité d’infliger ou de supporter des sanctions économiques ou sociales et le coût, pour l’autre partie, de faire des concessions plus ou moins complètes aux demandes ou contre-propositions formulées (1986 : 357).

Chamberlain et Kuhn (1986) apportent, eux aussi, une vision de la puissance en négociation dans leur modèle portant sur la grève et le lock-out. En effet, pour eux, la puissance en négociation consiste en « the willingness of employees to strike and of management to resist a strike depends upon what is to be gained by each through a strike.

1 Dans ses travaux, Bilodeau (2011) différencie les termes de pouvoir et puissance en négociation. La

puissance est «la capacité d’un individu ou d’un groupe de faire triompher, en tout ou en partie, sa volonté sur celle d’un ou de plusieurs vis-à-vis en regard d’un ou plusieurs enjeux conçus par les parties comme distributifs et importants » (177). Le pouvoir, quant à lui, est l’actualisation de cette puissance. Au cours de ce mémoire, il est à noter que si un auteur cité a écrit le terme pouvoir dans son texte mais que son utilisation reflète plutôt la définition de puissance, c’est ce terme qui sera utilisé.

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7 The duration of the strike, in particular, will be governed by the relative return » (1986 : 174). Cette vision de la puissance en négociation par rapport à la grève se base sur le salaire, car, selon les auteurs, plus la demande salariale des salariés sera haute, plus la direction sera prête à affronter une grève de longue durée et dans le même ordre d’idées, plus le syndicat sera prêt à faire une grève de longue durée, plus il augmentera ses chances d’avoir gain de cause à la fin du conflit.

Dans une vision qui porte moins exclusivement sur les enjeux économiques de la négociation collective, Chamberlain et Kuhn définissent la puissance en négociation à partir des notions de coûts d’accord et de désaccord. Ainsi, pour eux, le but du syndicat est de faire en sorte que le coût du conflit (que ce soit par la grève ou d’autres moyens de pression exercés) soit plus grand pour l’employeur que le coût d’accepter les demandes syndicales. Si le syndicat réussit à atteindre cet objectif alors sa puissance de négociation sera grande. Au contraire, si l’employeur considère qu’il lui est plus facile de subir les coûts d’un conflit de travail que d’accepter les propositions du syndicat, la puissance du syndicat dans le conflit se doit d’être considérée comme étant faible (Chamberlain et Kuhn, 1986).

Toutefois, l’inverse est aussi vrai. Le syndicat doit se questionner sur son coût d’accord et de désaccord par rapport aux demandes de l’employeur. Selon les deux auteurs, chacune des parties possède différents moyens et tactiques afin d’augmenter le coût de désaccord de son opposant (Chamberlain et Kuhn, 1986). Pour le syndicat, ces moyens peuvent être, entre autres, le choix du moment de la grève, la présence de salariés dans des postes-clés de l’entreprise et le recrutement de sympathisants à la cause du syndicat (Batstone, 1989; Martin, 1992; Sexton, 2001). Pour ce qui est de l’employeur, il peut utiliser des moyens comme la menace de fermeture, la constitution d’un inventaire en prévision d’une grève et le lock-out (Chamberlain et Kuhn, 1986). Dans la même veine, Gérard Hébert explique cette situation selon une analyse « coûts-bénéfices ». Il définit son analyse comme un calcul où les parties doivent considérer et comparer le coût de la concession qui leur est demandée et le coût du refus de cette concession (Hébert, 1992). En somme, selon cette vision de la puissance en négociation, les deux parties cherchent, lors d’un conflit de travail, à diminuer leur coût de désaccord et à augmenter le coût de désaccord de l’autre.

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Une autre conception de la puissance en négociation est celle de Bacharach et Lawler (1981). Elle diffère de la vision de Chamberlain et Kuhn, car ce n’est plus l’aspect monétaire qui est au centre de la puissance en négociation des parties, mais plutôt l’interdépendance qui les lie. Cette notion d’interdépendance entre les parties tient compte de l’importance pour chacune d’elles (employeur et syndicat) de maintenir la relation d’emploi et de production et, du même coup, de poursuivre la négociation. Cette vision de la puissance est intéressante, car elle va au-delà des coûts, qui est le principal élément de la plupart des premiers textes portant sur la puissance en négociation, pour s’intéresser à la relation de production qui unit les deux parties.

Pour les auteurs, la puissance d’une partie A par rapport à B varie en fonction de la dépendance de B envers A et vice versa (Bacharach et Lawler, 1981). Pour les deux auteurs, quatre variables entrent en ligne de compte lorsqu’il est question de l’analyse de la puissance en négociation : les solutions de rechange de l’acteur A, les solutions de rechange de l’acteur B, l’engagement de l’acteur A et l’engagement de l’acteur B (1981 : 61). Il est possible de voir la relation entre ces quatre variables dans la figure ci-dessous.

Figure 1 : La relation entre la dépendance et la puissance des parties

Dimension de la dépendance Puissance du syndicat (A) Puissance de l’employeur (B)

Solutions de rechange du syndicat ↑ ↓

Engament du syndicat ↓ ↑

Solutions de rechange de

l’employeur ↓ ↑

Engagement de l’employeur ↑ ↓

Des auteurs comme Grant (1993), Martin (1992) et Sexton (2001) ajoutent un élément pertinent qui n’est pas véritablement traité par Bacharach et Lawler (1981) soit l’importance stratégique (ou la centralité) des salariés pour l’activité de l’entreprise en conflit. En effet, il est certain que les scientifiques d’une entreprise de haute technologie ont une plus grande puissance en négociation, en cas de conflit de travail, que les salariés d’une entreprise produisant des boîtes de carton. Du même coup, la facilité avec laquelle

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9 l’employeur pourra avoir en main des solutions de rechange est liée au positionnement stratégique des employés au sein du processus de production.

Un autre aspect qui n’est pas spécifiquement touché par Chamberlain et Kuhn et Bacharach et Lawler est celui de l’environnement externe de l’organisation. Cet environnement externe est constitué de plusieurs éléments pouvant jouer un rôle (plus ou moins majeur) sur le degré de puissance des parties. En effet, la conjoncture économique globale, la situation économique propre à chacune des parties, la concurrence dans le domaine d’activité et même l’opinion publique peuvent avoir un rôle à jouer sur la puissance en négociation. Il en va de même pour des éléments comme le degré de concurrence sur le marché d’un produit, le taux de syndicalisation dans le secteur d’activité, la taille de l’entreprise, etc. (Grant, 1993 : 62). L’importance que peut revêtir l’environnement externe sur la puissance des parties dans un contexte de négociation collective sera traitée de manière approfondie plus tard dans le texte dans la section portant sur le modèle de Juravich.

En lien avec l’environnement externe, certains auteurs comme Gilles Trudeau (2004) présentent une démarcation visible quant à la puissance en négociation entre le secteur privé et les secteurs public et parapublic. Cette démarcation se caractérise entre autres par l’importance que revêt l’opinion publique lorsque l’employeur est l’État. C’est pourquoi l’appui de la population à la cause des salariés est l’un des objectifs majeurs à atteindre par les syndicats des secteurs public et parapublic. Cet appui représente un enjeu important, car, si la population considère comme légitimes les actions du syndicat, le gouvernement se doit d’être à l’écoute s’il veut être réélu. Toutefois, la puissance en négociation de l’État est aussi plus grande puisqu’il a la possibilité d’adopter une loi spéciale afin de faire cesser un conflit (Trudeau, 2004).

Un autre aspect qui n’a pas vraiment été abordé par les auteurs vus précédemment est celui du positionnement de l’employeur par rapport aux fournisseurs et aux consommateurs. Même si l’aspect économique (salaire des employés, coûts de production, etc.) et l’interdépendance de la partie patronale et syndicale sont des éléments majeurs concernant la puissance en négociation, il ne faut pas négliger l’importance des

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consommateurs et des fournisseurs dans le cycle de production. En effet, si l’employeur est prêt à accepter une grève, mais que ses clients ne le lui permettent pas, car ceux-ci iront chercher un produit similaire ailleurs, alors la puissance de l’employeur dans la négociation est moindre (Jensen, 1963). Il en va de même si l’employeur est fournisseur d’un produit utilisé par une autre entreprise sous la forme d’une production de type « juste à temps », alors l’entreprise cliente n’acceptera pas un long conflit de travail sous peine de briser la relation de production.

Hickey (2002), quant à lui, se concentre surtout sur la finalité du conflit de travail et sur les aspects que chacune des parties doit avoir en main afin d’obtenir une résolution de conflit qui lui est favorable. Ainsi, l’atteinte des objectifs de l’employeur lors d’un conflit de travail se fait par sa prévoyance et par sa capacité de continuer la production malgré les moyens utilisés par la partie syndicale. S’il a la capacité de poursuivre sa production sans complications, alors il augmente de beaucoup les probabilités d’obtenir une résolution de conflit à son avantage puisqu’il n’a pas d’obligation d’accepter rapidement les demandes syndicales afin de faire rentrer les employés dans l’établissement (Hickey, 2002).

L’atteinte des objectifs des salariés, quant à elle, dépend à la fois de la façon dont le conflit a été géré par la partie syndicale (c’est-à-dire les moyens de pression qui ont été exercés) et de la puissance en négociation que détiennent individuellement l’employeur et le syndicat. La gestion de la partie syndicale consiste, entre autres, à s’assurer de réunir toutes les informations possibles sur l’employeur tout en adoptant une attitude qui démontre qu’elle est prête à tout si un conflit de travail survient. Cette attitude est importante, car, si la grève est déclenchée, mais qu’aucun plan d’action n’est déployé afin d’accroître la pression sur l’entreprise, alors on peut fortement supposer que le résultat final de la négociation ne sera pas concluant pour la partie syndicale (Hickey, 2002). Le résultat est le même si elle n’a pas su informer et motiver ses troupes adéquatement ou si l’employeur est tout simplement un adversaire trop puissant. Dans ce cas, il est question d’un employeur ayant des ressources à la fois financières et physiques (ex : un nombre élevé d’établissements) qui lui permettent de ne subir aucun des effets négatifs de la

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11 grève. Un employeur comme McDonald’s est un exemple parfait de ce type d’adversaire dit « trop puissant ».

Près des idées de Hickey, Bronfenbrenner et Juravich (2001) mettent eux aussi en lumière l’importance que doit accorder la partie syndicale à connaître en profondeur l’employeur de ses membres et à canaliser la mobilisation et la motivation de ceux-ci avant le déclenchement du conflit.

En résumé, les différents auteurs ayant écrit des textes portant sur la puissance en négociation s’entendent sur l’importance de connaître l’organisation et d’établir un plan avant le déclenchement d’un conflit de travail. Que ce soit en établissant son coût d’accord et de désaccord comme Chamberlain et Kuhn (1986), en analysant ses solutions de rechange et l’engagement de l’autre partie comme Bacharach et Lawler (1981) ou l’environnement externe comme le propose, entre autres, Grant (1993). Cette analyse de la puissance est importante afin de choisir quelle stratégie et quelles tactiques mettre en œuvre dans le cadre de la négociation collective. Mais en quoi ces stratégies et tactiques consistent-elles?

1.3 Les stratégies et tactiques en négociation

Gérard Dion (1986, p.452) définit la stratégie en négociation comme

[l’] Art de supputer les points faibles de l’adversaire, d’évaluer les forces en présence, de mettre à profit la conjoncture, de choisir les moments appropriés pour faire des offres ou des concessions, de mettre de l’avant des propositions, de recourir à la grève ou au lock-out ou d’accepter un règlement à point nommé à l’occasion de la préparation, de la présentation et de la discussion de projets de convention collective.

Dans un même ordre d’idées, il est aussi pertinent de définir ce qu’est une tactique puisque ces deux éléments sont indissociables. Ainsi, la tactique est définie comme « un ensemble de moyens concrets coordonnés d’une façon plus ou moins lâche, inventée au gré des circonstances, auxquels on a recours pour arriver au but ou à un résultat désirés à l’occasion d’une négociation ou d’un débat » (Dion, 1986, p.469).

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La stratégie en négociation consiste donc en un plan d’action général dont les tactiques sont les moyens concrets.

Le choix de la stratégie à adopter (autant pour la partie patronale que pour la partie syndicale) doit tenir compte de plusieurs éléments. Tout d’abord, chacune des parties doit décider si elle choisira une stratégie basée sur la discussion et l’argumentation afin de faire accepter ses positions par la partie adverse ou si elle se dirigera plutôt vers l’utilisation de la force et de la menace. Plusieurs auteurs posent l’existence de deux stratégies typiques, même si l’appellation n’est pas toujours la même. Ainsi, Fisher et Ury (1981) parlent de négociation dure (hard bargaining) et de négociation raisonnée (principle bargaining)), Walton et Mckersie (1991) de négociation distributive et intégrative et Walton, Cutcher-Gershehfield et Mckersie (1994) de contrainte (forcing) et d’accompagnement (fostering). Toutefois, la plupart des négociations sont mixtes quant à la stratégie retenue par les parties. La proportion que prend chacune des options pourra être différente selon plusieurs facteurs et pourra même s’ajuster si cela devient nécessaire en cours de négociation.

Concernant les tactiques en négociation, Paquet (2006, p.98) les divise en deux catégories soit les tactiques communicationnelles (qui correspondent à la communication entre les parties) et relationnelles (qui correspondent aux moyens utilisés pour structurer la relation entre les parties). Chacune de ces catégories comporte deux types de moyens soit les tactiques d’information/les tactiques de persuasion (communicationnelles) et les tactiques de coercition/les tactiques de coopération. Il faut toutefois garder en mémoire que même lorsque des tactiques de coercition sont mises en place par l’une ou l’autre des parties (par exemple : une grève ou un lock-out), la négociation peut conserver un aspect intégratif dans lequel les parties cherchent à en venir une entente commune. En somme, tant que l’une des parties ne décide pas que la « guerre » est la seule façon de conclure la négociation, il reste toujours un certain niveau de coopération dans les stratégies et tactiques de l’employeur et du syndicat.

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13 Parmi les tactiques de coercition, il importe de distinguer la menace des tactiques de coercition effective. La menace cherche à faire réfléchir la partie adverse aux risques possibles si elle n’adopte pas le comportement souhaité par l’autre partie. L’efficacité de la menace dépend de la gravité des inconvénients qui peuvent être encourus et de la possibilité qu’elle soit réellement mise à exécution. C’est pourquoi chacune des parties cherche à obtenir le plus d’information possible sur la situation et la position de l’autre partie sans révéler sa propre stratégie, permettant ainsi aux menaces d’avoir un plus grand effet (Jensen, 1963).

Cette option est utilisable autant par la partie syndicale que patronale. Du côté des travailleurs, elle consiste principalement à la menace de grève ou de ralentissement de la production, tandis que pour l’employeur elle s’articule sur la menace de lock-out, mais aussi sur la menace de fermeture ou de délocalisation de l’entreprise (Jensen, 1963).

Le traitement des stratégies et tactiques dans la littérature ayant été présenté, il est aussi pertinent de s’intéresser à l’application pratique de ces stratégies et tactiques. C’est pourquoi la prochaine section portera sur le type de tactique qui nous intéresse particulièrement dans le cadre de ce mémoire soit les moyens de pression traditionnels qui peuvent être mis en application par la partie syndicale lors d’un conflit de travail.

1.4 Les moyens de pression syndicaux traditionnels en

contexte québécois

Il est important d’établir, dès le départ, qu’un moyen de pression est, pour les fins de ce de ce mémoire, un moyen, pour l’une ou l’autre des parties à la négociation collective (ici la partie syndicale), d’exploiter la dépendance du ou des vis-à-vis (ici l’employeur) de façon à l’amener à réviser une position antérieure en négociation. Nous appelons « moyens de pression syndicaux traditionnels » la grève ou le piquetage. Ces moyens sont considérés comme « traditionnels », car ils sont des techniques utilisées par les salariés depuis les débuts du syndicalisme afin d’obtenir une amélioration des conditions de travail dans le cadre de la négociation collective (Trudeau, 2004; Burns, 2010).

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L’appel au boycottage est aussi un moyen de pression traditionnel des syndicats, mais sur lesquels ceux-ci ont moins d’emprise et, du même coup, le succès ne dépend qu’en partie de leur action.

Tout d’abord, Gérard Dion définit la grève comme « l’utilisation concertée par un groupe de salariés de la prestation de travail comme moyen de pression pour amener une autre partie (employeur, gouvernement, syndicat, etc.) à modifier sa position » (1986 : 232). L’objectif majeur de la grève reste, au-delà de sa dimension symbolique, de ralentir stopper l’activité de son employeur afin d’attaquer ses profits et du même coup exploiter sa dépendance face à cette source de revenus (Dion, 1986; Hébert, 1992; Godard, 1998). En effet, si la grève ne réussit pas à avoir un impact sur la production ou l’offre de service de l’employeur, il devient très difficile pour la partie syndicale d’exploiter la dépendance de l’employeur face à sa production et d’obtenir des gains pendant le conflit (La Botz, 2005). Ainsi, en plus du caractère économique qui prédomine, la grève peut modifier le comportement des acteurs durant et à la fin de la négociation collective, ceci implique donc que les effets peuvent se faire ressentir même lorsque le processus est terminé (Godard, 1998).

Pour ce qui est du piquetage, il est défini comme suit :

Manifestation à caractère collectif et continu qui a généralement lieu à l’occasion d’un conflit ou d’une grève aux abords d’une usine ou d’un autre établissement afin d’informer ou de convaincre l’ensemble des employés concernés de s’abstenir de toute relation d’affaires avec l’entreprise pendant la durée du conflit (Dion, 1986 : 344).

Contrairement à la grève, qui consiste à cesser de travailler purement et simplement, le piquetage vise plutôt à entraver les activités et à assurer le respect du mot d’ordre de la grève. Le piquetage supporte la grève en limitant la possibilité pour l’employeur de poursuivre la production par d’autres moyens et en incitant le public à supporter les salariés, notamment en n’achetant pas les produits ou services de l’entreprise en grève. Il permet aussi de faire circuler les informations concernant le conflit afin de rallier la population et les autres intervenants (Hébert, 1992). Toutefois, légalement, ce moyen doit

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15 se limiter à la diffusion d’information sur la grève tout en respectant la ligne de piquetage (Blouin et Boivin, 2010).

Finalement il est important de se rappeler qu’un moyen de pression comme la grève peut être aussi très difficile pour les grévistes. En effet, tout comme l’employeur est souvent dépendant de sa production, les grévistes sont, quant à eux, dépendants de la rémunération versée par l’employeur en contrepartie de leur prestation de travail, cette rémunération constituant la source principale de revenu pour la plupart d’entre eux. C’est pourquoi il ne faut pas considérer les décisions prises par la partie syndicale et la mise en place de tels moyens de pression comme si elles ne pouvaient pas avoir d’impacts sur les travailleurs. Il est important de comprendre que ces actions comportent des risques autant pour l’employeur que pour la partie syndicale elle-même.

En somme, les moyens que nous qualifions de traditionnels (la grève et le piquetage) ont pour objectif principal d’empêcher l’entreprise de produire par la cessation de la prestation de travail et par le blocage de l’accès aux bâtiments aux autres salariés et briseurs de grève que l’employeur peut engager. Mais est-ce que ces moyens sont aussi efficaces et utiles de nos jours qu’ils l’étaient dans le passé?

1.4.1 La place des moyens de pression traditionnels au

vingt-et-unième siècle

Contrairement au début et milieu du vingtième siècle alors que les moyens traditionnels sont, pour les syndicats et les salariés, la façon d’agir par excellence afin de faire valoir leur vision face aux grands employeurs, ceux-ci ne semblent plus aussi importants de nos jours. Comme l’indique Trudeau (2004 : 5), la grève en tant qu’action revendicatrice traverse présentement une crise, autant du côté de l’idéologie et des objectifs que du côté des actions entreprises et de la solidarité. Cette crise est causée à la fois par le contexte économique actuel que par les nouvelles valeurs plus individualistes des salariés en comparaison du syndicalisme soudé et militant de l’époque (Hyman, 2002, Trudeau, 2004; Troy, 2001). En effet, entre 2004 et 2014, le pourcentage des salariés syndiqués du secteur privé n’a cessé de diminuer autant au Québec, ainsi que dans le reste du Canada et aux États-Unis. En effet, durant cette période, le pourcentage est passé de 26,9 % à

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25,6 % au Québec et de 8,6 à 7,5 % aux États-Unis (ministère du Travail, 2014 : 6). L’observation de cette « crise syndicale » sous l’angle des arrêts de travail est encore plus révélatrice. Tout d’abord, il est important de noter une forte baisse de ceux-ci au cours des dernières années. En effet, comme l’indiquent Labrosse et Larente dans leur texte portant sur les arrêts de travail sur trois décennies, soit de 1981 à 2010 :

De fait le nombre moyen de conflits de travail a constamment diminué durant ces trois décennies, passant de 272 conflits au cours de la période de 1981 à 1990, à 134 au cours des années 1991 à 2000, et à 91 conflits durant la période de 2001 à 2010 (tableau 1). Au Québec, il y a donc eu, sur une base annuelle, environ trois fois moins de conflits de travail au cours des dix dernières années que durant les années 80 (2012 : 2).

Une autre statistique encore plus évocatrice démontre cette tangente à la baisse des arrêts de travail. Les années 2006, 2007 et 2011 représentent les trois moments où il s’est produit le moins d’arrêts de travail au cours des 40 dernières années2. Il est donc possible

d’affirmer que la tendance vers une diminution du nombre d’arrêts de travail au Québec se poursuit. Il en va de même pour le nombre moyen de travailleurs touchés par année au cours de cette période puisque la moyenne est passée de 136 012 travailleurs durant les années 80 à 31 060 durant les années 2000 (Labrosse et Larente, 2010 : 3).

Maintenant que ces faits sont établis, il est pertinent de décortiquer la forme que prennent ces arrêts de travail. Au cours de ces décennies, la proportion d’arrêts de travail causés par une grève reste majoritaire à plus de 70 % (2010 : 4). La proportion de lock-out, elle, passe de 22,4 % à 15,2 % et celle des conflits contenant une grève et un lock-out double de 4,6 % à 9,2 % (2010 : 4). De ces arrêts de travail, peu importe la période couverte, les conflits de courte durée (moins de 60 jours) sont les plus nombreux. La proportion des conflits de longue durée (plus de 120 jours), quant à elle, augmente à travers les années passant de 14,7 % dans les années 80 à 19,2 % dans les années 2000 (2010 : 4).

2 Cette affirmation provient du bilan annuel des arrêts de travail de 2009 (Ministère du Travail, 2010 : 5)

qui indique que 2006, 2007 et 2009 étaient les années ayant eu le moins de conflit de travail en vigueur dans les quatre dernières décennies. Toutefois, puisque le nombre de conflits en vigueur en 2011 (58) est inférieur à celui de 2009 (60) (Secrétariat du travail, 2015 : 5), l’affirmation a été modifiée en conséquence dans ce texte.

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17 Toutefois, même si les conflits de courte durée sont les plus présents et que le nombre moyen de travailleurs touchés par un arrêt de travail a diminué de 136 012 à 31 060 entre 1981 et 2010, le nombre de jours-personnes perdus (JPP), c’est-à-dire le nombre total de journées perdues en fonction du nombre de salariés, est en hausse. Selon Labrosse et Larente, cette situation s’explique par « l’augmentation de la durée d’un nombre restreint de conflits ainsi que l’existence de conflits dans quelques unités d’accréditation qui regroupent un grand nombre de salariés, notamment dans le secteur public » (2010 : 3). En effet, au cours de cette décennie il y a eu, entre autres, les 37 conflits de 2005 dans le secteur de l’administration publique provinciale et de l’éducation qui ont touché 95 624 travailleurs et ont compté pour 1 063 114 jours-personnes perdus (2010 : 3). Il faut aussi tenir compte de la présence de conflits de longue durée dans le secteur privé tel que, par exemple, celui de Vidéotron en 2002, celui du Journal de Québec en 2007 celui du

Journal de Montréal en 2009.

Il est intéressant aussi de comparer les jours-personnes perdus en fonction du type de conflit, c’est-à-dire une grève, un lock-out ou la combinaison des deux. Afin de faciliter la compréhension, le tableau suivant, tiré de Labrosse et Larente (2010 : 3) illustre le nombre de jours-personnes perdus par année en fonction du type d’arrêt de travail.

Tableau 1 : Données globales sur les conflits de travail au Québec selon leur nature et la période, 1981-2010

Nombre % Nombre % Nombre %

199 73,0 118 617 87,2 1160638 74,5 61 22,4 5142 3,8 217901 14 13 4,6 12253 9 179613 11,5 95 71,2 30562 86,5 333898 69,0 28 21,2 3721 10,5 100931 20,9 10 7,6 1063 3 49106 10,1 69 75,6 28569 92 390197 68,1 14 15,2 1405 4,5 85072 14,9 8 9,2 1087 3,5 97494 17 4912 6322 12104 Jours-personnes perdus par année

Jours-personnes perdus par conflit 6090 3571 10918 3568 3556 5365 Grève Lock-out Grève et lock-out Grève Lock-out Grève et lock-out

Nature du conflit Conflit au cours de l'année Travailleurs touchés

1981-1990 Grève Lock-out Grève et lock-out Période 1991-2000 2001-2010

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Lorsque l’on analyse ce tableau, il est possible de voir la disparité entre la moyenne de jours-personnes perdus dans le cas d’une grève et dans le cas d’un lock-out. On peut aussi remarquer une inversion du nombre de JPP entre ces deux types de conflits. En effet, dans les années 80 il y a presque le double de JPP dans une grève que dans un lock-out. Ce nombre devient pratiquement égal lors des années 90 pour devenir plus grand dans le cas d’un lock-out dans les années 2000. Toutefois, le nombre de JPP par conflit de travail est toujours beaucoup plus élevé lorsqu’il y a une combinaison d’une grève et d’un lock-out que dans les deux autres catégories, et ce, peu importe la période analysée.

Les raisons qui peuvent expliquer cette diminution des conflits de travail sont nombreuses. Par exemple, la perception du syndicalisme des années 30 qui consiste en un groupe formé d’hommes blancs de la classe industrielle vendant leur force de travail à des employeurs du secteur primaire et secondaire a disparu au profit d’un syndicalisme multiethnique, composé d’hommes et de femmes et qui touchent à différents postes des plus manuels aux plus technologiques (Hyman, 2002). Du même coup, une brèche s’est formée dans l’unité du mouvement et celui-ci se retrouve avec des intérêts divergents. Au-delà de la baisse du militantisme des salariés, c’est le monde du travail lui-même qui s’est transformé. Alors qu’à l’époque, les salariés pouvaient ralentir ou faire cesser la production des entreprises qui les embauchaient par la grève et le piquetage, le vingt-et-unième siècle offre un climat de travail différent (Trudeau, 2004).

Outre les caractéristiques de la main-d’œuvre, il est important de ne pas négliger la présence massive des entreprises multinationales et de la place qu’elles occupent sur le marché du travail global. En effet, sur l’ensemble du globe, il y a plus de 82 000 entreprises multinationales, celles-ci contrôlent environ 810 000 filiales et emploient plus de 80 millions de personnes en dehors de l’entreprise principale (Edwards, Marginson et Ferner, 2013 : 548). Grâce à la libéralisation du commerce international et à la facilité d’effectuer des transactions par les nouveaux moyens de télécommunication, la production se fait maintenant au niveau mondial et ceci amène à la disparition progressive du modèle américain de relations industrielles d’après-guerre (Hyman, 2002 : 9). Cette libéralisation économique a de grandes conséquences sur le monde du travail en créant d’énormes pressions économiques sur les entreprises qui choisissent alors de

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19 supprimer des postes ou de modifier l’organisation de leurs entreprises afin de satisfaire les exigences des actionnaires (Boivin et Sexton, 2010). Ainsi, une entreprise qui subit une grève dans un établissement peut très bien, si elle possède d’autres usines, transférer sa production dans celles-ci en attendant que le conflit cesse. Elle diminue du même coup, de façon considérable, l’impact de la grève (La Botz, 2005; Hickey, 2002; Trudeau, 2004). Sans cette pression économique, le syndicat se trouve désemparé, car il perd son levier le plus important (Trudeau, 2004). Par le passé, les entrepreneurs cherchaient à contrer les syndicats et à briser les grèves par tous les moyens possibles lors d’un conflit de travail. Maintenant, il n’est pas rare de les voir adopter une stratégie d’affrontement de la grève et même d’être prêt à l’allonger, selon les circonstances. En effet, comme Barbash l’indique déjà en 1984, l’employeur, par l’entremise de ses multiples succursales et centres de production, peut chercher à prolonger la grève au-delà du niveau de tolérance des salariés en grève (1984 : 80).

Et ce qui était vrai à l’époque l’est encore aujourd’hui. L’employeur peut de cette manière poursuivre sa production tout en inversant la pression économique, puisque les salariés n’ont plus de rémunération, outre le fonds de grève, pendant la durée du conflit. De plus, cette façon de faire est valable et permet de contourner les dispositions légales québécoises qui empêchent d’embaucher de façon permanente des salariés en remplacement des employés grévistes. Dans leur livre Le droit du travail par ses sources, Verge, Trudeau et Vallée indiquent les dispositions à ce sujet :

Il est interdit pour un employeur d’utiliser dans l’établissement où la grève ou le lock-out a été déclaré les services d’un salarié faisant partie de l’unité de négociation en cause; il en va de même dans ses autres établissements. D’autre part, diverses formes de remplacement des salariés compris dans l’unité de négociation en cause sont également prohibées : substitution d’un « salarié » (au sens du Code du travail) employé par ailleurs dans le même établissement ou encore dans un autre; recours à une personne physique autre qu’un tel « salarié », notamment un membre de la direction, si cette personne a été engagée après le début des négociations, et même avant ce moment, si elle se rattache à un autre établissement qui fait partie de l’unité de négociation en grève. Il est enfin interdit d’utiliser dans l’établissement où la grève a été déclarée les services d’une personne travaillant pour un autre employeur ou un entrepreneur aux mêmes fins (2006 : 158).

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Ces changements dans la façon de produire et de commercer des grandes entreprises obligent, du même coup, les syndicats et les autres associations de salariés à trouver de nouveaux moyens de créer une pression suffisante sur l’employeur lors d’un conflit de travail et de diminuer les désavantages sur l’employabilité. Le monde du travail du vingt-et-unième siècle place donc l’employeur dans une situation où sa dépendance envers le salarié est réduite et c’est pourquoi plusieurs experts ont tendance à croire que les relations du travail doivent se transformer (Hickey, 2004; Troy, 2001).

Devant cette tendance de la part des entreprises, les syndicats tendent à s’éloigner un peu du modèle de négociation par établissement et se questionnent sur l’élargissement des structures de négociation (Grant, 1993). Plusieurs auteurs, dont Kochan et Katz (1988), Martin (1992) et Bilodeau et Sexton (2013), ont écrit sur les structures de négociation et la puissance que celles-ci peuvent procurer au syndicat.

Bilodeau et Sexton définissent la structure de négociation décentralisée comme une structure qui « vise les membres d’un seul syndicat local ou d’une seule section locale chez un seul employeur dans un seul lieu donné » (2013 : 78). Cette structure de négociation peut devenir problématique lorsque plusieurs sections locales se retrouvent au sein d’un seul employeur. En effet, il est possible que les intérêts des salariés des différentes sections locales soient divergents à plusieurs égards. Cette situation offre la possibilité à l’employeur de créer un climat de concurrence et d’augmenter du même coup son rapport de force. Un exemple concret est un employeur qui dépose une offre à la table de négociation de l’une des sections locales en indiquant que si cette offre n’est pas acceptée, elle sera retirée de la table et qu’à partir de ce moment l’employeur concentrera ses efforts à conclure une entente avec une autre section. Une situation similaire s’est produite lors du conflit du Journal entre les départements, il en sera d’ailleurs question plus tard au chapitre 3.

La structure de négociation dite centralisée, quant à elle, est définie comme une négociation qui « […] touche une industrie complète ou une région entière conférant ainsi un rôle plus important aux associations d’employeurs qu’aux employeurs individuels » (Bilodeau et Sexton, 2013 : 78). Cette structure peut être bénéfique à la

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21 partie syndicale qui, en étant qu’une seule entité devant l’employeur, peut établir sa stratégie sans craindre la concurrence entre les différents établissements d’une même organisation. L’exemple le plus probant est la négociation dans le secteur public. Lors d’une négociation centralisée, la partie syndicale vise à obtenir des gains en augmentant son niveau d’influence. Toutefois, l’agrandissement de la structure peut aussi rendre la négociation plus difficile.

Certains syndicats et observateurs tendent à croire que c’est par la fusion d’une grande mobilisation/militantisme, d’une stratégie de recherche efficace et de l’utilisation de points de pression multiples sur l’entreprise que les syndicats peuvent affronter les grandes multinationales (Hickey, 2002). C’est pourquoi certains syndicats cherchent maintenant à mettre en place des moyens de pression plus aptes à contraindre l’employeur d’aujourd’hui. Tel que nous l’avons expliqué plut tôt, les moyens traditionnels comme la grève et le piquetage ont pour but de stopper la production de l’entreprise et d’informer la population sur le conflit. Toutefois, si l’entreprise réussit à transférer sa production dans d’autres établissements durant le conflit, ces moyens de pression sont inefficaces puisqu’ils n’ont pratiquement aucun effet néfaste et tangible sur les entrepreneurs. Certains syndicats ont donc élaboré des solutions de rechange aux moyens de pression traditionnels afin de contraindre l’employeur.

Plusieurs auteurs récents croient que ces autres méthodes doivent s’attaquer à d`autres éléments de l’organisation que la seule production de l’entreprise à laquelle prennent part les syndiqués (Bronfenbrenner et Juravich, 2001; Hickey, 2002; Juravich, 2007). Ces nouveaux moyens de pression visent aussi les relations entre les employeurs et les intervenants connexes, comme les consommateurs et les fournisseurs, afin d’exercer une pression efficace sur l’organisation. Alors si la grève et le piquetage ne sont plus un gage de succès, quels moyens de pression peuvent s’avérer efficaces dans les conflits de travail actuels?

1.4.2 L’exemple des campagnes stratégiques

Certains syndicats envisagent de faire une analyse plus approfondie de l’entreprise, du contexte économique et de leur propre puissance avant de choisir une stratégie en

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négociation collective, afin que celle-ci soit la plus adaptée possible à leur situation propre. C’est cette vision plus analytique que prône Juravich (2007) avec son modèle d’analyse stratégique de l’entreprise. Selon lui, pour que le syndicat soit plus efficace lors d’un conflit de travail, il doit analyser l’entreprise et chercher des informations sur l’ensemble de l’organisation afin de connaître les centres de profit de l’organisation, les plans de croissance de l’entreprise, les décideurs et les relations-clés de l’entreprise (Juravich, 2007). Grâce à ces informations, il pourra mieux choisir les points de pression à viser. En somme, Juravich montre l’importance de comprendre le fonctionnement de l’entreprise afin d’être mieux préparé en cas d’un conflit de travail. Les aboutissements de cette vision seront traités plus en profondeur dans la section portant sur le cadre d’analyse de ce mémoire.

Cette vision plus analytique a été utilisée à de nombreuses reprises par les syndicats au cours des 25 dernières années, par exemple chez les United Steelworkers of America (USWA) qui ont déployé de nouveaux moyens de pression durant les conflits des années 1990. Au cours de ces campagnes, les USWA ont expérimenté la mise en place de campagnes stratégiques afin d’aller au-delà de ce qu’offrent la grève et le piquetage. Ces moyens ont été intégrés dans le cadre de campagnes coordonnées. Ce type de campagne consiste à prendre en compte tous les éléments importants touchant l’employeur soit la force de son organisation, ses points de pressions externes et les intérêts de l’entreprise en elle-même (Bronfenbrenner et Juravich, 2001). Un exemple concret de l’application de cette stratégie est celui de la Ravenswood Aluminum Company. Durant ce conflit, au lieu de poursuivre une ligne de piquetage qui s’avérait inefficace, les dirigeants du syndicat USWA ont décidé de mettre en place un système de recherche afin de connaître les points névralgiques de l’employeur et de s’y attaquer de façon progressive (Bronfenbrenner et Juravich, 2001).

Ces « attaques » consistaient, entre autres, à empêcher les compagnies de breuvages d’acheter l’aluminium de Ravenswood et de faire démarrer des enquêtes par l’Occupational Safety & Health Administration (2001 : 220)3. Ainsi, en exerçant de la

3 Il s’agit d’une agence gouvernementale agissant de manière semblable à ce que fait la CSST au Québec en

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23 pression sur plusieurs fronts simultanément, le syndicat souhaitait être constamment dans l’esprit des dirigeants de la compagnie. À ce sujet, le président du syndicat a même affirmé : « […] si nous laissons ne serait-ce qu’une heure passée sans que notre nom traverse leur esprit d’une façon ou d’une autre, alors nous avons échoué » (2001 : 220, notre traduction). Cette campagne, par la recherche constante d’information sur l’entreprise et la forte pression exercée sur des éléments extérieurs à cette dernière, a été très efficace pour l’USWA. Elle démontre aussi la capacité d’adaptation de ces syndicats après la constatation de l’inefficacité de la stratégie de la ligne de piquetage mise en place en début de conflit.

Aussi, dans ce type d’action, il faut constamment chercher de nouveaux moyens afin de produire une escalade des moyens de pression (Hickey, 2004). Pour atteindre cet objectif, il faut s’assurer que les actions et les relations soient interconnectées. Ainsi, chaque point de pression aura tendance à augmenter l’efficacité des autres moyens mis en place (Hickey, 2004). Comme le rappellent Bronfenbrenner et Juravich, malgré son succès, le cas de Ravenswood ne doit pas être considéré comme un modèle à suivre à la lettre, mais bel et bien comme une démonstration de l’importance de bâtir une campagne sur mesure pour chaque situation (Bronfenbrenner et Juravich, 2001; Hickey, 2004). En, effet, chaque campagne est différente que ce soit par son contexte, sa force de travail mise en place, etc. Il n’existe pas une marche à suivre unique. Ainsi, l’USWA, après le succès à Ravenswood, a cherché à reproduire les mêmes actions lors d’autres conflits, soient ceux de Bayou Steel et de Bridgestone/Firestone. Cette fois-ci la démarche n’a pas eu la même efficacité, plus particulièrement chez Bayou Steel. La situation a même obligé le syndicat à revoir sa stratégie afin de la coller à la réalité de l’entreprise plutôt que sur une recette tirée d’un succès passé (Bronfenbrenner et Juravich, 2001). En somme, il faut tout d’abord maîtriser le contexte de sa propre entreprise afin de connaître les éléments sur lesquels le syndicat doit investir son temps et ses actions. Ne pas suivre cette démarche augmente fortement les risques d’échec (Bronfenbrenner et Juravich, 2001; Hickey, 2004).

Toutefois, comme expliqué plus tôt, il est important de se rappeler que la négociation collective est un processus bilatéral. Ainsi, même si le syndicat se concentre sur les

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dépendances de l’employeur vis-à-vis son processus de production, il peut être dépendant du même aspect lui aussi. Par exemple, la partie syndicale peut décider d’établir une campagne visant à critiquer la qualité ou du service offert par l’employeur. Si cette campagne s’avère fructueuse, elle peut avoir comme résultat une baisse de la compétitivité de l’entreprise. Cette situation peut engendrer du même coup une même baisse de la rentabilité de l’organisation et ultimement une perte au niveau des emplois. De plus, au-delà des risques de pertes d’emplois, une grève constitue un sacrifice salarial dans l’immédiat pour les travailleurs. Ce sacrifice peut avoir des conséquences graves à long terme chez les travailleurs que ce soit des dépressions, des divorces ou même des suicides. Bref, comme exprimé précédemment dans la section sur les moyens de pression, il est important de comprendre que les décisions de la partie syndicale au cours d’un conflit de travail comportent des risques autant pour l’employeur que pour elle-même. Cet aspect sera traité de manière directe avec le conflit du Journal plus tard dans le texte. Un autre élément à considérer est le besoin d’obtenir l’appui des salariés. Cet appui se traduit particulièrement par la mobilisation et la motivation de ces travailleurs. Les salariés ne sont pas seulement des corps sur le piquet de grève, mais le fondement même de la campagne (Hickey, 2004). En effet, des membres motivés permettent à la partie syndicale d’avoir accès à un meilleur réseau de contacts (qui pourra être utile en cours de conflit de travail), une participation plus active aux moyens de pression qui seront mis en place, etc.la mise en place d’un meilleur réseau de contacts.

Le modèle derrière ces campagnes devrait pouvoir établir l’efficacité des différents moyens de pression selon qu’ils sont plus ou moins adaptés à une situation donnée. C’est pourquoi nous y aurons recours dans le cadre d’analyse dont la présentation suit.

1.5 Cadre d’analyse

Dans le cadre de ce mémoire, nous cherchons à savoir si l’utilisation d’un moyen de pression alternatif, dans le présent cas la création d’un quotidien d’information gratuit et distribué par les salariés en lock-out, a été efficace, c’est-à-dire s’il a permis de concrétiser la puissance du syndicat face à l’employeur lors du conflit de 2007 au Journal

Figure

Tableau 1 : Données globales sur les conflits de travail au Québec selon leur nature  et la période, 1981-2010
Figure 2 : Éléments formant la recherche stratégique sur les entreprises 4 .
Tableau 2 : Tableau comparatif des composantes de l’Employeur cible avec les  dimensions de la dépendance de Bacharach et Lawler affectées
Tableau 3 : Tableau comparatif des composantes des Instances décisionnelles avec  les dimensions de la dépendance de Bacharach et Lawler affectées
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