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CHAPITRE 1 : PROBLÉMATIQUE DE RECHERCHE

1.5 Cadre d’analyse

1.5.1 Les sources du cadre d’analyse

1.5.1.2 L’analyse stratégique des entreprises

Dans son texte Juravich (2007 : 19-25) utilise l’évolution historique de la firme nord- américaine au cours du XXe siècle (qui est passée d’une firme composée d’une seule usine à des multinationales possédant des usines et des réseaux de distribution à travers le globe) comme raison justifiant la modification des stratégies syndicales lors de conflits de travail et le développement de campagnes stratégiques en tant que moyen de faire pression sur l’employeur.

À partir de son modèle de l’évolution de la firme, Juravich crée une représentation schématique permettant de cerner les frontières et les relations de l’entreprise. Ainsi, selon son modèle, l’entreprise se divise en trois grands niveaux soit : le niveau instances décisionnelles (command and control dans le texte original), le niveau activités opérationnelles et le niveau acteurs externes (outside stakeholders dans le texte original). Chacun de ces trois niveaux contient ce que Juravich nomme des composantes. L’auteur identifie vingt-quatre composantes, chacune consistant en un élément de la production de l’entreprise, et donc, un élément de dépendance possible chez l’employeur. Comme indiqué plus tôt, cette dépendance est le fondement même de la puissance de négociation patronale/syndicale. Afin de faciliter la compréhension, voici une représentation visuelle traduite en français du schéma de Tom Juravich (2007).

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Figure 2 : Éléments formant la recherche stratégique sur les entreprises4.

En observant ce schéma il est possible de voir que le niveau instances décisionnelles contient les composantes suivantes : les prêteurs, les actionnaires/investisseurs, l’histoire de l’entreprise, la stratégie, le comité d’administration, la direction et la société mère. Le niveau activités opérationnelles, quant à lui, est composé des composantes : les matières premières et fourniture/services, le transport/approvisionnement (transportation

procurement dans le texte original), les produits/services, les installations fixes, les

effectifs, le transport/distribution (transportation distribution dans le texte original) et la

4 JURAVICH, TOM. Recherche stratégique sur les entreprises. [En ligne]

http://strategiccorporateresearch.org/wp content/blogs.dir/8/files/2012/03/Juravich-beating-global-capital- excerpt-fra.pdf (Page consultée le 25 avril 2015)

29 clientèle/donneur (s) d’ouvrage. Le secteur d’activité, les informations de base (éléments fondamentaux sur l’entreprise) et les compétiteurs sont les trois composantes qui se trouvent à la jonction de ces deux niveaux. Pour ce qui est des acteurs externes il y a la communauté, les liens politiques, l’environnement, la santé/sécurité et les autres lois et réglementations. Pour ce qui est des services publics et des filiales, elles se retrouvent à la fois au niveau opérationnel et au niveau des parties prenantes externes. Ces vingt-quatre composantes seront étudiées de manière approfondie dans la section portant sur le cadre d’analyse du mémoire.

Pour Juravich, une campagne stratégique doit cibler quatre grands aspects soit : les centres de profit, le plan de croissance, les preneurs de décisions et les relations clés (2007 : 34). Il est maintenant pertinent de décrire chacun des quatre aspects et d’expliquer en quoi ils peuvent être utilisés par la partie syndicale lors d’un conflit de travail.

Tout d’abord, la partie syndicale doit chercher à connaître les centres de profit de l’entreprise, car ce sont eux qui apportent les fonds à l’organisation. En effet, une entreprise peut posséder plusieurs divisions, mais celles-ci n’ont pas toutes le même niveau de rentabilité. Ainsi, en cas de conflit de travail, il est pertinent pour le syndicat de mettre son énergie sur ces relations lucratives pour l’employeur puisqu’elles constituent son plus grand point de vulnérabilité. Elles ont la capacité de contraindre financièrement l’entreprise et du même coup de la faire revenir à la table de négociation plus rapidement (Juravich, 2001 : 32).

Afin de contraindre financièrement l’employeur, les syndicats doivent également tenir compte du plan de croissance de l’entreprise. En effet, en établissant un plan de croissance pertinent et en démontrant sa faisabilité, une organisation peut réussir à aller chercher de nouveaux investisseurs et à conserver la confiance des actionnaires (2001 : 32). Selon Porter (1980), il y a trois options qui sont présentes pour une organisation désirant poursuivre sa croissance et demeurer compétitive dans son marché, elle doit choisir entre la domination par les coûts, la différenciation ou la focalisation. Le choix de la stratégie a aussi une influence sur le type de production (et le plan de croissance) de

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l’entreprise, sur sa gestion des ressources humaines et, du même coup, sur ses relations de travail.

Cette influence se traduit à plusieurs niveaux. Si le plan de croissance vise une stratégie de réduction de coûts (domination par les coûts), l’objectif sera la standardisation de la production et la diminution du coût unitaire du produit tout en augmentant son volume de production. Un exemple de ce type de production est celui de la compagnie IKEA. À l’inverse, si l’organisation décide d’adopter une stratégie de focalisation, l’objectif sera plutôt de se concentrer sur une seule niche du marché afin de satisfaire une clientèle spécifique et de ne pas affronter les gros concurrents. Du même coup, l’entreprise offrira un gage d’expertise et de savoir-faire pour la clientèle de ce domaine précis (par exemple les outils garantis à vie Magnusson). Finalement, par le choix d’une stratégie de différenciation, l’entreprise cherchera à offrir un produit ou un service ayant des caractéristiques différentes de celui offert par la concurrence. Cette différenciation peut se faire soit vers le haut en offrant un produit plus élaboré à un prix plus élevé (exemple : Apple) ou vers le bas en offrant un produit moins élaboré à un prix plus bas (par exemple : BIC). Pour ce faire, l’organisation devra chercher à stimuler la créativité de ses travailleurs et viser le recrutement externe afin d’amener de nouvelles idées au sein de l’entreprise (dans le cas d’une différenciation vers le haut).

Au final, la stratégie sur laquelle se base le plan de croissance a, elle aussi, une forte influence sur les relations du travail. Ainsi, le rapport de force du syndicat sera plus fort dans un contexte de focalisation (où une main-d’œuvre spécialisée est beaucoup plus difficile à remplacer en cas de conflit) que dans un contexte de différenciation (où la production est plus atypique et où il y a une prédisposition des entreprises à chercher ses travailleurs à l’externe) ou de domination par les coûts (où les travailleurs n’ont que quelques tâches à accomplir dans la production). En bref, chercher à prévoir les projets de l’employeur permet au syndicat d’avoir une longueur d’avance dans l’élaboration de sa stratégie de négociation.

Pour ce qui est des décideurs, Juravich énonce qu’il est pertinent de connaître les intervenants ayant une véritable autorité décisionnelle dans l’organisation, car c’est sur

31 eux et leurs dépendances (le cas échéant) que repose l’efficacité des moyens de pression (2007 : 35). Ces décideurs peuvent être différents selon le type d’entreprise. Ils peuvent autant s’agir du directeur général, que d’un membre du conseil d’administration, d’un investisseur ou d’un prêteur (2007 : 35).

La partie syndicale doit toutefois prendre le temps de bien analyser l’entreprise afin de déceler qui sont les véritables preneurs de décision. En effet, une personne peut posséder un titre de directeur général, mais, dans les faits, ne prendre aucune décision et ne suivre que les ordres provenant d’ailleurs. Dans ce type de situation, il est inutile pour le syndicat d’utiliser son énergie et ses ressources afin de faire pression sur cette personne. Ce principe est encore plus valable maintenant que les entreprises deviennent mondiales et qu’il est difficile de savoir qui prend les décisions. Il est donc important pour la partie syndicale d’aller au-delà des apparences et de s’assurer de concentrer ses efforts et ses ressources sur les personnes ayant un véritable pouvoir décisionnel chez l’employeur. Par exemple, dans le cas du lock-out de l’entreprise Ravenswood Aluminum présenté au plus tôt, le syndicat a cru au départ que le directeur général local était le décideur principal de la firme. Toutefois, lors de l’établissement de la campagne stratégique, la partie syndicale s’est aperçue plutôt qu’il n’était qu’un acteur mineur dans la prise de décisions et que la personne qui prenait véritablement les décisions était un financier habitant en Suisse (Juravich, 2007 : 35). Elle a donc dû adapter sa stratégie en fonction de cette nouvelle information au lieu d’utiliser son temps et son énergie afin de faire pression sur le directeur local.

Finalement, le syndicat doit chercher à identifier les relations clés de l’entreprise. Suivant un peu la même logique que celle présente chez les centres de profit, la partie syndicale doit concentrer ses efforts sur les relations essentielles de l’entreprise. Par exemple, si une entreprise a besoin d’une ressource spécifique et qu’un seul fournisseur peut la lui fournir, alors il est pertinent de chercher à empêcher la poursuite de cette relation entre l’employeur et ce commerçant durant le conflit (2007 : 35). Cet exemple démontre bien l’importance que peut avoir une dépendance indirecte sur la puissance en négociation lors d’un conflit.

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1.6 Intégration des deux modèles afin d’analyser la puissance