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CHAPITRE 3 : PRÉSENTATION

3.5 Les erreurs débutent et les opinions divergent

Au-delà d’offrir à la population des nouvelles locales (notamment sur les faits divers et les actualités sportives) le MMQ est aussi un outil de transmission d’informations qui permet de supporter la cause des travailleurs. En effet, la page éditoriale du journal gratuit est utilisée afin de transmettre à la population les renseignements en lien avec le conflit de travail. Pendant les premiers mois du conflit, cette section du média sert surtout à exposer les erreurs produites dans le Journal, telles que l’annonce prématurée du décès de John Ferguson, ancien directeur général du club de hockey des Canadiens de Montréal (alors qu’il était toujours vivant) ou la production d’une grille de mots croisés où les

68 Corporation Sun Média c. Syndicat canadien de la fonction publique, Cour supérieure du Québec, Dossier 200-17-008242-075, 26 avril 2007 (Normand Gosselin, juge Cour supérieure du Québec).

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réponses sont déjà inscrites69. La plus grave erreur commise est la divulgation de

l’identité d’une victime d’agression sexuelle qui est sous une ordonnance de non- publication. Des amendes pour un total de 23 000 $ ont été imposées au Journal et Canoë pour cette erreur, en plus d’un montant inconnu qui a été versé à la victime suite à une entente hors cour70.

En plus du courant de sympathie de la population dès le début du processus, l’impact de l’annonce du lock-out se fait aussi sentir chez les annonceurs publicitaires. Ainsi, dès la confirmation du lock-out des travailleurs du Journal, l’entreprise Ameublement Tanguay, l’un des plus importants annonceurs publicitaires du Journal, songe à retirer ses publicités pendant le conflit. L’explication offerte par le vice-président et directeur général de l’entreprise Jacques Tanguay, est que « C’est un média dont on se sert pour annoncer. Mais c’est un média controversé […] Le but de la publicité c’est la notoriété. On préfère s’éloigner de la controverse »71. Dans cette même lignée, les chroniqueurs

Lise Payette et Yves Séguin décident de mettre fin à leur contrat avec Québecor Média et le Journal de Montréal, car ils ne veulent pas que leurs textes soient aussi publiés dans le

Journal lors du conflit72.

Toutefois, le désistement d’un annonceur majeur du Journal ne signifie pas nécessairement un passage vers le média gratuit. Dans les faits, lors des deux premières semaines de publications (soit du 24 avril 2007 au 9 mai 2007), le média gratuit contient en moyenne une publicité par trois parutions et cette publicité consiste la majorité du temps à une page entière du SCFP lui-même ou d’un syndicat affilié (à l’exception du 2 mai 2007 où un quart de page est acheté par la Fédération des syndicats de l’enseignement [FSE-CSQ]). À partir du 14 mai, le média gratuit contient chaque jour une page entière achetée par une entité syndicale (SCFP-FTQ, Guilde canadienne des Médias, Syndicat des travailleuses et travailleurs du Journal de Montréal) à chacune des journées de publications. La première publicité non syndicale consiste en un quart de

69 Entrevue avec un répondant syndical, 29 septembre 2011.

70 Thibault, Éric. « Le Journal de Québec et Canoë, coupables : Des amendes 23 000$», Média Matin

Québec, 18 juin 2008, p3.

71 Côté, Émilie. «Les journalistes du JdM s’interposent», La Presse, 24 avril 2007, p.A12.

72 Il est à noter que Sheila Copps, Joseph Facal et Richard Martineau, quant à eux, décident de continuer

89 page acheté par le Nouveau Parti Démocratique (NPD) dans l’édition du 22 mai 2007. Finalement, la publication du 25 mai est la première du MMQ à contenir plus d’un acheteur publicitaire dans ses pages (soit Le songe du Cachemire et Blouin Sport

motorisé). Le répondant syndical indique que les annonceurs ont été moins craintifs à

acheter de l’espace publicitaire dans le MMQ à la suite du jugement de la Cour d’appel du Québec confirmant la légalité du moyen de pression. De plus, avec une distribution à 40 000 exemplaires par jour, le média atteint une intensité de présence comparable au Journal Le Soleil tout en offrant l’espace moins cher73.

À partir du moment où les annonceurs publicitaires deviennent moins farouches à l’égard du média gratuit, une certaine pérennité est assurée au quotidien pour la durée du conflit de travail. Selon le répondant patronal, c’est à partir de ce moment que le MMQ est devenu dérangeant. Car, les contrats avec leurs annonceurs publicitaires ont généralement été signés par les vendeurs du Journal, et donc les travailleurs « mettent en péril » leur propre employeur74. Selon lui, « c’est à partir de ce moment qu’ils deviennent des

ennemis, car ils vont chercher le pain et le beurre de ceux qui ont voulu signer avec l’entreprise »75. Il utilise cette expression, car chez « […] un média possédé à 100 % par

le privé, les revenus proviennent, dans la majorité des cas, à 40 % des publicités nationales, 30 % des publicités locales, 20 % des annonces classées et 10 % des revenus de tirages »76. Le répondant patronal ajoutant même que « sans les publicités, un journal

comme le Journal de Québec ferme en une semaine »77.

La population a aussi une importance dans la transmission d’informations aux dirigeants du MMQ. Par exemple, cette dernière informe les travailleurs de la présence de ballots complets du Journal jetés dans des bennes à ordures78. Certains commerçants évoquent

également avoir été avertis de ne pas accepter de copies du MMQ chez eux sous peine de perdre la présence de toutes les publications de Québecor Média79. Il en va de même pour

73 Entrevue avec un répondant syndical, Québec 29 septembre 2011. 74 Entrevue avec un répondant patronal, Québec, 8 juin 2012. 75 Entrevue avec un répondant patronal, Québec, 8 juin 2012. 76 Entrevue avec un répondant patronal, Québec, 8 juin 2012. 77 Entrevue avec un répondant patronal, Québec, 8 juin 2012. 78 Entrevue avec un répondant syndical, Québec 29 septembre 2011. 79 Entrevue avec un répondant syndical, Québec, 29 septembre 2011.

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le refus catégorique des commerçants Couche-Tard d’accepter l’entrée du média gratuit à travers leurs murs. Selon le répondant syndical, cette situation avec le regroupement des dépanneurs Couche-Tard est causée par la présence du président au sein du conseil d’administration de Québecor80.

Le 10 mai 2007, le juge Laurent Guertin de la Cour supérieure du Québec rend son verdict confirmant la légalité du moyen de pression des travailleurs du Journal. Il conclut qu’il n’appartient pas au tribunal « d’intervenir pour faire cesser ce moyen de pression efficace »81. Dans la même lignée, le juge ajoute aussi, concernant les préjudices

subis par Québecor Média, que s’il risque de « connaître une diminution importante du nombre de ses lecteurs » […], c’est un risque qu’ [il] a assumé en décrétant le lock- out »82. Lorsque ce jugement est rendu public, Denis Bolduc déclare « Nous avons

toujours dit que notre moyen de pression était légal. Le juge nous le confirme aujourd’hui. Le journal sera publié demain et il le sera chaque jour de la semaine jusqu’à la fin du conflit »83. Ceci constitue un deuxième verdict refusant la demande d’injonction

de la part de l’employeur vis-à-vis du MMQ.

Finalement, le 7 septembre 2007, la Cour d’appel du Québec rejette à l’unanimité la requête de Québecor Média qui vise à faire cesser la publication du moyen de pression des travailleurs du Journal. Pour justifier cette décision, les juges Yves-Marie Morissette, Paul Vézina et Lorne Giroux indiquent84 :

Le droit revendiqué par l’appelante serait celui pour un employeur d’empêcher par voie d’injonction un manquement au devoir de loyauté de ses salariés pendant la durée d’un conflit de travail régi par le Code du travail. Serait constitutive de ce manquement au devoir de loyauté la concurrence, par ailleurs licite en tant que telle, que les salariés font à leur employeur au

80 Entrevue avec un répondant syndical, Québec, 29 septembre 2011.

81Corporation Sun Media c. Syndicat canadien de la fonction publique, Cour supérieure du Québec,

Dossier 200-17-008242-075, 10 mai 2007 (Laurent Guertin, juge Cour supérieure du Québec).

82Corporation Sun Media c. Syndicat canadien de la fonction publique, Cour supérieure du Québec,

Dossier 200-17-008242-075, 10 mai 2007 (Laurent Guertin, juge Cour supérieure du Québec).

83 Porter, Isabelle. « Conflit de travail au Journal de Québec – Média Matin Québec remporte une bataille

contre Québecor», Le Devoir, 11 mai 2007, p.A3.

84Corporation Sun Media c. Syndicat canadien de la fonction publique, SCFP-Québec, Cour d’appel du Québec, Dossier 200-09-005966-079, 7 juillet 2007 (Yves-Marie Morissette, Paul Vézina et Lorne Giroux, juges Cour d’appel du Québec).

91 cours de la grève ou du lock-out en mettant en circulation une publication rivale de la sienne.

[10] Cette activité est en soi licite, d’autant plus qu’il n’est pas question ici de préjudice caractérisé aux droits de l’appelante, tel que pourraient l’être le détournement ou la divulgation de renseignements confidentiels obtenus par les salariés dans le cadre de leur emploi, ou une atteinte à la propriété intellectuelle de l’appelante. Il ne fait donc aucun doute qu’un tiers pourrait se livrer à cette activité en toute légalité.

[11] Non seulement le droit revendiqué par l’appelante n’est-il pas un droit « clair » au sens de l’arrêt Société de développement de la Baie James c. Kanatewat, [1975] C.A. 166, p. 183, mais il se situe au mieux dans la catégorie des droits « douteux » et peut-être même « inexistants ».

[12] Cela étant, nous sommes unanimement d’avis que le juge de première instance a eu raison d’analyser la question comme il l’a fait et de rejeter les autres conclusions de la requête en injonction interlocutoire

À ce sujet, le répondant patronal indique, qu’à son avis, c’est l’originalité du moyen de pression qui a eu l’avantage sur la réalité du droit lors des poursuites et que c’est pour cela que le MMQ a pu continuer d’exister85. Il est vrai que ce moyen de pression se

démarque grandement des moyens traditionnels comme la grève et le piquetage et que les tribunaux québécois n’avaient jamais eu à statuer auparavant sur un moyen de pression semblable à celui-ci