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Le fonctionnement réel d'un stock de sécurité pluriannuel dans le cadre du PRMC est intervenue dans un contexte idéologique libéral de désengagement de l'État (reformulation du rôle de l’Office, diminution drastique de son personnel etc.) met en évidence le risque de dangereuses dérives. En effet, le cas du Tchad qui a tenté d’importer le modèle malien, le SNS loin d’avoir diminué le rôle de l’Office des céréales et donc de l’État, l’a, à partir de 1990, en réalité renforcé, en totale contradiction avec les discours qui avaient justifié sa création. En effet les très faibles quantités de céréales que l’Office avait été capable d’acheter et surtout de revendre avant la libéralisation s’étaient traduites par un très fort déficit financier (Arditi 2005). Rien ne prouvait donc qu’il pourrait faire mieux dans la constitution et dans la gestion du SNS dans la mesure où il s’agit encore d’acheter et de revendre des céréales sans perdre d’argent, chose que cet organisme n’a jamais pu faire ! On ne peut donc d’emblée exclure le fait qu’on puisse, mutatis mutandis, parvenir à des conclusions similaires pour le Mali. Ceci montre bien que, dans ce domaine comme dans d’autres, les résultats des actions peuvent être en totale contradiction avec les discours qui

108 Á partir de 1994, il a été décidé, afin de réduire les coûts, de limiter le stock physique du SNS à 35.000

tonnes (tout en conservant son plafond de 58.000 tonnes) et de convertir la différence en dotation financière, pour réaliser, en cas de besoin, des achats locaux.

109 Ce chiffre est le résultat de manipulations gouvernementales des normes de consommation qui ont été

augmentées, de manière totalement arbitraire. Il n’est pas superflu de remarquer que ceci intervenait alors qu’en 2004 la mission d’appui institutionnelle au PRMC recommandait la réduction du stock national de sécurité, la fusion du SAP et de l’OMA, le remplacement des distributions gratuites par des food for work ou cash for work, afin de favoriser une réduction du coût du dispositif. En effet : « une réduction du stock national de sécurité de 35.000 tonnes à 25.000 tonnes, tout en prenant en compte l’éventualité d’une crise alimentaire cyclique, permettait d’économiser 128 millions de francs CFA par an , soit 17% du coût total des 35 000 tonnes.

ont justifié leur mise en œuvre. Sous prétexte de libéralisation des politiques céréalières et de désengagement de la puissance publique, il faut souligner que c’est au contraire la permanence du rôle de l’État qui apparaît comme un fait marquant, manifestant la volonté de ceux qui le dirigent de montrer à l’opinion qu’ils possèdent le pouvoir de juguler les crises alimentaires quitte à les instrumentaliser et à utiliser l’aide internationale pour mieux asseoir leur pouvoir.

Les réformes économiques entreprises au Mali ont à l’évidence été influencées par le nouveau contexte politique en faveur de la démocratie. En 1991 ont lieu des manifestations populaires contre le régime de parti unique de Moussa Traoré. En arrivant au pouvoir par un coup d’État, celui- ci avait succédé en 1968 à Modibo Keita, père de l’indépendance. Un autre coup d’État, organisé en 1991, par le Général Amadou Toumani Touré, actuel président, a été suivi de la convocation d’une conférence nationale et d’élections qui ont été remportées par Alpha Oumar Konaré, leader d’une alliance anti-militaire, l’Alliance pour la Démocratie au Mali (ADEMA). Son régime eut à subir la dévaluation du FCFA et de nombreuses privatisations de sociétés étatiques, imposées par la Banque Mondiale et le FMI, à l’exception de celle de l’OPAM, ce qui le fragilisa. En 2002, ATT fut élu président car il était devenu populaire en 1991 en remettant le pouvoir aux civils et en militant pour l’avènement de la démocratie sur le continent africain notamment en participant à des conférences nationales.

1.17. Derrière l’État : le commerce privé

Contrairement à la croyance libérale qui veut que le commerce privé des céréales ait émergé depuis les années 1980, ce commerce existait était déjà début du XX ème siècle, dès la création de Bamako, car les maisons de commerce européennes intervenaient dans le commerce des céréales et y réalisaient, semble-t-il, de bonnes affaires en collaborant avec des commerçants locaux « les dioula » (Roberts 1980). Cette activité n’avait, bien sûr, pas disparu, dans les années 1960, malgré la présence de l’OPAM et de son monopole juridique. Si depuis 1980, le secteur privé jouit en effet d’une reconnaissance officielle et bénéficie de mesures d’aide (octroi de crédit par l’intermédiaire des chambres de commerce), l’État demeure très présent dans l’économie céréalière. Nous en voulons pour preuve les relations ambiguës et parfois enflammées, qu’entretiennent depuis fort longtemps agents de la puissance publique et grands commerçants. Ces relations sont apparemment devenues fortement conflictuelles pendant la crise alimentaire de 2005110, comme c’est sans doute le cas à chaque fois que survient un événement de cette nature. En effet, suite à des autorisations accordées à quelques grands commerçants pour qu’ils importent hors taxes 50.000 tonnes de riz et 100.000 tonnes de maïs entre le 30 juin et le 31 juillet et qu’ils répercutent sur les prix à la consommation cet avantage décisif représente (respectivement 1,89 milliard de francs CFA et de 882 millions à 1,2 milliards111), les délais de livraison ne furent pas respectés et les prix au détail ne connurent pas la diminution promise112. Nous nous proposons de dépasser ces oppositions

apparentes qui se sont exprimées de manière théâtrale dans les médias113, en montrant plus loin, que les intérêts de ces commerçants et de leurs commanditaires sont depuis longtemps étroitement liés et que les uns ne peuvent exister sans les autres.

110

Pour une analyse détaillée de la crise de 2005 se reporter au texte de P. Janin, « Chronique d’une crise alimentaire annoncée ».

111 La différence de prix est liée à l’origine géographique du produit. 112

Il nous paraît utile de citer, afin de renforcer notre argumentation sur l’oubli du passé, même récent, le texte d’évaluateurs perspicaces du PRMC qui écrivaient il y a plus de vingt ans déjà, à propos de ces grands commerçants : « les importateurs de riz n’ont pas répercuté les baisses des cours du riz sur le marché mondial et n’ont pas réduit leurs profits d’autant plus importants qu’ils ne sont pas soumis à une taxation sur leurs importations ; le fait que 90 % des importations de riz sont réalisées par trois importateurs explique l’inexistence d’une réelle concurrence pouvant conduire à une baisse des prix (Amselle & alii 1986 : 63). Remarquons pour compléter cette analyse pertinente que les profits importants réalisés par ces commerçants doivent obligatoirement être partagés avec des agents de l’État, parfois au niveau le plus élevé. La constitution et l’entretien de réseaux au sein de l’État, « le capital relationnel », représente un coût important qui diminue d’autant les bénéfices. Les commerçants et hommes d’affaires ne peuvent cependant exercer leurs activités sans lui.

113

« Face à des opérateurs véreux un président doit agir au lieu de regretter » peut-on lire dans L’Indépendant tandis que la commissaire du CSA, toujours dans le même journal prétend que « Les commerçants ont trahi le gouvernement ». Plus rares sont les journaux qui évoquent « une corruption organisée dont seuls certains dirigeants peuvent être les bénéficiaires », Le Républicain (16/09/2005).

1. 18. La crise de 2005 : distribution gratuites de céréales, banques de céréales

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