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Les services de l’Etat face à la revalorisation de l’Etat.

327 Entretien CARE, idem.

1.4. Les services de l’Etat face à la revalorisation de l’Etat.

Les services de l’Etat entendent également répondre aux problèmes posés par la sécurité alimentaire. En effet, les acteurs des dispositifs locaux de sécurité alimentaire dont nous venons de tracer l’évolution des perceptions de l’espace local s’accordent sur la revalorisation du local dans les politiques alimentaires. Ces acteurs justifient, pour la plupart, cette revalorisation par la faillite et l’incapacité des services de l’Etat. Nous allons voir comment ces services de l’Etat se positionnent, d’une part, dans les débats sur la sécurité alimentaire et, d’autre part, dans les dispositifs de ce domaine.

Les services de l’Etat ont pris conscience de la reconstitution d’un espace local dès le début des années 1990. Le ministère de l’Administration Territoriale et des Collectivités Locales (MATCL) est chargé de l’élaboration et de la mise en œuvre de la politique de décentralisation. Il coordonne donc les interventions de toutes les autres structures administratives et techniques impliqués dans la mise en œuvre de la décentralisation. Il assure la tutelle sur les collectivités locales. Cette tutelle est assurée par la Direction Nationale des collectivités Locales au niveau national et par le représentant de l’Etat au niveau des collectivités locales. La Mission de la Décentralisation (MDD) créée en 1993 était chargée de concevoir, de proposer et de faciliter la mise en œuvre de la décentralisation. Elle est dissoute en 2001 et remplacée par la Direction Nationale des Collectivités Territoriales (DNCL) rattachée au MATCL. Au sein même du ministère, on trouve l’indice d’une action localisé dans l’organigramme même du ministère. Ainsi, l’autorité pour le développement intégré du Nord-Mali, créée en juillet 2001, est chargée de la programmation et la mise en œuvre des actions de développement spécifiquement pour les collectivités territoriales des régions de Tombouctou, de Gao et de Kidal.

En ce qui concerne les dispositifs de sécurité alimentaire, on peut identifier trois services : la Cellule d’Appui au Développement à la Base (CADB), l’Office des Produits Agricoles du Mali (OPAM) et le Commissariat à la Sécurité Alimentaire (CSA).

La Cellule d’Appui au Développement à la Base (CADB) est née, en 1990, de la fusion de deux services qu’étaient la Cellule des Travaux à Haute Intensité de Main-d’œuvre et le Secrétariat Permanent du Comité National d’Actions d’Urgence et de Réhabilitation des Zones à Risques339.

Cette cellule est rattachée au Cabinet du ministre et est chargée :

- d’orienter, coordonner et évaluer les actions des partenaires au développement à la base, en particulier les ONG,

- d’assurer les liaisons entre les départements ministériels, les institutions, les bailleurs de fonds et les ONG,

- de collecter les informations utiles à l’évaluation des besoins d’assistance aux populations sinistrées,

- de préparer et de suivre l’exécution des actions d’urgence et de réhabilitation.

Les dispositifs de sécurité alimentaire sont suivis par la division Actions d’Urgence et de Réhabilitation des Zones à Risques340. La CADB assure, également, le secrétariat technique de la Commission Nationale des Activités des ONG dont la présidence est assurée par le ministre et qui comprend des représentants de tous les départements ministériels.

339 Voir http://www.matcl.gov.ml/ministere/cadb.asp

L’Office des Produits Agricoles du Mali (OPAM)341, créé en 1981, dispose de 130 magasins pour une capacité de stockage de 135 000 tonnes (mil, sorgho, maïs) dont 40 000 tonnes sont affectées au stock national de sécurité. L’OPAM a un statut d’EPIC342, l’Etat lui confie donc des missions spécifiques dans le cadre de la sécurité alimentaire343. Ses missions de service public pour le

système de sécurité alimentaire sont344 :

- la gestion du stock national de sécurité,

- La mobilisation de la Cellule de Veille et Logistique (CVL), outil de gestion des crises alimentaires,

- La facilitation de la mise en œuvre des recommandations du Système d’Alerte Précoce (SAP),

- La gestion des aides de sécurité alimentaire,

- La mise en œuvre de toute action décidée par le gouvernement dans le cadre de la sécurité alimentaire,

- La réalisation d’activités visant l’amélioration des marchés et le développement des échanges céréaliers.

En ce qui concerne les dispositifs locaux de sécurité alimentaire, l’OPAM agit surtout par l’entremise de l’Observatoire des Marchés Agricoles (OMA) et - à travers le CVL - la mise en œuvre des plans d’urgence. Les agents de l’OMA ont donc adopté une organisation qui prenait compte la revalorisation du local dans les dispositifs de sécurité alimentaire :

« Pour tout ce travail, nous sommes organisés de façon décentralisée : nous avons des unités locales, qu’on appelle des ULCD : unités locales de collecte et de diffusion. Ce sont des structures décentralisées. La décentralisation n’est pas venue comme cela. C’est à partir de la restructuration et c’est à partir d’un constat qu’il fallait rapproche ces unités des populations, de façon à mieux prendre en compte les spécificités locales en terme de production, en terme d’information, en terme de besoins d’information. C’est comme cela que nous avons décentralisé les unités. »345

L’OMA a donc créé un système de communication pour mieux servir de relais entre la population et les services de l’Etat, en particulier en s’appuyant sur les radios locales pour mieux diffuser et collecter des informations sur les situations alimentaires locales :

« Au niveau local, nous avons signé des contrats avec les radios de proximité, les radios libres, les radions privées, les radios communautaires qui sont nombreuses, la démocratisation aidant. Pour tirer profit de ce contexte, on a cherché à décentraliser le système de diffusion, parce qu’on était jusque-là dans la phase C, avec une diffusion centrale en français et en bambara. Mais vous conviendrez avec moi que le français et le bambara ne reflètent pas la totalité ; il y a des gens qui ne comprennent pas ni l’une, ni l’autre. Avec la diffusion décentralisée, vous avez l’avantage de diffuser dans les langues qui sont comprises au niveau des localités décentralisées. Ainsi vous avez la possibilité d’atteindre des couches plus larges [de la population]. » 346

Le Commissariat à la Sécurité Alimentaire (CSA) a été créé en 2004 par le Président. Il a remplacé un éphémère ministère délégué à la sécurité alimentaire (créé en 2002). La loi du 18 mai 2004 fixe le statut du CSA, rattaché directement à la présidence de la République du Mali. Le CSA est l’élément central des dispositifs de sécurité alimentaire. L’organisation territoriale de la sécurité alimentaire se présente ainsi347 :

341 Voir www.csa-mali.org/sor/opam.htm

342 EPIC : Etablissement public industriel et commercial.

343 Ces missions sont régies par un Contrat Plan Etat/OPAM. Le dernier plan (Plan n°7) courait sur la période de

2003-2005.

344 Ses missions commerciales sont :

- la réalisation des activités de modernisation et de développement des échanges céréaliers ; - la gestion des aides alimentaires ne rentrant pas dans le système public de sécurité alimentaire ; - les prestations de services du type location de magasin, tierce détention, traitement de stock.

345 Entretien S.D., Observatoire du Marché Agricole (OMA), 22 septembre 2006. 346 Idem.

- Commissariat à la sécurité alimentaire,

- Comité technique de coordination des politiques de sécurité alimentaire, - Comité régional de sécurité alimentaire,

- Comité local de sécurité alimentaire, - Comité communal de sécurité alimentaire.

La prise en compte des spécificités locales est un leitmotiv du Commissariat :

« Si je dois dire [depuis Bamako] ce qu’il convient de faire à Kidal, ce n’est pas possible. Nous n’avons pas les mêmes habitudes alimentaires. Du point de vue physique même, ce n’est pas le même pays ! Selon moi donc, on ne peut que tracer les [grands] axes de la politique [de développement]. Pour le reste, pour sa mise en œuvre, vous allez gérer cela localement… En effet, je pense que si l’on n’implique pas toute [les composantes de] la société civile, on fera fausse route. A tel point que maintenant dans notre approche [des crises alimentaires], nous mettons en avant la nécessité d’élaborer des plans communaux de sécurité alimentaire à la base. Dans telle ou telle commune, ce n’est pas quelqu’un qui réside à Bamako ou à Kidal qui peut énoncer ce qu’il convient de faire [sur place] en termes de sécurité alimentaire. Cela revient à toute la société locale. »348

Le rôle du CSA se limite donc, de l’aveu même de ses agents, à centraliser les données recueillies par la « société locale ». Cette représentation du problème des dispositifs locaux de sécurité alimentaire permet de se décharger sur la société civile de l’identification des problèmes :

« Vous savez, le problème alimentaire est devenu la priorité des priorités. Tous les gens s’en sont rendus compte. Et depuis la démocratisation de la vie politique au Mali, les gens sont de plus en plus aux aguets. Ce qui était admissible avant, lorsque l’Etat était seul, ne l’est plus aujourd’hui. Les gens ne veulent plus cela (…). La gestion des problèmes de développement revient aux autorités décentralisées avec, bien entendu, toute la société civile. Je crois donc, moi ici en tant qu’autorité centrale de la sécurité alimentaire [organe du CSA], que la décentralisation et l’ouverture à de nouveaux acteurs va faire avancer les choses (…). La décentralisation se doit donc d’utiliser les ressources de la société civile. Elle ne peut être mise en œuvre qu’avec l’aide de la société civile. Cela ne peut pas être autrement. »349

Le Commissariat a donc bien pris en compte la revalorisation du local par les autres acteurs de la politique de sécurité alimentaire. Face aux critiques d’inefficacité de l’Etat inhérentes à la mise en œuvre de la décentralisation, la structure étatique qui est censée incarner la sécurité alimentaire se positionne de façon très modeste comme un relais des dispositifs locaux. Cette représentation permet de désamorcer toute critique de l’action de l’Etat et surtout toute réclamation possible de la part de la population du besoin d’Etat.

En conclusion, pour les services de l’Etat, la revalorisation du local se présente comme une donnée qu’ils se doivent de prendre en compte. Ils s’attachent donc à présenter leurs actions comme étant adaptées aux problèmes locaux spécifiques. Ils se positionnent comme des structures réagissant à une nouvelle donne. D’un point de la cohérence et de la consistance des dispositifs locaux de sécurité alimentaire, ils s’en remettent à la « population » ou à la « société civile ». Ces discours montrent bien comment les administrations africaines mettent en scène leurs inactions et organisent la « décharge »350 sur des structures sociales. La politique de décentralisation qui se fonde sur une critique libérale de l’inefficacité de l’Etat a par conséquent un effet paradoxal dans le domaine de la sécurité alimentaire : les services de l’Etat se déresponsabilisent de la cohérence ou de la consistance des dispositifs locaux de sécurité alimentaire et s’en déchargent sur la « société civile ».

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