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Á partir des années 1980, la vague de politiques de libéralisation dans les secteurs stratégiques de l’économie et tout particulièrement dans le domaine céréalier, ont eu pour objectif de désengager l’Office des Produits Alimentaires du Mali (OPAM), organisme public qui était aupa- ravant chargé de réguler le marché des céréales, et l’Office du Niger qui, en tant que plus ancien et plus grand aménagement hydro-agricole de l’Afrique de l’Ouest, assure la moitié de la production de riz du pays50. Le retour du Mali dans la zone franc en 1982 — il l’avait quittée en 1960 — est venu compléter ces mesures. D’après le credo libéral en vigueur dans les milieux du développement (institutions de Bretton Woods, agences des Nations Unies et ONG) il s’agissait de laisser le marché et les commerçants51, les deux manifestations par excellence de l’activité libérale, puissent

45 On manque par contre de données qualitatives et quantitatives sur la fréquence et la quantité des achats de

céréales des citadins. La pauvreté urbaine se traduit à l’évidence par des achats de quantités de plus en plus réduites correspondant à des rentrées d’argent irrégulières et de plus en plus faibles. Même les chefs de famille qui ont les moyens d’acheter en gros (par sacs) ont, comme on le verra plus loin, tendance à acheter des quantités plus faibles qu’auparavant de crainte que les céréales ne soient redistribuées par leur(s) épouse(s) aux gens de leur parentèle moins favorisés.

46 Comme le montrent les contributions d’A. Marie et de C-E. de Suremain et E. Razy. 47

Un journaliste évoquant le fait que la viande, trop chère, est souvent remplacée, pour préparer la sauce, par les ménagères et les gargotières, par des bouillons cube, parle de « frénésie cubiste » (Sécurité alimentaire : Le ventre, un confident discret. Le 26 mars 2008).

48 Cf Annexes.

49 De 1980 à 1997, le taux de croissance de la production des céréales a été de 12, 5 % pour le maïs, de 9 %

pour le riz et de 2, 7 % pour le mil et le sorgho. Ceci montre bien qu’en dépit du fait que ces céréales constituent la base de l’alimentation de la majeure partie de la population, elles ne bénéficient que d’un intérêt très limité des pouvoirs publics et des bailleurs de fonds (recherche agronomique, travaux sur la biodiversité etc.) A contrario le riz et le maïs ont des variétés productives qui ont été diffusées dans le cadre de la Révolution Verte. Cette politique est d’autant plus navrante que de nombreux rapports ont souligné le fait que le riz et le maïs sont dans le monde des céréales très fortes consommatrices d’eau et ont des conséquences écologiques dangereuses.

50 Bien qu’il existe une ancienne riziculture pluviale en Afrique de l’Ouest (Portères 1950, Richards 1985),

celle-ci n’était pas pratiquée dans le delta du Niger où les populations, peu nombreuses, cultivaient et consommaient principalement du mil et du sorgho avec de faibles rendements. Pourtant la recherche agronomique coloniale n’a jamais envisagé de mettre au point des variétés de mil et sorgho susceptibles d’être irriguées de manière à en augmenter les rendements mais elle a très tôt porté son choix sur le riz. Ceci s’explique sans doute en partie par une meilleure connaissance de cette plante (expériences asiatiques), mais surtout par le fait que le mil et le sorgho sont considérés en Europe comme des céréales « pauvres » utilisées pour nourrir les animaux. Cette option rizicole a caractérisé toutes les opérations d’irrigation en Afrique de l’Ouest.

51 Cette expression désigne en réalité des grands commerçants qui achètent et revendent des céréales.

Pourtant, rien ne prouve que cette activité soit la seule qu’ils pratiquent. Comme le montrent des travaux anthropologiques, la pluriactivité des commerçants (produits locaux et importés, transport, immobilier etc.) constitue un élément essentiel de leur comportement économique car elle seule permet une adaptation à un environnement écologique, économique et politique aléatoire. Remarquons aussi que cette pluriactivité a été longtemps dénoncée par des « experts » qui voyaient en elle une manifestation d’archaïsme et d’incompétence. Alors qu’ils mentionnent l’existence de plusieurs activités économiques, dont certaines, comme le commerce de la gomme arabique, où l’immobilier sont connues pour être souvent plusrentables que

pleinement et légalement jouer leur rôle dans une économie sensée être désormais régie par les règles de la concurrence pure et parfaite. Cette politique devait pouvoir être mise en oeuvre grâce à de nombreuses réformes, parmi lesquelles la création d’un système d’alerte précoce (SAP)52 et d’un système d’information sur les marchés céréaliers (SIM). Ces organismes sont chargés d’évaluer la production céréalière, le stockage, l’émigration des populations etc. mais ils sont surtout respon- sables de la collecte des prix des céréales sur les marchés sahéliens situés au nord du 14ème parallèle53 avec une double fonction : détecter les situations de crise alimentaire quand les prix

flambent et, en année normale, les diffuser principalement par la radio54, à l’intention des principaux opérateurs de ces filières. Afin de couvrir l’ensemble du pays, l’Observatoire du Marché Agricole (OMA) a remplacé le SIM en 199355. Il est chargé de l’observation des prix des produits agricoles et animaux.

celui des céréales, des travaux d’économistes prétendant avoir pour objectif de comprendre le comportement de ces commerçants, continuent à n‘étudier que leur seule activité céréalière (Diakité 2006). Cet auteur après avoir calculé plusieurs savants coefficients de corrélation sur les céréales conclut son travail par une tautologie : « De cette analyse, on retient que les marchés céréaliers régionaux sont intégrés à ceux de Bamako. Cela veut dire qu’il existe des relations d’échange entre Bamako et les autres régions » (sic) (Diakité 2006 : 212). En l’absence de crédit bancaire car [pour de multiples raisons, parmi lesquelles le non-respect du secret bancaire dans un État de non-droit où le respect de l’interdit islamique du prêt, ici de l’emprunt à intérêt] les commerçants en grande majorité musulmans utilisent peu les banques (Cook & alii 1990). Un commerçant peut donc brader ses céréales s’il a besoin de financer une autre activité économique plus rentable. Cette considération rend aussi peu vraisemblable la thèse du commerçant stockeur et spéculateur, stéréotype qui a la vie dure et a pourtant encore la faveur de nombreux bailleurs de fonds et d’ONG. L’exemple des Offices céréaliers montre les risques d’un tel comportement. Ce n’est qu’en situation de monopole ou d’oligopole (appels d’offres restreints de l’État), par exemple pour importer du riz ou du maïs, comme ce fut le cas en 2005, que des profits importants peuvent être réalisés. N’oublions jamais qu’ils doivent être partagés avec ceux, qui grâce à leur place dans l’appareil étatique, les ont sélectionnés !

52 Le SAP doit prévenir l’apparition des crises en alertant les décideurs sur la situation alimentaire de 348

communes. La classification de la situation alimentaire distingue six niveaux et débouche sur des recommandations destinées au Comité Technique de Coordination des Politiques alimentaires.

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Ce choix a été fondé sur le fait que les conséquences socio-économiques des aléas climatiques étant considérées comme plus dramatiques dans les régions sahéliennes que dans les régions plus arrosées et les crédits étant limités, il fallait établir des priorités. Cependant de sérieux problèmes alimentaires sont aussi survenus dans des régions soudaniennes, grandes productrices de coton, lors de la grande sécheresse de 1984, particulièrement au Tchad (Magrin 1999). Ceci a constitué une surprise dans les milieux du développement où l’on avait jusqu’alors préféré croire qu’une coexistence plus ou moins pacifique régnait dans ces régions entre coton et céréales. Comme certains auteurs le soulignent l’engrais mis sur le premier bénéficiaient, par un effet induit, aux secondes (Schwartz 1999). Remarquons pourtant que si les paysans se sont adaptés aux modalités parfois coercitives d’un encadrement appliquant les directives d’une recherche agronomique privilégiant le coton, ce sont eux qui ont découvert les effets secondaires de l’engrais—les céréales étant cultivées après le coton — allant parfois jusqu’à l’utiliser sur leurs champs de vivriers au grand dam de l’encadrement. Remarquons enfin que la recherche agronomique ne s’est pas particulièrement signalée, depuis la période coloniale, par ses préoccupations « vivrières » et c’est, en général, parce que les paysans producteurs de coton n’ont heureusement jamais renoncé à produire leur nourriture que des crises alimentaires plus sévères ne sont pas survenues.

54 Ces prix sont exprimés au kilo, alors qu’au Mali, comme dans les autres pays sahéliens, les céréales sont

vendues à l’aide d’un système de mesures de volume, non-standardisées, qui en général ne fait pas intervenir la notion de poids (Arditi 1990) et qui portent en bamanan le nom générique de pani. Les prix n’étant pas affichés, ils peuvent faire, par définition, l’objet d’un marchandage en fonction de plusieurs paramètres. La quantité de céréales achetée est in fine soumise aux lois de « l’économie de l’affection » (Lemarchand 1989) qui se caractérise par la pratique du cadeau. Les services statistiques, ainsi que le SAP et le SIM effectuent, quant à eux, un calcul pour ramener au kilo la quantité de céréales vendue à la mesure. Si, dès la période coloniale, le système métrique a été, semble-t-il, adopté par les services de l’État, pour les cultures de rente ou pour élaborer, par exemple, un indice des prix à la consommation africaine (prix au kilo pour les solides, prix au litre pour les liquides), il n’est guère pratiqué sur les marchés. Quand un boutiquier de quartier à Bamako ou ailleurs, utilise une balance et vend des céréales au poids, symbole de modernité, rien ne prouve, comme nous avons pu le constater sur le terrain et comme d’autres l’ont fait avant nous (Saul 1985), que celle- ci soit juste, en l’absence d’un service étatique de contrôle des poids et mesures,

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L'OMA dispose d'un réseau de 78 points de collecte des données sur plusieurs types de marchés (marchés de concentration, marchés de gros et de consommation). Ces informations sur les prix et les flux commercialisés sont régulièrement traitées et diffusées à la Radio ainsi que dans les bulletins périodiques (hebdomadaire, mensuel et annuel)

Ainsi, d’après un principe fondamental du libéralisme économique selon lequel une infor- mation économique fiable doit être mise régulièrement à la disposition des opérateurs d’une filière, le nouveau système devait permettre aux paysans d’obtenir de meilleurs prix censés les inciter à produire et à vendre davantage de céréales. Les commerçants et les consommateurs devaient aussi bénéficier de ces informations. On examinera plus loin en détail si les données fournies par les SAP, SIM et l ’OMA, en les confrontant aux contraintes de toute nature de l’économie réelle qui pèsent sur les acteurs économiques de ces filières céréalières, sont utilisables et leur permettent effecti- vement de s’en affranchir.

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