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Cette volonté d’intervention directe du pouvoir étatique, visible et largement médiatisée dans la politique de sécurité alimentaire, s’est traduite en 2005 par diverses actions et mesures

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La crise actuelle dite des « subprimes » aux États unis et l’intervention de l’État dans le secteur bancaire constituent, s’il en est besoin, une preuve supplémentaire que le discours libéral est totalement déconnecté des pratiques de l’économie réelle. Comme le dit un sénateur américain : « quand j’ai ouvert mon journal hier, j’ai cru que je m’étais réveillé en France. Mais, non il s’avère que le socialisme règne en maître en Amérique » (cité par P. Jorion dans Le Monde mardi 2 septembre 2008).

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Au Togo par exemple. Il semblerait que ce qui s’est passé dans ce pays ait donné des idées à d’autres chefs d’État africains qui, déjà fortement attachés à une conception monarchique du pouvoir, ont modifié la Constitution pour pouvoir briguer un nouveau mandat. Ce fut le cas au Tchad en 2004 sans que la France ni les principaux bailleurs de fonds n’interviennent pour tenter d’enrayer cette dérive.

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Au Mali comme dans la plupart des pays d’Afrique de l’Ouest la Constitution ne prévoit que deux mandats présidentiels de cinq ans sur le modèle français. D’après la presse malienne (« Troisième mandat pour ATT : La marche du Roi Caméléon sur les institutions de la République », Le National 27/08/2008/) ATT briguerait en 2012 un 3ème mandat.

117 Ce n’est pourtant, semble-t-il, d’après certains de nos interlocuteurs, que pendant le mois de Ramadan que

telles que la collecte de fonds au Mali et dans les diasporas maliennes118, le rattachement du Secrétariat à la Sécurité alimentaire à la Présidence et sa transformation en Commissariat, des distributions gratuites de céréales, et la création de banques de céréales etc. Ces mesures s’expliquent par le fait que la situation alimentaire du pays a d’autant plus effrayé les dirigeants du pays qu’on était dans un contexte politique préélectoral. La peur que le gouvernement ne soit renversé a en effet été forte et ce fait a été reconnu en 2006 par la Commissaire à la Sécurité Alimentaire.

C’est à l’occasion de cette crise que les observateurs les plus perspicaces ont signalé l’existence d’un double système de sécurité alimentaire. Ceci est notamment confirmé par l’un de nos interlocuteurs (économiste) qui connaît fort bien les politiques alimentaires pour travailler dans ce domaine depuis longtemps : « maintenant, il y a donc deux systèmes parallèles de sécurité alimentaire au Mali : le PRMC et ses donateurs multilatéraux dont la France, qui veulent en fixer les règles d’utilisation ; et l’État malien, avec le CSA et des bailleurs comme le Japon et la Banque Islamique de Développement plus la FAO dont le S.G., le sénégalais J. Diouf est un ami personnel d’ATT » 119.

On peut pourtant douter qu’un tel double système de lutte contre l’insécurité alimentaire ne soit exempt de contradictions internes et qu’il n’ait pas déjà donné naissance à de nombreux dysfonctionnements qui ont, bien sûr, des conséquences sur son efficacité et sur son coût. Enfin et surtout, l’existence d’un tel « double » système constitue la preuve que le désengagement de l’État, tant souhaité par les institutions de Bretton Woods et les donateurs du PRMC, constitue un objectif encore très … lointain.

2. Regard critique sur les politiques alimentaires passées et présentes

2. 1. La naissance d’un mythe à l’époque coloniale : paysans imprévoyants et

commerçants exploiteurs

L’histoire du XXème siècle a été marqué par la survenue de crises alimentaires et parfois de famines : 1905, 1914, 1931, 1954, 1968, 1974, 1984, (Gado 1993) et 1998. Elles ont souvent été la conséquence, comme celle de 2005, d’un déficit pluviométrique parfois accompagné d’invasions acridiennes détruisant tout ou partie des récoltes de céréales120. La pacification menée par les

troupes coloniales et les exactions qui l’ont accompagnée, ainsi que la perception de l’impôt de capitation en argent, la conscription et le travail forcé en ont, sans aucun doute, fortement accentué les conséquences. L’administration coloniale n’est intervenue, que de manière excep- tionnelle, pour venir en aide aux populations sinistrées, quand la famine avait fait l’objet d’une médiatisation en France et avait entraîné des interpellations à l’Assemblée nationale121.

Si l’on ne parlait pas encore de politique alimentaire ni d’insécurité alimentaire à la période coloniale, c’est pourtant à cette époque que naissent les discours sur « l’imprévoyance » (« Cette faculté de mettre en balance une peine immédiate et une satisfaction lointaine, faculté qui de son vrai nom s’appelle la prévoyance, n’appartient qu’aux races civilisées et, parmi elles, aux classes aisées. Le sauvage et le pauvre sont également imprévoyants » écrit au début du XXème siècle, un économiste (Gide 1898 : 87) et la « paresse » des paysans dont les commerçants auraient profité en

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Le gouvernement reconnaît avoir reçu six milliards de francs CFA.

119 Ceci montre bien que les réseaux de clientélisme des chefs d’État incluent les dirigeants des agences

internationales de développement telles que l’UE, la FAO etc. Nous en avons pris conscience en 1988 lors d’une évaluation des fonds de substitution de l’UE. Un second fonds avait été en effet octroyé au Tchad alors que les justifications du premier, fournies à la délégation locale de l’UE par l’ONC, n’avaient pas été jugées conformes à la réglementation. L’ambassadeur du Tchad à Bruxelles et des responsables de l’UE ont résolu ce problème, en autorisant le versement du second fonds, court-circuitant ainsi de fait la délégation locale de l’UE. On pourrait donner d’autres exemples de ce genre de pratiques.

120 C’est à la suite des sécheresses du début du XXème siècle que l’administration coloniale a introduit la

culture du manioc dans le sud du Tchad cotonnier. La culture de ce tubercule, beaucoup plus productif mais moins nutritif que les céréales, s’est beaucoup développée depuis.

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Ce fut notamment le cas en 1953-54. Cette famine est en effet restée dans la mémoire collective au Niger sous le nom de « l’année de la farine de manioc ». Celle-ci, produite au Dahomey, sous le nom de gari, désigne une farine cuite stabilisée. Elle avait été achetée et distribuée par l’administration coloniale dans les régions sinistrées.

leur proposant des prix dérisoires pour leurs céréales ou en leur prêtant de l’argent ou des produits alimentaires tels que le thé ou le sucre122 avant la récolte. Ces discours ne constituent—on y a déjà

fait allusion—qu’un aspect d’une politique de dévalorisation systématique des pratiques locales123. Il fallait donc que des mesures rapides et efficaces soient mises en oeuvre par l’État pour trouver des solutions. La création dans les années 1960 dans les pays du Sahel d'Offices céréaliers, financés par l'aide internationale pour réguler le commerce des grains, s'inscrit donc dans une longue série d'interventions de l'État dans l'économie qui a caractérisé l’histoire économique précoloniale de l’Afrique subsaharienne et s’est poursuivie de l’époque coloniale jusqu’à nos jours. Ainsi avaient été instaurés dans le passé les « greniers de réserve », les « sociétés africaines de prévoyance » (SAP) et les « sociétés indigènes de prévoyance » (SIP) (Bergeret 1985). Celles-ci avaient pour objectif, surtout dans les régions où les cultures de rente n’existaient pas, de constituer des stocks de céréales à la récolte, et de les conserver jusqu’à la période de « soudure » pour les restituer ensuite à leurs adhérents.

Ces réserves de céréales étaient conservées dans un silo villageois, conception en rupture totale avec les pratiques paysannes, chaque groupe domestique stockant dans ses propres greniers en pisé, matériau local utilisé aussi pour l’habitat. Ces silos villageois étaient le plus souvent gérés, en pays musulman, par un marabout capable de lire et d’écrire un peu l’arabe, et censé exécuter les directives de l’administration. Les années de faible production, même en l'absence de surplus, les paysans étaient en effet obligés de vendre des céréales pour s'acquitter de l'impôt de capitation qui était désormais devenu exigible en argent. La création, au Soudan français, actuel Mali, de « greniers de réserve » dans une région où l'Armée coloniale avait ponctionné sans limites céréales et bétail pendant plusieurs années, fut assimilée par les populations à de nouvelles réquisitions. Ce fut par exemple le cas, en pays soninké, où l’ instauration de ces greniers, dans les années 1930, entraîna des réactions paysannes qui furent qualifiées « d'opposition la plus violente et la plus généralisée qu’ai connue la colonisation dans la région » (Pollet & Winter 1971:104). Les résultats des SIP (Société Indigène de Prévoyance) ne furent pas meilleurs. Ainsi, par exemple celle qui qui existait dans les années 1950 à Fort-Lamy, comme sans doute dans d’autres villes d’Afrique, connaissait de sérieux problèmes. À l'instar des futurs Offices céréaliers elle utilisait déjà le concours de commerçants pour constituer des stocks de céréales (alors que son objectif déclaré consistait précisément à lutter contre la spéculation dont ces derniers se seraient rendus coupables). En année de production normale ou excédentaire, il était assez facile de collecter à bas prix de quoi remplir les silos, souvent en métal, dont elle disposait. Il était par contre beaucoup moins aisé de revendre ces céréales car la demande était faible et les prix sur les marchés très bas. Quand la récolte suivante était encore bonne, les stocks s'accumulaient et leur conservation durant plusieurs années ne pouvait être garantie car elle était trop onéreuse124. Les céréales étaient, par conséquent généralement bradées ou vendues à crédit. En mauvaise année par contre, la SIP achetait peu car les prix étaient élevés et ses moyens financiers limités. Elle ne pouvait alors revendre que de faibles quantités à ses adhérents, d’ailleurs peu nombreux. Ces derniers se trouvaient donc contraints à s'approvisionner sur le marché à des conditions beaucoup moins favorables. Les Offices céréaliers, créés après des indépendances, reposent sur les mêmes principes et connurent ipso facto les mêmes difficultés.

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