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327 Entretien CARE, idem.

2. Les instruments de sécurité alimentaire au niveau local.

2.3. Les banques de céréales

Les banques de céréales sont des réserves constituées au moment de la récolte, stockées pour être revendues à un prix compétitif et non-spéculatif en période de prix élevé ou de crise alimentaire. Elles doivent permettre de réguler l’approvisionnement des zones déficitaires en période de soudure. Leurs mises en place ont été financées par les banques classiques et les organismes de micro-finance, mais surtout par des ONG. Aujourd’hui, elles sont également financées par l’Etat et sont partie intégrante des dispositifs de sécurité alimentaire. Dans le cadre de la politique de décentralisation, les autorités participent en théorie à l’édification des banques sous la responsabilité totale des villageois.

Au Mali, une politique spécifique a été lancée et a abouti à la création d’un protocole de gestion des banques de céréales qui définit les rôles respectifs du CSA, des gouverneurs, des maires et des préfets. Le maire et sous-préfet sont les superviseurs de la gestion des banques de céréales et notamment de l’équilibre financier. Celles-ci sont gérées par un comité de gestion qui regroupe : deux chefs de village de la commune, deux femmes, un représentant des jeunes et un agent d’une structure déconcentrée de l’Etat (la plupart du temps du ministère de l’Agriculture). En théorie, la gestion doit conduire à l’achat des céréales sur les marchés ou directement aux cultivateurs à un prix relativement bas pour la revendre aux villageois tout en dégageant un léger bénéfice pour permettre la pérennisation du stock et sa gestion.

La création de ces banques a été visiblement souhaitée par tous les acteurs locaux de la sécurité alimentaire. Tous les plans communaux de sécurité alimentaire ont ainsi proposé la constitution des banques de céréales pour assurer « la régularité des approvisionnements à des prix abordables pour un plus grand nombre de consommateurs pendant la période de soudure ». Cette création répond, semble-t-il, à des demandes locales :

« Il y a des personnalités politiques influentes, dans certaines localités, [qui] font du lobbying, du plaidoyer pour créer une banque à tel niveau. »362

L’Etat a été l’artisan de la création de ces banques, notamment le CSA :

« Ils ont appelé le maire, ils lui ont dit : « bon l’Etat a décidé, a décidé de donner tant de tonnes à chaque commune comme fonds de roulement, sans formation, sans la mise en place de comités de gestion. Il n’y a pas eu d’appui. Et l’Etat a fait cela partout, sans connaître qui est déficitaire, qui ne l’est pas. »

Le CSA a créé 201 banques en 2005, 558 en 2006, ceci à différents niveaux territoriaux. Sur 759 banques créées en 2005-2006, 703 l’ont été dans les communes (en théorie, une par commune malienne), 13 dans des villages ou de fractions de communes, 43 dans les associations. Ainsi, les mécanismes locaux de contrôle, en particulier le comité de gestion, ont été rapidement remplacé par des contrôles « par le haut » de la part du CSA :

« C’est en août 2005 que nous avons créé 201 banques de céréales destinées à être autogérées, dont les distributions alimentaires sont gérées par le Maire et le Président (et non par le comité de gestion de chaque banque). [Mais] les banques ont, pour la plupart, foiré. Les causes d’échec sont multiples. Ces banques sont en train de reconstituer leurs stocks en ce mois de janvier 2006. Le gouvernement a donné un premier stock gratuit aux banques qu’elles revendent à prix modéré, entre 120 et 125 francs CFA le kilo ». [Au sein du CSA,] on a essayé de voir comment mieux approvisionner le marché car il y avait des zones où l’Office des Produits Agricoles du Mali (OPAM) s’était retiré. On a donc fait la réouverture des banques d’intervention de l’OPAM pour éviter les ruptures d’approvisionnement [dans ces zones] et on a effectué des distributions alimentaires gratuites. Un contrat lie la collectivité et le CSA pour la gestion des banques locales : si la collectivité gère, le CSA effectue un contrôle de la situation tous les 6 mois. »363

Cette volonté nationale conduit le CSA à multiplier les banques, y compris dans les zones urbaines. Partant du constat, comme pour le SAP, que l’insécurité alimentaire est devenue structurelle et non plus conjoncturelle, le CSA a créé des banques de céréales dans la périphérie de Bamako :

« Avec la récente crise et le constat qui en a été, l’Etat a initié des banques de céréales dans certaines communes, [des] quartiers périphériques de Bamako ; leurs stocks [de départ] sont partis [venus] des magasins de l’OPAM, sous l’impulsion du Commissariat à la Sécurité Alimentaire. Une ceinture de banques de céréales alimentaires [existe donc] au niveau de la ville [de Bamako]. »364

Comme pour les autres instruments locaux de sécurité alimentaire, les services de l’Etat, en particulier le CSA, sous couvert de reconnaissance du milieu local, s’assurent de leur centralité dans l’utilisation de l’instrument « banques de céréales ». A la différence près que les ONG sont beaucoup plus mobilisées sur le sujet et se sont déjà immiscées dans les relations sociales locales en captant les ressources des bailleurs, en particulier lors des distributions d’urgence :

« Au Sud, l’expérience, que j’ai d’expérience, c’est l’appui aux paysans à travers les semences de niébé et maïs, mil, produites par le service semencier de la zone de Ségou. Nous collaborons avec le service financier. Les semences étaient trouvées gratuitement. L’idée était de cibler certains paysans pilotes. Mais, après 3 ou 4 ans, la semence doit être changée car sinon cela peut poser des problèmes de rendement, ce qui n’est pas le cas avec les propres semences des paysans (…). La distribution de céréales, nous l’avons faite surtout au Nord, de 84 à 88, uniquement la distribution de vivres, environ 100 000 tonnes (huiles, céréales). C’est de la sous- traitance avec le PAM, des financements du FED, de l’Europe, des USA. Le PAM donne des vivres et nous, nous les distribuons. Mais l’Union européenne nous donne plutôt des fonds et nous, nous payons des céréales (…) Pour la question des céréales locales du FED, nous faisons des appels d’offres pour payer des céréales ici sur place. »365

Des ONG, en particulier Africa verte366, sont à l’origine des banques de céréales, et ont finalement déjà organisé un système national informel de mobilisation des céréales dans le but de constituer des réserves.

« Maintenant, [passons] au niveau national… Parce qu’au-delà des Bourses [régionales] qu’on organise sur des axes en fonction des besoins de consommation, on organise [aussi], au niveau national, une Bourse nationale aux céréales. Et là, on implique tous les acteurs. Que vous soyez [des] services techniques, [des services] d’encadrement, que vous soyez [des] organismes d’Etat, que vous soyez [des] politiques ou [des] structures qui communiquent les prix, [des] structures qui communiquent des productions, des organisations paysannes, des commerçants céréaliers et des unités de transformation, bref tous les [types d’] acteurs, on les invite. Et on a choisi Ségou

363 Entretien collectif, équipe technique du CSA, 18 janvier 2006. 364 Entretien Afrique Verte, idem.

365 Entretien C.D., Responsable des ressources humaines, ONG World Vision, 26 septembre 2006. 366 Voir le site de l’ONG : http://www.afriqueverte.org/

pour ça, parce que Ségou c’est le centre du Mali. La Bourse n’est pas qu’économique, elle est d’abord une Bourse en termes d’informations. »367

Les ONG ont constitué un système et des modes de fonctionnement qui leur permettent d’encadrer une partie du territoire et de replacer les banques de céréales dans des dispositifs plus larges d’aide à l’agriculture :

« [Dans] le [premier] volet d’Afrique Verte où [l’] on favorise l’approvisionnement des zones déficitaires à partir des zones excédentaires, il y a [également] un appui à la transformation des céréales locales. [La] transformation, [la] valorisation, [et la] promotion des céréales locales se font par le biais des associations féminines, essentiellement sur Bamako et Kayes, parce qu’on travaille [déjà] avec 45 associations sur Bamako, une vingtaine à Kayes. [Ce volet est] un appui aussi à la transformation. Cela passe [va] depuis la structuration des associations féminines, le renforcement de leur capacité, les technologies des transformations jusqu’à un appui à la promotion des céréales à travers les foires commerciales, les manifestations commerciales que ce soit au Mali ou dans la sous-région. »368

Ces actions expliquent, en partie, les critiques des ONG concernant la mise en place des banques par l’Etat dans les communes. Les ONG qui sont souvent promptes à mettre en avant le niveau local en viennent à disqualifier les acteurs communaux dans le domaine des banques de céréales :

« J’ai quelques inquiétudes, parce que l’Etat a installé, dans beaucoup de communes, des banques de céréales communautaires. Et la question que je me suis toujours posée [est la suivante] : est-ce à une commune de gérer le stock de sécurité ? Est ce que le travail [rôle] de la commune n’est pas plutôt d’aider les plans de développement dans lesquels il y a une composante « sécurité alimentaire ». A mon avis, la commune ne peut pas être acteur. A mon avis, dans beaucoup de localités, on a même vu des maires gérer [cette question de sécurité alimentaire]. C’est nouveau, mais cela comporte des risques à terme. Je ne vois pas comment une commune doit [devrait] gérer un stock [céréalier de sécurité]. La commune, c’est une institution (…) ils peuvent mettre en place un service technique. Mais le problème [se pose], dans le cas de la gestion [locale] de la sécurité alimentaire, [puisque l’] on a mis [en place] des banques dans beaucoup de communes (…). Parce que pour moi, tel maire ou tel maire définit le plan de développement de la commune avec des composantes ; [en sus,] il doit y avoir des acteurs. Donc [dans le cas d’] une banque de céréales, au niveau d’une commune, je me demande puisqu’il [le Maire] a un poste électif, lorsque le gars perd son mandat, quelle est la viabilité de cette banque ? »369

La mise en place des banques de céréales se caractérise par des relations complexes entre les bailleurs de fonds, les ONG, les communes et les services de l’Etat. Comme pour les autres instru- ments locaux de sécurité alimentaire, l’ensemble des acteurs semble engagé dans le processus de création de ces banques. Le CSA a essayé de se positionner au centre de ce système en privilégiant une démarche générale sur l’ensemble du territoire malien. Il a effectivement pris en charge la gestion de ces banques qui devaient au départ se caractériser par une gestion locale autonome. Mais cette volonté du CSA est contrecarrée par l’action des ONG qui depuis longtemps soutient les banques de céréales. En terme de rapports spécifiques entre les différents acteurs locaux, il semble que les ONG aient réussi à se présenter comme intermédiaires entre des services de l’Etat inefficaces dans ce domaine précis, des bailleurs de fonds qui reconnaissent l’expertise des ONG et des populations en manque d’informations générales.

L’analyse des instruments de sécurité alimentaire au niveau local permet de retracer les relations de pouvoir entre les différents acteurs locaux de la sécurité alimentaire. Chaque dispositif a ses caractéristiques propres. En ce qui concerne les PLSA, les collectivités locales - que ce soit les communes, les cercles et les régions - ont un rôle minime dans leur élaboration. Les bailleurs de fonds et les services de l’Etat ont réussi à garder l’avantage sur les structures locales dans la création de données et d’informations. Les PLSA peuvent même être vu comme le recyclage des relations privilégiées entre le CSA et l’USAID. En ce qui concerne les SAP, on observe qu’ils ont peu de moyens humains. Pourtant, le système d’information est un système lourd qui multiplie les avis

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Entretien Afrique verte, idem.

368 Idem. 369 Idem.

et le nombre d’acteurs mis en jeu, ce qui nuit d’ailleurs sûrement à son efficacité. En théorie, dans l’architecture institutionnelle d’alerte au Mali, le CSA a un rôle prépondérant. En fait, l’organi- sation même du système repose sur les services déconcentrés du ministère au Plan. Dans ce dispo- sitif, les autres acteurs locaux restent donc dépendants de l’Etat et on ne peut pas réellement parler d’une alimentation locale du système d’alerte. Enfin, en ce qui concerne les banques de céréales, elles sont bien présentes dans toutes les communes avec plus moins de consistance, d’existence et d’efficacité. Elles sont là encore l’objet d’une lutte de paternité et de tutelle entre les ONG et les services de l’Etat, notamment du CSA. Ces deux types d’acteurs ont réussi à inhiber les collectivités territoriales en utilisant leur argument favori, celui de la mauvaise gestion.

En définitive, l’étude de la perception par les acteurs (communes, ONGs, bailleurs de fonds et services de l’Etat) des dispositifs locaux de sécurité alimentaire et des instruments de celle-ci nous permet d’évaluer la revalorisation du local dans la sécurité alimentaire au Mali. Les lois de la décentralisation concourent à constituer la commune comme acteur institutionnel incontournable des politiques de développement. Les ONG maliennes et internationales ont reconnu cet espace local et y ont vu une zone d’intervention privilégiée en matière de sécurité alimentaire entre l’Etat et la population. Elles devenaient des alliés objectifs de la commune. En ce qui concerne les bailleurs de fonds, le local et plus précisément la commune devenait le réceptacle de leurs poli- tiques de renforcement des capacités. Enfin, le retrait des services de l’Etat - conforme à l’esprit de la décentralisation - semble, en ce qui concerne les dispositifs de sécurité alimentaire, être essentiellement une mise en scène. En effet, contrairement au discours officiel, ce sont les ONG et surtout les services de l’Etat qui restent les acteurs dominants des systèmes locaux de sécurité alimentaire.

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