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2 2 Les velléités d’autonomisation de l’Etat malien

Dans un contexte où les pays du Sud, et notamment africains, cherchent à s’imposer comme des partenaires à part entière sur la scène internationale, la crise de 2005 a renforcé les velléités d’autonomisation de l’Etat malien en matière de sécurité alimentaire. Selon le gouvernement malien, les instruments mis en place avec les bailleurs ont révélé leur inadaptation face à l’ampleur de la crise de 2005. Pour renforcer cet argument, les autorités politiques maliennes, tendent, à l’image de N. L. Haïdara, à dramatiser le diagnostic de crise : « L’année dernière, on a failli sauter. C’était une bombe. On a eu très peur de la situation »236.

Cette dramatisation du discours a un double objectif. D’une part, en affichant une situation moins dramatique que celle d’un pays comme le Niger, le gouvernement malien peut ainsi mettre en avant sa « bonne » gestion de la crise. D’autre part, ce discours légitime l’idée d’une nécessaire transformation du dispositif de sécurité alimentaire. Toujours selon Nana Lansry Haidara : « Notre dispositif de sécurité alimentaire n’a pas marché car il date de 25 ans et n’a pas été ajusté de manière à prendre en compte les changements. Il est obsolète. Il faut intégrer les mutations économiques »237. L’ouverture du marché au sein de l’UEMOA et l’amélioration des infrastructures de transport au niveau régional ont, en effet, changé la donne dans les échanges commerciaux. Nango Dembele souligne ainsi que « dans les années 1980, les surplus maliens restaient dans le pays […]. Le Niger et le Burkina Faso n’avaient pas de problème. On a même eu à subventionner les exportations. Actuellement presque tous les consommateurs sont en compétition. Malheureusement, nous, nous sommes les plus pauvres Quand il y a crise, c’est le nord du Nigeria et la Côte d’Ivoire qui sont approvisionnés. Car c’est une question de pouvoir d’achat »238.

234 De tels stocks ont également été créés au Burkina et au Niger. 235 Cf C. Arditi.

236 Entretien. 237 Entretien. 238 Entretien.

Les velléités d’autonomie de l’Etat malien ont donc été accélérées suite à la crise de 2005, notamment en raison des réticences initiales des bailleurs à s’engager dans des distributions alimen- taires gratuites239. Selon un membre du CSA : « Beaucoup de partenaires n’étaient pas d’accord avec nous. Beaucoup pensaient que la situation était exagérée, trop exagérée. Comme on venait d’être rattaché à la Présidence, les gens ont pensé que l’on tirait un peu les choses à nous. Les gens traînaient les pieds »240.

Face à cette opposition des bailleurs du PRMC, le Président a décidé unilatéralement la distribution gratuite du SNS : « Le CSA a jugé utile d’intervenir sur le champ. […] on a d’abord fait des distributions de vivres dans 83 communes à raison de 9 kilos par personne et par mois, puis on a élargi à 101 communes pour pallier la famine et l’exode rural »241. Le gouvernement a également mis en place un système parallèle de gestion de la crise alimentaire, notamment avec la création d’un stock national d’intervention, indépendant du stock national de sécurité cogéré dans le cadre du PRMC. Cette stratégie a alors été rendu possible par l’émergence de nouveaux bailleurs dans le camp de la sécurité alimentaire. Le Japon ou encore la Banque Islamique de Développement ont respectivement donné 5.900 tonnes de riz et 2 milliards de francs CFA, et plus d’un million de dinars pour alimenter ce stock parallèle directement géré par le CSA242. Ces nouveaux bailleurs, moins regardants à l’égard de la possible instrumentalisation politique de la distribution de l’aide alimen- taire, ont ainsi renforcé la capacité de négociation du gouvernement malien face aux bailleurs traditionnels du PRMC.

Ce renforcement du pouvoir malien traduit d’ailleurs une évolution structurelle du dispositif du PRMC. Celui-ci s’est en effet progressivement « nationalisé » dans le cadre d’un transfert de ses responsabilités vers les structures maliennes, et notamment le CSA. En termes financiers, l’Etat malien contribue dorénavant à près de 70% du coût du PRMC. Ainsi, pour le programme 2000-2004, sur le coût global 8,5 milliards de francs C.F.A., 6 milliards étaient apportés par le budget de l’État et 2,5 milliards par les bailleurs (CILSS 2004 :66). Dans la logique de la Déclaration de Paris sur l’efficacité de l’aide, qui met en avant les principes d’appropriation et d’alignement sur les politiques nationales, les bailleurs du PRMC tendent à s’impliquer de manière plus distanciée. Un attaché de coopération du Canada avance ainsi que « l’idée est de laisser le gouvernement malien assurer le leadership en matière de sécurité alimentaire »243. Samba Dollo, du CSA, peut alors déclarer que « par rapport à l’ancienne approche PRMC, les choses évoluent plus vite qu’on ne le pense. Les conventions signées il y a 20 ans ne peuvent plus marcher ; les hommes ont changé, le contexte a changé. […] Autrefois les partenaires dictaient leurs décisions, aujourd’hui on discute entre partenaires, on échange »244.

Le gouvernement malien entend donc désormais consolider sa souveraineté dans le domaine de la sécurité alimentaire. Selon la Commissaire à la Sécurité Alimentaire, N. L. Haidara, « nous ne pouvons pas attendre que la communauté internationale s’inquiète. C’est ce qui s’est passé au Niger. La Communauté internationale vient après, en renforcement, mais nous, il faut qu’on ait une vision claire, issue d’un débat malien-malien […]. C’est ce qui renforce notre démocratie et l’autorité de l’Etat »245.

La marge de manœuvre du Mali est néanmoins limitée par les normes internationales avec lesquelles il se doit de composer. Après avoir annoncé un important déficit céréalier sur la base de nouvelles normes de consommation, le gouvernement malien a ainsi été contraint par ses partenaires à se réaligner sur les normes définies au sein du CILSS246.

La crise alimentaire de 2004-2005 aura consacré un retour en force du politique dans le domaine de la sécurité alimentaire. Celle-ci s’est alors affirmée comme un enjeu central de légitimation politique. Pendant la crise, outre les visites du président dans les zones sinistrées et ses exhortations aux populations pour qu’elles restent sur place, le gouvernement malien a aussi lancé un appel très fortement médiatisé à la solidarité nationale. Près de 6 milliards 600 millions de francs CFA ont ainsi été officiellement recueillis. Suite à la crise, le premier ministre a effectué une

239 En 2004, une évaluation du PRMC avait fait des recommandations contre les distributions gratuites. 240 Entretien.

241 Entretien.

242 CSA, « Situation des aides reçues (juillet 2005) ». 243 Entretien.

244 Entretien. 245 Entretien. 246 Entretien.

tournée à travers tout le pays, spécifiquement pour évaluer les besoins en matière de sécurité alimentaire.

Cette question était au cœur des discours de la campagne présidentielle de 2007 au cours de laquelle Amani Toumani Toure a mis en avant la question agricole. Il a notamment fait la promotion d’une agriculture irriguée et la poursuite de l’aménagement de l’Office du Niger, toujours présenté comme un « grenier à blé » de l’Afrique de l’Ouest. L’importation très médiatisée de tracteurs en provenance d’Inde s’inscrit aussi dans cette logique de légitimation et d’affichage politique.

La politisation de la sécurité alimentaire se manifeste également dans l’instrumentalisation des données statistiques qui lui sont relatives. Comme très souvent dans les pays en situation d’insécurité alimentaire, la rationalité politique interfère fortement avec les dispositifs techniques d’évaluation du risque. D’autant plus que la fiabilité des données est sujette à caution. Selon un membre d’une agence de coopération, « obtenir les bilans céréaliers de chaque campagne [agricole] est difficile, voire bien tardif… les chiffres ont même changé 15 fois. On est passé de surplus à des déficits abyssaux, puis à des déficits [mesurés] mais jamais dans les mêmes zones et les mêmes endroits. Il y a donc bien une instrumentalisation politique, une instrumentalisation politique, de la sécurité alimentaire »247.

Cette instrumentalisation est aussi à l’œuvre dans la gestion de l’aide alimentaire. Celle-ci est porteuse de « tentations clientélistes » pour les Etats, les ONG et les donateurs qui « peuvent à un moment ou à un autre y être conduits et sont prêts à contester voire à chercher à manipuler les données et les analyses issues des dispositifs d’information, pour parvenir à leurs fins » (CILSS 2004 : 52). Le clientélisme politique est particulièrement prégnant dans la mise en place des ventes subventionnées de céréales et surtout dans les distributions d’aide gratuite. Le secrétaire d’Etat à la sécurité alimentaire avait par exemple « amené les céréales de la sécurité alimentaire dans les zones de prédilections pour faire sa campagne, pour faire sa promotion […]. Il a distribué à peu près l’équivalent de 10 000 tonnes, à but purement politique »248. De même, il est significatif que les distributions gratuites de céréales se fassent essentiellement dans le Nord, où se situent les principaux risques de déstabilisation.

Ce retour du politique est cependant une condition de la réappropriation malienne du dispo- sitif de sécurité alimentaire et donc de la mise en œuvre de politiques plus efficaces en la matière. L’enjeu est dorénavant de savoir si cette politisation pourrait, dans le cadre d’un système démo- cratique fondé sur l’élection, bénéficier aux populations les plus vulnérables, sous la forme d’un clientélisme élargi.

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247 Entretien.

Partie II :

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