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2 27 Le projet Mistowa ou la croyance aveugle dans les vertus du libéralisme

Le projet Mistowa (Market Information Systems in West Africa), financé par l’USAID pour la période 2004-2008 et mis en oeuvre par IFDC (International Fertilizer Development Center) s’inscrit dans la lignée des SAP, SIM et OMA. Son siège est à Accra et il possède des antennes en Afrique de l’Ouest francophone et anglophone. Son objectif est d’améliorer le commerce des produits agricoles et la sécurité alimentaire en facilitant l’accès à l’information et à son utilisation à travers une

179 C’est pour pallier ce manque qu’en milieu rural de nombreux projets de micro finance ont été introduits en

Afrique subsaharienne sur le modèle de la Grameen Bank du Bangladesh. Malgré un incontestable succès médiatique, les taux d’intérêts très élevés pratiqués sont le plus souvent occultés et peu d’évaluations externes de ces opérations sont commanditées. Il semblerait surtout que les systèmes de prêt traditionnels qui préexistaient ont été, un fois encore, peu étudiés et hâtivement qualifiés d’usuraires par les thuriféraires de la micro finance qui souhaitaient les éliminer. Bien que la disparition rapide des « usuriers » ait été annoncée, ces systèmes se sont maintenus et cohabitent de manière plus ou moins harmonieuse avec la micro finance. Si le micro crédit est présenté par les principaux bailleurs de fonds comme un instrument idéal pour financer le petit commerce, surtout féminin, remarquons que cette activité est, depuis des siècles, omniprésente sur le continent africain malgré l’absence de banques et d’institutions… de micro finance.

180 On remarquera, une fois de plus, que le mythe de la page blanche sur laquelle les développeurs croient

pouvoir écrire en toute liberté, métaphore d’un milieu écologique et humain totalement vierge, a été, une fois encore, à l’origine de la création d’un tel système.

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« Un million d’auditeurs » est en effet le titre d’une « évaluation » réalisée au Tchad pour mesurer l’impact de la diffusion par la radio des prix des céréales ! On pourrait en citer d’autres.

182 Au Burkina Faso des critiques ont été formulées sur le SIM car il ne couvre pas l'ensemble du pays et que la

typologie retenue des marchés et des circuits de commercialisation se traduit par des données dont la fiabilité laisse à désirer. Des études ont en effet montré que 95 % des opérateurs économiques intervenant dans les réseaux de commercialisation des céréales n'utilisent pas les données du SIM. Ceci s’explique sans doute, comme nous l’avons suggéré, par l’existence d’un système « informel » d'information sur les prix des céréales. On peut penser que les agences internationales de développement et les ONG (les 5 % d’utilisateurs ?) sont les seules à se servir des SIM. Si on peut admettre qu’un organisme comme le PAM ait besoin de ces données pour réaliser des achats locaux on peut aussi remarquer que ces organismes ne figuraient pas de manière prioritaire parmi les utilisateurs potentiels du système. Nous avons pu en outre constater à diverses reprises et dans différents pays que les prix des céréales au kilo diffusés par les SAP ou les SIM n’étaient parfois pas divisibles par cinq. Ceci devrait constituer une raison supplémentaire de douter de leur fiabilité car dans la plupart des langues véhiculaires utilisées pour les transactions commerciales : bamanan, fulfulde, hausa, arabe etc. l’unité de compte n’est pas le FCFA mais la pièce de 5 FCFA ce qui a pour conséquence que tout prix énoncé doit obligatoirement être divisible par cinq. Par exemple, au Tchad où l’arabe est la langue du commerce, la réponse 20 (sous-entendu riyals) à la question : « c’est combien ? » signifie en réalité que le prix est 100 francs CFA !

formation aux TIC (Technologie de l’information et de la communication) et au management. Le projet s’est dans un premier temps intéressé au maïs, au riz, au manioc, au bétail, aux produits maraîchers, à la noix de cajou, au beurre de karité, et aux engrais. (On s’étonnera que le mil et le sorgho qui demeurent la base de l’alimentation dans les régions sahéliennes et soudaniennes - ne fassent pas partie des produits cités !).

La justification de Mistowa est que l’Afrique de l’Ouest représente un marché potentiel de 25 milliards de $ par an, alors que le commerce entre les États est encore peu développé. Les trois contraintes principales au développement de l’activité commerciale sont, d’après les responsables, le manque d’information en temps opportun sur les prix et les marchés, le manque de compétence des opérateurs et un environnement économique défavorable. Ces contraintes empêcheraient les pays membres de la CEDAO d’être compétitifs et les rendraient vulnérables aux crises alimentaires.

Pour parvenir à ces objectifs, les TIC sont mises à la disposition des producteurs et des commerçants : un site web, des téléphones portables permettant d’envoyer des SMS. D’après les documents de Mistowa, 90 % des commerçants d’Afrique de l’Ouest seraient déjà dotés de portables183, faisant de ce média le meilleur outil pour accéder rapidement et à peu de frais, à des données sur les prix, les offres et les conditions de transport. En outre, des points d’information commerciale agricole (PICA) installés sur ou à proximité des marchés délivrent, avec l’aide du projet, des formations en matière de TIC (accès à Internet et autres services destinés aux producteurs et aux commerçants).

Le projet favorise aussi les rencontres « face à face » qui peuvent en complément de l’utilisation des TIC, générer de nouvelles opportunités commerciales : des foires, des conférences (Trade Outlook Conférence, Commodity Fora) et des voyages d’études. Le projet collabore avec des partenaires tels que les SIM, des associations de producteurs et de commerçants et des organisations régionales telles que la CEDAO et l’UMOA.

Au Mali, le projet soutient une association des commerçants de produits locaux, basée à Sikasso, sur laquelle nous n’avons pas pu, en l’absence de possibilité déplacement dans cette ville, recueillir d’information. Dans les documents, disponibles seulement en anglais (il s’agit de prospectus d’aspect publicitaire), qui nous ont été remis, le projet avait (à la date du 06/2006) « aidé » plus de 1.000 producteurs et commerçants en matière de TIC, plus de 500 producteurs et associations de commerçants en management, facilité la création de plus de 100 PICA etc. Malgré ce qui est présenté de manière unilatérale et quantitative, comme c’est l’usage dans ces milieux, comme une « success story », le projet Mistowa est écourté et doit se terminer en septembre 2007184.

Ce projet est intéressant car il contient tous les présupposés et les non-dits de l’idéologie libérale en matière économique. Il représente « la dernière mode » en matière de système d’information sur les marchés des produits agricoles en Afrique de l’Ouest dans la mesure où il serait susceptible de fournir immédiatement les prix (et aussi les quantités disponibles mais c’est beaucoup moins sûr) des principales productions agricoles. On est ici dans la culture « fast » et l’on ne peut s’empêcher de penser à Wall Street. Bien que très centré sur les commerçants, qui disposeraient déjà de téléphones portables, ce projet est aussi censé être utile aux producteurs auxquels la connaissance des prix pratiqués, même à de longues distances de leur lieu de résidence, devrait permettre d’obtenir de meilleurs prix. Á aucun moment, il n’est imaginé que les paysans ne soient pas libres d’écouler leur production car elle est en partie ou totalement gagée par le commerçant qui leur a prêté de l’argent quelques mois plus tôt ni qu’ils ne puissent payer les frais de transport et de séjour en ville. Dans l’espace économique que constitue l’Afrique de l’Ouest régnerait ainsi une concurrence pure et parfaite, jamais entravée par l’existence d’oligopoles, voire de monopoles sur certains marchés, ni par des obstacles tels que le passage onéreux des frontières (taxes illicites), ou encore les diverses contributions exigées à l’intérieur des pays par des hommes en armes, preuve que l’État assume de moins en moins ses fonctions régaliennes en matière de sécurité publique.

Ce projet est aussi caractéristique d’une évolution inquiétante en matière d’évaluation des résultats des projets (« facts »), le plus souvent auto-évalués, présentés uniquement sur des bases quantitatives. Les actions mises en oeuvre ne sont jamais référées à une situation antérieure dans laquelle producteurs et commerçants étaient déjà présents et actifs. En quoi et comment les TIC et les formations dispensées (quel est leur contenu ?) ont ils amélioré les systèmes de commercialisation ? (et au profit de qui ?) Rien, à part la croyance aveugle dans les vertus de

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La majeure partie de leurs propriétaires n’a sans doute pas attendu le projet pour les acquérir.

184 L’évaluation d’un tel projet (notre interlocuteur parle d’audit) serait au Mali, et sans doute ailleurs, confié

l’économie libérale, ne permet de le savoir, d’après ces documents ou la consultation du site web du projet, qui relèvent tous les deux d’une facture publicitaire.

3. Analyse de la crise de 2005 et des actions mises en œuvre :

distributions gratuites et banques de céréales dans un contexte

politique préélectoral

Le PRMC a bénéficié en 2005 du soutien de pays tels que le Japon ou d’organismes comme la BID (Banque Islamique de Développement) qui ne font pas partie des donateurs à l’origine du programme et qui sont, sans doute, encore moins exigeants en matière de contrôle et d’évaluation des actions qu’ils financent que ses donateurs historiques. Les tensions qui se sont exprimées à cette occasion entre ces derniers et le gouvernement et qui étaient liées à une lecture différente de la crise ne semblent pourtant pas s’être apaisées. Ainsi, dans un article intitulé « Sécurité alimentaire : le PRMC en difficulté » le Patriote du 18/03/2008, fait état des difficultés à mobiliser les fonds des donateurs ainsi que d’arriérés de paiement préoccupants.

3. 1. La faim

D’après l’un de nos interlocuteurs bamakois, « le nerf de la guerre, c’est le repas, le prix du condiment pour le lendemain : les gens ne vivent qu’à ce rythme. C’est la survie qui commande tout ». Les hommes politiques l’ont compris depuis longtemps pour demeurer au pouvoir. On ne peut s’empêcher de rapprocher ces propos africains contemporains de ceux d’un essayiste français qui écrivait en 1792185 : « le Ministère sous l’Ancien Régime, redoutant les gens des grandes villes, s’efforça à leur donner du pain bon marché pour les maintenir dans une sorte de léthargie » (Kaplan 1988 : 501). On voit donc clairement que des pouvoirs politiques, aussi différents que ceux de la France de l’Ancien régime et de l’Afrique contemporaine, ont compris de longue date que leur survie et leur pérennité reposait sur leur capacité à assurer au peuple un approvisionnement régulier en céréales de bonne qualité à des prix abordables.

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