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II.3. Sites archéologiques considérés

II.3.3. Nice – Giribaldi, établissement chasséen en plein-air

II.3.3.3. Statut du site dans les deux derniers tiers du V e millénaire BCE

D’après l’observation des remplissages, les datations obtenues et l’étude des productions matérielles, Nice – Giribaldi a été occupé dans les deux derniers tiers du Ve millénaire BCE. À Nice – Giribaldi,

les niveaux de sols néolithiques ont été détruits par les aménagements postérieurs. Cependant, les différentes structures ne sont pas contemporaines entre elles et définissent autant d’assemblages chronoculturels distincts. Nous présentons dans un premier temps les caractères persistants tout au long de l’occupation. Un exposé diachronique est proposé dans un second temps.

Nice – Giribaldi est un habitat de plein air constitué d’aménagements pérennes : bâtiments en pisé, foyer culinaire. Si certaines activités impliquent que les habitants soient sédentaires (agriculture

29. Cette couche 6 n’a été atteinte qu’en fin d’intervention, dans le comblement de la structure 6b, dont le fond n’a pas pu être documenté correctement.

Couche

archéologique Période Époque chronoculturelle Phase Giribaldi Chronologie (BCE) Structures

Couche 1 Moderne - - - - Couche 2 Antiquité - - - - Couche 3 Stérile - - - - Couche 4 --- Couche 5 Néolithique moyen ---

Base Néo. moyen

Chasséen ancien évolué Phase C2 4050-4350 St. 3

Chasséen ancien Phase C1 St. 7

Palimpseste Phase B2 - St. 6a

Protochasséen/VBQ 2 Phase B1 4350-4550 St. 6b Préchasséen/VBQ 1 Phase A 4550-4700 St. 1

Couche 6 Néolithique ancien - - - -

orientée vers les céréales, extraction d’argile et artisanat spécialisé), d’autres témoignent de relations à longue distance.

L’étude de 918 carporestes montre que le froment est la céréale dominante tout au long de l’occupation du site, associé au blé amidonnier, à l’orge et peut-être à l’engrain. Ont aussi été introduits des pois, des lentilles, des fruits charnus (mûres, prunes, raisin sauvage) ou secs (glands, noisettes). Les restes fauniques, relativement peu nombreux, attestent la présence de porcs en abondance, de bovins de grande taille, de caprinés (chèvre et mouton), tous domestiques, du cerf, du lièvre et de peu de carnivores (chien, chat, renard, blaireau). On note la présence d’un important outillage en os, dont certains éléments sont encore enduits d’adhésif30.

Les matières premières siliceuses locales ne représentent qu’une petite part de l’outillage lithique (éclats utilisés bruts, gros racloirs). On observe, avec des variations quantitatives, l’introduction de matériaux exogènes tout au long de l’occupation. Les chaînes opératoires de ces géomatières sont éclatées dans le temps et dans l’espace. Ainsi, l’obsidienne liparote et les quartz subalpin et alpin circulent sous forme de nucléus bruts : l’ensemble des étapes de débitage est maîtrisé et assuré à Giribaldi. Le silex bédoulien circule en préformes préparées dans les ateliers de Haute-Provence ; seules les étapes simples de fin de débitage et d’entretien ont lieu à Giribaldi. En revanche, les haches et herminettes en roches tenaces provenant des versants italiens des Alpes31 sont introduites sous

forme de produits finis, seul le réaffutage a lieu sur place. Toutes les structures ont livré de grandes quantités de fragments de meules, de broyeurs et de polissoirs en grès32.

Le matériel céramique montre – comme l’outillage lithique – une forte dichotomie entre les productions domestiques et les productions spécialisées, à fort investissement technique, décrites en détail ci-après.

Ces points communs étant exposés, il est possible de discerner des nuances pour chaque phase et chaque structure. D’après l’observation des remplissages, les datations obtenues et l’étude des productions matérielles, Nice – Giribaldi a été occupé dans les deux derniers tiers du Ve millénaire BCE (Binder

et al., 2008b) (tableau 9).

La structure 1 (4700-4550 BCE) est la seule à avoir été mise au jour dans le secteur nord et appartient à la phase A (Préchasséen/VBQ Finale-Quinzano). Cette cuvette est un foyer culinaire rempli de sédiments charbonneux et de pierres brûlées33. Une grande quantité de coquilles marines (patelles,

monodontes, gibbules et moules) a été exhumée dans la partie supérieure de la fosse.

Les aménagements associés à la phase B sont deux fosses à ouverture circulaire qui se recoupent pour donner l’aménagement 634. La phase B1 (4550-4350 BCE) est représentée par la structure 6b. La

30. L’industrie osseuse est représentée par plus de 200 outils ou débris d’outils (surtout des pointes et bipointes). L’adhésif identifié est le brai de bouleau (Binder, 2004a, p. 51-53).

31. Les galets de jadéite et d’éclogite ayant servi au façonnage de ces haches et herminettes peuvent provenir de gîtes secondaires du mont Viso (culminant à 3 841 m dans le Piémont) ou du massif du Voltri (Ligurie) (Ricq-de-Bouard, 1996).

32. Plus de 1100 fragments.

33. Ces blocs proviennent du recyclage du mobilier de broyage, ce qui explique leur fragmentation.

34. À l’origine, les fouilleurs désignent par « structure 6 » soit la partie sommitale, soit les trois parties. Afin d’éviter les confusions, nous choisissons de réserver le qualificatif « structure 6 » à la partie sommitale et d’employer l’expression « aménagement 6 » ou « ensemble 6 » pour l’ensemble des trois parties (sommet, 6a et 6b).

structure 6a était initialement considérée comme une phase B2. La multiplication récente de dates sur matériaux à durée de vie brève et l’étude fine du matériel ont permis d’envisager que le remplissage de cet aménagement serait un mélange de ceux qui l’entourent, 6b et 7 (Didier Binder, communication personnelle). L’assemblage de la structure 6b comprend à la fois des caractères préchasséens (industrie lithique), VBQ 2 (décor des céramiques : impressions au poinçon et incisions en filo spinato) et chasséens (morphologie des céramiques : formes carénées et assiettes). Ce Protochasséen/VBQ 2 voit l’introduction de silex bédoulien sous forme d’éclats épais, débités par percussion pour fournir de petites pièces bifaciales transformées en flèches foliacées ou pédonculées. Deux brunissoirs sur galet très usés témoignent de l’intense production céramique (Binder et al., 1994).

La phase C (4350-4050 BCE) est représentée par la structure 7 (Chasséen ancien) et la structure 3

(Chasséen ancien évolué). Ces aménagements de dimensions importantes ont été interprétés

comme des puits d’extraction d’argile. Cette argile a servi comme matériau de construction et à une intense production céramique, où les formes fines sont inhabituellement bien représentées (Binder

et al., 1994) : assiettes à rebord, coupes à socle ajouré, écuelles carénées, fusaïoles et céramiques

percées. Les surfaces sont abondamment couvertes de décors fins complexes, gravés sur pâte verte : triangles, losanges, chevrons, quadrillages, tous rehaussés de matière blanche. Dans l’ensemble, le mobilier céramique présente un fort investissement technique et traduit une véritable spécialisation artisanale ; une partie est vraisemblablement dédiée à la diffusion. L’industrie lithique de la phase C est représentée par des lames prismatiques en silex bédoulien. Ces lames bien standardisées ont été obtenues par percussion indirecte, sur les sites à proximité des gîtes de matières premières. Importées sous forme de produits semi-finis, elles ont été transformées à Giribaldi en grattoirs et en racloirs, pour le traitement des peaux ou comme faucilles. Les nombreuses retouches témoignent de leurs réutilisations successives (Binder, 2004a). Le mobilier issu de la structure 3 se démarque par l’abondance de lamelles brutes en quartz. Dans un premier temps, les assemblages 3 et 7 étaient considérés comme relativement contemporains. Une reprise récente des datations permet d’envisager que le premier est postérieur au second (Didier Binder, communication personnelle).

Nice – Giribaldi est un habitat de plein air qui témoigne (i) d’une spécialisation techno-économique – ce trait est particulièrement perceptible dans le domaine céramique – et (ii) d’une segmentation dans l’espace des chaînes opératoires et des savoir-faire. Le site est bien inséré dans un réseau d’échanges structuré et multidirectionnel (figure 30) :

• depuis la Provence occidentale, le silex bédoulien est importé selon des modalités qui se complexifient au cours du temps. Il a pu transiter par la mer ou par la vallée de l’Argens ; • un deuxième réseau d’échange parcourant les Alpes (Mercantour/Argentera, Hautes-Alpes,

Alpes ligures) a pu fournir de nombreux matériaux (quartz hyalin et filonien, roches vertes, brai de bouleau). Cette interaction peut être rapprochée d’une part, des influences stylistiques perçues dans la céramique (VBQ de la plaine de Pô) et, d’autre part, de l’exploitation des petits ruminants qui suggère des remues saisonnières en altitude ;

• enfin, un troisième axe, nécessairement maritime, assurait l’approvisionnement depuis Lipari35 en obsidienne et en pierre ponce. Les côtes ligures, sur lesquelles se trouvent des gîtes

de roches vertes, ont pu constituer une étape sur cet axe d’échange.