• Aucun résultat trouvé

I.2. Les matières colorantes au Néolithique – état de l’art

I.2.1. Aspects archéologiques des matières colorantes néolithiques

I.2.1.1. Aires d’exploitation des géomatières

Les formations géologiques susceptibles de fournir des matières colorantes sont diverses (cf. titre 4.2. du deuxième chapitre). Les blocs de matière première peuvent être récoltés directement sur les gîtes d’origine et à proximité (position primaire et subprimaire) ou bien dans les produits d’érosion et les alluvions (position secondaire). L’identification des gisements relevant du second cas nécessite, de toute évidence, de connaître au préalable les premiers, qui les ont alimentés. Par ailleurs, à l’inverse des

22. Le Middle Stone Age (MSA) est le pendant africain du Paléolithique moyen européen. Il s’étend de 200 000 à 30 000 BP et est attribué à Homo sapiens sapiens, l’Europe étant occupée dans le même temps par Homo sapiens neandertalensis.

géomatières employées pour la confection des éléments de macro-outillage et d’outillage poli (Ricq- de-Bouard, 1996), la cohésion* moindre et la composition parfois argileuse des matières colorantes limite la possibilité de les retrouver en gisement alluvionnaire. Seront donc traités en priorité ici des contextes qui ont pu livrer des traces explicites d’une exploitation de matières colorantes : aires de collecte intensive et installations minières23.

Une « mine de manganèse » est mentionnée à Chowa, en Afrique du Sud. Elle a livré divers outils (choppers, burins, outils perforés, matériel de broyage, mais aussi une hache polie) dont certains « en manganèse ». Pour évaluer son ancienneté, les auteurs se basent sur les similarités entre ceux-ci et d’autres outils en manganèse trouvés sur un site « voisin de trois miles24 », qui a aussi livré une

industrie en quartz attribuée au Paléolithique récent (Dart  et Beaumont, 1967). L’hétérogénéité

23. D’après le Dictionnaire de l’Académie française (9e édition), une mine est un « gîte de substances minérales ou fossiles, précieuses

ou stratégiques, sous terre ou parfois en surface, que l’on peut mettre en exploitation » ; dans le cas de substances de moindre valeur (sables, pierre de taille), on emploie le terme « carrière ». Par extension, le terme désigne les installations permettant l’extraction de ces substances. Dans cette acception, une mine ou carrière peut être à ciel ouvert, en puits ou en galerie.

24. Environ 4 800 m.

Figure 10. Répartition des sites régionaux pour lesquels des vestiges de matières colorantes sont mentionnés (carte J.-V. Pradeau).

de l’assemblage de la « mine » appelle à la prudence. Une « mine d’ocre rouge paléoindienne25 » a

été évoquée en Amérique du Nord pour le gisement de Powars II (Wyoming), mis au jour par des travaux de mise en place d’une ligne de chemin de fer. Hélas, il n’a fait l’objet que de ramassages en 1935 puis d’un test de 2 m2 en 1986 qui a révélé une forte perturbation des niveaux (Stafford et al.,

2003). Des fragments osseux sont interprétés comme des outils d’extraction, mais la relation entre le matériel archéologique et les niveaux riches en oxydes de fer reste sujet à caution.

Plus récemment, une véritable mine d’oxydes de fer datée de la transition Pléistocène/Holocène (10 000-8500 BCE) a été mise au jour à San Ramón, au nord du Chili (Salazar et al., 2011 ; Salazar

et  al., 2013). Les plus anciens niveaux ont livré de nombreux éléments d’outillage d’extraction

(« hammerstones ») qui permettaient d’exploiter un filon contenant des oxydes de fer, dont de la magnétite, mais aussi des oxydes de manganèse (Hélène Salomon, Yvan Coquinot, communication personnelle).

En Méditerranée occidentale, la Grotta della Monaca (Calabre, Italie) a livré un cas bien documenté de mine de matières colorantes. Cette figure karstique*, riche en minéralisations de fer26 et dans une

moindre mesure de cuivre27, se développe toutes galeries incluses sur 355 m, aux dépens de calcaires

dolomitiques triasiques. Elle est divisée à partir de l’entrée en trois grandes parties (Larocca, 2005) : • la Pregrotta (galerie d’entrée de 50 m) où sont principalement retrouvés des témoins d’activités

domestiques ;

• la Sala dei pipistrelli (vaste « salle des chauvessouris » triangulaire, longue de 60 m pour 30 m de largueur) dont les extrémités sont riches en minerai de fer et de cuivre ;

• les Cunicoli terminali (cinq couloirs terminaux dont le plus long atteint 80 m) intensément exploités pour les oxy(hydroxy)des de fer.

La cavité a été occupée et exploitée dès 17 000 BCE à l’aide de petites fosses creusée dans la Pregrotta (Larocca,  2012). D’après les nombreux tessons décorés de peinture rouge retrouvés dans cette partie, la fréquentation s’intensifie au cours de la deuxième moitié du VIe millénaire BCE, mais les

ressources minérales ne semblent pas faire l’objet d’une exploitation durant cette première occupation néolithique. En revanche, des datations obtenues sur charbon au fond des Cunicoli terminali (4800- 4540 BCE) coïncident avec les céramiques rattachées au complexe Serra d’Alto (première moitié du Ve millénaire BCE) retrouvées à l’entrée (Larocca, 2012). Du Chalcolithique ancien au Bronze

moyen (début du IIIe au milieu du IIe millénaire BCE), l’exploitation des oxy(hydroxy)des de fer

se poursuit ; elle se voit complétée par celle des minerais de cuivre et plusieurs épisodes funéraires entre la Sala dei pipistrelli et les Cunicoli terminali (Arena et al., 2013). Ces espaces ne reçoivent pas suffisamment de lumière du jour, et ont nécessité l’emploi de torches en bois résineux (qui ont fourni les charbons permettant de dater les différentes phases d’exploitation : Larocca, 2012 ; Quarta et al., 2012).

25. Le calage chronologique des assemblages paléo-indiens est à l’heure actuelle fortement limité par le manque de confrontations stratigraphiques entre les différents contextes et l’absence de critères comparatifs dans les industries lithiques, due à une faible évolution des chaînes opératoires de débitage au cours du temps (Nicolas Naudinot, communication personnelle).

26. Principalement des oxy(hydroxy)des comme la goethite et la lépidocrocite, mais aussi un arséniate de fer et de calcium très rare : la yukonite Ca2Fe3(AsO4)4(OH)·H2O (Garavelli et al., 2009).

27. Sous forme de carbonates comme la malachite et l’azurite, de sulfate (brochantite Cu4(SO4)(OH)6), de phosphates (libéthénite Cu2(PO4)(OH) et sampléite NaCaCu5(PO4)4Cl·5H2O).

Les niveaux du Chalcolithique et de l’Âge du Bronze ont livré de nombreux outils en roches métamorphiques employés pour l’extraction : des « marteaux-haches », des « maillets » et des « pics » (Larocca, 2010a ; Larocca et Breglia, 2012). Pour le Néolithique, un seul pic en corne de chèvre28,

daté de 3640-3360 BCE a été mis au jour dans le plus long des Cunicoli terminali (Larocca, 2012). Le filon de goethite meuble et plastique de la Sala dei pipistrelli a cependant permis la préservation exceptionnelle de centaines de traces d’outils. Nommé à cet effet buca delle impronte (« trou des empreintes ») et daté de 3800-3600 BCE, il a permis d’évaluer la diversité des outils et des gestes employés : impacts profonds et fins de pics en bois de cervidé ou à section ovale de corne de chèvre, empreintes larges de raclage à l’aide de scapula de grand mammifère (Larocca, 2010b).

La Grotta del Tesauro, à deux kilomètres de la Grotta della Monaca, a révélé une aire d’exploitation similaire (minéralisations de fer et de cuivre en karst, outils d’extraction tels que des « marteaux- haches »). Des fouilles sont en cours pour en préciser le contexte archéologique (Garavelli et al., 2012a ; 2012b ; Larocca et Breglia, 2012).

Le Sud-Est de la France n’a pas livré de site néolithique spécialisé dans l’exploitation de matières colorantes. Cependant, la station chasséenne d’Escanin 2 (Baux-de-Provence, Bouches-du-Rhône), prend place au pied de gisements de bauxite (roche riche en oxy(hydroxydes) d’aluminium et en oxy(hydroxydes) de fer, cf. titre  4.2.4. du deuxième chapitre). Ayant identifié de la bauxite en dégraissant dans les pâtes céramiques, Cédric Lepère pose l’hypothèse « d’une exploitation de ce matériau en tant que tel ou dans le cadre d’un système technique en impliquant l’utilisation » (Lepère, 2009, p. 226).