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III.5. Détermination des modes de mise en œuvre des blocs

III.6.3. Reconstruction du système économique

La sélection de telle ou telle matière, opérée par les occupants et les artisans d’un site pour leurs besoins, régit l’approvisionnement en matières premières ; cette sélection relève d’intérêts techniques, sociaux et culturels. L’évaluation de ces motivations nécessite de définir le système économique, soit, en premier lieu, trouver l’origine des matières premières et, en second lieu, définir dans quelles conditions elles ont transité jusqu’au site (qui transporte, sous quelle forme, en quelle quantité).

III.6.3.1. Identifier la provenance des matières premières…

La recontextualisation environnementale de chacune des gammes de matières premières identifiées dans les corpus archéologiques passe par deux étapes.

La détermination du type de roche (grès, bauxite, etc.) à partir de l’examen visuel des blocs archéologiques, contribue à faire un premier resserrage autour d’un contexte géologique précis (formations gréseuses permiennes ou bien carbonatées du Mésozoïque par exemple).

L’étude pétrochimique approfondie (structure, qualité et quantité relative des minéraux, etc.), confrontée à la lithothèque-référentielle préétablie, permet d’associer à chaque matière première un faciès de géomatière.

L’identification des aires potentielles d’approvisionnement consiste à croiser les contextes géologiques susceptibles de fournir tel ou tel faciès au cadre spatio-économique du site archéologique. En effet, certains gîtes de matière colorante a priori éloignés peuvent s’avérer proches d’une ressource (silex ou autre matière colorante par exemple) dont l’exploitation est attestée, ou encore d’un itinéraire avec lequel les habitants ont des connections (transhumance, circulation de biens ou de personnes).

20. L’optimisation de la structure de MP-ALP et du mode d’enregistrement est essentiellement l’œuvre d’Antonin Tomasso. La partie dédiée aux matières colorantes a été dévolue à nos propres travaux.

III.6.3.1.1. Terminologie de zonation territoriale et économique

Dans un effort de lisibilité, nous calquerons notre terminologie sur celle qui est traditionnellement employée pour d’autres gammes de matériel archéologique, en particulier les ressources siliceuses. La partition économique du territoire employée en archéologie préhistorique se fonde en grande partie sur les modèles ethnographiques. Les enquêtes ont permis de définir plusieurs rayons et aires significatifs à partir du site ou camp principal (Higgs et Vita-Finzi, 1972) : (i) le foraging radius est la limite maximale pour laquelle on peut faire l’aller-retour dans la journée ; (ii) le logistical

radius correspond à un déplacement de plusieurs jours avec haltes dans des camps secondaires ; (iii) le camp range ou site territory, est délimité par le foraging radius ; (iv) l’extended range est le domaine connu et surveillé depuis le site ; (v) le home range est le domaine dans lequel le groupe se déplace annuellement pour ses activités de subsistance et (vi) le visiting range, l’espace occupé dans un même temps par des groupes liés d’une manière ou d’une autre.

Ces modèles ont été adaptés par les archéologues pour correspondre aux différentes réalités chronoculturelles. Pour l’étude de l’économie des matières siliceuses au Moustérien, trois aires de provenance dont le rayon est fonction du temps nécessaire pour aller du site au gîte, imbriquées les unes dans les autres, sont définies par Jean-Michel Geneste (Geneste, 1988 ; 1991). Jusqu’à une heure de marche, soit 5 km autour du site fréquenté, les matières sont considérées comme

proches ou locales – cette aire est qualifié de « zone domestiques étendue » (espace local). L’espace

intermédiaire s’étend au-delà de 5 km et jusqu’à 20 km autour du site, ce qui correspond à environ quatre heures de marche pour atteindre le gîte – cette expédition peut théoriquement se faire en une journée. Les gîtes situés à plus de 20 km du site nécessitent au moins une halte et sont qualifiés d’éloignés (espace lointain). Ce modèle a été extrapolé au Paléolithique dans son ensemble, voire à la Préhistoire récente, avec des nuances : certains auteurs distinguent en-deçà et au-delà du seuil de 50 ou 80 km, les matières « régionales » et « exotiques » (par exemple : Bostyn, 1997 ; Denis, 2014). Pour le Néolithique provençal, quatre aires imbriquées sont définies par Didier Binder pour les matières siliceuses (Binder, 1998b, p. 116). L’espace local, ou aire d’acquisition, est identique (5 km). Le second seuil, qui borne l’espace intermédiaire ou aire de diffusion voisine, est fixé à 30 km, ce qui correspond peu ou prou à un parcours de six heures et au Home Range de groupes agro-pastoraux (Higgs, 1972). Entre 30 et 100 km, on se situe dans l’aire de diffusion lointaine et au-delà de 100 km, dans l’aire de diffusion très lointaine.

III.6.3.1.2. Méthodologie de traitement cartographique

La délimitation de périmètres circulaires concentriques, fondés sur des distances « à vol d’oiseau », a pour défaut majeur de ne pas prendre en compte la difficulté de traverser certains obstacles naturels qui peuvent ralentir la progression : cours d’eau, fortes déclivités, accidents du relief, etc. L’arc liguro-provençal est particulièrement concerné par cette analyse, car il offre une diversité marquée de faciès géographiques, où s’opposent reliefs contrastés et bande côtière, bassins cloisonnés et chaînes abruptes de roches sédimentaires, ignées ou de granitoïdes. Les cols, les vallées, la façade maritime et les affluents, qui constituent autant d’axes de pénétration dans l’arrière-pays, facilitent, encore aujourd’hui, les flux matériels et humains.

Cette difficulté peut être contournée en mettant en place un modèle numérique de terrain, ou MNT, qui attribue à chaque unité de terrain qui le compose une valeur (altitude, terrain infranchissable, etc.). Un MNT permet de dresser une carte des contraintes et d’intégrer le temps nécessaire pour traverser chaque type de terrain ainsi que le temps nécessaire pour passer d’un terrain à un autre (en fonction de la différence d’altitude ou pente entre eux). On peut ainsi produire, pour chaque point composant le MNT, une carte distance-coût qui modélise le temps nécessaire pour atteindre un autre point (Eastman, 2001).

La carte distance-coût n’est pas dénuée d’imperfections, car les aires délimitées se fondent sur des déplacements en ligne droite (ou par un contournement au plus près des terrains infranchissables), en supposant que chaque limite entre deux aires correspond à l’emplacement précis des camps secondaires, où les haltes ont lieu. Il est pourtant raisonnable d’envisager, pour un groupe effectuant un déplacement de plusieurs jours vers un gîte, d’une part, une déviation du trajet direct pour diverses motivations (pour récolter une autre matière première, pour éviter ou pour entrer en contact avec un autre groupe par exemple) et, d’autre part, un investissement de temps dans des activités parallèles (chasse, remue de bétail). Dans la mesure où l’emplacement des camps secondaires est difficile à appréhender en archéologie et où l’on ne connaît pas les modalités précises de déplacement et d’interaction, il faut considérer que la carte distance-coût ne présente que les bornes temporelles minimales des parcours.

Dans le cadre de notre travail, une carte distance-coût a été dressée pour chaque site et les sources des différentes matières premières exploitées ont été ajoutées pour comparer leur éloignement respectif. La carte distance-coût proposée s’appuie sur le MNT développé par Antonin Tomasso dans ses travaux de thèse (Tomasso, 2014, p. 66). Élaboré et traité à l’aide du logiciel ArcGis 10.1, le modèle numérique de terrain est constitué d’unités de terrain – et donc d’une précision – de 200 m de côté, soit 40 km2. Une valeur de pente exprimée en degrés a été attribuée à chacune de ces unités. Les unités

dotées d’une pente supérieure à 40 ° et les plans d’eau sont considérés comme inaccessibles et exclus de l’espace parcourable. Cette carte des pentes permet d’établir une carte des contraintes qui donne, pour chaque unité de terrain, le coût pour la traverser ; ce coût, exprimé en kilomètres, représente la distance théoriquement parcourue sur un terrain de pente nulle, pour un effort équivalent (Eastman, 1999 d’après Tomasso, 2014, p. 66). Il est ensuite possible d’éditer, pour chaque point du MNT, une carte distance-coût qui donne, pour chaque autre point, le coût cumulé depuis le point de départ, exprimé en kilomètres ; le contournement des unités inaccessibles est compris dans ce cumul (Tomasso, 2014, p. 66). Dès lors, il est possible, en spécifiant une vitesse de déplacement, d’éditer les aires couvertes en une durée définie à partir du point de départ.

La vitesse de déplacement retenue dans ce travail est une vitesse de marche moyenne de 5 km.h-1. La

distance parcourue est exprimée en journées de marche, en considérant qu’une journée correspond à 7 heures de marche (Tomasso, 2014, P. 66).

Pour chaque site, les différentes entités représentées sur les cartes correspondent :

• Au site territory, autrement dit l’espace local ou l’aire d’acquisition directe, délimité par le foraging radius, soit une distance correspondant à une demi-journée de marche, pour permettre l’aller-retour dans la journée ;

• Aux rayons correspondant à une, deux, trois, quatre puis cinq journées de marche à partir du site.

Ces distances ne prennent pas en compte d’éventuels arrêts ou détours et impliquent un temps de retour équivalent si le parcours est effectué par les habitants du site. En réalité, la diffusion des matières premières peut impliquer plusieurs acteurs, dont certains extérieurs au site, selon des modalités diversifiées…