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I.2. Les matières colorantes au Néolithique – état de l’art

I.2.1. Aspects archéologiques des matières colorantes néolithiques

I.2.1.4. Résidus sur outils imputables à l’utilisation des matières colorantes

Les résidus colorés sur outils ne proviennent pas uniquement de la production de poudre colorante. Les matières colorantes, aux premières desquelles l’hématite, ont pu être mobilisées au côté de ces outils au sein d’activités diverses, en tant qu’agent colorant, abrasif ou asséchant, pour le travail de matières minérales ou animales.

Le façonnage d’objets en pierre polie (haches et herminettes, bracelets et autres éléments de parure) implique des étapes d’abrasion et de polissage sur grès. À la fin du Néolithique et à l’Âge du Bronze égéen, ces étapes sont facilitées par l’adjonction d’une pâte faite à partir de fragments d’émeri31 et

d’eau (Boleti, 2009 ; Procopiou et al., 2011). À notre connaissance, ce procédé technique n’est pas clairement attesté en Europe occidentale au Néolithique ancien et moyen, mais son utilisation est plausible (Hamon, 2006).

La possibilité de faire intervenir les matières colorantes dans la chaîne opératoire de la peausserie a déjà été évoquée ci-dessus (cf. titre 1.3.3.4. de ce chapitre). Cette association est susceptible de colorer les outils utilisés dans le traitement des peaux (figure 6 chaine op traitement des peaux FAIT) :

• polissoirs en grès pour l’écharnage et assouplir tout au long de la chaîne, en particulier le palissonnage32 ;

• grattoirs et racloirs en silex, poinçons et aiguilles en matière dure animale tout au long de l’utilisation de la peau transformée (abrasion, perforation, couture, etc.).

En plus des résidus rouges déposés sur les parties fonctionnelles, l’utilisation conjointe des outils et d’hématite entraîne la formation de stigmates particuliers sur les premiers. L’expérimentation permet de décrire ces indices qui confirment l’emploi des oxydes de fer dans le cas où ceux-ci auraient disparu33. Ainsi, les blocs de grès utilisés au cours des étapes d’assouplissement (dont le palissonnage)

ont des surfaces polies très développées caractéristiques. L’adjonction d’hématite est bien identifiée par l’apparition de grandes stries sur ces surfaces de travail (Hamon, 2006, p. 99-102).

De même, le traitement d’une peau à la bauxite n’est pas anodin sur les lames employées lors de la découpe. Cela crée des stries supplémentaires, accentue l’émoussé des bords et l’écaillage (enlèvements trapézoïdaux) des outils. Sur une peau recouverte d’ocre34, les traces sont encore plus flagrantes et

l’usure des tranchants est rapide (Gassin, 1993).

Les exemples archéologiques sont bien représentés au Paléolithique, comme à Saint-Thibaud-de- Couz – Grottes Jean Pierre 1 et 2 (Magdalénien et Azilien : Philibert, 1995) et Poilhes – Régismont- le-Haut (Aurignacien  : Bon  et Mensan, 2010  ; Salomon,  2010  ; Bon  et Mensan, 2011, 2012  ; Pradeau et  al., 2014). Des résidus colorés sont également observés sur des lames ayant servi au

31. Roche composée de corindon, de magnétite et d’hématite.

32. Le palissonnage est l’étape d’assouplissement de la peau tannée (Gassin, 1993 ; Hamon, 2006).

33. Les oxy(hydroxy)des de fer sont chimiquement stables et peu sensibles aux phénomènes tels que la dissolution. En revanche, les actions mécaniques comme le ruissellement peuvent avoir une influence sur les blocs comme sur les résidus, en particulier lorsqu’ils présentent une composante argileuse (kaolinite) importante. Le traitement post-fouille parfois rude (lavage à la brosse) a pu contribuer à la disparition des résidus sur outils.

traitement des peaux en contexte PPN35 au ProcheOrient (Ibáñez et al., 2007). Mais l’utilisation

conjointe de matières colorantes et d’outils lithiques servant dans la chaîne opératoire du traitement des peaux n’a pas été mise en évidence dans le Néolithique de l’arc liguro-provençal.

Ce constat amène à deux hypothèses. Soit les activités de peausserie ignorent l’utilisation des oxy(hydroxy)des de fer dans ce contexte spatio-culturel, soit la lacune en outils lithiques est réelle, ce qui suppose que d’autres ustensiles intervenaient dans les phases de préparation des peaux. Les gammes d’outils en matières issues du règne animal (os, corne, malacofaune) apportent plusieurs éléments de réponse.

La grande diversité de morphologies et de dimensions des supports de départ de l’industrie osseuse et les différents modes de mise en forme (percussion, rainurage, sciage, raclage, abrasion, polissage) permettent la production d’outils variés, répondant à de nombreux besoins techniques. Le travail des peaux est bien représenté : aiguilles, poinçons, racloirs sur outils-mousse36.

On remarque la présence d’une pointe colorée de rouge (probablement utilisée comme aiguille) en contexte cardial (Châteauneuf-les-Martigues – Font-des-Pigeons : Sénépart, 1991, p. 111). D’autre part, Ingrid Sénépart observe fréquemment des « microtraces » rouges sur plusieurs pointes en os du Chasséen provençal, sans préciser les sites concernés (Sénépart, 1991, p. 191).

Les couches chasséennes de Salernes – Fontbrégoua ont aussi livré des outils sur côte de petits ruminants interprétés comme des estèques37, mais les résidus rouges observés évoquent les

« navettes » paléolithiques, outils-mousse en os utilisés pour l’écharnage ou l’assouplissement des peaux (Sénépart, 1991, p. 166).

Ces éléments confirment que dans le Néolithique provençal, les matières colorantes riches en hématite étaient exploitées, au moins ponctuellement, dans la chaîne opératoire de peausserie.

Le Néolithique provençal livre en effet un exemple original d’outils sur coquilles de moules (Vigié et Courtin, 1986). Mises au jour sur de nombreux sites chasséens ou campaniformes (Montpezat – Grotte Murée, Esparron-de-Verdon – Vauclare, Baudinard – Grotte de l’Église et Grotte de l’Église supérieure, Salernes – Fontbrégoua, La-Roque-sur-Pernes – Fraischamp), ces coquilles présentent deux principaux aspects de traces :

• des bords émoussés à fines stries, parfois avec des résidus rouges ou oranges ; • des bords usés voire abrasés avec des stries perpendiculaires, sans résidus colorés.

Ce type de vestige est aussi connu en contexte mésolithique et néolithique sur la côte cantabrique (Cuenca Solana et al., 2010 ; 2011 ; 2013). D’après les expérimentations, ces outils sur coquille ont pu servir à travailler des peaux, des végétaux, des matériaux céramiques ou, dans un cas qui nous intéresse directement, les matières colorantes. Vigié et Courtin avaient proposé un emploi conjoint des coquilles et des matières colorantes pour l’écharnage des peaux fraîches (Vigié et Courtin, 1986), mais cette utilisation combinée n’est pas forcément avérée (Cuenca Solana et al., 2013, p. 103). Il

35. Ou Pre-Pottery Neolithic, cf. glossaire.

36. Un « outil-mousse » est un outil dont l’extrémité distale n’est ni aigüe, ni tranchante ; il est élaboré à partir d’un os plat (omoplate, mandibule, etc.) ou sur une côte de grand ruminant (Sénépart, 1991, p. 67-68) ; cf. glossaire.

semble plutôt que les coquilles portant des résidus aient servi à la réduction de blocs de matière colorante en poudre par raclage – Vigié et Courtin n’avaient pas écarté cette hypothèse.