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II.3. Sites archéologiques considérés

II.3.2. Castellar – Pendimoun, site impresso-cardial et VBQ en abri sous-roche

Castellar – Pendimoun est un site en abri sous roche présentant une séquence stratigraphique relativement complète de l’Holocène. Sa position géographique, entre Finale – Arene Candide à l’est et Salernes – Fontbrégoua à l’ouest, et l’abondant matériel néolithique qu’il a livré en font un jalon de premier plan dans la Néolithisation de la partie nord-occidentale du bassin méditerranéen. Les informations présentées ici sont issues des références bibliographiques suivantes : Binder et al., 1993 ; Binder, 1997 ; 1998a ; 1999 ; 2000 ; 2003 ; 2006 ; Binder et al., 2008b ; Binder et Sénépart, 2010 ; Binder et Lepère, 2014.

II.3.2.1. Contexte, historique et méthodologie de fouille

L’abri de Pendimoun est très ouvert sur l’extérieur car peu profond et son toit* s’élève selon un angle aigu par rapport à la verticale. Il s’ouvre sur la façade ouest du massif de l’Orméa, à 691 m d’altitude. Le relief très accusé crée des paysages cloisonnés et abrupts, articulés autour de chaînons d’extension nord-sud ou nord-ouest/sud-est (mont Agel, cime de Baudon, mont Ours, pointe de la Penna, roc

Figure 25. Répartition des sites pressentis (carte J.-V. Pradeau).

de l’Orméa). Distant de moins d’1 km de la frontière franco-italienne et d’environ 4 km du bord de mer19, l’abri exposé à l’ouest domine le vallon de l’Orméa, le vallon Obscur et la vallée du Careï – un

petit affluent qui constitue un axe de pénétration vers le nord (figure 26). Le substrat géologique est à dominante carbonatée, avec des calcaires blancs massifs du Jurassique supérieur qui constituent le toit de l’abri. Son plancher repose sur des bancs marno-calcaires et marnes jaunes à passées glauconieuses du Crétacé inférieur. Des dolomies cargneulisées20 du Trias affleurent sur la corniche qui surplombe

le site. L’environnement géologique est particulièrement riche en matériaux propices à la fabrication de céramiques : argiles de bonne qualité plastique et dégraissants fréquemment employés tout au long du Néolithique dans la région (glauconie, calcite spathique).

Le gisement de Pendimoun a d’abord été fouillé en 1955 et 1956 par Louis Barral et l’équipe du Musée d’anthropologie préhistorique de Monaco qui ont réalisé une tranchée de 15x1 m perpendiculaire à l’entrée de l’abri, et fouillé une surface quadrangulaire de 25 m2 environ, sur une épaisseur de 2 à

3 m. L’abondant mobilier du Néolithique ancien mis au jour par cette opération a été attribué au « Cardial » et la séquence stratigraphique a été subdivisée en quatre niveaux archéologiques, allant du Néolithique au Gallo-romain et notés de A à D (Barral, 1958). Ces relatives imprécisions ont motivé la reprise des fouilles pour (i) comprendre la fonction au cours des différentes occupations et (ii) redéfinir sa chronologie et l’insérer dans une perspective régionale (comparaison entre sites de plein air, sous abri et en grotte). Deux programmes d’étude (figure 27), de 1985 à 1992 – concernant l’ensemble de l’occupation – puis de 1997 à 2006 – focalisé sur les dépôts de l’Impresso-cardial, ont eu lieu sous la direction de Didier Binder (Binder et al., 1993 ; Binder, 1997, 1998a, 1999, 2000, 2003, 2006).

19. L’abri Pendimoun bénéficie d’un large panorama sur la baie de Roquebrune mais aussi sur la vallée qu’il surplombe. Cet aspect n’est peut-être pas étranger au choix des Néolithiques.

20. C’est-à-dire transformées en cargneule*.

Au cours des campagnes récentes, un effort considérable a été fait pour décrire les différentes phases d’occupation, documenter les productions matérielles, comprendre les processus de formation et d’évolution du site et l’appréhender dans son contexte paléo- environnemental. Pour cela, une méthodologie de fouille axée sur l’enregistrement systématique des artefacts et écofacts a été privilégiée21.

Chaque témoin a été soigneusement côté en trois dimensions et enregistré dans un SIG comprenant les structures mises au jour22.

L’ensemble des sédiments a été tamisé à l’eau (jusqu-à la maille de 0,05  mm) et les différentes fractions triées à l’œil ou sous loupe binoculaire. Une attention particulière a été portée à la sélection de matériaux à vie

brève (graines, charbons de rameaux terminaux ou d’arbustes) bien contextualisés (scellés entre les pierres brûlées constituant les foyers) pour affiner au mieux la sériation chronologique (Binder et al., 1993 ; Binder, 2006).

II.3.2.2. Stratigraphie générale

La séquence stratigraphique de Pendimoun s’échelonne de l’Épipaléolithique récent à l’Antiquité tardive23 (tableau 7). Certaines phases chrono-culturelles n’ont cependant pas été observées. Ainsi,

en ce qui concerne la Préhistoire récente, aucune occupation n’a été décelée au Castelnovien, au

21. Il était en particulier nécessaire d’accumuler une documentation de qualité en carporestes pour tracer l’apparition de l’agriculture au sein du gisement.

22. À partir de 1997, chaque couche, US, structure, témoin et prélèvement a reçu un identifiant unique pour faciliter la mise en place d’une base de données.

23. Les traces d’occupation attribuées à l’Âge du Bronze proviennent des fouilles Barral.

N Secteur nord Secteur sud Tranchée L. Barral Fouilles L. Barral 1955-56 A B C D E F G H I J K L M N O P Q R S T 26 25 24 23 22 21 20 19 18 17 16 15 14 13 12 11 10 9 8 7 6

Limite du talus externe Tête des coupes anciennes Pied des coupes anciennes

Zones fouillées entre 1985 et 1992 Délinéation de la paroi au niveau de référence 0

Zones fouillées entre 1997 et 2006

Figure 27. Plan du site, déroulement et emprise des différentes étapes de fouille de Pendimoun (d’après, Binder et al., 2006).

Néolithique récent, ni au début du Néolithique final. Les autres périodes sont représentées de manière inégale.

La périodisation de la séquence s’appuie sur des données radiochronologiques précises et des productions matérielles bien discriminantes. Les premières ont été obtenues en privilégiant la combinaison de datations par AMS (Accelerator mass spectrometry) de matériaux à vie brève bien associés aux structures. Quant à la sériation typologique, elle a été facilitée par l’abondance des productions céramiques24 et aussi par les industries lithiques, bien que ces dernières soient plus

frustes (Binder et Sénépart, 2010).

Du sommet à la base du remplissage, la séquence stratigraphique de l’abri Pendimoun se décline en quatre grands ensembles. L’ensemble  I, qui clôt la séquence, est un éboulis dont une partie envahit l’intérieur de l’abri au nord-est. Il livre successivement du matériel moderne, antique (période augustéenne), du Bronze récent puis du Campaniforme – vases d’accompagnement de style international (décor au peigne) et rhodano-provençal (décor incisé-estampé) – et du Remedello (Binder et al., 1993 ; Binder, 2006).

L’ensemble  II est une séquence homogène de limons jaunes «  plus ou moins riches en blocs et cailloux » avec, dans le secteur nord, « une alternance de limons à rares ou très rares petits cailloux et d’épandages blancs plus ou moins indurés25 » (Binder et al., 1993, p. 184). Cet ensemble comprend

les occupations du début du IVe, du Ve et de la fin du VIe millénaires BCE. Dans la première partie, le

matériel archéologique s’apparente bien au Néolithique moyen et supérieur, avec des « influences du Chasséen méridional et de la culture des Vases à Bouche Carrée » (Binder, 1997). On remarque qu’une partie de l’espace est strictement dévolue au parcage (grotte bergerie) de petits ruminants, notamment des juvéniles d’après la présence de nombreuses dents de chute et la forte contribution du fumier à

24. Les niveaux attribués au Néolithique ancien ont livré « plus de 5 000 tessons distribués sur moins de 50 m2, avec un fort potentiel

de remontage » (Binder et Sénépart, 2010).

25. Ces épandages blancs sont des restes de brulis d’excréments de petits ruminants.

Période Époque chronoculturelle Phase Chronologie

Moderne - - -

Antiquité tardive - - 200-600 AD

Âge du Bronze - - 1200-800 BCE

Chalcolithique campaniforme Remedello puis rhodano-provençal - 2350-2000 BCE

- - - -

Néolithique moyen

Chasséen récent - 4350-4100 BCE Chasséen ancien -

- - -

VBQ Pendimoun 4 5200-4850 BCE

Transition Néo ancien/moyen Transition Cardial/VBQ

Néolithique ancien

Cardial évolué Pendimoun 3 5350-5200 BCE Cardial ancien Pendimoun 2 5500-5350 BCE Impressa Pendimoun 1 5750-5500 BCE

Épipaléolithique - Sauveterrien _ _ 8800-8400 BCE

la sédimentation (Helmer, 1984 ; Helmer et al., 2005). Cette spécialisation économique de l’abri, accompagnée d’une anthropisation croissante de l’environnement (les données environnementales témoignent d’une ouverture du milieu : Thiébault, 2001) est conforme à ce que l’on observe à cette période dans l’ensemble de l’arc liguro-provençal (cf. titre 2.2. de ce chapitre). Cet ensemble a aussi livré, dans sa partie inférieure, des dépôts du Cardial évolué et de la transition Cardial/VBQ (Binder, 2003, p. 18) – exposés ci-après (cf. titre suivant).

La séquence du Néolithique ancien est représentée par l’ensemble III. Les niveaux de limons gris intercalés de blocs et de cailloux ont révélé un riche matériel de l’Impressa et du Cardial ancien (Binder et Sénépart, 2010) – décrit en détail infra (cf. titre suivant).

Les plus anciennes traces d’occupations de l’abri, repérées dans les dépôts de cailloutis de l’ensemble IV, sont à rattacher à l’Épipaléolithique. Datés des environs de 9000 B.P., ces couches ont livré de grandes quantités de silex taillés très sommairement. Certains caractères de ce matériel ont permis d’identifier une phase avancée du Sauveterrien (Binder et al., 1993, p. 200). Le spectre faunique est dominé par les restes de suinés et de mollusques marins.

II.3.2.3. Statut du site de l’Impressa aux VBQ

L’étude des aménagements anthropiques et des productions matérielles, en particulier céramiques, a permis de dresser un portrait précis du statut de Pendimoun, des premières installations Impressa au début du VIe millénaire BCE à la phase initiale VBQ au début du Ve millénaire BCE (Binder et al.,

2008 ; Binder et Sénépart, 2010 ; Binder et Lepère, 2014). Celles-ci constituent le cœur de notre travail sur le corpus de ce site et, à ce titre, méritent un développement spécifique (tableau 8).

L’épisode Pendimoun 1 (5750-5500 BCE) correspond à la base Impressa, qui a livré des « épandages extrêmement denses de matériel céramique26  » dans le secteur sud et plusieurs «  structures de

combustion polyphasées » dans le secteur nord (Binder et Sénépart, 2010). La céréaliculture (orge et blé amidonnier) est précoce et le mouton et le bœuf sont les seules espèces domestiques présentes. La consommation de coquillages atteste des affinités que les colons néolithiques entretiennent avec la façade maritime. La chasse (cerf, chat, lièvre) joue un rôle très marginal (Binder, 2006, p. 55). Des glands semblent avoir été collectés vers la fin de cette phase. La céramique est «  en grande

26. Le mobilier céramique est en effet abondant, peu fragmenté et présente un fort potentiel de remontage (Binder et al., 1993).

Attribution culturelle Stratigraphie Période Stratigraphie Attribution culturelle

Campaniforme S1 Néolithique final - -

- -

Néolithique moyen

N1 Chasséen récent VBQ S2 N2f à N3c N2 à N2e Chasséen ancien VBQ initial

Cardial S3

Néolithique ancien

N3d à N3l Cardial

Impressa S4 N4a N4 Cardial initial ? Impressa

Sauveterrien S5 Épipaléolithique N5 Sauveterrien

majorité fabriquée à partir des matériaux affleurant au sein de l’abri » (Binder et Sénépart, 2010) ou à quelques centaines de mètres (eau, argile, glauconie utilisée en dégraissant : Gèze et Nesteroff, 1996) ; elle présente de fortes connexions stylistiques avec les faciès de l’Est et du Sud-Est de la péninsule italienne (Marches, Abruzzes, Pouilles, Calabre) et des Balkans (Binder, 1997 ; Binder et Maggi, 2001).

Au cours de l’épisode Pendimoun 2 (Cardial ancien, 5500-5350 BCE), trois sépultures en fosse avec dispositif de fermeture et de signalisation, témoignent d’une évolution partielle de la fonction de l’abri. Le site n’est cependant pas exempt d’activités plus « triviales » : artisanat de l’os et parcage de petits ruminants. La chèvre fait son apparition dans le spectre de l’élevage. Par ailleurs, les rapports isotopiques mesurés sur les os dans les sépultures ne montrent pas une consommation importante des produits de la mer, malgré la proximité de celle-ci (Binder, 2003, p. 140). Le matériel céramique, ici plutôt rare, évoque le Cardial géométrique tyrrhénien (style Basi-Pienza-Filiestru).

L’épisode Pendimoun 3 (5350-5200 BCE) représente une phase évoluée du Cardial. Du point de vue économique, la chasse (suinés) connaît comme ailleurs un regain d’intérêt (cf. titre 2.1. de ce chapitre). Le matériel lithique provient majoritairement de Haute-Provence (silex bédoulien) et circule sous forme d’outils ou de préformes (Binder et al., 2008b). Le spectre morphologique et le registre décoratif de la céramique s’insèrent bien dans le cadre des productions du Cardial récent provençal (Binder et Sénépart, 2010).

La fin du Cardial n’est pas précisément datée à Pendimoun. L’épisode Pendimoun  4 (5200- 4850 BCE) représente la transition sans heurt du Cardial aux VBQ ainsi que la phase initiale

de cet horizon culturel. La structure de l’élevage se complexifie avec l’apparition du porc et la production des produits secondaires (lait et poils) en surplus. En outre, les ressources lithiques d’origine orientale (jadéites piémontaises, silex du Monte Lessini) sont plus sollicitées, aux dépens des réseaux occidentaux (silex bédoulien). L’assemblage céramique montre un maintien de certaines traditions techniques (décor par impressions pivotantes à la coquille de cardium) associé à des traits nouveaux (bords quadrilobés).

En définitive, Castellar – Pendimoun évolue donc tout au long du VIe millénaire BCE, du statut

d’enclave pionnière à celui de site à forte vocation artisanale et pastorale – avec un épisode funéraire au Cardial ancien. Bien inséré dans son environnement naturel, économique, culturel et social, il montre des signes d’appartenance tantôt au Cardial provençal, tantôt aux groupes culturels nord- italiques.