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II.2. Contexte chrono-culturel de l’arc liguro-provençal

II.2.2. Complexe VBQ et Chasséen méridional – développement du Néolithique

Durant la première moitié du Ve millénaire BCE, l’Épicardial et les VBQ se développent respectivement

dans la vallée du Rhône et dans le nord de l’Italie. Castellar – Pendimoun, Finale – Arene Candide et Pollera montrent une transition simultanée mais progressive : on observe des vases à ouverture quadrilobée dans le Cardial et des éléments des VBQ décorés par impression pivotante de coquille lisse (5200-4850 cal. BCE environ : Binder et Lepère, 2014, p. 22). Un basculement économique vers l’est s’opère au cours de la phase initiale des VBQ : l’essentiel du silex importé en Provence orientale provient désormais de Monte Lessini (Lombardie). Dans le même temps, le Cardial perdure à Salernes – Fontbrégoua (5050-4950 cal. BCE) et vraisemblablement à Saint-Vallier-de-Thiey – Lombard (Binder et Lepère, 2014, p. 23).

Par la suite, Salernes – Fontbrégoua livre un pendant original aux VBQ : le Préchasséen, établi sur des bases céramiques (Luzi et Courtin, 2001) et lithiques (Binder, 1991a). La céramique entretient des liens morphologiques ténus avec la fin du Néolithique ancien (moyens de préhension) et le début du Néolithique moyen du Languedoc (céramiques lisses à col dégagé), tout en se dissociant

Gargasien et Clansayésien (des villages de la Bédoule, Gargas et Clansayes).

13. Les circuits de distribution sont cependant probablement plus complexes en termes d’itinéraires (vallée de l’Argens et/ou bord de mer) et de modalités de diffusion (acquisition indirecte par échange de proche en proche).

de l’un et de l’autre ; le petit assemblage céramique issu de la structure 1 de Nice – Giribaldi (4700- 4550 cal. BCE) peut être rattaché à cet aspect (Binder et al., 2008b ; Binder et Lepère, 2014). Deux phases sont distinguées dans l’industrie lithique de Fontbrégoua : la première se rapporte au Cardial récent mais la seconde est sans équivalent régional (Binder et Lepère, 2014, p. 23). Le matériel de la grotte de Saint-Benoît, révisé dans le cadre du PCR ETICALP, comprend des éléments attribuables à la transition Cardial/VBQ et d’autres aux VBQ ou au Préchasséen ; deux tessons de figuline et un troisième évoquant les productions du Fiorano* témoignent d’un tropisme vers l’est. Enfin, le site de Peillon – abri du Rastel (4700-4550 cal. BCE) a aussi livré un matériel de type VBQ. En l’état des révisions récentes, la Provence orientale semble donc fortement influencée par ce complexe dans la première moitié voire les deux premiers tiers du Ve millénaire BCE.

La situation est plus nette à partir de 4500 BCE, avec l’émergence à Nice – Giribaldi, sur un fond commun de VBQ 2 (céramique), de Préchasséen (céramique et lithique) et d’éléments chasséens (assiettes décorées de méandres), d’un Protochasséen/VBQ2 (4550-4350  BCE), peut-être imputable à « un syncrétisme entre le Préchasséen et les VBQ2 » (Binder et Lepère, 2014, p. 25). Le Chasséen ancien proprement dit succède rapidement à cette phase, par exemple à Giribaldi (4350-4050 cal. BCE), Berriac – Les Plots (4200-3960 cal. BCE) ou Chassey-le-camp – La Redoute (4330-4050 cal. BCE (Binder et Lepère, 2014, p. 26). Giribaldi et d’autres assemblages (Alpicella en Ligurie) ont permis d’affirmer que la culture chasséenne «  prend bien le relai des VBQ qui contribuent fortement à sa formation » (Crepaldi, 2001 ; Binder et al., 2008b ; Binder et Lepère, 2014 ; Lepère, 2012) et que ces deux cultures ne sont pas simplement contemporaines et limitrophes. Le « traitement thermique contrôlé du silex bédoulien15, qui facilite le débitage par pression et en

généralise la pratique » se développe (Binder, 1998b ; Léa, 2005 ; Binder et al., 2008b). Le Chasséen

récent (4000-3600 BCE) voit la généralisation du chauffage des matières siliceuses avant 4000 BCE puis l’émergence du débitage par pression au levier, qui fournit de grandes lames standardisées. Ces différentes innovations lithiques sont mises en œuvre dans des ateliers spécialisés (Léa, 2004a ; Binder et Lepère, 2014, p. 26).

Le Chasséen et ses différents avatars constituent un vaste ensemble culturel qui recouvre le nord-est de la péninsule ibérique, le nord-ouest de la péninsule italienne et le territoire français (à l’exception de la plaine armoricaine et du Bas-Rhin). La grande homogénéité qui prévalait sous la plume de Jean Arnal, inventeur du Chasséen méridional (Arnal, 1947 ; Arnal et Benazet, 1951), a depuis été revue et fragmentée en plusieurs faciès régionaux (Beeching et al., 1991), mais de grandes caractéristiques communes d’ordre écologique, social, et techno-économique se dessinent, pour la Provence et parfois au-delà.

Le Chasséen se distingue par une mutation progressive du paysage : ouverture du milieu, retrait de la chênaie caducifoliée au profit d’espèces sempervirentes de type garrigue, en particulier du pin d’Alep et du chêne sempervirent (Thiébault, 2001 ; Delhon, 2005). Celle-ci est attribuée pour partie aux changements climatiques (aridification) mais aussi et surtout à un plus fort impact anthropique sur le milieu (essartage pour favoriser la mise en culture : Thiébault et al., 2004 ; Leroyer et al., 2008). Certaines occupations témoignent d’une exploitation extensive du milieu, tandis que d’autres

15. Le silex bédoulien est la matière lithique chauffée la plus exploitée et diffusée, mais elle n’est pas exclusive. Une partie de la production en silex oligocène de Forcalquier a aussi fait l’objet de traitement thermique pour en sublimer les propriétés mécaniques (Binder, 1998b).

montrent des sélections en rapport avec la pratique de la feuillée pour les troupeaux (Thiébault, 2001 ; 2004 ; Thiébault et al., 2004). En parallèle a lieu une densification du peuplement, l’implantation de grands sites de plaine dans le Languedoc (Beeching et al., 2000) et peut-être un resserrement du maillage territorial en Provence orientale. Cette emprise accrue sur le territoire s’accompagne d’une accentuation de l’organisation de l’espace, marquée par la spécialisation et la complémentarité des occupations. Ainsi, les grottes et les abris sont quasi exclusivement dévolues au pastoralisme (grottes-bergeries : Helmer, 1984 ; Binder et al., 1993 ; Brochier et al., 1999 ; Beeching et al., 2000 ; Helmer et al., 2005 ; Rowley-Conwy et al., 2013). Des « systèmes de gestion très structurés des ressources animales » favorisent une production excédentaire de lait (mouton et chèvre) et de poils (mouton), dont les surplus sont sans doute mobilisés par les réseaux d’échange (Helmer et Vigne, 2004). Bien qu’en retrait, la chasse n’est pas absente (Binder, 1991a ; Gassin, 1993, 1996 ; Rowley- Conwy et al., 2013).

La spécialisation touche aussi les productions matérielles. La mise en circulation de matières

premières lithiques d’une grande diversité (silex, obsidienne et autres roches taillables, jadéites, éclogites et autres roches mises en forme par polissage), déjà importante aux périodes précédentes, s’intensifie, au sein de réseaux bien structurés. Diffusé dès le Cardial récent, le silex blond bédoulien fait l’objet au Chasséen d’une intense distribution dans le Midi, le bassin rhodanien, le Languedoc, la Provence, la Ligurie et même, dans une moindre mesure en Catalogne, Auvergne et Toscane (Binder, 1991a ; Binder, 1998b ; Léa, 2004b ; Léa et al., 2004). Le silex rubané oligocène de Forcalquier (Alpes- de-Haute-Provence) subit aussi une diffusion importante, quoique plus restreinte (principalement Provence et Ligurie, mais aussi Languedoc : Binder, 1998b ; 2004). L’importation de l’obsidienne est croissante au cours du Chasséen en Provence (Courtin et Pélouard, 1971 ; Vaquer 2006 ; 2007 ; Binder et al., 2012). Lipari16, principal fournisseur au cours du Chasséen ancien, cède ensuite le

pas aux sources sardes du Monte Arci au cours des phases récentes (Binder et Courtin, 1994  ; Luglié, 2009 ; Binder et al., 2012). Le quartz hyalin circule dans tout le domaine alpin, jusqu’aux côtes niçoises (Brisotto, 1999). Les outils en pierre polie – haches, herminettes – sont produits à partir de géomatières provenant des versants alpins italiens (jadéite et éclogite du mont Viso dans le Piémont et du massif du Voltri), du Massif central (cinérite du Ségala), de Provence occidentale (glaucophanite) et de Languedoc occidental (amphibolite calcique) (Ricq-de-Bouard, 1996 ; Servelle et Vaquer, 2000). Les objets en roche alpine sont distribués dans le nord de l’Italie, en Savoie, dans l’arc liguro-provençal, la vallée du Rhône et plus sporadiquement dans le Midi ; les produits du Massif central circulent dans tout le Midi, mais ne franchissent qu’exceptionnellement le Rhône et les Pyrénées. Les sphères provençales et languedociennes s’alimentent mutuellement en outils polis (Ricq-de-Bouard, 1996 ; 2008).

L’organisation de la production et les modalités de distribution sont elles aussi soumises à une spécialisation accrue. La pluralité des produits diffusés à partir des gîtes de silex bédoulien est éloquente : préformes chauffées ou non (nucléus à lamelles), produits finis divers tels que lamelles chauffées débitées par pression, éclats et lames robustes non chauffés débités par pression ou percussion indirecte (Binder, 1998b ; Gassin et al., 2006 ; Léa, 2004a, 2004b ; Léa et al., 2012). On distingue donc, pour le silex comme pour les autres matières, des sites producteurs concentrant l’ensemble des

16. Lipari est la plus grande des îles Éoliennes. Cet archipel volcanique se trouve dans la mer Tyrrhénienne, à quelques dizaines de kilomètres au nord de la Sicile.

étapes à risques ou à forte spécialisation technique et des sites consommateurs sur lesquels n’ont lieu que des étapes finales de transformation, d’utilisation et d’entretien (Léa, 2004b ; Gassin et al., 2006). Si les sites producteurs sont souvent installés près des gîtes, cela n’est pas systématique. On observe parfois des « sites-relais » qui nécessitent un approvisionnement régulier en matières premières (Léa

et al., 2004 ; Léa, 2004a, 2012 ; Vaquer, 2007, 2012).

Cette dichotomie suggère tout d’abord une compétence technique élevée sur les sites producteurs, et donc une forte spécialisation artisanale régionale. Cette spécialisation se fait au détriment d’autres activités (Lepère, 2009, p. 43), pour lesquelles l’approvisionnement repose alors sur une production domestique de qualité ordinaire et l’importation des biens à valeur ajoutée.

La fragmentation dans le temps et dans l’espace des chaînes opératoires implique aussi de tisser un réseau de liens entre chaque nœud pour assurer la distribution des différentes productions. Le Chasséen méridional semble développer dans ce sens une véritable mobilité structurelle, fondée sur le pastoralisme, qui permet de relier côtes, plaines alluviales et contreforts montagneux (Beeching

et al., 2000).

Enfin, cette spécialisation techno-économique, la double dichotomie production domestique/ spécialisée (Gassin et Binder, 2004, p.  177-178) et sites producteurs/consommateurs et la « perméabilité des espaces sociaux » (Binder, 2004b) suggérée par la circulation de matières à très longue distance (silex bédoulien, roches alpines et surtout obsidienne) accréditent la thèse d’une « compétition sociale accrue où les échanges entre élites pouvaient faire transiter les produits valorisés sur de grandes distances, sans participer aux échanges imaginés de proche en proche » (Pétrequin

et al., 2002, p. 73). La compétition sociale est aussi favorisée par la nécessité de contrôler les gîtes de

matières premières et les réseaux de distribution. L’obsidienne illustre bien ce fait, avec un basculement brutal de la prédominance de Lipari dans les assemblages à celle des sources sardes, en particulier la source A, qui domine l’approvisionnement de la Méditerranée occidentale à partir des phases récentes (Binder et al., 2012). Cette suprématie sur les autres gisements, y compris sardes, est peut- être « due à ses propriétés esthétiques » (Tykot, 1996) ou plus probablement à son homogénéité et à ses propriétés mécaniques qui favorisent le débitage par pression et donc l’exportation de préformes (Vaquer, 2007).

La fin du complexe chasséen et du Néolithique moyen dans l’arc liguro-provençal est marquée par l’émergence d’une nouvelle innovation technique : les premières exploitations de cuivre17 apparaissent

en Ligurie orientale (Monte Loreto : Maggi et Pearce, 2005 ; Maggi et Campana, 2008), au milieu du IVe millénaire BCE et dès le dernier tiers du Ve millénaire BCE dans la plaine du Pô18 (Mazzieri

et Dal Santo, 2007 ; Dolfini, 2014). Des activités similaires ont peut-être eu lieu dans le massif du Mercantour/Argentera et dans le massif des Maures, riches en minéralisations de cuivre (azurite et malachite), mais aucune trace anthropique n’a été décelée jusqu’à présent (Renault et al., 2005). Seuls quelques artefacts ont été retrouvés, comme deux alênes sur le site de plein air de Montélimar – Daurelle (Chasséen récent rhodanien : Thiercelin-Ferber, 2013).

17. La production de poignards en alliage cuivreux à partir du début du IVe millénaire, diffusée à partir des Alpes, est illustrée

dans les Alpes-Maritimes par les gravures piquetées du mont Bego (Vallée des Merveilles). Thomas Huet a proposé, pour les représentations de poignards, une élaboration dans l’intervalle 3600-2100/1800 BCE (Huet, 2012).

18. Dans les Balkans, la métallurgie du cuivre remonte au dernier tiers du VIe  millénaire  BCE (Radivojević et Kuzmanović-