• Aucun résultat trouvé

Stabilité thermodynamique d’un métal : diagramme de Pourbaix

I.1.1. Thermodynamique des réactions électrochimiques

I.1.1.4. Stabilité thermodynamique d’un métal : diagramme de Pourbaix

Dans une solution électrolytique, il peut s’établir une multitude d’équilibres entre les différentes espèces impliquées dans les réactions d’oxydo-réduction. La partie précédente a montré que le potentiel d’une électrode au regard de son potentiel d’équilibre réversible influe sur la direction de la réaction d’oxydo-réduction. De plus, la corrosion aqueuse des métaux implique nécessairement l’intervention des couples oxydo-réducteurs de l’eau, à savoir les couples 𝑂$/𝐻$𝑂 et 𝐻$0/𝐻$ . De ce fait, le potentiel hydrogène de la solution, noté 𝑝𝐻, influence également la stabilité thermodynamique des espèces impliqués. Cette grandeur adimensionnelle peut s’exprimer selon la relation (Eq. I-42):

𝑝𝐻 = 14 − log([𝑂𝐻g]) Eq. I-42

Où [𝑂𝐻g] est la concentration en ions hydroxyde dans l’électrolyte [𝑚𝑜𝑙/𝐿]

Les diagrammes de Pourbaix [42]–[44] représentent, dans le plan {𝑝𝐻, 𝐸}, les domaines d’existence ou de prédominance associés aux différentes formes d’une espèce chimique donnée (oxydes, ions, complexes). L'axe vertical représente le potentiel d'équilibre exprimé par rapport à une électrode de référence et l'axe horizontal représente le 𝑝𝐻 de la solution en contact avec la phase métallique. Les frontières sont définies par les équilibres électrochimiques ou acido-basiques des espèces impliquées et délimitent des zones théoriques de stabilité thermodynamique. Un diagramme de Pourbaix présente les conditions (de potentiel et de pH) pour lesquelles une électrode métallique est thermodynamiquement stable (domaine d’immunité), à l’état passif (domaine de passivation) ou sujette à une corrosion active (domaine de corrosion).

Au regard de la faible teneur en carbone qui le caractérise lorsqu’il est utilisé pour des applications de génie civil (généralement moins de 1,5%), l’acier peut être assimilé à une électrode de fer pur homogène. De plus, on fait l’hypothèse ici que l’activité d’une espèce ionique est assimilable à sa concentration molaire (solution idéale) et que l’activité d’un gaz est égale à l’unité (pression atmosphérique).

Le diagramme de Pourbaix du fer dans l’eau est illustré en Figure I-2 pour une concentration en cations métalliques [𝐹𝑒$e] = 10 𝑚𝑜𝑙/L et une température de 20°C. On note que le potentiel est évalué relativement à l’électrode au calomel saturé (𝐸𝐶𝑆) historiquement utilisée en électrochimie par la communauté scientifique. Du fait de la toxicité du mercure, on lui préfèrera aujourd’hui des électrodes argent-chlorure d’argent (𝐴𝑔 − 𝐴𝑔𝐶𝑙). Le potentiel de cette électrode en milieu 𝐾𝐶𝑙 saturé à 25°C est de +195 𝑚𝑉 par rapport à l’𝐸𝑁𝐻 contre +240 𝑚𝑉 pour l’électrode au calomel saturé dans les mêmes conditions. Dans la littérature scientifique, certains diagrammes de Pourbaix peuvent faire apparaître les oxydes d'un métal et non ses ions et ses hydroxydes.

Figure I-2 Diagramme de Pourbaix de l’acier pour une concentration [𝐹𝑒$e] = 10𝑚𝑜𝑙/𝐿 et une température de 𝑇 = 20°𝐶

Ce diagramme met en évidence les différents domaines évoqués précédemment :

- Domaine d’immunité (en gris) : l’acier est thermodynamiquement stable à l’état métallique. On note que ce domaine est situé en dessous du domaine de stabilité de l’eau ; l’acier n’est donc jamais stable dans l’eau (sans polarisation extérieure).

- Domaine de passivation constitué des domaines de stabilité des hydroxydes de fer II (en vert) et de fer III (en rouge).

- Domaine de corrosion constitué des domaines de stabilité des ions ferreux (en jaune), ferriques (en rose) et hypoferriques (en mauve).

Les lignes parallèles en trait pointillé délimitent le domaine de stabilité de l’eau. La ligne supérieure représente le potentiel d’équilibre de l’électrode 𝑂$/𝐻$𝑂 et la ligne inférieure le potentiel d’équilibre de l’électrode 𝐻$0/𝐻$.

Pour l’équilibre réversible associé au couple redox 𝐻$0/𝐻$ (Eq. I-43), la loi de Nernst explicitée dans la précédente partie (Eq. I-40) permet de déterminer le potentiel d’équilibre 𝐸}K€[𝑉] (Eq. I-44) :

2𝐻$𝑂 + 2𝑒g⇆ 𝐻$+ 2𝑂𝐻g Eq. I-43

𝐸}K€= −0,24 +𝑅𝑇2𝐹 ln Ž[𝑂𝐻1g]$Eq. I-44

A partir de la relation précédente, le potentiel 𝐸}K€ peut être exprimé en fonction du 𝑝𝐻 de l’électrolyte selon la relation (Eq. I-45):

𝐸}K€= −0,24 − 0,059 𝑝𝐻 Eq. I-45

Pour l’équilibre réversible associé au couple redox 𝑂$/𝐻$𝑂 (Eq. I-46), le potentiel d’équilibre 𝐸}•µ [𝑉] est explicité à partir de la loi de Nernst selon l’équation (Eq. I-47) :

2 𝐻$𝑂 ⇆ 𝑂$+ 4𝐻e+ 4𝑒g Eq. I-46

𝐸}•µ= 0,989 −𝑅𝑇4𝐹 ln Ž[𝐻1e]ÆEq. I-47

Après simplification, on obtient alors la relation (Eq. I-48) :

𝐸}•µ= 0,989 − 0,059 𝑝𝐻 Eq. I-48

Les deux droites sont donc parallèles avec une pente négative. Les réactions de corrosion aqueuse en conditions naturelles se produisent donc nécessairement à l’intérieur du domaine de stabilité de l’eau matérialisé par l’espace compris entre ces droites.

Dans un diagramme de Pourbaix, on distingue 3 types d’équilibres distincts :

- Les équilibres entre deux espèces de même degré d’oxydation (exemple : 𝐹𝑒$e et 𝐹𝑒(𝑂𝐻)$). La frontière est verticale dans le diagramme et le pH est constant pour une concentration en cations métalliques donnée (Eq. I-49) :

𝑝𝐻K = 𝐶`+ 𝐶$. ln([𝑀de]) Eq. I-49

Avec 𝐶`𝑒𝑡 𝐶$ des constantes réelles.

- Les équilibres entre deux espèces de degrés d’oxydation différents mais dont la réaction d’oxydo-réduction ne fait pas intervenir les ions 𝐻e ou 𝑂𝐻g(exemple : 𝐹𝑒$e et 𝐹𝑒 ). La frontière est horizontale dans le diagramme et le potentiel est constant pour une concentration en cations métalliques donnée (Eq. I-50) :

𝐸K= 𝐶ƒ+ 𝐶Æ. ln([𝑀de]) Eq. I-50

Avec 𝐶ƒ 𝑒𝑡 𝐶Æ des constantes réelles.

- Les équilibres entre deux espèces de degrés d’oxydation différents mais dont les ions 𝐻e ou

𝑂𝐻g participent à la réaction (exemple : 𝐹𝑒(𝑂𝐻)ƒ et 𝐹𝑒(𝑂𝐻)$). La frontière est oblique dans le diagramme et le potentiel s’exprime en fonction du pH pour une concentration en cations métalliques donnée (Eq. I-51) :

𝐸K = 𝐶È+ 𝐶Ã. ln([𝑀de]) + 𝐶É. 𝑝𝐻 Eq. I-51

Les constantes 𝐶K s’expriment en fonction des constantes de précipitation des produits de solubilité des différents complexes (hydroxydes de fer II et II, ion hypoferrique) et des potentiels standards des différents couples redox impliqués.

Les différentes frontières d’équilibre ont été consignées dans les tableaux ci-dessous (Tableau I-2 pour les frontières verticales et Tableau I-3 pour les autres frontières). Chaque frontière entre deux espèces, caractérisée par son équation d'équilibre, a été associée à un numéro (𝑝𝐻K ou 𝐸K) ; l’équation de droite correspondante a été déterminée pour une température de 20°C. Toutes ces frontières ont été reportées sur le diagramme de Pourbaix en Figure I-3. Chaque équilibre a été associée à une couleur en fonction de la nature de sa frontière : rouge pour les frontières qui ne dépendent que de la concentration en cations, bleu pour les frontières qui ne sont fonction que du pH de la solution et violet pour celles qui résultent des deux.

Couple Équation d’équilibre Frontière d’équilibre 𝒑𝑯𝒊

𝑝𝐻` 𝐹𝑒(𝑂𝐻)$/𝐹𝑒$e 𝐹𝑒(𝑂𝐻)$⇆ 𝐹𝑒$e

+ 2 𝑂𝐻g 𝑝𝐻` = 6,45 − 𝑙𝑜𝑔([𝐹𝑒$e])/2 𝑝𝐻$ 𝐹𝑒(𝑂𝐻)$/𝐻𝐹𝑒𝑂$g 𝐹𝑒(𝑂𝐻)$⇆ 𝐻𝐹𝑒𝑂$g+ 𝐻e 𝑝𝐻$ = 18,3 + 𝑙𝑜𝑔([𝐹𝑒$e]) 𝑝𝐻ƒ 𝐹𝑒(𝑂𝐻)ƒ/𝐹𝑒$e 𝐹𝑒(𝑂𝐻)ƒ⇆ 𝐹𝑒$e

+ 3 𝑂𝐻g 𝑝𝐻ƒ = 1,33 − 𝑙𝑜𝑔([𝐹𝑒$e])/3

Tableau I-2 Frontières d’équilibre en pH (verticales) associées aux équations de précipitation des différentes formes du fer dans l’eau (Température de 20°C)

Couple Équation d’équilibre Frontière d’équilibre 𝑬𝒊[𝑽/𝑬𝑪𝑺] 𝐸` 𝐹𝑒$e/𝐹𝑒 𝐹𝑒$e+ 2 𝑒g⇆ 𝐹𝑒 𝐸`= −0,68 + 0,059. 𝑙𝑜𝑔([𝐹𝑒$e])/2 𝐸$ 𝐹𝑒(𝑂𝐻)$ /𝐹𝑒 𝐹𝑒(𝑂𝐻)$+ 2 𝑒 g+ 2 𝐻e ⇆ 𝐹𝑒 + 2 𝐻$𝑂 𝐸$= −0,3 − 0,059. 𝑝𝐻 𝐸ƒ 𝐻𝐹𝑒𝑂$g/𝐹𝑒 𝐻𝐹𝑒𝑂$g+ 3 𝑒g+ 2 𝐻⇆ 𝐹𝑒 + 2 𝐻e $𝑂 𝐸ƒ= 0,24 − 0,0885. 𝑝𝐻+ 0,0295. 𝑙𝑜𝑔([𝐹𝑒$e]) 𝐸È 𝐹𝑒ƒe/𝐹𝑒$e 𝐹𝑒ƒe+ 𝑒g⇆ 𝐹𝑒$e 𝐸È= 0,53 𝐸Ã 𝐹𝑒(𝑂𝐻)ƒ /𝐹𝑒$e 𝐹𝑒(𝑂𝐻)ƒ+ 𝑒g+ 3 𝐻e ⇆ 𝐹𝑒$e+ 3 𝐻$𝑂 𝐸Ã= 0,766 − 0,177. 𝑝𝐻− 0,059. 𝑙𝑜𝑔([𝐹𝑒$e]) 𝐸É 𝐹𝑒(𝑂𝐻)ƒ /𝐹𝑒(𝑂𝐻)$ 𝐹𝑒(𝑂𝐻)ƒ+ 𝑒g+ 𝐻e ⇆ 𝐹𝑒(𝑂𝐻)$ + 𝐻$𝑂 𝐸É= −0,005 − 0,059. 𝑝𝐻 𝐸Ñ 𝐹𝑒(𝑂𝐻)/𝐻𝐹𝑒𝑂 ƒ $g 𝐹𝑒(𝑂𝐻)ƒ+ 𝑒g⇆ 𝐻𝐹𝑒𝑂$g+ 𝐻$𝑂 𝐸Ñ= −1,083 − 0,059. 𝑙𝑜𝑔([𝐹𝑒$e])

Tableau I-3 Frontières d’équilibre en potentiel (horizontales et obliques) associées aux équations d’oxydo-réduction des différentes formes du fer dans l’eau (Température de 20°C)

Figure I-3 Nature des différents équilibres du diagramme de Pourbaix de l'acier (Concentration [𝐹𝑒$e] = 10𝑚𝑜𝑙/𝐿 et Température 𝑇 = 20°𝐶 )

Les frontières d’équilibre du diagramme de Pourbaix sont fortement dépendantes de la concentration en cations métalliques. L’influence de la concentration en ions ferreux sur les domaines de stabilité thermodynamique des espèces est illustrée en Figure I-4. Les frontières ont été tracées pour 3 concentrations différentes : 10𝑚𝑜𝑙/𝐿, 10𝑚𝑜𝑙/𝐿 et 10𝑚𝑜𝑙/𝐿.

Une augmentation de la concentration en Fe$e conduit à élargir le domaine de stabilité du Fer (en gris),

ainsi que les domaines associés aux hydroxydes de fer II (en vert) et III (en rouge). Les domaines de stabilité des ions ferreux (en jaune), ferrique (en rose) et hypoferrique (en mauve) se réduisent en conséquence. Les domaines d’immunité et de passivation s’étendent donc au détriment du domaine de corrosion. En effet, les équilibres vont plutôt tendre à former des hydroxydes de fer solides en raison de la forte concentration en cations métalliques dans la solution.

Si un diagramme {𝑝𝐻, 𝐸} fournit une aide précieuse à la compréhension des phénomènes de corrosion, il doit être utilisé en connaissance de ses limites :

- Il n'apporte aucune information sur l’aspect cinétique des réactions. Un métal qui se situe dans son domaine de corrosion peut se dissoudre à des vitesses très lentes et négligeables.

- Il ne donne aucune information quant à l’adhérence des composés formés. Pour qu’un phénomène de passivation soit efficace, il faut que les oxydes et hydroxydes formés soient parfaitement adsorbés et isolent totalement l’électrode de la solution électrolytique en contact. Dans de nombreux cas, la couche de passivation formée est inhomogène ou perméable aux espèces oxydantes (dioxygène) et les réactions de corrosion ne sont alors pas stoppées mais se poursuivent à des cinétiques plus lentes. Les oxydes d’aluminium, par exemple, forment une couche compacte qui ralentit fortement la vitesse des réactions de corrosion contrairement aux oxydes de fer.

- Le diagramme suppose une parfaite homogénéité du milieu. Or, le pH n’est généralement pas constant sur toute la surface de l’électrode ; le pH est souvent plus faible aux niveaux des sites anodiques et plus élevé aux niveaux des surfaces cathodiques.

Figure I-4 Influence de la concentration en cations métalliques sur les frontières d'équilibre du diagramme de Pourbaix de l'acier

Outline

Documents relatifs