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Diagnostic de corrosion assisté par ordinateur des ouvrages métalliques

III.1. État de l’art

III.1.2. Corrosion localisée des structures métalliques enterrées

III.1.2.4. Corrosion microbienne

Les coûts économiques engendrés par la corrosion microbienne des métaux ont été estimés à 20% du coût global de la corrosion de l’ensemble des structures métalliques, soit près de 1% du PIB des pays industrialisés [130]. Le coût de remplacement des conduites de gaz dégradées par la corrosion microbienne au Royaume-Uni a récemment été estimé à 250 millions de livres sterling par an. Il est cependant nécessaire de manipuler ces chiffres avec prudence car il est difficile d’appréhender la part réellement imputable à la corrosion microbienne, ce mécanisme étant généralement couplé à d’autres mécanismes de corrosion dans un ouvrage enterré.

Les bactéries sont généralement des organismes unicellulaires de petite taille avec des longueurs caractéristiques inférieures à la dizaine de microns. Elles peuvent vivre et se développer dans un large éventail d’habitats présentant des propriétés très différentes en termes de pH, de température, ou de disponibilité en dioxygène. Les bactéries peuvent exister dans plusieurs états métaboliques différents. En effet, lorsque les bactéries respirent activement et consomment les nutriments du milieu, elles sont en phase de croissance. A l’inverse, les bactéries présentes dans un milieu sans s’y développer en raison de conditions défavorables, sont au repos. De plus, certaines souches de bactéries engendrent des spores qui peuvent survivre à des environnements hostiles (température extrême, absence de nutriments ou d’humidité…) et se régénérer lorsque les conditions redeviennent propices à leur croissance.

La corrosion de l’acier par les bactéries a été largement observée dans la littérature scientifique depuis des dizaines d’années mais de nombreuses interrogations restent encore aujourd’hui sans réponse. De nombreux auteurs témoignent d’une capacité surprenante des bactéries à coloniser les surfaces métalliques, formant sous certaines conditions un biofilm plus ou moins étendu qui catalyse la cinétique de dissolution de l’acier. Le métabolisme microbien modifie localement la chimie de l’interface métal-biofilm (pH, concentration en dioxygène, espèces organiques et inorganiques) en maintenant l’acier dans son domaine de corrosion. Le faciès de corrosion microbienne est directement lié à la morphologie de ce biofilm qui dépend fortement de l’électrolyte. Dans l’eau de mer, les bactéries colonisent les ouvrages immergés en formant un film mince et homogène sur une grande majorité de la surface métallique entraînant une corrosion relativement uniforme. A l’inverse, dans le sol, les biofilms se développent à la surface des ouvrages enterrés sous la forme de dépôts biologiques discrets pouvant atteindre plusieurs centimètres carrés. Le développement bactérien a tendance à créer des conditions de surface non uniforme entre l’acier recouvert de biofilm et le reste de la structure métallique qui n’a pas encore été colonisé. Ce mécanisme de croissance des bactéries dans les sols conduit à une dissolution préférentielle de l’acier sous les dépôts biologiques constituant les cellules anodiques du système de corrosion localisée [131].

Il est intéressant de préciser que dans certaines conditions, notamment pour des sols anoxiques riches en matière organique, les bactéries peuvent modifier la chimie de masse de l’électrolyte et n’ont donc pas besoin de constituer un biofilm à la surface de l’acier pour affecter sa cinétique de corrosion [131]. La Figure III-7 présente un exemple de corrosion microbienne sous un défaut de revêtement d’un gazoduc enterré dans un sol marécageux (photographie A). Les bactéries colonisent la surface de l’acier sur le défaut en formant des dépôts biologiques discrets sur la canalisation. Les chiffres indiqués sur la photo B correspondent à la profondeur (en mm) associée à chaque piqûre après nettoyage des produits de corrosion (sulfure de fer). Les échelles, respectivement 20 cm pour la photographie B et 2 cm pour la C, ont été reportées afin d’apprécier la taille des piqûres. On remarque que le faciès de corrosion microbienne dans le sol est bien localisé avec une dissolution préférentielle de l’acier sous les biofilms.

Un large panel de micro-organismes sont impliqués dans la corrosion de l’acier (doux ou réputé inoxydable) des structures métalliques enterrées. Les principales souches de bactéries sont les bactéries sulfato-réductrices [132], les bactéries sulfo-oxydantes [133], les bactéries ferro-oxydantes et ferri- réductrices [134], les bactéries oxydant le manganèse [135] ou encore les bactéries sécrétant des acides organiques et des exopolymères [133], [136]. Ces organismes peuvent coexister dans des biofilms naturels qui se développent à la surface du métal, formant ainsi des communautés synergiques capables d'affecter les processus électrochimiques par un métabolisme coopératif [137]. On peut citer l’exemple des bactéries sulfato-réductrices (BSRs) et sulfo-oxydantes qui sont souvent associées dans le processus de corrosion de l’acier en puisant leur énergie du cycle du soufre ; en effet, les bactéries sulfo-oxydantes transforment le sulfure de fer ou le soufre élémentaire en sulfates qui sont alors réduits en sulfure d’hydrogène par les BSRs dans les niches anoxiques sous le biofilm.

Figure III-7 Corrosion microbienne sous un défaut de revêtement d'un gazoduc enterré par les bactéries sulfato-réductrices [138]

Ces différentes souches de bactéries se distinguent les unes des autres notamment par leur tolérance au dioxygène dissous dans le sol (organismes aérobies, anaérobies ou microaérophiles), leur métabolisme (réactions chimiques et nutriments nécessaires à la reproduction et à la croissance) et enfin leur action plus ou moins directe sur la cinétique de corrosion de l’acier (implication dans les réactions d’oxydo-réduction et nature des espèces corrosives produites). Les bactéries sulfato-reductrices (BSRs)

sont par exemple des bactéries anaérobies qui se développent dans les milieux anoxiques alors que les bactéries sulfo-oxydantes, comme les Thiobacillus, sont des bactéries aérobies qui prolifèrent dans les réseaux d’assainissement.

Les mécanismes de corrosion de l’acier par les bactéries sont bien plus complexes que ceux se déroulant dans un environnement abiotique. Il n’existe pas de consensus sur les mécanismes exacts impliqués dans la corrosion microbienne de l’acier mais la communauté scientifique s’accorde sur les phénomènes suivants [102] :

- Dépolarisation cathodique induite par la consommation locale de l’hydrogène dissous par certaines bactéries ; l’hydrogène n’est alors plus disponible au niveau des cellules cathodiques pour assurer la réaction cathodique en l’absence de dioxygène.

- Formation de cellules de corrosion sous les dépôts biologiques discrets composés des différentes colonies de bactéries. Ces biofilms, constitués principalement d’eau liée à des polymères extracellulaires, peuvent croître rapidement en piégeant des espèces organiques et inorganiques.

- Attaque acide sous les dépôts biologiques qui accélère la cinétique de dissolution de l’acier. Les acides produits par le métabolisme bactérien sont principalement des acides gras à chaine courte (AGCC).

- Corrosion par aération différentielle entre l’acier recouvert des dépôts biologiques et le reste de la structure métallique en contact avec un sol plus riche en dioxygène ; les biofilms constituent en effet une barrière à la diffusion du dioxygène qui s’appauvrit dans les piqûres de corrosion.

- Développement des bactéries anaérobies comme les BSRs dans ces niches anoxiques. La cinétique de dissolution est accélérée par le métabolisme bactérien avec une acidification locale due à la formation de sulfure d’hydrogène.

Les bactéries réductrices de sulfates sont considérées comme la principale souche bactérienne impliquée dans la corrosion microbienne de l’acier dans le sol [132]. Ces bactéries ne sont actives que dans des environnements pauvres en dioxygène comme dans des strates de sol sous la nappe phréatique ou dans des niches anoxiques sous les dépôts biologiques ou les produits de corrosion de l’acier. Cependant, ces organismes anaérobies peuvent survivre et passer à un état métabolique de repos dans des sols et des eaux aérés, jusqu’à ce qu’ils se trouvent dans un environnement plus pauvre en dioxygène, idéal pour soutenir leur métabolisme de croissance [102].

Ces bactéries tirent leur énergie de la réduction des sulfates présents naturellement dans le sol et des nutriments (acides organiques simples et hydrogène moléculaire résultant de la décomposition de la matière organique). Ce métabolisme microbien génère des sulfures d’hydrogène qui réagissent aves les cations métalliques pour former des sulfure de fer en fond de piqûre [132].

La Figure III-7 illustre la morphologie typique d’une corrosion localisée par cette souche de bactéries évoluant en milieu anaérobie. Le sol marécageux de la tranchée est riche en matière organique et en sulfate permettant d’alimenter le métabolisme des BSRs. Ces bactéries se développent et produisent du sulfure d’hydrogène hautement corrosif conduisant à une dissolution préférentielle de l’acier sous les biofilms. Ce type de sol est naturellement considéré par la profession comme un sol agressif vis à vis du risque de corrosion bactérienne des structures enterrées même si l’action directe du sol sur la cinétique de corrosion de l’acier est négligeable [138].

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