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Diagnostic de corrosion assisté par ordinateur des ouvrages métalliques

III.1. État de l’art

III.1.2. Corrosion localisée des structures métalliques enterrées

III.1.2.3. Courants vagabonds

Les mécanismes de corrosion précédemment étudiés ont pour origine une hétérogénéité du comportement électrochimique de l’acier induit par un milieu électrolytique hétérogène. Ainsi, une variation spatiale des propriétés physico-chimiques du sol (concentration en dioxygène, pH…) peut affecter le comportement électrochimique de l’acier plongé dans le sol. Il s’établit alors un gradient de potentiel dans le volume de sol et des lignes de courant galvanique sont échangées entre les cellules anodiques et cathodiques.

A l’inverse, les courants vagabonds proviennent d’une source extérieure à la structure métallique enterrée et peuvent circuler dans un sol parfaitement homogène. Par exemple, les courants électriques générés par une source de courant peuvent s’écarter du chemin électrique initialement prévu et traverser une structure métallique enterrée qui ne fait pas partie de l’installation électrique d’origine ; ces courants ont été qualifiés par la profession de "courants vagabonds" (stray current).

En effet, une structure métallique constituant un milieu bien moins résistif que le sol environnant, elle représente un chemin électrique préférentiel pour un courant vagabond qui se propage sous forme électronique dans la structure en provoquant l’oxydation de l’acier à sa sortie. Les structures concernées peuvent être des conduites non protégées ou insuffisamment mais également des ouvrages moins étendus comme des réservoirs industriels (eau, oxygène…) ou encore des rideaux de palplanches. Les courants vagabonds peuvent provenir d'un système de traction électrifié, d'un système de protection

cathodique ou encore de la mise à la terre d’une source de courant continu (groupe électrogène, transformateur…).

La circulation d’un courant vagabond dans un ouvrage métallique induit une polarisation cathodique de l’acier à l’entrée dans la structure et une polarisation anodique à sa sortie. La réduction du dioxygène (milieu aérobie) ou des ions oxonium (milieu anaérobie) est favorisée au niveau des cellules cathodiques et la dissolution de l’acier est catalysée sur les cellules anodiques. La circulation de courant vagabond dans une structure métallique peut ainsi déclencher la corrosion de l’acier aux exutoires de courant ou peut même accélérer un processus de corrosion préexistant [120].

Même si le mécanisme de corrosion par courants vagabonds est différent des précédents, sa conséquence est similaire avec une perte d’épaisseur localisée pouvant engendrer la rupture fragile de la structure métallique. Cependant, la cinétique de corrosion par courant vagabond peut, le cas échéant, être plus élevée que celle causée par d'autres facteurs environnementaux (aération différentielle, structure géologique hétérogène…)

Bien qu’elle ne s’accompagne pas d’une perte d’épaisseur, l’entrée de courant vagabond dans la structure peut également engendrer sa dégradation prématurée [121]. En effet, en l’absence de dioxygène dissous (sol anoxique) ou en cas de sur-polarisation cathodique, une production d’hydrogène est générée au niveau des entrées de courant. L’hydrogène peut facilement être absorbé dans le réseau métallique cristallin et engendrer une fissuration fragile de l’acier sous contrainte.

Pour un ouvrage métallique revêtu comme un pipeline, la dégradation très localisée du revêtement conduit généralement à décollement de ce dernier induit par le dégagement gazeux issu de la réduction des ions oxonium ; le sol environnant envahit alors l’espace vide entre la conduite et le revêtement entraînant une augmentation de la surface d’acier en contact avec l’électrolyte. Cette surface d’acier mise à nu est alors susceptible de se corroder si la polarisation cathodique induite par le passage du courant vagabond devient négligeable ou si la source de ce courant externe vient à s’arrêter. Une corrosion par aération différentielle est alors susceptible de se produire entre les extrémités du décollement, pauvre en dioxygène, et le centre du défaut initial proche du milieu extérieur, plus riche en dioxygène.

Pour une structure en béton armé enterrée, le dégagement d’hydrogène peut engendrer des pressions locales sur la matrice cimentaire entraînant sa fissuration ; les agents agressifs du sol (chlorures, acide carbonique…) peuvent alors diffuser plus facilement à travers l’enrobage fissuré et dépassiver localement les armatures.

Bien que ce mécanisme de corrosion soit largement impliqué dans la dégradation des structures métalliques enterrées, la profession a tendance à occulter ce phénomène en raison de sa complexité [122]. En effet, un diagnostic de corrosion pertinent doit tenir compte de l’ouvrage métallique ainsi que de son interaction avec une source de courant qui peut propager un courant vagabond à plusieurs kilomètres des points d'injection ou de collecte. Les courants vagabonds peuvent être générés par toutes sources de courant continu en contact avec le sol. Cependant, les systèmes d’électrification ferroviaire ainsi que les installations de protection cathodique constituent les sources principales de courant vagabonds et sont de ce fait plus amplement détaillés dans la suite de cette section.

§ Systèmes d’électrification ferroviaire

Dès la fin du XIXe siècle, l’émergence de la traction électrique comme moyen de propulsion des trains de marchandises et de voyageurs a conduit à l’apparition de la corrosion par courant vagabond [123]. Ce mécanisme de corrosion a été constaté pour la première fois en 1887 aux États-Unis ; des conduites métalliques enterrées avaient été fortement dégradées par les courants vagabonds générés par le système d’électrification du tramway de Brooklyn [124]. Le développement intensif de l’industrie pétrolière et gazière dans la première moitié du XXe siècle a naturellement entraîné une multiplication des dégradations des pipelines enterrés provoquées par les courants vagabonds d’origine ferroviaire [125]. Avec une urbanisation intensive et globalisé du monde, ces systèmes de transports électrifiés (ferroviaire ou métro) deviennent les principaux moyens de circulation en raison de la vitesse plus rapide et de la plus grande capacité de déplacement des passagers pour soulager la pression du trafic [122]. Aujourd’hui plus encore qu’hier, la corrosion par courants vagabonds constitue ainsi une problématique centrale de la surveillance et de la maintenance des structures métalliques enterrées.

Dans les systèmes de traction électrifiés, le courant généré par une sous-station circule le long des caténaires (fil conducteur aérien en au-dessus du train) et le captage du courant s’effectue par les pantographes (bras articulé en contact avec les caténaires) pour alimenter le moteur électrique du train. Ce courant retourne à la sous-station par les rails de roulement, le tout constituant un circuit électrique fermé. Bien que des dispositions constructives soient systématiquement prises pour éviter les fuites de courant, une partie de ce courant de retour va inévitablement s’échapper des rails et circuler dans le sol. En effet, ces fuites de courant s’expliquent par une conductivité relativement limitée des rails de roulement (résistance longitudinale entre 40 et 80 mΩ/km) entraînant une chute de tension le long des rails et une isolation électrique déficiente par la dégradation locale des joints prévus à cet effet [126]. Les courants qui fuitent d’un défaut d’isolation circulent dans le sol avant de revenir dans les rails par un autre défaut ou alors directement par la borne négative de la sous-station ; une structure métallique enterrée à proximité de ces défauts peut potentiellement capter une partie de ces courants vagabonds qui engendreront une corrosion localisée à leur sortie.

Figure III-5 Schéma de principe de la corrosion par courants vagabonds générés par le système d’électrification d’un train à traction électrique [122]

§ Installations de protection cathodique

La protection cathodique des conduites métalliques enterrées est largement répandue pour prévenir le risque de corrosion localisée au droit des défauts de revêtement. Elle est même rendue obligatoire pour les pipelines transportant des hydrocarbures (pétrole et gaz) ou des produits chimiques (arrêté du 4 aout 2006).

Le courant de protection peut résulter du couplage galvanique naturel entre des anodes sacrificielles (zinc, aluminium ou magnésium) et la structure à protéger, qui présentent un potentiel plus élevé ; les anodes galvaniques, moins nobles que l’acier à protéger, fournissent des électrons par dissolution du métal. Il peut également être imposé par l’intermédiaire d’un générateur de courant continu qui catalyse la réaction d’oxydation de l’eau à la surface d’anodes inertes (titane recouvert d’oxydes de métaux mixtes ou alliage fer/silicium) et délivre les électrons collectés à la structure métallique.

Cependant, quel que soit le système de protection cathodique utilisé, le courant continu protégeant la canalisation peut être à l’origine de courants vagabonds et entraîner indirectement la corrosion d’une autre structure enterrée avoisinante, intercalée entre le défaut à traiter sur la canalisation protégée et le réseau d'anodes [111]. En effet, le sol étant un milieu électriquement résistant, toute structure métallique (palplanches par exemple), située sur le trajet électrique entre le déversoir (système anodique) et le défaut et facilitant le transport du courant de protection, sera traversée par une partie du courant de protection.

L’entrée du courant vagabond correspond aux zones de la structure les plus proches du déversoir et les sorties de courant correspondent aux zones les plus proches du défaut de revêtement de la canalisation. Les zones d’entrée sont de fait protégées cathodiquement alors que les zones de sortie de courant subissent une corrosion accélérée

Si la structure concernée est également sous protection cathodique, l'existence de courants vagabonds réduit l'efficacité de cette protection électrochimique, car le courant censé protéger la structure est amoindri au niveau des sorties de courant [127]. Il y a donc une interaction complexe entre les systèmes de protection cathodique et les autres structures métalliques voisines.

Figure III-6 Schéma de principe de la corrosion par courants vagabonds générés par une installation de protection cathodique [122]

Alors que les courants vagabonds induits par une protection cathodique externe sont des courants continus (DC), la corrosion peut également être initiée ou accélérée sous l’influence d’un courant alternatif (AC). Cet autre mécanisme de corrosion résulte notamment de tensions alternatives induites dans les pipelines enterrés à proximité de lignes électriques à haute tension. La corrosion sous courant alternatif engendre une corrosion localisée de l’acier sous un défaut de revêtement ; elle se manifeste par un dépôt métallique sphéroïdal recouvrant une piqure hémisphérique peu profonde ; ce faciès de corrosion s’explique par la succession des phases de polarisation anodiques et cathodiques imposée par la sollicitation alternative [128]. Les dégradations induites par ces interférences alternatives sont cependant beaucoup moins dangereuses et fréquentes que celles causées par les courants vagabonds continus. Certains auteurs ont énoncé qu’une sollicitation alternative entraînait une cinétique de corrosion 100 fois plus faible qu’un courant continue à intensité équivalente [129].

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