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I.1.3. Spécificités de la corrosion de l’acier dans le béton

I.1.3.2. Corrosion de l’acier par les ions chlorure

Les ions chlorure constituent un facteur important de risque pour le béton armé en environnement marin ou exposé à l’épandage de sels de déverglaçage. Ils pénètrent dans le réseau poreux du béton et déstabilisent le film d’oxydes protecteur des armatures, conduisant à une corrosion galvanique entre la zone dépassivée et le reste du ferraillage passif. On parle généralement de corrosion par piqûres car la dépassivation de l’acier est très localisée sur une partie du ferraillage. La Figure I-11 est une représentation schématique d’un système de corrosion localisée induite par la dépassivation locale de l’acier par les chlorures.

Figure I-11 Illustration schématique de la corrosion localisée induite par les ions chlorures

L’observation du faciès de corrosion localisée des armatures par les chlorures (Figure I-12) fait cependant état d’une consommation préférentielle de l’acier en surface. Le concept électrochimique de piqûre (consommation du métal en profondeur) tel qu’il est usuellement défini dans l’étude de de la corrosion des alliages en exposition marine [62] ne semble donc pas convenir parfaitement aux phénomènes en présence ici. La phénoménologie de croissance d’un site de corrosion induit par les chlorures exogènes au béton fait l’objet d’une discussion dans le chapitre 2 et d’une étude approfondie dans le chapitre 4 de ce document.

Figure I-12 Faciès typique de corrosion localisée des armatures du béton par les chlorures [63]

Les mécanismes de transport des chlorures diffèrent suivant le type d’exposition de l’ouvrage. En environnement marin par exemple, on distingue :

- Les zones immergées en permanence pour lesquelles le béton est saturé et le transport des chlorures se fait uniquement par diffusion sous l’effet du gradient de concentration entre la surface riche en chlorures et le cœur qui en est dénué.

- Les zones de marnage et d’éclaboussures dans lesquelles le béton est partiellement saturé (cycle humidification-séchage) ; les chlorures exogènes peuvent alors pénétrer dans le béton par

absorption capillaire et être transportés au travers de la phase liquide par advection (mouvement de l’eau libre) en plus des phénomènes diffusifs.

De manière générale, le transport des ions chlorures jusqu’aux armatures est plus rapide dans un béton soumis au cycle d’humidification-séchage et donc partiellement saturé. C’est une des raison principale qui explique que la norme EN 206-1 [64] soit plus sévère vis-à-vis des zones de marnage et d’éclaboussures, pour lesquelles elle préconise un enrobage nominal des aciers plus important qu’en zone immergée. Dans le cas d’un béton très sec qui présente un degré de saturation de 60%, la discontinuité de la phase liquide empêche la diffusion des ions à travers le réseau poreux.

Le processus de dépassivation des aciers est amorcé lorsque le front de pénétration des chlorures a traversé le béton d’enrobage et atteint le premier lit d’armatures. Une partie des chlorures qui diffusent à travers le béton est piégée par la matrice cimentaire soit par adsorption à la surface des hydrates soit par précipitation sous la forme de complexes comme les sels de Friedel [65]. Les chlorures liés ne peuvent théoriquement pas contribuer au processus de dépassivation de l’acier. Lorsque la concentration en chlorures libres dépasse une valeur critique au voisinage de l’acier, la couche passive est localement endommagée et la corrosion galvanique est alors initiée.

Il n’existe pas de consensus sur les mécanismes physico-chimiques exacts impliqués dans la dépassivation de l’acier par les chlorures mais la communauté scientifique semble s’accorder néanmoins sur certains points [66]. Les chlorures pénètrent à travers les défauts de la couche passive et sont adsorbés (théorie de la double couche) à la surface des oxydes. L’adsorption des chlorures peut conduire à une rupture locale du film de passivation par électrostriction due à la l’abaissement de la tension superficielle. De plus, les ions chlorure agissent comme une « pompe à cations » et catalysent de ce fait la réaction de dissolution du fer par formation de chlorure ferreux 𝐹𝑒𝐶𝑙$ (Eq. I-82) et chlorures ferriques 𝐹𝑒𝐶𝑙ƒg (Eq. I-83) :

𝐹𝑒$e + 2𝐶𝑙g→ 𝐹𝑒𝐶𝑙$ Eq. I-82

𝐹𝑒$e+ 3𝐶𝑙g→ 𝐹𝑒𝐶𝑙ƒg+ 𝑒g Eq. I-83

A leur tour, les complexes réagissent avec les ions hydroxydes de la solution interstitielle pour former des complexes ferreux hydratés selon les réactions (Eq. I-84) et ( Eq. I-85) :

𝐹𝑒𝐶𝑙ƒg+ 2𝑂𝐻g→ 𝐹𝑒(𝑂𝐻)$+ 3𝐶𝑙g Eq. I-84

𝐹𝑒𝐶𝑙$+ 2𝐻$𝑂 → 𝐹𝑒(𝑂𝐻)$+ 2 𝐻𝐶𝑙 Eq. I-85

L’hydroxyde ferreux, instable en solution à température ambiante, se transforme en magnétite (Eq. I-86) :

𝐹𝑒(𝑂𝐻)$→ 𝐹𝑒ƒ𝑂Æ+ 𝐻$+ 2𝐻$𝑂 + 2𝑒g Eq. I-86

Les électrons libérés au cours de ces réactions sont consommés au niveau des sites cathodiques (acier passif) du ferraillage environnant la zone active. L’attaque par les chlorures constitue donc un processus conduisant à une diminution du 𝑝𝐻 (acidification locale) et à un recyclage des ions chlorures (phénomène auto-entretenu). Les mécanismes physico-chimiques liés à la pénétration des chlorures à

travers la matrice cimentaire et au processus de dégradation de la couche passive sont illustrés schématiquement dans la Figure I-13.

Figure I-13 Illustration schématique du processus de corrosion des armatures par les ions chlorures et leurs interactions avec la matrice cimentaire environnante

Le concept de seuil critique en chlorures à partir duquel la corrosion de l’acier serait initiée a été introduit en 1997 par Glass et Buenfeld [67]. La détermination expérimentale de ce seuil a fait l’objet de nombreux travaux, sans pour autant aboutir à un consensus net. Dans la littérature scientifique, on observe en effet une grande variabilité des seuils proposés, compris entre 0.35% et 3% de chlorures totaux (sommes des chlorures libres et liés) par rapport à la masse de ciment [68].

Ce seuil de concentration en chlorures dépend de nombreux paramètres liés à l’acier, au béton et à l’interface acier-béton [69]. En effet, le type d’acier peut avoir une influence de par sa métallurgie, la géométrie de ses crénelures ou encore son état de surface. Dans ce dernier cas, le seuil d’initiation peut être significativement différent si l’acier est nettoyé à l’eau avant mise en place ou pré-oxydé par le stockage sur site (avec présence ou non de chlorures ambiants)... De plus, la microstructure et la composition chimique du béton modifient également le seuil d’initiation : type de ciment, rapport Eau/Liant. Enfin l’interface acier-béton joue aussi un rôle dans le processus d’initiation de la corrosion de par la présence de vides macroscopiques à l’interface : vides d’air, zone de transition (ITZ), fissuration de retrait…

Comme évoqué plus haut, les évaluations du seuil critique de chlorures sont très dispersées dans la littérature scientifique. On retrouve usuellement une valeur de 0,4% exprimée en chlorures totaux par rapport à la masse de liant. Cependant, de récents travaux [70] ont montré que le seuil est en réalité bien plus élevé pour des bétons à fortes teneurs en additions réactives (laitier, fumée de silice, cendre volante…). Dans le cadre d’un diagnostic de corrosion, l’utilisation d’une valeur unique de seuil critique sans tenir compte des caractéristiques de l’ouvrages comme la formule du béton ne semble donc pas être une approche efficiente.

La modélisation du transfert des ions chlorure à travers le béton et de leur implication dans le processus de corrosion de l’acier fait l’objet du chapitre 4.

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