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Influence du degré de saturation sur la cinétique de dissolution de l’acier (aspects cinétiques)

Discussions phénoménologiques sur la corrosion de l'acier dans le béton armé -

II.2. Influence du degré de saturation sur l’équilibre du système de corrosion : cinétique et thermodynamique

II.2.2. Influence du degré de saturation sur la cinétique de dissolution de l’acier (aspects cinétiques)

Dans une démarche de diagnostic non destructif, l’observable usuellement utilisée pour statuer sur l’état de corrosion d’un ouvrage est le champ de potentiel mesuré à la surface du béton par rapport à une

électrode de référence. En effet, la présence d’un gradient significatif de potentiel constitue un signe fort de la présence d’un site localisé de corrosion active. La Figure II-14 illustre schématiquement le principe métrologique de l’évaluation du champ de potentiel en surface. Cette illustration pédagogique résulte d’une simulation numérique des lignes de courant de corrosion galvanique et des lignes équipotentielles relatives au cas d’étude présenté dans cette section.

Figure II-14 Principe de la mesure de potentiel et Distribution des lignes de courant de corrosion galvanique (rouge) et des lignes équipotentielles (bleu)

La présence d’un puits sur une carte de potentiel de surface est le signe d’une corrosion galvanique entre un site d’acier actif et un site d’acier passif ; l’acier actif se corrode (corrosion par macrocellule) selon une cinétique généralement rapide, bien que dépendante de la résistivité électrique du béton d’enrobage. A noter que les électrons produits au niveau du site actif contribuent à protéger cathodiquement le ferraillage passif environnant. Le champ de potentiel est mesuré en déplaçant une électrode de référence au contact du béton, électrode préalablement connectée à l’armature via un voltmètre de haute impédance. Le champ de potentiel ainsi mesuré est constitué par les lignes équipotentielles interceptées en surface. Ce champ mesuré en surface constitue donc une image atténuée du champ de potentiel régnant à l’interface acier-béton.

La détection des gradients de potentiels en surface est reconnue par la profession comme une méthode pertinente pour identifier les zones de corrosion active. En pratique, les gradients de potentiels sont calculés par différence finie à partir d’une carte de potentiel réalisée selon un maillage régulier. Même si cette approximation est relativement grossière au vu de la taille des mailles choisies (généralement plusieurs dizaines de centimètres), on choisit ici de reproduire cette méthode de calcul afin d’être le plus représentatif possible des techniques de diagnostic utilisées actuellement. Dans cette étude de cas, le gradient de potentiel est ainsi calculé en surface sur une maille de 10 cm entre le centre du modèle de potentiel 𝐸}K€ et le bord de potentiel 𝐸}•µ (Figure II-14).

La Figure II-15 décrit la variation du courant de corrosion (en rouge) et du gradient de potentiel (en bleu) en fonction du degré de saturation. L’équilibre du système de corrosion galvanique de l’acier dans le béton dépend de trois facteurs influents majeurs :

- les comportements électrochimiques respectifs des zones d’acier passives et actives (contrôle de la cinétique de corrosion par le transfert de charge) ; la partie précédente a notamment mis en lumière le

fait que les gradients de concentrations (en hydroxydes, en cations métalliques…) pouvaient affecter le comportement électrochimique intrinsèque de l’acier ;

- le champ de résistivité électrique dans le volume de béton.

- l'apport en dioxygène par diffusion à travers la matrice de béton partiellement saturée vers les régions cathodiques à l'interface acier-béton (contrôle cathodique de la cinétique de corrosion par le transfert de masse).

Figure II-15 Variation du courant de corrosion (en rouge) et du gradient de potentiel (en bleu) en fonction du degré de saturation du béton

Du point de vue de la cinétique de corrosion galvanique, le degré de saturation en eau constitue un facteur influent de premier ordre de par son impact sur :

- Les propriétés de diffusion de dioxygène à travers le béton ;

- La résistivité électrique du béton.

Cependant, une variation du degré de saturation produit des effets antagonistes quant aux phénomènes diffusifs et résistifs. En effet, à titre d’exemple, une augmentation du degré de saturation implique :

- Une diminution de la résistivité électrique, favorable à l’augmentation de la cinétique de corrosion ;

- Une diminution du coefficient de diffusion du dioxygène, favorable à la diminution de la

cinétique de corrosion par l’effet de contrôle cathodique.

Lorsque la teneur en eau du béton varie, il s’en suit alors une compétition entre les effets résistifs et diffusifs pour le contrôle de la cinétique de corrosion. Un béton sec facilite le renouvellement en dioxygène (par diffusion dans la phase gazeuse de la matrice cimentaire), mais la rupture partielle de la phase liquide limite le transport des porteurs de charges ioniques, impliquant une élévation de la résistivité et une limitation du courant galvanique. Dans un béton sec, la corrosion est contrôlée par les phénomènes de transport électrique ; l’apport de dioxygène n’étant pas le facteur limitant. A l’inverse, dans un béton saturé en eau, le transport de du dioxygène dissous dans les pores remplis d’eau est très

lent, alors que la conductivité électrolytique du milieu est très élevée. Dans ce cas, les échanges galvaniques ne sont plus contrôlés par la résistivité électrique du béton mais par la vitesse de réaction cathodique, limitée par la vitesse de diffusion du dioxygène vers le ferraillage passif.

Cette compétition entre phénomènes diffusifs et résistif implique l’existence d’une valeur optimale du degré de saturation associée à une cinétique de corrosion maximale. Cet optimum se traduit par la forme en cloche de la courbe du courant de corrosion en fonction du degré de saturation en eau (Figure II-15). La maximisation du courant de corrosion galvanique est ici obtenue pour un optimum de saturation de 70 %. Dans un béton saturé à moins de 70% d’eau, l’apport en dioxygène est parfaitement assuré à l’interface acier passif-béton. La cinétique de dissolution de l’acier dépend donc uniquement de la résistivité du béton. Dans la gamme de saturation étudiée (entre 50% et 70%), plus le béton est sec et plus la cinétique de corrosion est lente. Une armature en acier se corrode environ deux fois plus vite

dans un béton saturé à 70% d’eau (43 µ𝐴/𝑐𝑚) que dans un béton saturé à 50% (23 µ𝐴/𝑐𝑚). Ainsi,

comme attendu intuitivement, un ouvrage corrodé dans un environnement aride (climat chaud et sec toute l’année) se dégrade plus lentement que le même ouvrage dans un environnement tropical (climat chaud mais plus humide).

Dans un béton saturé à plus de 70% en eau, la disponibilité en dioxygène n’est plus illimitée au niveau des sites cathodiques et la vitesse de diffusion du dioxygène devient alors un paramètre de contrôle de la cinétique de corrosion, au même titre que la résistivité du béton. Dans les fortes gammes de teneur en eau, plus le béton est saturé et plus la cinétique d’oxydation du fer est faible du fait du contrôle cathodique induit par les difficultés de renouvellement du dioxygène. Ce résultat va par exemple dans le sens des classes d’agressivité définies par la norme NF EN 206 pour les ouvrages partiellement immergés en milieu marin. En effet, pour ce type d’ouvrages, la norme stipule que les parties émergées (partiellement saturées) présentent un risque de corrosion accru au regard des zones totalement immergées (saturées). Cette classification normative s’appuie sur un retour d’expérience solide, basé sur l’observation d’une multitude d’ouvrages maritimes corrodés. L’expérience numérique paramétrique réalisée ici est en phase avec ces observations.

Le gradient de potentiel est également fortement impacté par le degré de saturation du béton. Sa courbe caractéristique en « S » décroit avec le degré de saturation. Le gradient est maximal et à peu près

constant (6,5 𝑚𝑉/𝑐𝑚) dans un béton sec où le dioxygène est en quantité suffisante pour assurer la

réaction cathodique en tous points du ferraillage passif. A l’inverse, le gradient de potentiel est

quasiment nul dans un béton saturé à plus de 90% d’eau et donc non mesurable expérimentalement (<

0,5 mV/cm). Le dioxygène n’est plus renouvelé à l’interface acier-béton modifiant le comportement électrochimique de l’acier passif. Le potentiel de corrosion de l’acier passif peut atteindre des valeurs très électronégatives dans des bétons fortement saturés se rapprochant ainsi du potentiel de corrosion de l’acier actif. Le champ de potentiel tend à s’uniformiser par la polarisation mutuelle de l’acier actif (polarisation anodique) et de l’acier passif (polarisation cathodique). Il devient alors particulièrement difficile de détecter un site de corrosion dans un structure très humide.

On alerte ici le lecteur sur le fait que les résultats quantitatifs présentés ne peuvent évidemment pas être transposés dans l'absolu à n’importe quelle structure corrodée. En effet, la position de l’optimum, définissant l’étendue des domaines de disponibilité en dioxygène, ou encore la valeur de la cinétique de corrosion maximale dépendent de nombreux paramètres géométriques et physiques (forme de l’élément de structure, conditions aux limites, porosité du béton et résistivité associée, enrobage, densité de ferraillage…). Une analyse quantitative passe nécessairement par une modélisation numérique, au cas par cas, propre à chaque ouvrage.

A l’instar de la partie précédente, il est intéressant d’étudier comment se distribue spatialement la perte de masse d’acier. On reprend ici les concepts proposés de densités de courant de corrosion longitudinale 𝑖µ (en magenta) et transversale 𝑖# (en orange). Les courants obtenus dans le cadre de cette étude

paramétrique sont tracés en fonction du degré de saturation dans la Figure II-16.

Figure II-16 Variation du courant de corrosion longitudinal (en magenta) et transversal (en orange) en fonction du degré de saturation du béton

Comme attendu, les densités de courants de corrosion longitudinale et transversale présentent la même allure en cloche que le courant de corrosion total ; les cinétiques de progression du site actif en surface comme en profondeur sont également maximales dans un béton saturé à 70%. Cependant, bien que ces comportements soient qualitativement similaires, quelques différences notables sont à souligner. En effet, l’influence du degré de saturation sur ces deux vitesses n’est pas identique ; le rapport des vitesses de croissance longitudinale et verticale n’est donc pas constant comme en témoigne la Figure II-17. On rappelle que ce rapport donne une indication sur le mode de croissance du site actif en distinguant la croissance longitudinale (ou surfacique en 3D) et la croissance transversale (perte de section). Cette information vient donc en complément du courant de corrosion total qui est associé à la perte totale de masse d’acier.

Figure II-17 Variation des caractéristiques cinétiques décrivant la propagation du site de corrosion sur l’acier en fonction du degré de saturation : Courant de corrosion (en rouge) et Rapport des vitesses de croissance

longitudinale versus transversale (en noir)

Dans un béton sec où le dioxygène est disponible en quantité illimité à l’interface acier-béton, la résistivité est le paramètre prépondérant pilotant les cinétiques locales de propagation (gamme de saturation comprise entre 50% et 70%). Dans tous les cas, la cinétique de croissance longitudinale est significativement supérieure à la cinétique transversale. Cependant, un béton sec accentue le déséquilibre entre les vitesses de croissance longitudinale et transversale. En effet, les bords du site actif échangent avec les zones passives limitrophes et les porteurs de charges ioniques parcourent une distance très courte. La résistivité du béton a donc un impact limité sur la vitesse de propagation longitudinale (23% d’augmentation entre 50% et 70% de saturation en eau). A l’inverse, le centre du site de corrosion échange avec les zones passives les plus éloignées ; les porteurs de charges ioniques doivent donc parcourir une plus grande distance et la vitesse de propagation transversale est de ce fait plus fortement affectée par la résistivité électrique du béton (110% d’augmentation entre 50% et 70% de saturation en eau). Finalement, le site de corrosion actif se propage 190 fois plus vite en surface qu’en profondeur dans un béton saturé à 50% contre 110 dans un béton saturé à 70%.

Dans un béton plus humide (supérieur à 80% de saturation en eau), le rapport de ces vitesses de croissance est beaucoup plus faible mais à peu près constant ; le site actif se propage environ 25 fois plus vite en surface qu’en profondeur. En effet, la résistivité du béton n’est plus le paramètre de contrôle et les cinétiques de propagation locales sont pilotées par la vitesse de renouvellement du dioxygène.

II.2.3.Influence du degré de saturation sur la stabilité thermodynamique des

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