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PARTIE I. LES CONFINS TOURISTIQUES DE NATURE, ESPACE, REPRÉSENTATIONS ET PRATIQUES ESPACE, REPRÉSENTATIONS ET PRATIQUES

I.3. Les usages touristiques des confins de nature

3.1. Pratiques touristiques dans les espaces de nature

3.1.2. Spatialisation des pratiques

Nous avons abordé les pratiques touristiques habituellement décrites et leurs évolutions historiques, mais quels seraient les facteurs qui amènent un visiteur à choisir une destination ? C'est l'enjeu de nombreuses études cherchant à comprendre les motivations de possibles destinations émergentes ou en cours de reconversion. Il est clair que le marketing et la disponibilité d'informations disponibles ne sont pas suffisants. Les facteurs motivationnels, thématiques, émotionnels et les imaginaires du voyage semblent primer, mais aussi s'adapter à l'offre existante de services et d’infrastructures (Pearce & Schott, 2005).

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Mondialisation du fait touristique

L’appropriation de la planète par le tourisme semble évidente (Gay, Vacher, & Paradis, 2011). En effet, « il n'y a plus guère de lieux qui résistent à la mise en tourisme du Monde et l'écoumène touristique déborde l'écoumène humain de l'"habiter" sédentaire, car le tourisme est fondamentalement un déplacement et participe de ce fait pleinement à la mise en circulation du Monde à différentes échelles » (Gay, 2006). « Le tourisme a aussi été l’agent d’une mondialisation spécifique qui a produit son propre espace de flux et de pratiques» (Sacareau, 2017). De nombreux auteurs montrent les logiques de construction de hauts lieux (Debarbieux, 1995a) et d’hyper-lieux (Lussault, 2017) et la mondialisation du phénomène.

C'est « dans le contexte particulier de la colonisation au cours du XIXe siècle (...) que s’est

effectuée la mise en tourisme des montagnes d’Asie, d’Afrique ou d’Amérique latine » (Sacareau, 2017). Cette globalisation inégale et polarisée c'est accrues vers tous les recoins de

la planète au XXe siècle avec l'accéleration des mobilités et des moyens de transport (Gay,

2006), vers des destinations chaque fois plus nombreuse. La carte 16 montre les lieux de la planète reconnus comme destinations touristiques en 2003 et datés en fonction de leur première fréquentation (Gay, Vacher, & Paradis, 2011).

Carte 16. Lieux touristiques selon la période de première fréquentation selon Gay & al. en 2011

(Gay, Vacher & Paradis, 2011)

L'Europe, l'Angleterre, les États-Unis et la France sont parmi les destinations mondiales les plus anciennes (avant 1800), alors qu'en Chine par exemple, le phénomène est plus récent.

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L'Amérique Latine, hormis les grandes villes comme Rio de Janeiro, Sao Paolo, Lima ou Buenos Aires, s'insèrent dans la dynamique touristique après les années 1950, laissant aujourd'hui encore de nombreux espaces vides.

Pour les auteurs de la carte 17 (SASI Group & Newman, 2006), seuls 10% de la population mondiale voyagerait et certains pays sont particulièrement touristiques. L'Europe recevrait 46% des voyageurs : en 2003, l'Andorre recevait 45 visites par habitant, Monaco 7, les Bahamas 5 et l'Islande 2,57 (en 2014 ce ratio est passé à 3 visiteurs par habitant).

Carte 17. Le poids des destinations touristiques nationales selon le nombre d’arrivées en 2003

(SASI Group & Newman, 2006, soruces ; World Banque & World Development Indicators, 2003)

Si l'on examine la carte 17, une analyse par anamorphose de l'importance des destinations selon le nombre d'arrivées, il apparait clairement que le poids de l’Europe en général, et de la France en particulier, suivis par ceux des États-Unis et de la Chine, structurent les flux d'ensemble. Le poids du tourisme est cependant relatif pour chacune de ces destinations et d'une année sur l'autre, les flux de voyageurs varient au gré des aléas sécuritaires et des modes. Le poids relatif des destinations reste assez stable dans son ensemble et certaines continuent de dominer alors que d'autre stagnent ou régressent. C'est ce qui a poussé de nombreux auteurs (Bachimon, 2013, 2005). à chercher à comprendre l'apparition et la disparition de certaines destinations.

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Confins touristiques de nature, le début d'un cycle de vie?

Pour R. Butler (1980), les destinations touristiques seraient animées selon un cycle : le Tourism

Area Life Cycle ou TALC (figure 19). Il montre comment dans le temps, les espaces touristiques

évoluent selon le nombre de visiteurs qu'il reçoit. Il existerait ainsi 6 phases dans la vie d'une destination : (1) la découverte et l'exploration, (2) l'implication des acteurs locaux, (3) le développement de l'offre, (4) la consolidation commerciale puis (5) une phase de stagnation pour atteindre (6) un état d'incertitude entre le renouvellement, le décroissement, la stabilisation ou le déclin, progressif ou rapide. Chaque décideur peut ainsi, théoriquement, prendre des mesures pour éviter le déclin d'une destination.

Figure 19. Le cycle de vie des destinations touristiques selon Butler en 1980

(Butler, 1980)

De nombreux auteurs anglo-saxons ont basé leur travail sur l'idée de ce cycle, mais plusieurs analyses critiquent sa pertinence. Un essai de comparaison des modèles d'évolution des produits touristiques de nature, proposé par Mao (2003), montre que les modèles de Chadefaud (1987), Clary (1993), Miossec (1976) et Butler (1980) incorporent des éléments semblables que l'on retrouve dans la création des lieux de pratiques sportives. André Suchet considère que le cycle de vie proposé est un concept inadapté à l’étude d’une aire géographique, car la « notion de cycle de vie est adaptée à un produit, mais non à une destination qui peut bénéficier de plusieurs cycles de vie différents » (Suchet, 2015). En effet,

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une destination n'est pas que la coïncidence entre l'offre et la demande. Butler fait lui-même un bilan des critiques de son modèle (Butler, 2011). Il reconnait la complexité de l'évolution des destinations et le besoin de prendre en compte d'autres indicateurs que celui du nombre de touristes, au profit de ceux pouvant évaluer des incidences socioculturelles et environnementales sur l'espace visité. Il défend la pertinence d'ensemble de son modèle, mais reconnait le bien-fondé de descriptions plus précises, telle que celle de Zimmermann (1997, In Butler 2011) sur la diversité des évolutions des systèmes touristiques selon les types de pratiques.

Se pose ainsi la question de savoir si les confins, lorsqu'ils reçoivent leurs premiers touristes, se situent dans la phase 1 du cycle de vie d’une destination. Un espace "proto-touristique" ou émergent semble échapper à la logique organisée de l'offre et de la demande. Si bien, l'image générale d'une évolution temporelle est recevable, car il y a bien un cycle avec un début et une apogée d'une dynamique touristique, suivie de questionnements concernant son devenir (Botterill & al., 2000). Cependant, cette évolution est à la fois relative aux pratiques concernées et à des lieux spécifiques. En outre, il semble que celle-ci est très souvent tributaire d'aléas dont la résolution est assez indépendante des volontés locales ou des politiques publiques. Comme le montre Mao (2003), un lieu devient touristique de manière hétérogène et avec une évolution historique propre à chaque cas. L'attrait initial d'un espace de nature n'est fondamentalement pas lié aux infrastructures ou à une offre touristique où à une volonté locale d'accueil ; « Les confins montagnards ont été « progressivement englobés dans l’écoumène touristique des Européens et des Nord-Américains, à travers des pratiques telles que l’alpinisme, l’écotourisme ou la découverte des villages des minorités ethniques, avec une inégale participation des sociétés montagnardes dans la mise en tourisme de leur territoire » (Sacareau, 2017). Ces espaces "potentiels" ou émergeant attirent des touristes sportifs ou aventuriers, selon une logique qui n'est pas celle de l'offre et de la demande. Les contraintes des espaces marginaux, qui pourraient limiter les perspectives de développement d'un tourisme de masse, peuvent-être la source d'intérêt principale d'un lieu. Ainsi la transformation d'un territoire non touristique à celui d'un lieu à la mode est sujet à des phénomènes complexes de réactions locales, d'acceptation ou de rejet du visiteur et de ses motivations.

Les espaces touristiques de wilderness semblent être le négatif des hauts lieux touristiques de la planète (carte 18). Il ressort de l'analyse croisée des évaluations des espaces de wilderness importants et des lieux touristiques, que moins l'espace est touristique, plus le lieu semble avoir une importance pour la conservation de la biodiversité. Un confin touristique est soumis à des flux touristiques résiduels, d’abord du fait de leur éloignement. Ensuite, ils sont souvent

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peu installés dans les imaginaires collectifs et "souffrent" d'un manque d'aménagement ou d'organisation structurelle pour le tourisme. Cependant, nombre d'entre eux sont des lieux dont l'importance est reconnue, car ils sont souvent des hotspots de biodiversité (Mittermeier & al., 2003) et des lieux légitimés pour leurs qualités paysagères. Plus le tourisme, qui permet observer la vie sauvage (Newsome, Dowling, & Moore, 2005), se développe plus l’attrait de la destination est affecté, du fait de l'impact sur la biodiversité de ces pratiques. Le possible développement devient alors un désastre socio-culturel et écologique (Hall & Boyd, 2005).

Carte 18. Wilderness en 2003 et destinations touristiques en 2007, une symétrie en négatif

(Bourlon, 2018, sources Mittermeier, 2003 ; Gay & al., 2011)

Évolution spatiale et temporelle des espaces touristiques de nature

Avec l’ultra-mobilité et l’hyper-connectivité, une accélération de la mise en tourisme de certains confins de nature semble avoir lieu. On observe que des espaces passent chronologiquement du statut de marge touristique à celui de hauts lieux. Or l'attrait touristique principal pour les amateurs de confins semble lié à leur faible organisation et à une nature non endommagée par l’homme, l'absence d'infrastructures touristiques étant alors un aspect positif pour le voyageur d'aventure et d'exploration. Pearce (1995) modélise l'incorporation de nouveaux espaces touristiques (figure 20). Au départ de métropoles où les loisirs se popularisent, les touristes migrent peu à peu vers des destinations périphériques, urbaines puis rurales. Une fois les destinations urbaines installées, les pratiquants migrent vers des espaces de nature, proximaux et aménagés, pour finalement s'intéresser aux destinations lointaines. Ainsi, pour Pearce (1995), les wilderness éloignés sont des lieux touristiques périphériques pour des voyageurs et praticiens expérimentés. Il convient de comprendre ces processus afin de gérer les destinations en fonction de cette demande (Pearce, 2013). On retrouve cette inquiétude dans l'essai de compréhension de la création des lieux sportifs de Mao (2003), où une pratique spécifique peut donner lieu à la création de

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parcs de loisirs urbains, de stations vertes, de bases de loisirs de plein air ou d'espaces pour des pratiques libres (pédestre, équestre ou alpine), diffus ou concertés et semi-intensifs (dans les parcs naturels). Dans son étude sur les pratiques de sport nature, il différencie trois espaces de pratique : celui de l’espace de vie, celui des espaces naturels et celui des confins (Mao, 2003). Les pratiques sportives évoluent d'un espace de proximité, proche du lieu de vie, vers des séjours sportifs courts dans l’espace régional, puis au niveau national ou international. Il y a une lente appropriation des lieux par les pratiquants de loisirs et de sports

de nature (Bessy, 2010). Mao (2003) identifie dans les gorges du Verdon, des phases précises

et des périodes historiques où des pratiques et logiques culturelles dominent. Le processus de développement des lieux de sport nature débute souvent par de mythiques "premières", suivies d'une lente territorialisation du fait de la massification et diversification des pratiques.

Figure 20. La fabrication contemporaine des destinations périphériques de nature selon Pearce, 1995

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L'internationalisation de ce phénomène est qualifiée de « nouvelles formes de nomadisme » (Mao, 2003) ou d'« ubiquisation des loisirs » (Chazeaud, 2000). Les confins n’apparaissent pas spatialement fixés et les pratiques de style californien (Mao, 2003) se retrouvent jusqu'en Patagonie dès les années 1970 (Bourlon, 2017). D’un point de vue spatial, les enjeux du tourisme sont fortement liés à la distance du bassin d’origine, à l’accessibilité aux lieux de pratiques et surtout au temps requis pour les rejoindre. Tel que le précise Hall (2005) dans sa

théorie des mobilités temporaires dans le temps et l'espace87, les types de tourisme sont

étroitement liés à l’isolement et ces lieux favorisent certaines pratiques. Une pratique quotidienne ou de loisir de fin de semaine est la marque d’un espace touristique péri-urbain. Le tourisme au long cours, sur une durée de plusieurs semaines ou plus, s’inscrit dans le cadre d’une destination lointaine propre aux wilderness. Sur la base de ce postulat, Zilinger (2005) a étudié les typologies de pratiques des visiteurs, principalement suédois et allemands, vers différents lieux touristiques. Elle confirme l'idée que les pratiques touristiques à la journée sont des promenades et des courses et celles du week-end la spécificité du tourisme domestique national et résidentiel. Au-delà de trois semaines, les pratiques sont celles de vacanciers nationaux et internationaux vers des logements locatifs et celles de travailleurs saisonniers allant vers une résidence secondaire. Enfin, les programmes d'échange d’étudiants étrangers et les voyages d'études, avec des séjours de type sabbatique d'Européens, sont ceux dont la durée et l'éloignement du lieu d'origine est le plus important (Zillinger, 2005). En définitive, les lieux lointains de wilderness attirent des voyageurs internationaux et pour des pratiques d'immersion sociales et sportives. Les espaces de nature lointains, une fois explorés et partiellement anthropisés, attirent un tourisme international au long cours. Ces lieux de frontière prennent, sous certaines conditions de consolidation, des usages récréatifs par des nationaux et peuvent devenir des destinations touristiques (Butler, 2002). Les pratiques sportives vers des espaces de nature lointains (nationaux ou internationaux) sont auto-organisées par des passionnés en réseaux informels, fonctionnant selon des règles tribales évolutives, auto-construites et légitimées. Ils cherchent la distinction dans la performance individuelle et collective et s'inscrivent dans une volonté d’autoréalisation (Mao, 2003). Les pratiques de voyages propres aux confins de nature semblent en revanche le fait de "découvreurs", de pionniers sportifs et aventuriers, exogènes au territoire (Grenier P., 2013 ; Grenier A., 2009 ; Sæþórsdóttir, Hall, & Saarinen, 2011). Les explorateurs récréatifs, les guides de montagne et les sportifs semblent ainsi être les touristes de prédilection des confins de nature. Quelques-unes des pratiques nordiques évoquées par les auteurs précédents sont les expéditions d’explorations scientifiques et sportives, les

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pratiques trans-modernes (héliski, chasse…), les aventures organisées (trek, randonnée à ski ou moto neige), les pratiques extrêmes ou ésotériques (de survie, de retour à la vie primitive et de retraite), les voyages expérientiels souvent individuels au long cours (les routards, les "road trips", le wwoofing) et autres voyages désorganisés (Michel, 2004).

À cette évolution des pratiques occidentales, il faut cependant constater un élargissement de

la problématique. Après « l'invention du tourisme en Europe au cours du XIXe siècle (...), le

développement du tourisme de masse issu des pays industrialisés, s'affirme depuis la fin des années 1970, une troisième révolution touristique : celle d'un tourisme de masse mondialisé et diversifié. » (Sacareau, Taunay, & Peyvel, 2015). Une augmentation du tourisme interne avec « de nouvelles destinations font leur apparition, qui sont, pour la plupart, inconnues du tourisme international » (op. cit.).