• Aucun résultat trouvé

PARTIE I. LES CONFINS TOURISTIQUES DE NATURE, ESPACE, REPRÉSENTATIONS ET PRATIQUES ESPACE, REPRÉSENTATIONS ET PRATIQUES

I.3. Les usages touristiques des confins de nature

3.2. La Patagonie chilienne, un espace en développement touristique

3.2.1. Flux touristiques vers les wilderness

Espaces du wilderness, espaces mondialisés

Dans son étude exploratoire sur les principales destinations touristiques nordiques, Tourisme Québec a voulu « caractériser les destinations touristiques nordiques qui ressembleraient aux destinations québécoises situées au nord du 49e parallèle » (Tourisme Québec, 2016). L’objectif est de « positionner leurs destinations au nord du 49e parallèle du Québec dans l’offre globale du tourisme nordique » (op. cit.). Cette étude est complétée par des données

193

existantes pour la Patagonie chilienne (SERNATUR, 2016) et argentine (MINTUR, 2014). Des espaces très significatifs comme la Sibérie, la Mongolie et autres espaces nordiques ou austraux, devraient idéalement être inclut à la réflexion. De nombreuses études existent sur la Nouvelle-Zélande et l'Australie, mais, au vu des flux touristiques, il semble que les dynamiques n'y soient pas celles de confins touristiques.

On observe une relation entre les types de pratiques, les imaginaires touristiques des lieux et les niveaux d’infrastructures (ports, aéroports, réseaux routiers et taille des villes). Le tourisme de croisière semble plus important en Norvège, Islande, Alaska et dans une moindre mesure en Argentine (à Ushuaia), où des ports d'une certaine importance peuvent accueillir le débarquement massif de centaines voir de milliers de passagers. Sur terre, les pratiques de découvertes de la nature, d'immersion culturelle et de bien-être sont importantes dans les pays scandinaves. Les pratiques d'aventure, de camping et de chasse sont l'apanage du Groenland, du Canada et de l'Alaska. En Patagonie, comme au Canada et en Alaska, priment la découverte des parcs, le camping, mais surtout le parcours en voiture des routes traversant des espaces naturels peu habités. L'observation de la faune est très présente en Alaska et dans une moindre mesure en Islande et en Patagonie où les grands mammifères sont peu nombreux.

Tableau 8. Les pratiques des confins touristiques nordiques en 2013

Espace

Nombre de touristes en 2013/2014*

Activités emblématiques

Laponie (Finlande) 1 région 401 586 Nature / culture / bien-être

Laponie (Suède) 1 comté 431 746 Nature / culture / bien-être

Nord et Svalbard (Norvège) 3 comtés 1 000 514 Nature / croisière

Islande Pays 998 600 Croisière, 4x4 et observation d'oiseaux

Groenland (Danemark) 1 région 69 580 Aventure & nature

Québec au-delà du 49e (Canada) 4 régions+ 174 008** Chasse et explorations scientifiques

Nunavut (Canada) 1 territoire 16 750 Banquise & icebergs

Manitoba du Nord (Canada) 1 région 68 000 Explorations

Territoires Nord-Ouest (Canada) Territoire 91 810 Nature, camping & aventure, T. d’affaires

Yukon (Canada) Territoire 443 300 Nature & aventure

Alaska (États-Unis) État 1 946 400 Croisière, montagne, parcs et

observation de la faune Patagonie argentine (Rio Negro,

Chubut, Sta Cruz, T. Fuego) 4 Provinces 2 063 389

Parcs et circuits routiers (croisières à Ushuaia)

Patagonie chilienne (Los Lagos,

Aysén et Magallanes) 3 Régions 692 376

Tourisme d'aventure, visites de parcs et circuits routiers

* Les données concernant le nombre de visiteurs ne sont pas strictement comparables du fait de méthodes de calculs différentes, incluant ou non le tourisme intérieur. Ainsi le tourisme national pour la Patagonie Argentine s'élèverait à 8 079 600 voyageurs. Seuls les voyageurs étrangers non résidents sont comptabilisés pour le Chili. **Pour le nord Québec il s'agit du nombre de passagers embarqués vers des destinations nordiques.

194

Il est aussi intéressant de voir que l'intensité des pratiques récréatives est très variable. Le tableau 8 montre le rapport qui existe entre la superficie des espaces étudiés, leur peuplement et les flux touristiques auxquels ils sont soumis.

Il apparait ainsi que la situation est très différente pour une région comme Aysén que pour l'Islande ou les pays de Scandinavie. Dans le premier cas la "densité touristique", c'est-à-dire le nombre de visiteurs au regard de la surface de la destination, est de seulement 0,73 visiteur

par km2 contre 9,68 en Islande et 7,57 en moyenne pour les pays scandinaves. De même, le

ratio de "pression touristique" entre le nombre de visiteurs et le nombre d'habitants du pays (ou région) visité varie énormément, de 0,7/habitant pour la région d’Aysén en Patagonie chilienne contre 3 pour l'Islande et 2,27 pour les pays d'Europe du Nord.

Intensité d’usage touristique

Un indicateur que l'on propose de qualifier d'"intensité touristique" semble pouvoir décrire l'importance générale de l'activité touristique sur un espace (tableau 9). En associant les valeurs de "densité touristique" et de "pression touristique", soit la somme de la "densité touristique" sur le territoire et de la "pression touristique" sur la communauté (c/a + c/b sur le tableau), il est possible de mettre en évidence des différences entre les espaces touristiques de nature.

Un indice d'intensité touristique d'un territoire entre 0 et 1 nous indique qu’il 'agit d'un confin touristique, entre 1 et 3 d'un espace touristique émergent, entre 4 et 8 d'un espace en devenir touristique et, au-delà de 8, d'un espace touristique consolidé. On constate que le niveau d'intensité de développement touristique la Patagonie chilienne et argentine est similaire à celui du Canada (hormis le Yukon) et de l'Alaska. Entre 2 et 3, c'est-à-dire émergents (si l'on exclut Ushuaia qui reçoit de nombreux croisiéristes), ils se situent bien en dessous de ceux des pays scandinaves et de l'Islande, pays touristiques consolidés. Le Groenland, la province du

Québec au-delà du 49e, le Yukon, le Territoire du Nord-Ouest et la région d’Aysén en Patagonie

195

Tableau 9. Densité et pression touristique sur des destinations nordiques en 2013-2014

Entité Superficie en km2 (a) Nbr. d’habitant s (b) Nbr. de touristes 2013 a 2014 (c) Densité touristique (c/a) Pression touristique (c/b) Pays nordiques d'Europe Plusieurs pays 374 379 1 249 469 2 832 446 7,57 2,27 Laponie (Finlande) 1 région 100 367 182 856 401 586 4,00 2,20

Laponie (Suède) 1 comté 97 257 249 436 431 746 4,44 1,73

Norvège du nord et Svalbard 3 comtés 173 997 484 648 1 000 514 5,75 2,06 Islande Pays 103 125 332 529 998 600 9,68 3,00 Groenland (Danemark) 1 région 2 166 086 55 984 69 580 0,03 1,24 Canada Fédéral (provinces) 5 518 489 314 347 810 860 0,15 2,58 Québec au nord du 49e (Canada) 4 régions+ 1 200 750 120 000 174 008 0,15 1,48 Territoires

Nord-Ouest (Canada) Territoire 1 346 106 44 100 91 810 0,07 2,08

Yukon (Canada) Territoire 482 443 37 400 443 300 0,92 11,85

Alaska (États-Unis) État 1 700 134 738 432 1 946 400 1,14 2,64 Patagonie Argentine Fédéral (provinces) 693 213 1 776 091 2 063 389 2,98 1,16 Terre de Feu (Ushuaia) Province 21 571 142 500 382 800 17,7 2,69 Patagonie Chilienne (Los Lagos, Aysén et Magellan)

3 Régions 289 368 1 098 399 692 376 2,39 0,63

Région d’Aysén 1 région 108 494 103 158 78 962 0,73 0,77 Région de

Magallanes 1 région 132 291 166 533 341 626 2,58 2,05

France

(référentiel) 1 Pays 750 000 60 000 000 80 000 000 106,67 1,33

(Tourisme Québec, 2016 ; SERNATUR, 2016 ; MINTUR, 2014)

La touristification de la Patagonie chilienne et argentine

Les pratiques touristiques en Amérique du Sud « se sont démocratisées dans la première

moitié du XXe siècle en particulier au Chili et en Argentine » et généralisé avec, notamment, «

la dictature moderniste de Carlos Ibáñez del Campo (1927 - 1931) » ou le péronisme en Argentine avec « l'encouragement du tourisme social, et le développement de centres de vacances balnéaires pour les classes moyennes » (Sacareau, Taunay, & Peyvel, 2015). Cependant le tourisme international n'a pris son essor en Patagonie qu'à partir des années 1970. Aujourd'hui la Patagonie est un espace symbolique, difficile à localiser sur une carte du

196

monde, mais dont tout le monde parle. Terre de contrastes et d’extrêmes, entre déserts, massifs glaciaires et archipels océaniques, elle fait rêver, car on la trouve lointaine, rude, isolée, inaccessible, mais attirante comme pouvaient l'être les Alpes il y a deux siècles. L'offre touristique proposée par de nombreux opérateurs montre une étonnante similitude des choix d'itinéraires (carte 19). Les voyageurs montrent à travers leurs blogs et carnets de voyage qu'ils reproduisent les mêmes schémas de voyages ; les lieux, la durée du séjour et les moyens de transport choisi. Un territoire grand comme la France est parcouru en 7 à 20 jours, selon deux grandes options d'itinéraires rythmés par des sauts de puce aériens ou de longs parcours terrestres dans la pampa désertique. La majorité des circuits organisés ont pour point de départ sud-américain la ville de Buenos Aires, tous choisissent de visiter la Péninsule Valdès (Puerto Madryn), El Calafate et le glacier du Perito Moreno et Ushuaia en Argentine ainsi que le Parc de Torres Del Paine au Chili. L'imaginaire est réduit à quelques hauts lieux installés par des émissions télévisuelles comme Ushuaïa ou par des plans de marketing rodés comme celui du Torres del Paine. Les mythiques Détroit de Magellan et Cap Horn sont à peine mentionnés sur les cartes. Malgré l’image qu’elle renvoie, la Patagonie n’est pas un lieu d’errance et de divagation touristique. Les interstices géographiques entre ces hauts lieux sont parfois de véritables non-lieux touristiques (Augé, 1992).

Carte 19. Les circuits touristiques en Patagonie en 2013

(Source; pages web des opérateurs touristiques Terre d'Aventure, Atalante,

197

Les lieux touristiques de la Patagonie possèdent des chiffres de fréquentations dont les ordres de grandeur restent modestes au regard du tourisme international. Les incontournables de la Patagonie sont majoritairement localisés en Argentine. Du nord au sud les lieux les plus connus sont Bariloche, la péninsule Valdès, El Chalten, le Fitz Roy, El Calafate, le glacier Perito Moreno et Ushuaia à l'extrême sud en Terre de Feu. Bariloche et, dans une moindre mesure, El Bolson et Esquel, sont des stations de montagne dans la Cordillère des Andes et proposent des activités de sports d’hiver et de nature diversifiées aux touristes nationaux, surtout brésiliens et chiliens (carte 20).

Carte 20. Les flux touristiques de la Patagonie en 2014

198

La Péninsule de Valdés et Puerto Madryn, lieux d’observation de la faune marine et stations balnéaires durant l’été austral, ont attiré 336 258 visiteurs (entrées payantes) en 2013 d’après l’administration Área Natural Protegida Península Valdés. 20% seraient des étrangers, 30% des Argentins de la région de Chubut et 50% des Argentins d’autres régions. Pour sa part, El Chalten, point de départ des trekkings menant au pied du Champ de Glace Patagonien Sud et des sommets du Fitz Roy et du Cerro Torre, est une station touristique qui a connu une croissance très rapide : la Direction du Tourisme d’El Chalten a estimé les fréquentations à 2000 touristes en 1996, à 46 000 en 2006 et à 75 000 en 2010 (www.portal-patagonico.com.ar, 2010). Ces chiffres ont désormais augmenté et atteint près de 80 000 en 2013.

N'existant pas d'entrée payante pour cette partie du parc, les statistiques nationales de fréquentation du Parc National Los Glaciares sont confondues avec celles du glacier Perito Moreno. Ce dernier, à quelques dizaines de kilomètres de route goudronnée de la ville d’El Calafate, est le haut lieu touristique de la Patagonie avec presque 600 000 visiteurs payants pour l'année 2013. Un espace très aménagé permettant l'accès aux personnes à mobilité réduite offre une vue panoramique à cet immense glacier en provenance du Champ de Glace Patagonien Sud qui, avec un front de glace de 80 à 120 m d'épaisseur, se jette dans un bras du lac Argentino. À l'extrême sud, au-delà de Rio Gallegos, la capitale régionale de la province de Santa Cruz, que très peu visite, est le Détroit de Magellan, la Terre de Feu et à son extrémité l'Ushuaia. La ville "del fin del mundo", comme l’annonce la pancarte à l’entrée de l’agglomération, et le Parc National de Tierra del Fuego situé à 15 km à l’ouest, ont accueilli 317 454 visiteurs en 2013, d’après l’Administration Fédérale argentine. Un bout du monde qualifié ironiquement, par certains des quelques 65 000 Argentins qui y vivent, de "Culo del

Mundo". En réalité, il s'agit d'une ville de Duty Free et d’un port d'embarquement et de

passage pour les croisières vers l'Antarctique.

En comparaison, la Patagonie chilienne connaît une lente mise en tourisme en dehors des deux hauts lieux du tourisme international que sont le Parc National de Torres del Paine (197 503 visiteurs ayant payé leur entrée en 2014) et le Parc National Vicente Perez Rosales, près de la ville de Puerto Montt et l'île de Chiloé, hors de l'espace patagon à strictement parler, avec 415 625 visiteurs. Ces deux espaces sont connectés aux espaces argentins et aux pôles d’attraction touristiques par bus ou, le plus souvent, grâce à des liaisons aériennes en raison des distances. Les villes argentines de Bariloche et d'Ushuaia sont distantes de 2 700 km, dont 1 500 km de piste non asphaltée. La région d’Aysén ne connaît ainsi que des fréquentations faibles. Ce constat se vérifie aussi pour les autres espaces tels que la partie chilienne de la Terre de Feu ou encore le sud de la région de Los Lagos : la province de Palena et le village de Chaitén, porte d'entrée vers le parc Pumalin.

199

Illustration 10. « Bienvenue à Ushuaia", le bout du monde et départ pour les croisières en Antarctique.

(Photo Bourlon, 2015)

Émergence du tourisme dans la région d’Aysén

Pour appréhender les fréquentations touristiques régionales, de multiples sources doivent être recoupées. Elles émanent principalement de l’Instituto Nacional de Estadísticas (INE), qui réalise le recensement de la population et de diverses données sectorielles, faisant un bilan statistique régional annuel. La CONAF (Corporación Nacional Forestal) fournit pour sa part les données de fréquentation des aires protégées (quand les entrées y sont payantes) et distingue les étrangers des habitants de la région et des visiteurs nationaux du fait d’un tarif différencié. La Policía de Investigación et les Carabineros fournissent le nombre de passages aux postes frontaliers avec l’Argentine et les nationalités des voyageurs. Les services portuaires (EMPORCHA - Gobernación Marítima) recensent les données du trafic maritime, le fret et le nombre de passagers ou de véhicules embarqués, sans différencier nécessairement la nationalité des personnes transportées. Enfin la DGAC, Direction Générale de l’Aéronautique Civile, comptabilise le nombre d’arrivées et de départs des aéroports, distinguant les voyageurs nationaux et internationaux.

C'est finalement le Ministère de l’Économie, du Développement et du Tourisme (Ministerio de

Economía, Fomento y Turismo), par son Service Régional du Tourisme (SERNATUR), qui réalise

les bilans touristiques annuels. Ces compilations de données collectées auprès des autres services d'État sont interprétées et complétées par diverses enquêtes thématiques. Certaines données nationales sont remises sous forme de tableaux Excel, permettant un travail d'analyse statistique. La définition du statut de touriste reste pourtant large et seule la comptabilité par nombre de visiteurs étrangers et non-résidents est fiable. Diverses études ou recherches ponctuelles et sectorielles permettent de faire une évaluation qualitative du