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PARTIE I. LES CONFINS TOURISTIQUES DE NATURE, ESPACE, REPRÉSENTATIONS ET PRATIQUES ESPACE, REPRÉSENTATIONS ET PRATIQUES

I.2. Représentations sociales des confins de nature

2.2. Confins de nature emblématiques : la Patagonie et Aysén

2.2.1. Climat, diversité de l'espace naturel et écosystème

La Patagonie chilienne se caractérise par une très grande diversité paysagère, géomorphologique et climatique (figure 12). Elle est à la fois un espace montagnard et maritime, sur sa façade ouest, lacustre et de steppes (pampa) à l’Est. La partie méridionale de la Cordillère des Andes est marquée par la présence des deux grands champs de glace continentaux nord et sud (los Campos de Hielos Patagónicos Norte y Sur) dont l'altitude moyenne est de 1500m d'altitude. D’une superficie cumulée de plus de 17 000 km² (Glasser & al., 2008), ils constituent les plus grandes masses glacières continentales après l’Antarctique et le Groenland. Les massifs de la Patagonie bénéficient d’une renommée internationale : le massif de Torres del Paine (dont le point culminant est le Paine Grande avec 3050 m d’altitude) et le volcan Lautaro (3380 m) se trouvent en région de Magellan alors que le Fitz Roy (3405 m) et le Cerro Torre (3102 m) se trouvent à la frontière entre l'Argentine et la région d’Aysén. Celle-ci compte en revanche de nombreux massifs pratiquement inexplorés dont le Mont San Valentin (4051 m) et le Mont San Lorenzo (3706 m) sont les plus spectaculaires. D'autres ensembles, rivalisant en beauté et en difficulté avec le Yosemite comme les Torres del Avellano, sont très peu visités.

Un large espace maritime se singularise par un enchevêtrement de plus de 300 canaux s’ouvrant sur l’Océan Pacifique. Ils séparent une myriade d’îles, entre 3500 à 5500 îles ou îlots selon les méthodes et échelles d’observation retenues. Les espaces littoraux sont recouverts pour la plupart de forêts magellaniques primaires extrêmement denses et constituées de diverses essences de Nothofagus ainsi que de larges zones humides composées de lichens, mousses et arbustes à feuilles pérennes. Sur sa partie est, la région d’Aysén est bordée par la

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pampa caractéristique de la Patagonie argentine. Ces vastes espaces de plaines sont recouverts de prairies arides, composées de graminées et d’arbustes épineux. Les forêts apparaissent uniquement aux abords immédiats du piémont de la Cordillère où se localisent aussi de nombreux lacs. Les plus importants sont alimentés par les glaciers issus des champs de glace continentaux et des massifs limitrophes. Parmi ceux-ci, le lac General Carrera (ou lac Buenos Aires pour sa partie Argentine) est le deuxième plus grand lac intérieur d’Amérique du Sud après le Titicaca (Bolivie/Pérou). Ces lacs donnent naissance à divers fleuves dont le

Baker qui, avec un débit moyen annuel proche de 900 m3/s, est le plus important du Chili.

Figure 12. Les spécificités topographiques et climatiques de la région d’Aysén

Source: SERNATUR Aysén (2007)58

Climat contrasté

La diversité des milieux trouve pour partie son origine dans les forts contrastes climatiques : humide et froid sur l’étroit versant pacifique (subpolaire océanique), sec et venteux dans les zones de pampa (climat plus continental semi-aride) et, entre les deux, les Andes patagoniennes au climat montagnard froid. Les vents dominants de nord-ouest en provenance du Pacifique confèrent à la Cordillère un rôle de barrière. En moins de 40 kilomètres de distance, la pluviométrie peut ainsi passer de plus de 8 000 mm annuels, sur le littoral et les versants au vent, à 1 200 mm sur les versants est sous le vent, et à 200 mm dans la pampa limitrophe de l’Argentine. Toute la région est renommée pour ses conditions extrêmes et ses changements climatiques brusques. Bahia Felix, situé sur une île du Pacifique à la latitude de Punta Arenas, est citée comme la station météo ayant le record mondial du nombre de jours de pluie annuel avec une moyenne de 325 jours! À ces précipitations

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s’ajoutent des vents violents dits "catabatiques" ou "Williwaw", pouvant atteindre 300 km/h en rafale. Tous les récits de voyages, expéditions et explorations australes, aussi bien maritimes que terrestres, relatent ces conditions climatiques extrêmes et contraignantes. Cependant, vers l’Est et sur tous les pourtours des Grands Lacs, il existe un climat plus favorable qualifié parfois de méditerranéen. Les réserves de Cerro Castillo, Jeinimeni et Tamango se situent dans ce secteur, non loin de l'immense lac Carrera, entre la zone andine et les reliefs moutonnés de l'ouest. Ces espaces plus ouverts, ensoleillés et bénéficiant d'une pluviométrie raisonnable, bien que très ventés, expliquent la forte concentration humaine traditionnelle.

Ces caractéristiques climatiques diversifiées expliquent la grande hétérogénéité des milieux et d’habitats naturels. Leurs spécificités sont uniques aux yeux de nombreux scientifiques qui souhaitent la préservation de la biodiversité planétaire.

Diversité géologique

La carte suivante (12), élaborée par le service géologique et minier SERNAGEOMIN en 2003, met en évidence les quatre grandes unités lithographiques de la région: métamorphique (grise), volcanique (vert et violet), sédimentaire (orangé) et intrusive (rose, rouge et mauve). Dans la partie nord-orientale et comme dans le restant du Chili, de nombreux volcans récents ponctuent le paysage (en violet sur la carte). Les volcans Hudson, Maca, Cay, Melimoyu et Corcovado sont les plus spectaculaires. Le volcan Chaitén, entré en éruption en 2010 dans la province limitrophe de Palena (région de Los Lagos), est tristement célèbre pour les dégâts humains causés. D'autres formations volcaniques plus anciennes, jurassiques, crétaciques ou de l’Oligo-Miocène, composent la cordillère orientale. Pour l'œil averti, la route australe, de l'aéroport de Balmaceda à Coyhaique, parcourt plusieurs formations volcaniques du Pléistocène (1 Ma), de l’Oligocène (18 Ma) et du Crétacé (65 Ma), dont le Cerro MacKay, qui domine la capitale régionale.

La chaîne orientale est aussi constituée de formations sédimentaires (en vert sur la carte), principalement des époques Oligo-Miocène et Éocène. Les conglomérats, grès et dépôts volcano-clastiques, rhyolitiques et andésitiques, sont recouverts de sédiments fluvio-glaciaires récents (en jaune). La série Guadal, au sud du Lac Carrera, est réputée pour ses gisements fossilifères, marins et terrestres. Sous cette formation, les strates du Jurassique datées de 147 Ma ont fourni le plus ancien dinosaure d'Amérique du Sud, le Chilesaurio. Au-delà des derniers fronts morainiques du Pléistocène qui bordent les lacs binationaux s'étendent des reliefs planiformes, la pampa désertique, qui s'étalent jusqu'aux côtes atlantiques.

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Carte 12. Carte géologique générale des régions d’Aysén et de Magellan, 2003

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Le centre ouest de la région est marqué par la présence d'intrusions granitiques, principalement jurassiques et crétaciques (rose et violet) qui constituent les Andes à proprement parler. À l'Est se trouvent ceux du Cerro Castillo, du massif de Sierra Cristal, des Torres Del Avellano et du San Lorenzo, ce dernier dont la beauté alpine égale le Fitz Roy ou les Torres del Paine. À l'ouest de la route australe se trouve le batholite nord-patagonien (rose foncé) composé de plutons monzogranitiques, dioritiques ou gabroïque. Sur cet ensemble reposent les champs de glace de Patagonie. Au-delà, le littoral est composé d'îles granitiques et de formations sédimentaires paléozoïques modelées par le passage d'anciens glaciers. Enfin, dans la zone sud et est de la région, se trouvent les ensembles métamorphiques (couleur grisée) constitués principalement de grès, schistes verts et philites. C'est au sein de cette formation ancienne de plus de 380 Ma que se trouvent les ensembles et îlots calcaires recristallisés dits des "Capillas de Marmol", formation qui attire chaque année quelques milliers de visiteurs.

Écosystèmes régionaux

Sept ensembles d'écosystèmes peuvent décrire la région d’Aysén : la forêt caducifoliée, la forêt sempervirente, la steppe patagonienne, les zones arbustives caducifoliées, les zones arbustives périglaciaires, la végétation arbustive sempervirente océanique et les tourbières (Gobierno Regional de Aysén, 2005b). Comme le montre la carte 13, les forêts caducifoliées (en orange), sempervirentes (en vert clair) et les zones de tourbières (en rose) dominent. La steppe (en beige) est plutôt une spécificité de l'Argentine et les zones périglaciaires sont circonscrites autour des immenses champs de glace. D’est en ouest, il est possible d'apprécier sur 150 km l'ensemble de la diversité des écosystèmes.

Si on se réfère aux écorégions définies selon les différents ensembles climatiques de Köppen (Peel, Finlayson, & McMahon, 2007) la région connait six environnements climatiques : le milieu tempéré humide et froid, insulaire ou continental, 5 835 000 ha.), de steppe froide de Patagonie (371 090 ha.), boréal andin humide et froid (1 602 220 ha.), de toundra (591 750

ha), de neige (220 971 ha.) et zones lacustres (228 050 ha.)59 (Silva F. , 2013). On retrouve à

l’ouest, l'espace de mer ouverte et un littoral exposé aux alizés de l'Océan Pacifique. Il est composé d'îles où se développe une végétation très dense et qui s'accroche à un relief abrupt. La descente à terre n'est possible qu'en certains sites favorables.

À l’Est, les prairies et les steppes patagoniennes sont celles des éleveurs patagons : les

59 Dominios ; templado húmedo del litoral, costero o intermedio frío, estepárico frío, andino boreal húmedo frío, tundra, glaciales y nieve, cuerpos de agua, Gobierno Regional de Aysén, 2005b

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baqueanos (paysans), les gauchos (d'influence argentine) et les huasos (originaires du Chili

central). Les vallées, prairies de zones de forêt anciennement brûlées et les steppes de l'Est et de l'Argentine (pampas) sont utilisées pour l’élevage extensif ou semi-intensif. Les forêts, sempervirentes dans le secteur occidental et caducifolié sur les versants orientaux, souvent primaires, sont considérées comme l'une des premières richesses de la région.

Carte 13. Carte simplifiée des écosystèmes de la région d’Aysén en 2005

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La haute montagne et les champs de glace se situent au-delà de la limite des forêts et d'une zone "alpine" située vers 1 000 m d'altitude. En montant vers les hauteurs, au substrat rocheux couvert d'une végétation boréale composée de mousses et de lichens, se succèdent des sols dénudés, morainiques et récemment libérés ou encore recouverts de glace. Cette zone, aux conditions extrêmes, est très intéressante dans un contexte d´étude des changements climatiques dans l'hémisphère austral. L'ensemble des champs de glace de notre zone d'étude se trouve classé en aires protégées (parcs nationaux ou réserves naturelles) et sous l’administration de la CONAF. De nombreuses zones humides et environnements fluvio-lacustres parsèment la région. C'est l’espace naturel le plus marquant de la région et les innombrables lacs, zones humides et tourbières périglaciaires sont en grande partie méconnus.

Patrimoine faunistique et floristique spécifique

La flore la plus emblématique est celle des forêts. On ne trouve ici, dans la forêt humide du littoral, que trois espèces de conifères, le Ciprés de las Guaitecas (Pilgerodendron uviferum) et deux variétés de Mañio (Podocarpus nubigena). Le Canelo (Drimys winteri var. andina) et la Tepa (Laurelia philippiana) s'y associent. Dans les forêts continentales poussent le Coihue (Nothofagus dombeyi, Nothofagus betuloides ou Nothofagus nitida), la Lenga (Nothofagus

pumilio) et le Ñire (Nothofagus antarctica). Les forêts primaires de Lenga (Nothofagus pumilio)

sont uniques, car les arbres pluri-centenaires peuvent atteindre 70 m de haut. Le Ñire, un arbre pouvant atteindre 30 m, est un colonisateur de zones périglaciaires. Dans les forêts tempérées autour des lacs on trouve l’Arrayán (Luma apiculata) au tronc rougeoyant et le Nortro (Embotrium coccineum) dont la fleur en grappe rouge est spectaculaire. D'autres plantes telles que les arbustes de Maqui (Aristotelia chilensis) et de Calafate (Berberis buxifolia), dont on dit

que celui qui en mange le fruit revient toujours en Patagonie60, et les cactus nains des steppes

(Austrocactus patagonicus) sont emblématiques et endémiques des zones australes.

Au sein de cette diversité de milieux habitent de nombreux animaux. Les plus importants pour la science ne sont pas nécessairement les plus spectaculaires pour le visiteur. Le dragon des

glaces (Andiperla willinki), insecte plécoptère de la famille des Gripopterygiidae vivant sur la

glace dans les Campos de Hielos Patagónicos, ou les batraciens tels que la grenouille de Darwin (Rhinoderma darwini), difficiles à observer, attirent de nombreux chercheurs.

En milieu marin, on trouve l'éléphant de mer (Mirounga leonina), l'otarie ou lobo marino (Otaria flavescens), de nombreux dauphins dont la tonina overa (Cephalorhynchus

commersonii) et la tonina negra (Cephalorhynchus eutropia), la baleine à bosse ou ballena

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jorobada (Megaptera novaeangliae), la baleine bleue (Balaenoptera musculus), les orques

(Orcinus orcaa), la loutre ou chungungo (Lutra felina) sur littoral exposé et la loutre de mer (Lutra provocax) sur le littoral et zones d'eau douce, pour ne citer que quelques noms.

Illustration 4. Couverture du guide la faune marine des archipels de Patagonie de 2015

(CIEP 2015)

Les mammifères terrestres sont le guanaco (Lama guanicoe) des steppes, le huemul (Hippocamelus bisculus), daim endémique du Chili et de l'Argentine, un cervidé nain (Pudu

pudu), le puma (puma concolor), des chats sauvages comme le colo colo (Felis colocolo) en

prairies et forêts orientales, le chat de Geoffroy ou gato montes (Felis Geoffroyi) et la guïña (Felis guigna) des forêts caducifoliées et du littoral. Dans la steppe on trouve aussi le tatou ou

pichi (Euphractus pichiy) et le putois patagon ou chingue (Conepatus chinga).

Les oiseaux les plus emblématiques de la région d’Aysén sont: les autruches ou ñandus (Pterocnemia pennata pennata) de la steppe, l’albatros royal (Diomedea epomophora) en mer ouverte, le cormoran des roches (Phalacrocorax magellanicus) du littoral, l’ibis blanc (Bubulcus

ibis) et l'ibis noir (Theristicus melanopis) dans les zones humides, le chucao (Scelorchilus rubecula) et l'oiseau mouche ou picaflor chico (Sephanoides sephanoides) dans les forêts

humides, le cygne à col noir (Cygnus melancoryphus) et l’oie sauvage telle que le caiquén (Chloëphaga picta) dans les zones d’étangs et lacs, les pics dont le fameux pic noir à tête rouge de Patagonie (Campephilus magellanicus) et les perruches ou cachañas (Enicognatus

ferruginea) dans les forêts caducifoliées, le majestueux condor des Andes (Vultur gryphus) et

les aigles dont l'aigle aguila mora (Geranoaetus malanoleucus) dans les zones montagneuses. De nombreux acteurs du territoire ont su utiliser ces faunes et flores emblématiques pour en faire la promotion touristique (enquête nº66, service du tourisme régional et enquête nº16, département de tourisme du CIEP) et installer des discours pour la conservation ou la

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sauvegarde de la région autour de l'idée de la région : Aysén Reserva de Vida (enquêtes nº18, 19, 22 et 54, associations locales de défense de la faune et de la flore).

Illustration 5. Poster actuel de promotion de la nature au parc du Torres del Paine (région de Magellan)

(CONAF, 2007)

2.2.2. Aysén la "dernière frontière", approche socioculturelle

« À cette heure crépusculaire, la côte semblait se dessiner tout près du navire à l’ancre et les collines environnantes, couvertes de sombres forêts toujours vertes, encerclaient le navire et se reflétaient

dans les eaux tranquilles qui paraissaient aussi consistantes qu’un miroir de métal. Le ciel couvert annonçait une chute de neige et le silence paraissait étrange après le bruit et le tumulte des

semaines précédentes »

(Mercredi 27 septembre 1871, Anse Banner, île de Picton, Terre de Feu, Argentine, Bridge, 2013)61.

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« En Terre de Feu, j’appris que ce feu follet [Lucas Bridge] se trouvait alors dans une lointaine vallée des Andes du Chili méridionale. Il ne me restait plus qu’à reprendre ma chasse à l’homme. Quelques semaines plus tard, après avoir traversé des régions montagneuses d’une singulière beauté, j’arrivais à une ferme implantée dans une large vallée [du Río Chacabuco, et actuel Parc Patagonia en région d'Aysén]. Une grande silhouette marquée par les intempéries vint à la porte pour m’accueillir… C’était mon homme » (Tschiffely, 1938, In Bridge, 2013). Lorsque Tschiffely, célèbre aventurier et écrivain du National Geographic, écrit,

vers 1938, il vient de parcourir à cheval plus de 5000 km. En partant de l’extrême sud de la

Terre de Feu, il passe par le détroit de Magellan et les pampas arides balayées par le vent et rejoint les confins des provinces de Magellan et de Llanquihue. Ce territoire austral du Chili deviendra en 1975 la Región de Aysén del General Carlos Ibañez del Campo. Lucas Bridge, fils de Thomas Bridge, le missionnaire anglican et "indien blanc" de Terre de Feu (Estancia Haberton près d'Ushuaia), est installé là depuis 1919 pour diriger la Société d’Exploitation du Río Baker de la Compagnie Hobb & Co. C'est cette immense estancia qui sera rachetée ensuite par une famille de colons belges en 1947, les Desmet-Raty et par Douglas Tompkins et Kristine McDivitt en 2005. Cette estancia est aujourd'hui le cœur de l’actuel parc Patagonia.

On apprécie comment la Patagonie, dans son ensemble, bénéficie d’une très forte valeur symbolique. C'est ce que résume très justement le titre de l’ouvrage de Schneier-Madanes (1996): Patagonie, une tempête d’imaginaire. Dans ce livre, plusieurs auteurs apportent leur regard, comme Grenier (1996) et Canesi avec son texte Poussières Patagonnes, épopée du

regard. Il résume en deux idées les imaginaires de ces terres australes : « La Patagonie, c’est

schématiquement la Sibérie au pied des glaciers de l’Himalaya, avec, au bout de la route, les mirages du pôle sud » (Canesi, 1996). Alors pour lui, « avec de tels atouts, la Patagonie ne pouvait pas ne pas devenir, tôt ou tard, l’un des "must" du tourisme d’aventure, du fait même qu’elle est susceptible de garantir au visiteur sensations fortes et dépaysement absolu ». Mais « au fil de ces images s’impose l’évidence d’une Patagonie Cul-de-sac, pour d’innombrables itinéraires individuels venus s’échouer ici dans un décor d’avant l’histoire des hommes ». Et il pose la question: « Cette contrée largement inhospitalière, peuplée de légendes macabres, conjuguant sous-peuplement et "mal développement", comment peut-elle encore, aujourd’hui plus que jamais, exercer un tel pouvoir de fascination ? ».

Patagonie, espace culturel produit par la littérature (européenne)

Ce territoire a inspiré de multiples auteurs et romanciers bénéficiant d’une renommée internationale, qui y circonscrivent l’action de leurs récits. Parmi les plus connus, peut être

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cité Jules Verne qui y consacre plusieurs ouvrages dont En Magellanie (publié en 198762) ou

Le Phare du bout du monde édité après sa mort, en 1905. Pour ces deux ouvrages, Jules Verne

s’inspire de faits réels, comme les voyages du bateau La Romanche et ses explorations scientifiques au Cap Horn, le phare des îles des États ou la partition entre l’Argentine et le Chili des terres australes en 1891. Pour sa part, Antoine De Saint-Exupéry dans son ouvrage Vol de

nuit, publié pour la première fois en 1931, retrace les péripéties de l’aéropostale en Amérique

du Sud. La Patagonie est un espace de prédilection, parfois exclusif, pour certains écrivains. Le Chilien Francisco Coloane y consacre une bonne partie de son œuvre dont Cap Horn (Cabo

de Hornos) en 1941, Le Golfe des Peines (Golfo de Penas) en 1945, La Terre de Feu (Tierra del Fuego) en 1956, jusqu’en 2000 avec ses mémoires Le Passant du bout du monde (Los pasos del hombre).

La Patagonie est aussi un espace incontournable du récit de voyage (genre littéraire dénommé

travel book en anglais). L’ouvrage In Patagonia de Bruce Chatwin, publié en 1977, sera vite

érigé au rang de "chef d'œuvre de voyage, histoire et aventure"63 par les critiques littéraires

du New York Times. Son auteur, « Bruce Chatwin [,] rejoins les rangs des grands voyageurs

Britanniques avec En Patagonie"64, le Washington Post. Il en reste que de nombreux critiques

s'érigent en Argentine contre son manque de rigueur et un certain parti pris romanesque qui s'affranchit parfois de la vérité historique, notamment concernant le massacre des paysans dans la province de Santa Cruz (Borrero, 1989 ; Schneier-Madanes, 1996). Le point de départ de l’histoire repose sur une peau de Brontosaurus ou Mylodon, posé sur une étagère londonienne, issu de recherches archéologiques menées en Patagonie chilienne (non loin de Puerto Natales). Le héros, de la fiction, va cheminer dans toute la Patagonie à la recherche du lieu de sa découverte dans l'espoir de voir un dinosaure encore en vie (Mao & Bourlon, 2016). Bien d’autres auteurs profitent de la Patagonie pour légitimer leurs itinérances personnelles et littéraires : l’écrivain voyageur trouve en ces lieux un terrain d’expression fertile. Pour ne prendre que quelques exemples, c’est le cas de William Henry Hudson avec Un flâneur en

Patagonie, publié en 1929, Le naturaliste à La Plata de 1930 ou Sous le vent de la Pampa

(Hudson, 1992). Il est sans aucun doute un précurseur du style entre quête introspective et récit de voyage que poursuivent Luis Sepúlveda (1995) avec Le monde du bout du monde ou encore Paul Theroux (1988) avec Patagonie express.

62 En Magellanie a été publié en 1909 sous le titre Les naufragés du Jonathan puis en 1987 dans sa version originale

63 « masterpiece of travel, history and adventure »

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La Patagonie est aussi un espace où de nombreuses utopies sont nées, ont pris forme et se sont développées. Il s’agit même d’une constance dans toute l’histoire de la région.

La première utopie patagonne est presque aussi vieille que son histoire occidentale. Le mythe fondateur de la Cité des Césars située au sein d’une région nommée Trapananda indiquerait l’existence dans les terres du sud, d’une Cité (ou plusieurs selon les sources) admirable regorgeant de richesses en tout genre. Il est à noter que la "Cité des Césars" et la "Trapananda"