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PARTIE I. LES CONFINS TOURISTIQUES DE NATURE, ESPACE, REPRÉSENTATIONS ET PRATIQUES ESPACE, REPRÉSENTATIONS ET PRATIQUES

I.2. Représentations sociales des confins de nature

2.3. Grille de lecture géographique selon les rapports à la nature

Selon les travaux de Garnier et Sauvé (1999) sur la psychologie de l’environnement et de l’éducation, il existe un lien étroit entre la représentation et l’agir. La représentation sociale met en forme une stratégie qui elle-même rend la représentation légitime : « l’individu fait partie du système qu’il perçoit et les stratégies qu’il adopte deviennent une partie intégrante de l’environnement qu’il appréhende à son tour comme extérieur à lui-même. Les façons de considérer l’environnement sont donc, dans un sens très large, fonction de ce qu’on y fait, y compris les stratégies déployées pour l’explorer et le comprendre » (op. cit.). Pour ces auteurs, l'environnement est compris dans sa dimension de Biosphère, « la zone dans laquelle la vie telle que nous la connaissons peut exister et où la vie, à son tour, peut affecter et transformer cette zone » (Vernadsky, 2012). Pour Sauvé (1994), l’environnement peut être abordé soit comme un problème à résoudre, une ressource à gérer, apprécier, respecter et préserver, une biosphère où vivre ensemble, soit comme un milieu de vie à connaître et aménager. Au sein de cet espace partagé, les représentations se structurent au travers des interactions avec l’objet, alors qu'elles sont elles-mêmes déterminées par les premières. C'est ainsi que pour Berque (2010), l'étude des milieux humains doit considérer les trois dimensions : technique, écologique et symbolique. Pour cerner les dynamiques territoriales d'un confin de nature, cette approche peut être précisée en considérant la caractérisation de l'espace naturel (une approche écologique et fonctionnelle), de l'être au lieu (symbolique et culturel) et des usages (socioculturels ou techniques).

L'espace naturel en tant que « milieu pour être » ou « chôra » (Berque 2010) peut être caractérisé en spécifiant sa diversité biologique et sa répartition. Jugé extraordinaire et

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déclaré comme important en matière de biodiversité ou exceptionnel en tant que milieu, il est mis sous protection, acte matérialisé par la création des espaces protégés. S'il est jugé socialement important, il peut être patrimonialisé au sein de parcs aménagés et d'espaces périurbains. La naturalité s'exprime en termes techniques et descriptifs que l'on veut systémique afin d'en assurer sa préservation ou relever son importance écologique.

Une autre approche, socioculturelle, qui analyse « l'être au milieu » ou « topos » (Berque 2010), révèle les ontologies dominantes. Selon le schéma (figure 15) simplifié proposé par Descola (2006), elle peut se classer comme "naturaliste" pour les sociétés occidentales, "analogique" pour de nombreuses communautés indo-européennes et américaines, agricoles et pastorales, "animiste" pour des groupes nomades asiatiques et amérindiens ou "totémiste" pour les groupes aborigènes d'Australie. Elle nous permet d'appréhender une "cosmogonie" (Descola, 2006) propre aux habitants d'un lieu.

Figure 15. « L'être à la nature » et représentations sociales contemporaines d'après Descola

(Bourlon, 2018, d’après Berque, 2010 ; Descola, 2006 et Vachée 2000, 2001)

Les actions humaines sont tributaires de ces représentations et induisent des usages de la nature (figure 16). Comme démontré dans ce chapitre, ce sont les civilisations

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sédentarisées qui créent l’idée du wilderness en tant qu'espace sauvage opposé à l’homme et contre lequel il doit s’affronter pour grandir. Le wilderness existe en tant que produit d’une relation complexe entre un groupe humain et son espace vécu. La nature de l’expansion de l’écoumène, c'est-à-dire d’une domestication du monde, est sujette à des représentations et des projections spatiales d'imaginaires à différentes échelles. L’implantation de systèmes agricoles, d’urbanisation du monde et de développement du tourisme réorganise l'espace selon les rapports des hommes à l'environnement. Des peuples ancestraux ou nomades sont amenés, par le biais du tourisme, à passer d'un rapport au monde essentiellement écologique en interdépendance des non-humains, à celui plus anthropocentrique et socio-économique occidental. De la même manière, par rétroaction, des habitants de sociétés urbanisées revoient leur être au monde, à la recherche d'un nouvel équilibre homme - nature. Ils s'essayent à un retour au sauvage et une réimmersion dans le milieu avec l'espoir de vivre en harmonie avec l'univers.

Figure 16. Les usages passés et contemporains de la nature

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L’analyse du concept de wilderness montre les limites d'un essai de segmentation des rapports homme - nature. Il existe une diversité de relations à la nature ordinaire et aux espaces de nature sauvage (Godet, 2010). Une évolution des rapports s'observe avec l'urbanisation du monde et la réduction des espaces "naturels". L'idée du wilderness devient de plus en plus importante pour les voyageurs occidentaux qui interrogent ce rapport “naturaliste" au

monde, établi en Europe dès le XVIe siècle et basé sur les seules connaissances cartésiennes

et scientifiques. Face aux crises environnementales observées, une redécouverte des modes de vie des peuples "primitifs" semble à la mode. Cependant, chaque territoire a ses spécificités et ses dynamiques, en particulier au regard du phénomène touristique. Dans notre analyse territoriale des confins de nature, il semble toujours nécessaire de considérer une approche socioculturelle qui évalue l'importance naturelle, écologique et esthétique des lieux et les représentations symboliques qu'expriment ses habitants. L'espace naturel doit être évalué selon ses spécificités géologiques, climatiques et écosystémiques. Ainsi, la région d’Aysén comme produit de la rencontre de trois plaques tectoniques, qui donne lieu à la cordillère des Andes et d'imposants inlandsis, peut être mises en avant dans des discours de développement. Les particularités géologiques installent des écosystèmes qui sont uniques : des forêts caducifoliées tempérées et primaires sur les versants montagnards, une végétation humide dans les archipels et fjords du Pacifique ou une steppe froide et désertique au cœur du continent. Ces éléments qui apparaissent aujourd'hui comme des lieux d’importance biologique mondiale favorisent ainsi de nouveaux modes d'habiter le territoire.

L'identification des représentations sociales, symboliques et culturelles, informe sur l'importance relative des lieux, selon le nombre de sites patrimoniaux, religieux ou touristiques du territoire. Pour les Occidentaux, la Patagonie est ainsi un espace chargé de significations naturalistes et symboliques, utopiques et littéraires. Mais il est aussi un espace de confrontation entre deux mondes : celui des peuples premiers, plutôt animistes, et celui des colons, désireux de conquérir leur espace de vie et exprimant un rapport progressiste à la nature. Plus récemment, il est devenu celui de l'émergence d'une vision naturaliste, "conservationnistes" (Godet, 2010) et militante, voulant transformer l'espace en une "réserve de vie". Cette réalité s'exprime par la création d'un réseau de parcs nationaux, une Reserve de la Biosphère et des zones à vocation touristique d'intérêt national (voulues par la communauté). On constate cependant que l'importance socioculturelle donnée aux espaces naturels est surtout paysagère. Certes le nombre de zones consacrées à la protection de la diversité du paysage est important, la région d’Aysén compte 19 parcs et réserves nationaux et de nombreux parcs privés, mais ces zones sont très peu étudiées ou singularisées. Par ailleurs, les sites culturels ancestraux et les lieux patrimoniaux et mémoriels sont à peine mis

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en valeur, démontrant le désintérêt relatif de la majorité des habitants pour leur passé. Or le tourisme semble pouvoir faire évoluer les perceptions de leur territoire aux acteurs.

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