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PARTIE I. LES CONFINS TOURISTIQUES DE NATURE, ESPACE, REPRÉSENTATIONS ET PRATIQUES ESPACE, REPRÉSENTATIONS ET PRATIQUES

I.2. Représentations sociales des confins de nature

2.2. Confins de nature emblématiques : la Patagonie et Aysén

2.2.3. La protection de la nature dans la région d’Aysén

Nous avons évalué l'organisation de l'espace en fonction des spécificités historiques et culturelles. Elles structurent le territoire, mais c'est la nature omniprésente et diversifiée qui explique son attrait touristique actuel. Cette région est à plus de 50% classée en aires protégées. Les autorités ne l'ont pourtant mis en avant que très récemment comme une opportunité touristique, les paysans y voyant un frein à la colonisation de l'espace (carte 15).

Aysén un espace naturel protégé par l'État

Le Chili a mis en œuvre de manière précoce des mesures de protection de certains sites naturels ou patrimoniaux (CIPMA, 2003). Dès 1879, une loi est votée pour préserver des zones de forêt sur les versants andins. Les premières réserves forestières sont classées en 1883, la première réserve (Alto Bío Bío) est crée en 1912 et le premier Parc National (Puyehue) est établi en 1941. « L’idée de réserver des aires naturelles à des fins de conservation et d’usage public était installée dans les esprits de certaines personnalités chiliennes avec une grande

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vision du futur » (Weber & Gutiérrez, 1985). La première Réserve Nationale de Patagonie chilienne dite de Magallanes est créée en 1932 et le premier Parc National est celui du Cap Horn, fondé en 1945. Par la suite de très larges zones littorales et montagnardes ont été classées en Parcs Nationaux (10 Parcs en Patagonie sur les 31 du Chili) et en Réserves Nationales (14 Réserves sur les 48 du pays) ou en Monuments Naturels (5 sur les 15 existants). Elles forment un continuum spatial du cap Horn jusqu’au sud de l’île de Chiloé sur près de 1 800 km (carte 15). Pour ne citer que les plus importants, le Parc National de la Laguna San Rafael (créé en 1957) a une superficie de 1 742 000 hectares, le PN Alberto De Agostini (créé en 1965) couvre 1 460 000 hectares et le PN Bernardo O’Higgins s’étend sur 3 525 901 hectares. Ce dernier serait le second plus grand espace protégé des Amériques. Certaines Réserves Nationales ont, elles aussi, des superficies se comptant en millions d’hectares (Réserves Alacalufes de 2 313 875 hectares et Las Guaitecas de 1 097 975 hectares). La superficie cumulée des espaces protégés pour les régions XI et XII est de 11 870 409 hectares, ce qui représente 49 % des territoires régionaux et 84 % des aires protégées du Chili. Ces espaces protégés sont gérés par la Corporación Nacional Forestal (CONAF), organisation de droit privé au sein du Ministère de l’Agriculture chilien. Les moyens humains et financiers à leur disposition restent extrêmement faibles (voire dérisoires) en référence aux superficies concernées et aux difficultés d’accès et de déplacement. Ainsi en 2006, seuls six "gardes-parcs" sont affectés à la gestion et conservation du PN Bernardo O’Higgins, pour une surface comparable à celle de la Belgique. Depuis 2014, un débat est en cours au Chili concernant une nouvelle organisation de la gestion des aires protégées avec la création d’un Ministère de l’Environnement. À l'heure actuelle, la CONAF a la responsabilité de la gestion des aires protégées, mais le Ministère possède celle de la protection de leur biodiversité. Il est possible qu'à terme les gardes-parcs deviennent des fonctionnaires de ce dernier.

Tout le système de gestion des espaces protégés chiliens est largement inspiré de celui des États-Unis : entrée payante, gardes-parcs, dénomination des entités, règlement et plan de gestion, zonage strict des usages, centres d’information et d’interprétations, etc. ; les similitudes sont nombreuses. Le guide de formation des gardes-parcs (CIPMA, 2003) s’inspire en grande partie du manuel du National Park Service (Moore, 1993). La stratégie écotouristique semble elle aussi être largement influencée par le modèle étasunien. En revanche, les moyens disponibles et investis ne sont pas comparables.

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Carte 15. Les aires protégées de la région de Aysén et celles de la Patagonie chilienne et Argentine, 2016

(Bourlon, 2018, Sources gadm data base, 2017)

Les ressources financières des Parcs Nationaux des USA reposant sur une fréquentation annuelle de 280 millions de visiteurs (National Park Service, 2009) sont bien supérieures aux 2,4 millions d’usagers estimés en 2013 pour l’ensemble des 100 unités de conservation

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chiliennes68 (INE, 2014). Les moyens disponibles consacrés à la médiation environnementale

sont très faibles et le travail des gardes-parcs est surtout d'entretenir les infrastructures, de gérer des enjeux forestiers ou de faire payer des entrées. Depuis 2014, un investissement important a été consenti par le Gouvernement Régional pour établir des plans de gestion des aires protégées et d'usage public de certains secteurs. La CONAF avec l'aide du CIEP et d'universités nationales vient de finaliser huit plans d'usages publics (CONAF & CIEP, 2017 ; CONAF - Universidad Católica, 2017 ; CONAF, 2016). La méthode de travail, qui s'est voulue participative, fait l'objet d'une publication de la part des chercheurs du CIEP (Gale, Adiego, & Ednie, 2018). Lors des enquêtes l'un des chercheurs (nº16), déclare que le vrai défi est ici de trouver « la fine ligne de partage entre conservation et usages pour garantir la durabilité », c'est-à-dire garantir la vocation des Parcs Nationaux en tant qu'espaces de protection de la biodiversité.

Protection partagée et privatisation d'une nature habitée

La « protection théorique de la région d’Aysén est importante, mais sa protection réelle est faible » déclare un membre d’une association locale de protection de la nature (enquête nº18). « Ces espaces protégés n'offrent pas d'opportunités économiques et limitent les activités traditionnelles », se plaint un batelier et bucheron de Tortel (enquête nº77). Près de Tortel, un autre acteur (enquête nº54) confirme par ailleurs que « de nombreux écosystèmes ne sont pas protégés, la majorité est constituée d'espaces montagnards et périglaciaires, ce qui nous a motivé à demander une concession ». C'est aussi ce qui a motivé la fondation Conservación Patagonica dirigée par les Tompkins (enquête nº22) à acheter les terrains agricoles de la vallée du Río Chacabuco pour en faire le Parc Patagonia.

La grande surface de terres protégées et exclues d'un développement productif traditionnel et industriel, a conduit, dès 1999, les communes à manifester leur inquiétude. Nombre d'entre elles ont des aires protégées à prendre en compte dans leurs plans de développement. Dans le cadre de la coopération entre la France et le Chili. Cette situation a donné lieu à l'idée d'exporter le modèle des Parc Naturel Régionaux dans le sud de la région d’Aysén (CONAMA, 2001). Intitulé "Area de Conservación de la Cultura y del Ambiente", ce projet ambitionnait de rendre compatibles les activités traditionnelles et la protection de la nature en créant une aire de conservation de la culture et de l'environnement. Le nom pouvant prêter à confusion, car il semble difficile de conserver la culture et l'environnement, il cherchait avant tout à favoriser

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les activités économiques existantes (élevage et activité forestière) et le tourisme. Bien que la charte du territoire (Gobierno Regional de Aysén, 2005a) ait été approuvée par le président Ricardo Lagos, celui-ci n'a pas été poursuivi une fois les financements internationaux épuisés (répartis de manière assez clientéliste entre les différentes communes et les services de l'État). La complexité de fonctionnement et de gouvernance du modèle français dépassait les compétences techniques et légales du Service de l'Environnement et du Gouvernement Régional de l'époque (enquête nº36). Le projet a créé conscience qu'il existait des modèles de développement pouvant rendre compatible les usages et les intérêts, une fois un plan de travail accordé. Le caractère descendant des politiques régionales ne prenant pas réellement en compte les intérêts locaux et la volonté affichée de favoriser le développement, c'est-à-dire d'appuyer les projets industriels, explique qu'aucune suite n'y a été donnée. Les projets de barrages hydro-électriques sont apparus en 2006 dans cette même zone.

Illustration 6. Logo du projet de Parc Naturel Régional d’Aysén (A.C.C.A.) en 2005)

(Gobierno Regional de Aysén, 2005a)

Dans cette dynamique consistant à chercher des modèles compatibles entre développement et protection de la nature, la CONAF essaye de donner vie à la Réserve de la Biosphère de la Laguna San Rafael. Cette réserve (MAB) existe depuis 1976. À partir de 2001 et jusqu'en 2005, avec l'aide de la coopération allemande, son actualisation et l'inclusion des communautés avoisinantes ont été tentées, sans succès du fait, à nouveau, de l'apparition des projets hydro-électriques sur la rivière Baker, à la limite sud-est du parc Laguna San Rafael et de la commune de Cochrane. Récemment, depuis 2014, l'Université Catholique de Santiago a repris le travail d'actualisation et de rénovation du statut de Réserve de la Biosphère. Alors que les projets de barrages ont été abandonnés, un accord a été trouvé pour élargir son périmètre au cœur duquel se trouverait le Parc National Laguna San Rafael et en périphérie les communes et localités avoisinantes de Tortel, Puerto Tranquilo et Cochrane (CONAF, 2016). Le nouveau

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président de la République élu en mars 2018, Sebastian Piñera, devra donner son aval à la poursuite du projet.

Pour compléter ce panorama des initiatives de protection de la nature, il convient de signaler la création de diverses aires de conservations privées. Ce thème sera détaillé plus longuement dans la Partie II de la thèse, mais il est important de noter qu'à partir de 2002 et surtout 2005, des particuliers et des fondations, dont les plus connues sont Conservación Patagónica et

Patagonia Land Trust Fundation, ont commencé l'achat de terres pour la conservation

(enquête nº22). Le milliardaire étasunien Douglas Tompkins, fondateur de la marque de vêtement de montagne North Face et de Sportwear Esprit, est l'exemple emblématique, souvent cité en référence, de cette dynamique. Mais il n'est pas le seul : plus de 50 très riches entrepreneurs chiliens ont suivi cet exemple. Ainsi, le président du pays, Sebastian Piñera, ou l'actionnaire principal de Banco de Chile, Andronico Luksic, ont acheté leurs grands domaines naturels (Bourlon, 2017) ; le parc privé Tantauco de 118 000 hectares dans la partie sud de l’île de Chiloé et l'Estancia La Margarita de plus de 60 000 hectares vers le village de Villa

O'Higgins. Le label de Sanctuaire de la Nature69, reconnu par l’État chilien, a été mobilisé, car

il confère un certain niveau pérenne de protection. Il s’impose aux administrations publiques dans le cadre des projets d’aménagement du territoire et de l’instruction des dossiers d’infrastructures. Le Parc de Pumalin géré par la fondation du même nom et initié par Tompkins fut le premier projet privé à bénéficier de cette labellisation nationale. Avec la hausse du nombre de projets, le statut d'aires protégées privées a été débattu et promu par

l'association des acteurs de la conservation privée Asi Conserva Chile70. Le débat est de savoir

si ces projets privés participent d'une réelle protection de la biodiversité (Sepúlveda & Villarroel, 2006) ou ont d'autres visées foncières et touristiques (Bourlon, 2017).

"Aysén réserve de vie", entre écologie et tourisme

Les premières mentions du concept apparaissent dans les années 1980-90 et c’est lors d’un mouvement d’opposition à l’installation d’une décharge nucléaire en Argentine, à 400 km d’Aysén, que le maire de Coyhaique, la capitale régionale, déclare officiellement sa ville « Non nucléaire, libre de résidu dangereux et Réserve de Vie » (« No nuclear, Libre de residuos

peligrosos y Reserva de Vida ») le 12 octobre 1990.

L’idéal "Aysén Reserva de Vida" devient un slogan touristique dès 1997, dans le cadre d’un programme de préparation de guides touristiques de Villa Cerro Castillo (enquêtes nº52

69 Sanctuario de la Naturaleza

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microentrepreneur de Coyhaique et nº18 organisation de Coyhaique) initié par Francisco Vio, Peter Hartman et de nombreux membres de l'association de protection de la Faune et de la Flore CODEFF (Corporación Pro Defensa de la Fauna y Flora).

Illustration 7. Logo de la campagne "Aysén Reserva de Vida" en 2009

(CODEFF, 2009)

Dans le "manuel du savoir-vivre patagon" (Manual de Carreño de la Patagonia Aysén, Segura & Huenchuñir, 2014), on peut lire : « Vous avez certainement aperçu en plusieurs endroits cette phrase "Aysén Reserva de Vida" (ou bien son acronyme ARV), représentée par une main ouverte et une femelle guanaco avec son petit [figure.7], en référence aux peintures rupestres laissées par les premiers habitants de la Patagonie, les Tehuelches. [...] Si vous êtes émerveillés par la beauté de sa nature et la spécificité de ses habitants, nous vous demandons que ce que vous réalisez dans ces parages ne tue pas ce qui la première fois vous avait enchanté [...] C’est ce que beaucoup d’entre nous rêvons, ici à Aysén, et ce que nous demandons à ceux qui viennent ici », déclare le président de l'organisation CODESA (enquête nº19, Corporación privada para el Desarrollo Sustentable de Aysén de Coyhaique). Dans le document Sistematización de la experiencia de trabajo de la Corporación de Defensa de la

Flora y Fauna región de Aisén – "Aysén Reserva de Vida", on peut lire : « Il s’agit d’un regard

"holistique" qui prend en considération les dimensions sociales, culturelles, spirituelles et productives des personnes et qui promeut la valorisation de ce que chacun est et de ce dont il dispose » (CODEFF, 2009). Le principe qui sous-tend le concept est : « concevoir le développement en fonction de l’être humain et non centré sur d’autres choses qui, bien qu’elles puissent être importantes, ne sont pas primordiales ni essentielles […]. En tant que citoyens et êtres vivants nous sommes capables de voir ce que nous faisons, ce qui nous rend heureux, ce qui nous permet de vivre, ce qui nous permet de nous projeter avec nos familles […] et de construire à partir de ce que chaque individu peut donner, et non demander aux personnes de s’adapter au modèle qui vient de l’extérieur ». L'un des membres de

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l'organisation déclare (enquête nº18) : « Quand nous déclarons, en tant que groupe, que nous travaillons en faveur d’Aysén Réserve de Vie, nous assumons un engagement qui passe en permanence par un questionnement personnel ». C'est ce que déclare aussi le président fondateur de l'organisation régionale Peter Hartmann : « Les habitants d’Aysén permettront-ils que leur région devienne un lieu quelconque, comme tant d’autres dans le monde, avec les mêmes problèmes ? Pouvons-nous continuer d’avancer en étant complices d’un modèle destructeur et prédateur ? Serons-nous capables de mettre en valeur ce qui nous est propre et dignement chercher notre authenticité et notre destin ? ».

Cette déclaration d’intention est reprise par plusieurs organisations locales qui se regroupent dans la coalition Aysén Reserva de Vida en 2009 et qui dirigent le Conseil pour la Défense de la Patagonie (Consejo de Defensa de la Patagonia) lors des premiers projets pour la création de cinq méga-barrages hydroélectriques dans la région d’Aysén, à partir de l’année 2006 (Rodrigo, 2007). Pour cette raison, aux yeux de nombreux politiciens, Aysén Reserva de

Vida est un mouvement de caractère fondamentalement écologiste. Pour ses défenseurs, il

s'agit pourtant de valoriser son territoire, sa qualité de vie et son patrimoine naturel et culturel. Favoriser les activités productives traditionnelles endogènes en les associant au tourisme semble répondre à l'imaginaire de voyageurs européens et nord-américains : un lieu vivant dans un environnement naturel sain, le tout selon les rythmes et les modes de vie d’une société non industrialisée. C'est ainsi que l’École des Guides de Patagonie revendique son appartenance au mouvement et revendique un développement durable et équitable des localités rurales de la région d’Aysén. La volonté des animateurs du projet est de former des résidents du territoire issus de toutes les tranches d’âge (de 20 à 50 ans) et de divers secteurs d’activités (agriculture, pêche, artisanat et petit commerce) aux métiers du tourisme de nature. « Il s'agit de les inviter à une nouvelle relation avec la nature environnante » déclare l'un de ses animateurs (enquête nº3 microentrepreneur de Coyhaique). La connaissance du milieu et les capacités locales n’avaient que fortuitement été mises en valeur lors d’expéditions d’explorations organisées par des étrangers. Les établissements éducatifs, très traditionnels, n’ont pas cherché à former des guides de plein air. Dans sa présentation de 2003, l’École de Guides remarque que « l’isolement et le caractère naturel, vierge et sylvestre de notre environnement font de la Patagonie une destination très attrayante pour les visiteurs

étrangers »71. Alors que le pays fait la promotion de la nature sauvage d’Aysén, cet « espace

rude où les Patagons grandissent doit être partagé et les étudiants apprennent pour cela, car ils en sont les représentants et héritiers vivants » (enquête nº64, guide de Puerto Aysén). L'un des guides issu de l'école précise que « du fait des pressions grandissantes du tourisme, la

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Patagonie, sa faune, sa flore et ses aires protégées sont menacées et il faut former les guides locaux et gardes-parcs afin de conserver et valoriser les valeurs naturelles et patrimoniales de la région » (enquête nº5, guide et garde-parc de Puyuhuapi).

Changer le regard des jeunes, mettre leur savoir acquis au service des visiteurs désireux de découvrir, comprendre et s’intégrer à cet environnement de "nature extrême", sont des défis pour des jeunes dont les parents ont participé aux incendies de forêt pour créer des espaces agricoles pour l’élevage (Escobar, 2007). Les cours théoriques concernant la biodiversité, la géologie, la préhistoire et la culture paysanne, cherchent à faire prendre conscience de l’importance du patrimoine naturel et de sa mise en valeur pour le tourisme. Il faut cependant observer que la relation à la nature proposée est basée sur la philosophie nord-américaine du

Leave No Trace ("Ne laissez aucune trace" au Canada). Cette initiative, à laquelle a participé

pendant de nombreuses années l'un des fondateurs de l'École des Guides de la Patagonie, est importée au Chili en 1992 par l’école NOLS (the National Outdoor Leadership School). Créée aux États-Unis en 1965, elle établit des bases à l'étranger et vend des programmes de formations, pour la vie au plein air et pour le leadership en milieu extrême, aux étudiants d’universités américaines ou à certains comités d’entreprise. Le programme revendique une méthode éducative ayant pour objectif de minimiser les impacts dans les zones de pleine nature (McGivney, 2003).

Illustration 8. Gaucho traversant à gué dans la Réserve Nationale Jeinimeni, Aysén, 2009

(Bourlon, 2009)

Il apparait qu’Aysén Reserva de Vida est une déclaration des organisations et des habitants de la région, cherchant un nouveau rapport à cette nature "sauvage", modernisée grâce au tourisme. Comme le montre Olive Patricia Dickason, dans son livre Le mythe du sauvage (Dickason, 1995), un renouvellement du mythe est complexe et incertain, « basé sur un regard

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européen et construit à partir d’éléments empruntés au monde gréco-romain, à la bible et au folklore médiéval ». Pour de nombreux gardes-parcs, « les paysans de notre génération sont et resteront des pionniers défricheurs de forêts pour leur bétail » (enquête nº20, Garde parc de Coyhaique) et « seule la génération suivante sera plus respectueuse et vivra peut-être du tourisme ».

Biodiversité et tourisme, une cohabitation possible?

En Patagonie, « une autre fin du monde est possible » écrit Michel (2015a) dans son article

Aysén une destination non touristique. Le débat existe, mais la diversité des approches montre

qu'une gestion concertée est encore difficile. Aucune aire protégée de l'État ne fonctionne de manière à répondre à la demande touristique. Des études sont en cours pour définir des zones d'usage public, mais une fois approuvées, l'État devra y allouer des moyens humains et financiers. Des infrastructures sont envisagées, mais sans accroître le nombre de gardes-parcs. La Réserve de la Biosphère reste une idée théorique, car aucun village ou communauté n'y sont rattachés et son plan de gestion n'est pas encore approuvé après 15 ans d'études. L'abandon du projet de Parc Naturel Régional montre aussi que la coexistence d'une protection de l'espace naturel, du développement du tourisme et du maintien de l'activité productive traditionnelle n'est pas évidente. Tout développement touristique semble reposer sur l'idée de concessions. Le modèle consiste à une mise à disposition par l'État des terrains fiscaux et aires protégées pour des usages commerciaux et récréatifs. Dans un contrat de cinq à trente ans, le bénéficiaire s'engage à aménager l'espace et partager les retombées économiques de l'initiative.

Dans le film muet Voyage en Terre de Feu daté de 192972, Castelnau, son réalisateur voyageur

et géographe, déclare à propos des Kawésqars : « ils ont tout à portée de main, fruits de mer, bois, peaux et viande de phoque, ils vivent dans des cahutes de peaux de bêtes... ils ne font aucun effort autre que le strict nécessaire, ils ne veulent rien de plus... ». Puis il conclut : « Ils