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La spécificité du sol repose sur la dimension idéelle du fonds de terre

Dans le document De la propriété du sol en volume (Page 130-135)

§1 Le fonds de terre matière comme signe du monde sensible

C. La spécificité du sol repose sur la dimension idéelle du fonds de terre

(98.) L’unité du sol n’est pas la cause de la propriété individuelle exclusive du sol, mais la justification. Ce principe ne relève pas des lois de la physique, mais du concept de parcelle ou sol surface (1). Cette géométrisation du sol en deux dimensions rend impossible par définition une division verticale du sol, et offre un avantage absolu à celui -ci sur les autres immeubles par nature, seulement matériels (2).

1. L’unité du sol : une interprétation géométrique de la nature

(99.) La gravité est bien entendu une loi physique dont le droit doit tenir compte dans sa mission d’organisation du corps social. Cependant, cette contrainte incontournable, comme le principe d’exclusivité spatiale (cf. supra §52 et s.), est transposée dans le monde du droit, et cette transposition s’opère par le concept de sol surface, ou la division horizontale du sol. La notion d’immeuble, par de nombreux aspects, témoigne de l’orientation du droit. Le caractère de l’immobilité par exemple traduit l’appartenance (incorporation) stable d’un corps à cet autre corps que représente la planète Terre. Il s’agit là d’une conséquence de la gravité, mais alors que la gravité va s’appliquer indistinctement à tous les corps sur la base de leur masse, le droit va être plus sélectif. La science juridique va opérer une distinct ion entre certains corps pour lesquels la gravité sera indépassable et d’autres pour qui cela ne sera pas le cas (cf. supra §95 et s

.

). La seule existence de cette catégorisation relève de l’interprétation. Le principe d’incorporation, conditionnant l’immobilité, représente aussi la dimension prescriptive du droit, par la détermination de critères faisant que tel bien sera immeuble ou pas. De toute évidence, la règle physique est influencée par le droit. Ce qui est critiquable, ce n’est pas la démarche de catégorisation, mais d’entretenir la sensation d’une assimilation pure et simple entre les lois physiques et le droit des biens. L’attraction terrestre influence tous les corps, principalement en fonction de leur masse. Sur cette base, des distinctions peuvent par exemple être établies. Seulement, le principe de catégorisation comme les modalités doivent être considérées comme conventionnelles, subjectives. Cette subjectivité est encore plus frappante lorsque l’on réagit par rapport au principe de l’unité du sol. La gravité attirant les corps vers le centre de la Terre, la juxtaposition de deux corps supposera qu’un des corps est attaché à l’autre. Doit-on en conclure qu’ils sont indissociables en raison de l’indivisibilité du sol ? A priori non, et pour plusieurs raisons. Premièrement s’agissant de deux corps, chacun possède sur le principe une certaine individualité que ne remet pas en cause totalement l’incorporation. Deuxièmement, certains biens sont dissociés juridiquement sans l’être physiquement, c’est le cas des terres polluées considérées comme un bien meuble ; d’autres à l’opposé, bien que physiquement dissociés

du sol, seront toujours perçus comme des immeubles (arbres et autres plantations). Ce point renvoie à la notion d’incorporation et à la faculté d’interprétation qu’elle induit, choisissant entre ce qui est immeuble et ne l’est pas. Enfin, troisième argument, et argument principal, si le bénéfice de l’accession traduisait seulement la force gravitationnelle, comment expliquer qu’en présence d’un terrain pentu contenant plusieurs parcelles, la parcelle située en bas de la pente ne puisse revendiquer les terres des fonds supérieurs ? La gravité exercera une force sur les terrains allant du haut vers le bas. La réponse tient en un mot : limite ou borne. La délimitation des champs va permettre de mettre en échec la pesanteur, tout en maintenant la théorie de l’accession et l’unité du sol dans les limites de la parcelle. Cela démontre la distinction entre ces deux règles. La gravité est insensible aux délimitations parcellaires du sol qui sont de nature purement conventionnelle (cf. infra). Ce point est essentiel, car il permet de contester la thèse du sol unitaire, qui refuse, la divisibilité du sol au motif qu’elle serait une « fiction » contrevenant à la réalité. Or, il apparaît ici que cette réalité est en partie le fruit d’une fiction, la réalité de la gravité ne se retrouvant pas dans la règle de droit. Pour être complet, il faut dire que ces limites, mettant en échec la force gravitationnelle, ont la particularité d’être horizontales. Conséquemment, le principe de l’accession et celui d’unité du sol peuvent être circonscrits au sol pris comme une surface, pas un volume.

La délimitation des effets de la gravité s’explique par l’entremise du concept de sol surface, qui rend divisible un sol indivisible. Sans le concept de sol surface, l’unité du sol remettrait en cause le principe même d’une propriété individuelle du sol. Ce constat introduit la question de l’étendue du sol signalant l’idéalité du fonds de terre, qui sera abordée à la section suivante (cf. infra). Avant d’en arriver là, il faut poursuivre sur la notion de fixité au travers des effets du sol surface sur le statut d’immeuble spécifique du sol.

2. Les effets du sol surface : clef de l’immobilité du sol

(100.) La surface idéelle du sol civiliste génère deux effets qui en font un immeuble par nature distinct des autres. Le premier effet est lié à la nature idéelle du sol surface, qui lui permet de contourner les contraintes de la matière. En faisant du fonds de terre, une chose idéelle, une surface, le droit des biens donne à ce bien un avantage absolu, celui de ne pouvoir pas disparaître, comparativement aux autres immeubles par nature, qui eux ne sont que matière. Le second effet, n’est pas lié là la nature de la surface, mais à l’une de ses caractéristiques, c’est-à-dire d’être une figure géométrique en deux dimensions. Ce caractère va verrouiller dans le sens vertical le fonds de terre le rendant indivisible.

Par l’entremise de la surface, la division du fonds de terre ne peut être pensée qu’horizontalement, c’est le principe de l’unité du fonds de terre. Il est nécessaire de

s’arrêter sur ces effets du sol surface, sur la faculté de reconstitution du sol, sa perpétuité (a), et sur l’unité du sol ou l’impossibilité d’une division verticale (b).

a. Le sol surface : un immeuble par nature unique par sa nature mathématique

(101.) Débutons par la faculté de reconstitution. Prima facie, la surface du terrain se confond avec la notion de sol naturel que nous examinerons plus tard, et rappelle inévitablement la matière, mais en réalité la surface issue des limites est de nature conventionnelle et idéelle. Cette nature fait du sol un immeuble sans concurrents.

Le sol surface peut se reconstituer indépendamment de la matière qui le constitue contrairement aux autres immeubles. Le bâtiment, une fois démoli, disparaît ; les matériaux qui le constituaient, subsistent à l’état de meubles, et ne pourront redevenir immeuble que dans le cadre d’un réemploi, d’une incorporation au sol. Le sol lui, même en perdant par exemple une couche de terre pourra se renouveler, et même se renouveler indéfiniment. De ce fait, il sera toujours en mesure, via le bénéfice d’accession, de prendre l’ascendant sur les autres immeubles par nature. Il sera toujours plus immobile, au sens de pérenne, que les autres immeubles. Paradoxalement, c’est donc l’idéalité du fonds de terre qui l’emporte sur la matière. Là encore, les apparences sont trompeuses puisque par une confusion entre l a planète Terre et le fonds de terre, le second serait perpétuel. Il l’est effectivemen t dans le sens où la fin de la Terre serait un point final absolu à la vie sur terre, rendant la question de la perpétuité du fonds de terre dépourvue de sens. Cependant , cette situation, porte d’abord sur la planète et non un fonds de terre qui n’en est qu’une fraction. De plus, la fin de la Terre, aussi peu probable et absolue soit-elle, rappelle que la terre est matière, et donc, qu’elle peut comme tous les autres corps disparaître, sous le coup par exemple d’événements cosmiques. Le fonds de terre lui réagit différemment, dans le sens où il peut se reconstituer, ce qui ne serait pas vraisemblablement le cas de la Terre, même si la question est par principe délicate. La notion de surface, une représentation géométrique du sol, permet d’expliquer cette différence. Après décapage d’une couche de terre, cela a été dit, le fonds de terre a subi une modification, mais demeure, expliquant la possibilité d’apport de terre nouvelle, d’une construction, etc. Il est vrai que la première opération, bien que modifiant le fonds, n’a pas fait disparaître toute la matière, restera la couche inférieure, à partir de laquelle la nouvelle opération pourra prendre place. Des opérations de dé capage successives ne modifieront pas cette logique, même dans l’hypothèse théorique d’un décapage total. L’illustration n’a que peu de sens en pratique. Néanmoins, le fonds de terre se traduisant par un cône partant du centre de la Terre se projetant dans les cieux, selon la doctrine classique (cf. infra), il est concevable de se référer à cette hypothèse au moins en théorie. Or, un fonds de terre sans terre ne se traduirait pas plus par sa disparition que le simple décapage. La

surface de ce fonds serait réduite à sa plus simple expression un point (ou la pointe du cône), mais elle pourrait donner lieu, en théorie, à une opération d’apport de terre, ou de construction semblable aux opérations qui se pratiquent in concreto après un décapage superficiel.

Cet exemple extrême démontre le rôle du concept de surface, concept qui déjoue les contraintes de la matière des choses corporelles, même sans matière l’immeuble sol demeure. Ces contraintes de la matière s’imposent aux autres immeubles par nature qui ne peu vent recourir à cette notion de surface. Le seul moyen d’y parvenir serait d’écarter le concept de surface pour une géométrie en trois dimensions, puisque la surface par principe n’a pas d’épaisseur, ce qui empêche écarte l’hypothèse d’un dessus à la surface.

b. Le sol surface : un immeuble divisible seulement horizontalement

(102.) Concernant l’incidence du sol surface sur l’unité du sol, le lien est pourrait -on dire mathématique. Une géométrie en deux dimensions, se définissant seulement en longueur et en largeur, écarte sur le principe même d’un découpage du sol en hauteur.

Le sol surface est un concept puissant assurant la suprématie du sol, qui se trouve également à la base de l’individualisation du sol comme nous le verrons (cf. infra §111 et s

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). C’est aussi, un concept très réducteur ; il rend impossible une appréhension de l’épaisseur du sol, pourtant indéniable. Cette caractéristique rend difficile la critique du principe de l’unité du sol. Le seul moyen d’y parvenir est de contourner la représentation du sol surface. C’est le parti-pris de l’argument, s’appuyant sur le terrain en pente pour mettre en avant l’individualisation horizontale du bénéfice de l’accession et du principe de l’unité du sol. L’épaisseur du terrain révèle le rôle de la limite du terrain vis-à-vis de la gravité, indécelable par la seule représentation d’une parcelle sans hauteur (cf. supra §99). De même, à l’instant, le lien entre le sol surface et la faculté de renouvellement du sol, a été mise en lumière par le concept d’un fonds de terre représenté par un cône ouvert, dans la lignée de l’article 552, soit une figure volumique (cf. supra §101). Dits autrement, ces raisonnements font appel à d’autres représentations du sol, ce qui ne signifie absolument pas que la chose sol ait changée. Ce point est important et constituera un axe structurel du concept de propriété volumique exposé en troisième partie (cf. infra §624 et s.). En se référant à ces concepts, apparaissent les limites du sol surface. L’une d’elles est de réduire le sol à une surface, puis de limiter les caractères du sol à une surface, et enfin de confondre le sol avec cette représentation géométrique en deux dimensions. J. P. Marty aborde ce phénomène quand il dit à l’orée de sa thèse : « … ces auteurs (les auteurs classiques réduisant le sol à la matière) hésitent encore à considérer la surface du sol distinctement de la matière qui la compose. Ce pas semble franchi dès le début du siècle par Baudry-Lacantinerie qui énonce sans

ambiguïté : « … ce qui est immeuble dans le sol, c’est la surface géométrique ou, si l’on veut, son volume d’ensemble, le sol ne saurait être déplacé tel qu’il est pas même par parcelle ». Ce passage est vraiment éclairant pénétrant même et appellerait de nombreux commentaires. Pour éviter de trop longs développements, disons simplement qu’il sous -tend une idée que nous reprendrons largement, celle d’une progression de la représentation du sol, d’abord matière, puis surface et enfin volume. J. P. Marty semble lui-même soumis à cette évolution ne reconnaissant dans la géométrisation du sol décrite par Baudry-Lacantinerie, seulement la surface. Par ailleurs, un autre travers, bien plus lourd de conséquences, encore, doit être dénoncé. J. P. Marty ne distingue pas entre la chose sol et sa représenta tion. Ainsi, l’auteur sur la base de la géométrisation du sol analyse sa dématérialisation essentiellement en référence la notion de surface ; le volume du doyen Savatier relèverait plutôt d’une « vision »229. Toutefois, l’auteur finit par invalider le concept du sol surface en raison de son incompatibilité avec la matérialité du sol : « La substance matérielle ne peut être écartée. »230. Selon lui, cette matière incontournable rendrait impossible la division du sol, c’est pourquoi la chose étant une unité indivisible, J. P. Marty proposera une division de cette chose par l’entremise du droit, ce qui induit de renoncer au modèle de propriété civiliste du code, pour une propriété simultanée (cf. infra §531 et s.). Cette proposition cohérente si l’on accepte ce renoncement, n’en est pas moins critiquable. L’auteur, en effet, identifie la géométrisation du sol, comme sa nature, notamment quand le sol surface s’identifie à une division horizontale de la matière horizontalement. De même, il développe a contrario de son propos l’exemple de la mine, qu’il qualifie, il est vrai, d’exception. J. P. Marty, malgré cette analyse, va développer une division du droit (de propriété), pensant que ce choix correspond au seul moyen de respecter la réalité du fonds de terre indivisi ble, et de s’opposer à la fiction, sa division231

. Pourtant, sans nier la matérialité du fonds de terre, ni revenir sur le modèle de propriété civiliste, il est envisageable d’abandonner le principe de l’unité verticale du sol, suivant sa division horizontale. Le volume parvient à ce résultat comme nous le verrons en détail (cf. infra). Pour cela, la géométrisation est conservée, et même étendue. Cette extension s’entend du passage de deux à trois dimensions, mais également de l’extension de l’avantage absolu qui était jusqu’alors l’apanage du sol. Avec le volume, la géométrisation du sol, une portion de l’étendue de la planète peut être appliquée à un immeuble, un arbre, un tunnel, une mine, etc. Le volume d’un bâtiment aura alors les

229 J.-P. Marty, « La Dissociation juridique de l'immeuble : Contribution à l'étude de droit de superficie » (Bibliothèque de

droit privé) [Broché], 1979, §13 p. 27 L’auteur voit dans le volume immobilier : « une vision » et poursuit en disant « Force et de constater que c’est essentiellement la notion de surface qui est utilisée… ».

230 J.-P. Marty, « La Dissociation juridique de l'immeuble : Contribution à l'étude de droit de superficie » (Bibliothèque de

mêmes qualités que le sol surface, il sera indépendant de la matière constituant l’immeuble. Le volume d’un bâtiment pourra donc continuer à exister après la démolition, et même avant la construction. Ces problématiques méritent d’être développées et le seront amplement. Pour le moment concluons, en disant que le sol surface, fruit d’une géométrisation du sol, exclut par nature la division verticale. Le sol surface se limite à une division horizontale de l’immeuble par nature fonds de terre. Toutefois, le sol surface n’est qu’une représentation du sol, pas le sol lui-même, qui donne lieu à d’autres représentations permettant d’envisager en complément d’une division plane, une division verticale du sol.

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