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La réforme de 1955 : source d’adaptation de la propriété du code

Dans le document De la propriété du sol en volume (Page 183-187)

§2 La publicité foncière ou le prolongement de conceptualisation du sol cadastral

B. La réforme de 1955 : source d’adaptation de la propriété du code

(146.) La réforme de la publicité foncière de 1955, bien que portant sur un aspect à priori accessoire correspond à l’une des grandes réformes de la propriété immobilière383, et contribue grandement à la propriété du code. Dans le même temps, tout en concourant au développement du modèle de propriété du code la réforme de 1955 va accroitre les contraintes systémiques (1), appelant ce modèle à s’adapter. Pour autant, adaptation ne signifie pas reniement. Tout comme la borne, la publicité foncière ne fait pas le propriétaire, mais conforte son droit (2).

381 R. Savatier, « Vers de nouveaux aspects de la conception et de la classification des biens corporels » : RTD civ. 1958, §5

p. 5, voir également G. Goubeaux, « Abstraction et réalisme dans la détermination de l'objet de la propri été immobilière » : Études A. Weill : Dalloz, Litec 1983, §7 p. 283 qui souligne l’apport de R. Savatier sur le concept de dématérialisation.

382 R. Savatier, « Vers de nouveaux aspects de la conception et de la classification des biens corporels » : RTD civ. 1958, §4

p. 5.

383 G. Daublon, « Regards sur le vingtième siècle », répertoire Defrénois n1/01 37277. L’auteur rapporte notamment les

1. La réforme de la publicité foncière un gain source d’adaptation pour la propriété

(147.) Avec la réforme de1955, l’idéalisation du sol s’intensifie. Le processus profite largement à la propriété, mais lui donne également une orientation nouvelle susceptible de la déstabiliser. La publicité foncière, on le sait, incarne deux objectifs : la sécurité de l’acquéreur, donc du propriétaire, et la sécurité du commerce juridique qui répondent à la protection des créanciers hypothécaires. Sur ce second volet, le législateur vise à favoriser le crédit immobilier384. Le déploiement d’un crédit sûr rend la propriété immobilière mécaniquement plus attractive385

. Par ailleurs, en complément de ces considérations essentiellement économiques, le législateur a, par divers moyens, renforcé l’importance du cadastre donc de la représentation abstraite du sol. On peut citer notamment, la concordance des indications sur le droit de propriété et droits réels entre le fichier immobilier et le cadastre386, ou le principe de la fusion des formalités d’enregistrement et de publicité foncière.

D’autre part, la portée de la vision de l’immeuble de la réforme de 1955 tient à sa dimension systémique. La publicité foncière a vocation à s’étendre à l’ensemble de la propriété. Le système de sanction pour non-respect de cette formalité, est composé de plusieurs éléments, dont un particulièrement efficace, l’effet relatif de la publicité foncière387

. En empêchant la publication de l’acte d’une personne dont le droit de l’auteur n’a pas été lui-même publié, la publicité foncière devient incontournable. Pour mémoire, la propriété est une relation s’attachant à mettre en présence uniquement un sujet et sa chose. De plus, en complément de ce système de sanction, la publicité foncière peut avoir une incidence y compris entre acquéreur et vendeur en présence de transactions successives388. Selon les règles de droit commun (Art. 1583 Code civil), la vente étant parfaite dès l’échange des volontés, le vendeur perd ipso facto la propriété de l’immeuble ; la seconde vente ne peut alors donner lieu à un transfert de propriété celui-ci étant déjà intervenu et le premier acquéreur doit être désigné comme le nouveau propriétaire. Seulement, la publicité va bouleverser ce raisonnement en donnant préférence au titre publié en premier. Une publication de la seconde vente antérieure à la première emportera propriété du bien pour le second acquéreur. Conséquemment, la propriété perd de son autonomie en étant contrainte de se soumettre à une formalité, obligatoire de fait, qui lui est extérieure.

384 M. Dagot et P. Frémont, J.-Cl. Notarial Formulaire, « Publicité foncière », Fasc. 30, Cote : 11,2002, §4.

385 Pour mémoire le décret de 1955 s’explique en partie par le développement de l’accession sociale, tout comme la

précédente reforme de 1855 concomitante à la naissance du Crédit Foncier, accession reposant par principe sur l’élargissement de l’accès au crédit.

386 M. Dagot et P. Frémont, J.-Cl. Notarial Formulaire, « Publicité foncière », Fasc. 30, Cote : 11,2002, §50 et articles 870,

1402 et 1404 du CGI.

387 M. Dagot et P. Frémont, J.-Cl. Notarial Formulaire, « Publicité foncière », Fasc. 30, Cote : 11,2002, §45.

388 M. Dagot et P. Frémont, J.-Cl. Notarial Formulaire, « Publicité foncière », Fasc. 30, Cote : 11, 2002, §13. Selon les

auteurs, les règles de publicité foncière ne contrediraient pas le code civil, et seraient par là conformes au principe confortatif de la publicité foncière en droit français par opposition au système déclaratif, puisqu’elles permettraient la protection des deux acquéreurs, sous réserve qu’ils n’aient procédé au paiement qu’après publication. Il s’agit peut -être du

Ces divers aspects montrent à l’évidence, comment la publicité foncière renforce la propriété tout en la déstabilisant. Par l’entremise d’une représentation du sol détachée de la chose tangible, le sol est au moins autant la composante d’un système, relevant de la puissance publique, que l’objet du droit de propriété d’un individu. Notons que ce développement n’est pas contraire à la propriété qui en profite. Simplement, à ce profit correspond un coût. La stratégie des rédacteurs du code de chosifier la propriété (cf. supra §45 et s.) pour maintenir le tête-à-tête entre le propriétaire et sa chose a perdu en intensité.

2.

La nature de la publicité foncière : question à la propriété du code

(148.) Le sol représenté abstraitement possède une large portée, qui s’explique en particulier par une origine transversale au droit privé et au droit public. Cette approche modifie de l’intérieur l’objet du droit de propriété. Par suite, cette modification suscite mécaniquement la question de l’articulation, voire de la hiérarchie, entre la représentation nouvelle et ancienne du sol.

Cette problématique s’exprime au travers de la nature de la procédure de publicité foncière qui peut être constitutive de droit ou simplement confortative. Très schématiquement, la publicité foncière a un rôle constitutif, si cette procédure est perçue comme faisant naître le droit – pour ce qui nous concerne le droit de propriété ; A l’inverse son rôle sera déclaratif, lorsque la procédure se limite à entériner un droit excitant. Ce schéma reprend les éléments du vieux débat d’une propriété de droit naturel préexistant l’État, versus une propriété institution sociale, fruit de l’organisation du corps social au travers l’État, proche du concept de contrat social développé par Rousseau pour dire les choses simplement. En droit français, le principe est que la publicité foncière possède un rôle confortatif. Le droit nait de la volonté des parties et l’accomplissement de la formalité se limite à le parfaire389, et, en aparté, la convention de bornage n’exige pas de forme particulière sous l’empire du code390. À l’inverse dans un système constitutif, tel qu’il existe en Allemagne ou en Aust ralie par exemple, c’est l’accomplissement de la formalité qui crée le droit. Le choix français trouve sa source dans l’orientation donnée à la propriété civiliste d’un Etat minimaliste. Le code enfant de la Révolution nourrissait une défiance naturelle à l’endroit de toutes les formes de pouvoirs susceptibles de concurrencer le droit du propriétaire sur sa chose. Or, l’État, au moins par certains aspects, est un concurrent sérieux, présentant même le risque de soumett re

cas le plus vraisemblable, mais l’autre option n’est pas exclure. D’autre part, en cas d’une publication du titre second acquéreur antérieure au premier, le second acte prévaudra au mépris, semble-t-il, de la règle de droit commun.

389 M. Dagot et P. Frémont, J.-Cl. Notarial Formulaire, « Publicité foncière », Fasc. 30, Cote : 11, 2002, §11. 390 Cass. civ. 3e 16 février 1968, Bul. Civ. III, no 64, p. 53.

la propriété. C’est pourquoi comme « la borne ne fait pas le propriétaire » (cf. supra §124 et s.), la formalité de publicité foncière ne fait pas la propriété.

Toutefois, passée cette affirmation grandiloquente, force et de recon naître que le décret de 1955 porteur d’une influence, va parfois jusqu’à s’opposer presque frontalement au cadre traditionnel de la propriété, comme en matière de vente s successives d’un immeuble. Sans doute, le système français n’est-il plus tout à fait déclaratif, tout en restant éloigné d’une publicité foncière ayant un rôle constitutif. Certains auteurs souhaiteraient un passage à un système constitutif pur et simple391, ce qui est sujet à controverse392. Une telle approche reviendrait à remettre en cause le fondement de la propriété civiliste. Or, il s’agit d’un suje t dépassant singulièrement la question de la publicité foncière. Par ailleurs, une telle démarche, une modification de la nature de la propriété par la publicité foncière, comporte le biais déjà dénoncé de la confusion entre le concept et son objet (cf. supra §45 et s.). La représentation abstraite du sol que sous-tend la publicité foncière n’a pas pour effet d’éliminer l’objet de la représentation. La propriété du sol, soit la faculté de disposer d’une chose tangible, demeure que cette chose soit représentée par la géométrie, les mathématiques ou au regard de sa matérialité. Remarquons de plus l’adaptabilité de la propriété, qui tout en maintenant le principe d’une publicité déclarative a su intégrer un dispositif contrevenant à ses principes fondateurs.

Ainsi, si le décret de 1955 sur la publicité foncière interroge la propriété, il lui permet aussi de se renforcer. Ce renforcement tient au développement la propriété par l’amélioration de la sécurité juridique, qu’engendre la formalité de publicité. La propriété est également renforcée par l’ajout d’un élément lui étant, a priori, contraire, sans que cet ajout ne contraigne la propriété à se renier, mais seulement à s’adapter. Le processus débouche sur une propriété capable d’intégrer la publicité foncière et de s’en servir.

Cet aspect est important, car l’abstraction de la représentation du sol inhérente à la propriété foncière n’est, elle-même, qu’une étape d’un processus évolutif (cf. infra §705 et s.). Une autre séquence de ce processus concerne la représentation du sol en trois dimensions, le volume immobilier. Or, le volume ne possède pas la matérialité du sol surface pour la partie dessus en l’absence de construction. Le concept de sol classique, la matière que l’on peut toucher, ne peut donc pas être utilisé. La publicité foncière fondée sur un concept abstrait sera alors utile, puisque la représentation du sol volumique est elle -même synonyme d’abstraction (cf. infra §624 et s.).

Le volume immobilier, également représentation abstraite du sol, est née sur la seconde moitié du 20ième siècle. Le volume appartient à la géométrie euclidienne, comme le sol

391 M. Dagot et P. Frémont, J.-Cl. Notarial Formulaire, « Publicité foncière », Fasc. 30, Cote : 11, 2002, §117. 392 M. Dagot et P. Frémont, J.-Cl. Notarial Formulaire, « Publicité foncière », Fasc. 30, Cote : 11, 2002, §120.

surface civiliste qui lui est antérieur. Cependant, si le Code civil a d’abord vu le sol comme une surface, il développe en parallèle plus modestement, il est vrai, un sol en trois dimensions au travers de l’article 552.

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