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Le bornage ou la marque de la propriété individuelle sur le sol

Dans le document De la propriété du sol en volume (Page 164-171)

§2 Le bornage : la marque de la propriété individuelle sur le sol

B. Le bornage ou la marque de la propriété individuelle sur le sol

(128.) Souligner les insuffisances d’un bornage servitude appelle naturellement une interrogation sur ce que pourrait être sa nature réelle. À cette question, la doctrine répond : l’accessoire de la propriété foncière309

et il est vrai que l’articulation entre les deux notions est parfaite (1), la borne marquant matériellement le sol de l’empreinte de la propriété individuelle (2).

1. Propriété et bornage vont de pair

(129.) Comme l’a écrit Demolombe310, propriété individuelle et bornage sont, sur le principe, indissociables l’un de l’autre. C’était déjà le cas à Rome et cela reste vrai pour le code. À ce propos, Demolombe établissait un lien entre le droit de borner le sol et la faculté, permettant à tout indivisaire, de provoquer le partage. Le parallèle est des plus pertinents ; l’obligation de partage de l’indivision signe l’impossibilité d’une propriété collective, pendant que le bornage symbolise l’individualisation de l’objet du droit de propriété, le sol. Demolombe évoque indirectement la distinction droit chose, le partage forcé relevant du droit et le bornage de la chose.

La procédure de bornage illustre la spécificité du sol civiliste, son individualité. C’est en effet cette action, fût-elle facultative, qui marque la rupture entre le fonds de terre originel, commun, et sa transformation en un objet individuel d’appropriation. Le passage du sol de la communauté négative à la communauté positive pour reprendre la formule usitée par Pothier.

308 Voir contra F. Terré et P. Simler, « Droit civil. Les biens », (8e édition), 2010, Dalloz, §273 p. 235, les auteurs

considèrent que la réciprocité est une circonstance particulière sans incidence sur la nature des servitudes de voisinage.

309 G. Mémeteau, J.-Cl. Civil, « Biens. - Servitudes dérivant de la situation des lieux, Bornage», Fasc. Unique, Cote :

05,2010, §6.

L’importance du marquage du sol est rappelée par les sanctions pénales311

prévues en cas d’atteinte à une borne. Là encore, la propriété du code s’inspire de Rome, où des sanctions similaires existaient. L’autorité chargée de sanctionner a simplement changé ; en détériorant ou déplaçant une borne, on ne risque plus le courroux de Dieu, mais de l’Etat via la décision du juge, ce « prêtre(s) laïc(s) »312. L’autre aspect, attestant de la portée systémique du bornage, tient au fait que le propriétaire peut ou pas exercer cette action, mais n’a pas la possibilité d’y renoncer, car « elle intéresse la paix et l’harmonie des relations de voisinage et le bon ordre de l’Etat »313

. Avec cette impossibilité de renoncement, le propriétaire est dans l’incapacité de soustraire sa chose au système de propriété individuelle qui le transcende. Le caractère individuel du sol s’impose au propriétaire, quels que soient les desiderata de ce dernier. Par ce renoncement, le législateur empêche un retour du sol dans la communauté négative, ou, plus prosaïquement, la mise en place d’une propriét aire collective314.

D’ailleurs, il est intéressant de noter qu’une exception à l’impossibilité de renoncer au bornage est prévue par le Code civil depuis 2006, à l’article 2516315

. Cette disposition contrevenant à l’un des fondements de la propriété civiliste peut surprendre316

. La disposition a pour particularité de concerner le territoire de Mayotte. Elle s’explique par la coexistence sur ce territoire d’une législation venant de la métropole, c’est-à-dire le code, et d’un droit coutumier d’inspiration musulmane317

. Ce dernier s’articule avec une forme de propriété collective ou communautaire qui n’exige pas aussi fortement que la propriété du code, une chose individualisée. La renonciation à la procédure de bornage reconnue au territoire permet en l’occurrence le maintien d’indivisions prenant le contre-pied de l’individualisme civiliste318. Certaines indivisions comptent parfois plus de 300 personnes319, laissant à penser que la qualification même d’indivision est critiquable.

311 Article 322-1 du Code pénal prévoit une peine maximale de 2 ans de prison et d’une amende de 30.000€ tout déplacement

ou d'arrachage d'une borne.

312 R. Debray, « Éloge des frontières », Gallimard, 2010 p. 27.

313 C. Demolombe, « Cours de Code Napoléon », Vol. 11, Paris, Imprimerie générale, 1872, §241 p. 276. 314 C. Perrin, « Étude sur l'action en bornage. Droit romain. Droit frança is », Thèse. Paris, 1874 §97 p. 78.

315 Article 2516 du Code civil, créé par l’ordonnance n°2006-346 du 23 mars 2006 - art. 1 JORF 24 mars 2006 « Sous réserve

des dispositions des troisième et quatrième alinéas du présent article, sont immatriculés sur le livre foncier de Mayotte mentionné à l'article 2513 les immeubles de toute nature, bâtis ou non, à l'exception de ceux dépendant du domaine public. Sont inscrites sur le même livre les mutations et constitutions de droits sur ces immeubles. Tout immeuble non immatriculé qui fait l'objet d'une vente devant les tribunaux est immatriculé préalablement à l'adjudication dans des conditions fixées p ar décret en Conseil d'État. Les parcelles d'immeubles sur lesquelles sont édifiées des sépultures privées peuvent être immatriculées. Les droits collectifs immobiliers consacrés par la coutume ne sont pas soumis au régime de l'immatriculation. Leur conversion en droits individuels de propriété permet l'immatriculation de l'immeuble. ».

316 C. Atias, « Bornage », Rép. Droit Civil, Mars 2012 (dernière mise à jour : octobre 2013) §128.

317 C. Barthès, « Effets de la régularisation foncière à Mayotte. Pluralisme, incertitude, jeux d’acteurs et méti ssage »,

Économie rurale [En ligne], 313-314 | Septembre - décembre 2009, mis en ligne le 11 janvier 2010, consulté le 02 mars 2015. URL : http://economierurale.revues.org/2376 §8 : « Depuis près d’un siècle le système foncier de Mayotte combine deux régimes : l’un coutumier, fondé sur la possession de facto reconnue localement par la communauté d’appartenance (lignage et village) ; l’autre d’essence civiliste (propriété privée des sols) reposant sur l’a ttribution de titres par l’État. ».

318 C. Barthès, « Effets de la régularisation foncière à Mayotte. Pluralisme, incertitude, jeux d’acteurs et métissage »,

A contrario de cet exemple mahorais, le principe du bornage de l’article 646 du Code civil souligne le besoin substantiel d’un sol individualisé ou individualisable pour la propriété de l’article 544.

(130.) La mise en œuvre de l’action en bornage fait également état de la proximité qu’elle entretient avec la propriété.

En dehors de l’exception mahoraise, la renonciation au bornage n’est pas permise car elle serait synonyme de confusion entre les fonds, comme cela vient d’être exposé. Cependant, la mise en œuvre de l’action est laissée à l’entière discrétion du propriétaire. Il peut faire le choix d’en user, auquel cas si les conditions d’exercice de l’action sont réunies, elle aboutira. Le propriétaire peut à l’inverse ne pas en user, tout comme le propriétaire peut disposer de son bien à sa guise au gré de ses seuls intérêts. Ainsi, bien que relevant du système de propriété, le bornage fonctionne selon la logique de la propriété du code, avec une prérogative relevant dans sa mise en œuvre de la volonté du propriétaire. Autre point de ressemblance, la faculté de délimiter son fonds est imprescriptible. Le droit de se borner comme le droit de propriété ne se prescrit pas par le non-usage. Cet aspect trouve à s’appliquer pour la situation particulière visée à l’article 673320

, accordant au propriétaire le droit imprescriptible de couper les arbres, arbrisseaux et racines en limite séparative de son fonds afin d’éviter leur propagation. De plus, le bornage une fois réalisé est immuable321

. Pour les parties, son résultat est devenu « leur la loi commune »322 rendant irrecevable toute action en contestation ultérieure, comme le résume l’adage ancien « bornage ne se refait »323

. Pour C. Atias « l'irrecevabilité de l'action a pour fondement l'effet obligatoire de la convention (C. civ., art. 1134). Après un bornage judiciaire, elle est une conséquence de l'autorité de chose jugée (C. civ., art. 1351. - C. pr. civ., art. 122 et 480). »324. En

2015. URL : http://economierurale.revues.org/2376 §21 : « Face au constat d’une régularisation limitée (seulement 1 000 titres de propriété distribués entre 1998 et 2004), il a été instauré en 2004 une exonération des droits d’enregistrem ent, de bornage et des frais de publicité auparavant à la charge du propriétaire coutumier. Ont été également exclus du processus de régularisation certains villages du fait du nombre très élevé d’ayants droit regroupés sur une indivision. La levée de l’ensemble des parcelles (près de 23 000) et l’identification des propriétaires coutumiers s’est achevée en 2006, au prix d’un renfort en hommes et en matériels ; le tiers des parcelles ayant été titrées. ».

319 Rapport Senat, M. José BALARELLO, N° 361, Session ordinaire de 2000-2001, Annexe au procès -verbal de la séance du

6 juin 2001, p.35 : « On compte aujourd’hui 8.000 titres, mais on assiste ces dernières années à une explosion du contentieux. L’évolution des mentalités, la montée en puissance de l’individu alisme et l’exode rural ont conduit à la remise en cause de nombreuses indivisions, qui comptent parfois plus de 300 personnes. »

320 Art. 673 Code civil : « Celui sur la propriété duquel avancent les branches des arbres, arbustes et arbrisseaux du voisin

peut contraindre celui-ci à les couper. Les fruits tombés naturellement de ces branches lui appartiennent.

Si ce sont les racines, ronces ou brindilles qui avancent sur son héritage, il a le droit de les couper lui -même à la limite de la ligne séparative.

Le droit de couper les racines, ronces et brindilles ou de faire couper les branches des arbres, arbustes ou arbrisseaux est imprescriptible. ».

321 J. Carbonnier, « Droit civil (Thémis), Tome second les biens et les obligations », PUF, Paris 1956, §47 p. 155. 322 C. Demolombe, « Cours de Code Napoléon », Vol. 11, Paris, Imprimerie générale, 1872, §281.

323 C. Atias, « Droit civil. Les Biens », Litec, 10e éd., 2009, §569 p. 346.

complément de ces fondements, cette caractéristique peut vraisemblablement être rapprochée de la perpétuité de la propriété. Le parallèle est imparfait, et le propos n’est pas de faire renaître l’ambition de Babeuf (cf. supra §122). Toutefois, l’imprescriptibilité du bornage tient là autre chose l’autorité de l’acte prescrivant les limites. Ainsi, cas de déplacement ou disparition des bornes le bornage vaudra pour une période de trente années. Avant l’expiration de ce délai, les bornes sont simplement remplacées325

, sur la base de la délimitation initiale326. L’objet de la propriété, en dépit de l’impossibilité d’être vérifié in

concreto, va perdurer. L’accord amiable ou judiciaire en demeure le fondement, mais il est

aussi possible de considérer que la pose des premières bornes a fait naître une chose, qui aura pris une certaine autonomie. C’est ce que semble dire Duranton quand il i ndique : « Le droit de pouvoir le réclamer est fondé sur une obligation qui naît du voisinage, et il peut être exercé à toute époque. Il est imprescriptible, parce que la cause qui le produit est toujours existante.»327.

Sur le principe, comme pour sa mise en œuvre le bornage entretient une grande proximité avec la propriété. Grâce à cette procédure, amiable ou judiciaire328, le sol est mis au format de la propriété individuelle.

2. La borne « affecte la chose de cette énergique empreinte d’appropriation… »329

(131.) Le bornage affecte la chose, l’objet du droit de propriété, mais cette intervention sur la chose est une conséquence du modèle de propriété du code. Cette intervention sur la chose qui se traduit matériellement (b), traduit la mise au format d’une propriété individuelle et exclusive de la ressource foncière (a).

325 Cass. civ. 3e, 3 avril 1973, JCP 1974. II. 17657, note Lassez et Cass. req. 11 août 1851, S. 1852. I. 645, citées par F. Terré

et P. Simler, « Droit civil. Les biens », (8e édition), 2010, Dalloz, §278 p. 237.

326 Un parallèle semble pouvoir être établi entre l’immuabilité du bornage et le principe d’intangibilité des frontières en droit

international (uti possidetis juris).

327 M. Duranton, « Cours de droit français : suivant le Code civil », Tome cinquième, 1828, p. 232 §245 328 Voire l’adage « Bornes se mettent par autorité de justice ».

329 C. Demolombe, « Cours de Code Napoléon », Vol. 9, Paris, Imprimerie générale, 1870, §645 p. 564 et 565, nous

reprenons ici le propos que Demolombe développe à propos de la propriété de la mine. La notion « d’empreinte énergique » fait référence au droit de propriété pas à la chose. Dans le même temps, l’examen de la mine de 1810 démontre que l’impossibilité pour la propriété du code d’appréhender « énergiquement » la mine tenait à l’impossibilité d’une délimitation tridimensionnelle de la mine. C’est pourquoi un parallèle est établi avec le sol, qui, lui, grâce au bornage peut être délimi té est donc être pleinement objet de la propriété. Passage complet : « Et pourtant, malgré cette règle actuellement certaine (article 552), on ne peut nier qu'aujourd'hui même encore, le droit de propriété qui appartient au maître du sol, sur les biens inconnus, qui dorment dans les profondeurs ignorées de la terre, ne soit toujours resté, par la force même des choses, un dro it peu déterminé et peu défini, un droit qui n'affecte pas la chose de cette énergique empreinte d'appropriation, à laquelle on reconnaît la propriété bien nette et bien caractérisée. ».

a. La borne ou la limite de l’objet du droit de propriété

(132.) Le bornage ne crée pas la propriété du sol. Ses effets sont, on le sait, déclaratifs330 ; déjà en son temps, Pothier indiquait « cette action de bornage (qui) ne tend qu’à conserver à chacune des parties l’intégrité de son héritage… »331

. Le bornage est cependant un rouage essentiel et identitaire de la propriété du sol. Il met le sol au format de la propriété individuelle, afin que celui-ci puisse recevoir les droits octroyés par la loi au propriétaire, comme à celui de la propriété voisine ; la limite de l’un est celle de l’autre.

Sans bornage, le droit de propriété ne peut recevoir une totale application, notamment concernant sa dimension exclusive, puisque l’indétermination de la chose rejaillit sur le droit. C’est la conclusion de la propriété de la mine de1810. La reconnaissance du droit de propriété accordé au concessionnaire par la loi a toujours conservé une part d’indécision, dont la vivacité des débats doctrinaux fait écho. Cette part de flou de la propriété minière s’explique essentiellement par l’impossibilité pour la mine de disposer de limites hautes et basses en complément de ses cotes longueur, largeur, soit un bornage tridimensionnel (cf. infra §190 et s.). D’ailleurs, pour Laurent : « la faculté de demander le bornage est un attribut de la propriété; », c’est pourquoi il qualifie cette action de réelle332. Toutefois, l’auteur distingue le bornage de la revendication de la propriété, même s’il reconnaît à ces deux actions des similitudes : « prouver l'étendue de la propriété, ou prouver les limites où elle s'arrête, n'est-ce pas une seule et même chose sous des noms différents? »333. La distinction, comme le rapprochement qu’opère Laurent, semble juste entre revendication et bornage. Toutefois, pour bien comprendre la dynamique entre ces deux actions, il serait sans doute nécessaire de réintroduire une autre distinction, celle du droit et de la chose. L’action en revendication tend en effet à faire reconnaître le droit de propriété, droit qui aura vocation à s’appliquer sur une chose. Le bornage, lui, concerne la chose, qui sera destinée à être objet d’un droit de propriété. En précisant l’étendue de la chose sol, le bornage conforte le droit de propriété, mais son action part de l’objet du droit. En pratique, la distinction revendication, bornage perd de son intérêt, car le résultat de ces deux actions sont proches, et Laurent, en dépit de ses efforts pour séparer bornage et revendication finit par le reconnaître. Demolombe va plus loin en évoquant des cas où le bornage ne précise pas seulement l’étendue du sol, mais opère des transferts de propriété. Ces transferts sont de faible ampleur, car ils font suite à des rationalisations des limites d’une parcelle : « afin d'en corriger les

330 Voir contra C. Atias, « Droit civil, Les Biens », Litec, 10e éd., 2009, §574 p. 348. Pour l’auteur, le bornage ne devrait pas

être déclaratif de droits car sans délimitation d’un objet on ne peut avoir sur celui -ci des droits réels. Or, c’est le bornage qui délimite la chose assiette de la propriété foncière ce qui est donc créateur de droit.

331 Citation reprise notamment par C. Perrin, « Étude sur l'action en bornage. Droit romain. Droit frança is », Thèse. Paris,

1874 §202 p. 149 ; C. Demolombe, « Cours de Code Napoléon », Vol. 11, Paris, Imprimerie générale, 1872, §278 p. 307.

irrégularités, de faire disparaître, par exemple, les coudes et les angles rentrants ou saillants qu'elle pourrait présenter. […] le bornage constitue un véritable alignement pour la commodité de l'un et de l'autre des propriétaires… »334. La modification de la chose est ici incontestable, comme l’est d’ailleurs la propriété dans son ensemble. C’est pourquoi C. Atias dit à propos du bornage : « La propriété elle-même est directement en cause. Elle ne saurait exister et s'exercer sans un objet déterminé ; le bornage contribue donc à sa définition, en même temps qu'à son exercice. La guerre de frontière est pourtant, en principe, marginale. »335.

Par l’intermédiaire de son action sur l’étendue du sol, le bornage correspond à l’empreinte de la propriété individuelle dans le monde sensible. Cette empreinte est d’ailleurs perçue comme corporelle.

b. La borne une enveloppe matérielle

(133.) La délimitation du sol est une opération de l’esprit ; nous l’avons vu, la Terre est indivisible matériellement (cf. supra §106 et s.). En conséquence le bornage est forcément de nature idéelle, seule la borne est matérielle. Simplement, en raison de la nécessité d’un objet matériel (cf. supra §45 et s.), la propriété va accentuer la matérialité de la borne.

L’opération tendant à délimiter une parcelle est d’abord un produit de l’esprit, un artefact. Pour citer R. Debray, faisant lui-même référence à C. Jacob : « Comme « la carte est une projection de l'esprit avant d'être une représentation de la Terre », la frontière est d’abord une affaire intellectuelle et morale. »336. Initialement, ces frontières ou limites ont en partie coïncidé avec des éléments naturels, même si déjà à Rome, certaines d’entre elles étaient des limites anthropiques (cf. supra §155). Le bornage, apanage de la propriété privée, traduit sans équivoque son idéalité. Cette procédure suppose en effet deux propriétés contiguës et privées337, excluant le domaine public du champ d’application de l’article 646. Or, comment expliquer que la limite « naturelle » distingue domaine public et privé ? Pourtant, en dépit de cette nature idéelle le droit va chercher à matérialiser le bornage, en recourant au processus de la réification, que l’on retrouve sur d’autres aspects (cf. supra §624 et s.). La définition du bornage atteste de cette inclinaison matérialiste. G. Mémeteau nous rappelle, par exemple, la définition de Planiol et Ripert : « le bornage est une opération qui consiste à fixer la ligne séparative de deux terrains non bâtis, et à la marquer par des signes matériels… », proche de

333 F. Laurent, « Principes de droit civil français », tome 7, Paris Bruxelles, 1872, §433 p. 492.

334 C. Demolombe, « Cours de Code Napoléon », Vol. 11, Paris, Imprimerie générale, 1872, §274 p. 302. 335 C. Atias, « Bornage », Rép. Droit Civil, Mars 2012 (dernière mise à jour : octobre 2013) , §6. 336 R. Debray, « Éloge des frontières », Gallimard, 2010 p. 17.

celle de F. Terré et et P. Simler : « …la détermination de la ligne séparative de deux fonds, à l'aide de signes matériels que l'on appelle des bornes. »338. Laurent va même plus loin en disant : « Quand les limites sont certaines et non contestées, le bornage est une opération matérielle, qui se fait par la plantation de pierres-bornes ou autres signes de délimitation; »339. La réification du bornage est réalisée en mettant l’accent sur la bor ne, alors qu’elle est seulement le produit, le résultat d’une abstraction. Le phénomène est renforcé par la volonté de donner une dimension naturelle au bornage. Seul le sol non bâti est concerné, les bâtiments sont délimités, par exemple par leurs murs340. Les constructions et autres immeubles par nature possèdent une étendue définie artificiellement, ce qui n’est pas le cas du sol. Cette absence est compensée par la borne qui justement permet d’individualiser le sol, de créer une enveloppe au sol le détachant du reste de l’écorce terrestre (cf. supra §124 et s.). Pour légitimer la matérialité de cette enveloppe, le droit va confondre limites naturelles et limites créées de la main de l’homme. « On entend par bornes, en général, toute

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