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Le sol représenté initialement comme un pouvoir

Dans le document De la propriété du sol en volume (Page 188-191)

§1 Caractère évolutif de la représentation du sol ?

A. Le sol représenté initialement comme un pouvoir

(151.) La conceptualisation du sol en un pouvoir est un vaste sujet394. Dans la vision civiliste, le fonds de terre est une entité objective rompant avec un sol outil du pouvoir de l’Ancien Régime. La propriété du code étant elle-même caractérisée par un pouvoir absolu du propriétaire, l’opposition est sans doute contestable. Pour autant, le sol du Code civil diffère substantiellement du sol féodal.

C’est pourquoi la féodalité demeure un point de passage pour l’analyse d’un sol représenté comme un pouvoir (2). Ce point sera précédé d’une autre forme de représentation d’un sol pouvoir, le sol sacré (1)

1. Le sol : un pouvoir relevant du sacré

(152.) Initialement, la terre, et par là, le sol, a été perçu comme relevant du sacré, entre mysticisme, religion et théologie. La terre, ni même la propriété ne peuvent prétendre être sacrées aujourd’hui, mais cette influence reste perceptible.

Par exemple, pour les Romains, Terminus est le dieu des limites plantées dans le sol les termes ; il se tient « même comme gardien à l’entrée du monde » (cf. supra §112 et s.). Autre exemple, selon les chrétiens, le monde n’a existé que par la volonté de Dieu : « Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre. »395 dit la Bible. Cette référence n’est pas propre

393 F. Challaye, « Histoire de la propriété », PUF - Que-sais-je?, Broche, Paris, 1967, p. 125.

394 Voir par exemple : G. Gurevic, « Représentations et attitudes à l’égard de la propriété pendant le haut moyen âge », in

Ann. éco. soc. civ., 1972, p. 532.

à la religion chrétienne. Elle est également prése nte, notamment, dans le judaïsme avec Moïse demandant à Dieu de créer l’univers396.

Cette idée d’une terre création divine a exercé une forte influence sur la propriété, toujours à l’œuvre. M. F. Renoux-Zagamé souligne l’influence et l’imbrication entre le religieux et la propriété397. D’ailleurs, la religion est une composante essentielle de la propriété individuelle de Locke ; l’attribution du sol aux individus n’est que le moyen matériel pour ces derniers de remplir la mission qu’il leur a été confiée par Dieu, prendre en charge leur développement (cf. supra §118). Historiquement, sacré et temporalité cohabitaient, et cohabitent toujours. Le sol représenté comme une chose appropriable n’est pas exclusif d’une représentation sacrée du sol. Au 19ième siècle, le camp de la propriété confrontée à la critique de la pensée marxiste faisant de la propriété l’origine des inégalités sociales, s’en défend en prenant Dieu à témoin. Thiers, par exemple, dans son célèbre plaidoyer, rappelle l’origine sacrée de la propriét é en parallèle du fondement travail398. Sous la plume de l’auteur, cette origine est même le moyen de contester le reproche adressé à la propriété. En dehors des justifications qu’il apporte aux inégalités sociales, Thiers considère que les hommes sont mortels399. En conséquence, ce que Dieu donne, Dieu le reprend, et cette échéance est marquée du sceau de l’égalité, primant les inégalités terrestres. Une partie de la doctrine moderne semble conserver cette ligne : « L’église a toujours enseigné que l’homme n’est que le dépositaire des richesses qui sont entre ses mains ; il doit les gérer dans l’intérêt du bien commun, et il devra un jour rendre compte de cette gestion. Si cette doctrine était suivie, le droit de propriété individuelle échapperait, sans doute aux attaques dont il est aujourd’hui l’objet »400. Le caractère sacré de la propriété n’est cependant pas l’apanage de la propriété individuelle. « La propriété collective parce qu’elle est le bien des morts, qui continuent à vivre auprès des vivants. »401

nous dit F. Challaye à propos des sociétés primitives.

Indépendamment de la nature de la propriété, le sol sacré emporte des conséquences dans le monde terrestre peuplé d’êtres mortels. Les agrimensores romains en délimitant le sol, sous la houlette de Terminus, faisaient acte de souveraineté (cf. supra). Le modèle est mystique puisque le schéma originel est le sillon magique de Romulus. T outefois, les effets relèvent, à

396 M. Jammer, « Concepts of Space », Harvard University Press 1954 p.29 et plus généralement p.25 et s. Chapitre 2 Idées

judéo-chrétiennes à propos de l’espace.

397 M. F. Renoux-Zagamé, « Du droit de Dieu au droit de l’homme : sur les origines théologiques d u concept moderne de

propriété. », Droits. Revue Française de Théorie Juridique, No 1 , Paris: P.U.F., 1985, p.31 : « N’est-ce pas en partie parce qu’on a voulu conférer à une multiplicité d’êtres définis par leur égalité des droits qui avaient d’abord été conçus p our un dieu, exclusive, celui du christianisme, qui n’admet ni d’égal, ni compagnon? ».

398 A. Thiers « De la propriété », Paris 1848, p. 77 : « Dieu, Dieu ce grand coupable, a voulu que l’homme commençât sur

cette terre par le gland, pour finir, à force de travail, par le pain de froment, et il nous semble que, s’il a voulu faire du bien être le prix du travail, et de la vie une épreuve, il est permis de s’incliner devant la profondeur d’un tel dessein. » .

399 A. Thiers « De la propriété », Paris 1848, p. 115.

400 H.-L. et J. Mazeaud, F. Chabas et F. Giantivi, « Leçons de droit civil », t. 2, 2e vol. Biens: droit de propriété et ses

démembrements, 8e éd. 1994, §1304 p. 17.

n’en pas douter, du monde terrestre. La borne, représentation divine, est aussi un simple système de marquage du sol. Et, nous avons vu que sa légitimité relevant des dieux, à Rome, avait été transférée aux juges, qui eux-mêmes se sont éloignés de l’ordre mystique au fil du temps, tout en pouvant être qualifiés de prêtres modernes.

2. Le sol et le pouvoir féodal

(153.) La période féodale est une autre période de représentation du sol comme un pouvoir. Par féodalité, il faut entendre ici, la période postérieure à la Révolution dans son ensemble, en dépit des variations significatives de ce modèle , variations politiques et sociales, mais aussi juridiques402.

En comparaison de l’antiquité, le sol féodal diffère même s’il conserve une dimension touchant au sacré. À la tête de la pyramide féodale, le roi reçoit son pouvoir de Dieu. Puis les vassaux du roi tiennent leur pouvoir de celui-ci, et ainsi de suite403. Le clergé, en charge de l’organisation du culte, représente le second ordre de la société féodale. En plus d’être hiérarchisé, le pouvoir de la noblesse comme du clergé a pour caractéristique d’être fortement territorialisé. En régime féodal, le territoire est même l’expression de ce pouvoir, marquant une inversion avec le Code civil. La propriété foncière de l’Ancien Régime est intimement liée au statut des personnes, c’est-à-dire aux relations de pouvoirs prenant place entre les individus. Chénon parle de chaîne personnelle et de chaîne réelle dont les anneaux sont soudés404. Le vassal en se plaçant sous l’autorité de son suzerain apporte ses terres à son seigneur en se recommandant de lui. La relation ainsi forgée s’étend simultanément aux hommes et à la terre. Pour le seigneur, la terre est synonyme de pouvoirs, allant au -delà de ce que la propriété civiliste conçoit. Le seigneur lève l’impôt, rend justice, établit charges et services, au moins à l’origine. C’est pourquoi la féodalité est communément définie comme un régime de confusion entre souveraineté et propriété. « Chaque baron est souverain en sa baronnie » pour reprendre les mots de Guizot (1787-1874)405. En d’autres termes, les pouvoirs du seigneur s’arrêtent là où s’arrêtent ses terres, incluant celles de ses vassaux. La Révolution aura à cœur de débarrasser le sol de cette souveraineté féodale. Le roi refusant de supprimer la féodalité pour ne pas porter atteinte à la propriété de la noblesse, l a propriété fut établie sans le roi (cf. supra §119). Cette propriété nouvelle chercha à définir le sol non

402 J. L. Halpérin, « Est-il temps de déconstruire les mythes de l’histoire du droit fran çais », Clio@Thémis - n°5, 2012, §7. 403 TLFI entrée « suzerain », A. Féodalité « On a dit que le roi, dans le régime féodal, était le suzerain des suzerains, le

seigneur des seigneurs; qu'en appelant autour de lui ses vassaux, puis les vassaux de ses vassaux, et ainsi de suite, il appelait tout le peuple et se montrait vraiment roi ».

404 E. Chénon, « Histoire générale du droit français public et privé des origines à 1815 », t. I, Paris, Sirey, 1926, p.469 §185

et s.

plus comme un pouvoir, mais comme une chose, et la géométrisation du sol fut l’un des moyens utilisés pour aboutir à ce résultat.

Avec la fin de la féodalité s’ouvre une nouvelle ère pour le sol, une ère faite d’objectivité, et plus de pouvoirs. Néanmoins, ne nous y trompons pas, cette objectivité n’est pas exclusive de pouvoir, tant s’en faut. Elle a même pour effet de fonder de nouveaux pouvoirs, le s pouvoirs du propriétaire sur sa chose devenue libre. L’article 552 en explicitant le sol, par la mention du dessous et du dessus, entend marquer la souveraineté, le pouvoir du propriétaire. Lorsque la doctrine évoque l’idée d’un sol en forme de cône partant du centre de la Terre et se projetant dans les cieux sans limites, son propos est la délimitation de la chose « sol », mais aussi les pouvoirs du propriétaire (cf. infra §167 et s.). L’approche n’est pas non exempte d’un certain mysticisme touchant au sacré, avec un propriétaire pouvant devenir presque le maître de l’univers ou d’un segment de l’univers à partir d’une parcelle de terre de la planète éponyme.

Sol pouvoir et sol sacré semblent donc conserver une certaine pertinence en dépit de l’avènement du sol géométrique.

Dans le document De la propriété du sol en volume (Page 188-191)