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Le sol représenté ensuite comme une chose géométrique

Dans le document De la propriété du sol en volume (Page 191-196)

§1 Caractère évolutif de la représentation du sol ?

B. Le sol représenté ensuite comme une chose géométrique

(154.) Le sol du Code civil rompt avec la propriété simultanée de l’Ancien Régime doté d’un sol exprimant le pouvoir des uns sur les autres. La matérialité du fonds de terre immeuble a été l’un des instruments de la rupture. En complément, le sol civiliste a été géométrisé accroissant encore l’idée d’un sol purement objectif, puisque chaque unité devenait une chose par elle-même.

Cette représentation géométrique du sol a coïncidé avec une surface (1). Toutefois partant du principe que le sol surface est une représentation, rien ne s’oppose à une autre forme de représentation géométrique : le volume (2).

1. De la représentation du sol en un concept géométrique en deux dimensions…

(155.) L’écorce terrestre ne pouvant être divisée matériellement, son découpage a été réalisé de façon abstraite par un phénomène de géométrisation, un artefact, aboutissant à des unités de sol indépendantes les unes des autres (cf. supra §106 et s.), des parcelles ou surfaces.

Le Code civil conçut de la sorte un sol répondant aux aspirations révolutionnaires. Ce sol était susceptible d’être borné comme à Rome, et en mesure d’échapper à l’arbitraire dénoncé par Boncerf. Le sol s’ouvrit aux sciences mathématiques suivant en cela les recommandations de Babeuf (cf. supra §122). Le processus déboucha sur le cadastre et la généralisation d’un sol surface coté longueur, largeur (cf. supra §137 et s.). Le concept du sol surface appartient au monde idéel, sans incidence sur la matière. La géométrisation n’a pas pour effet de déjouer le caractère unitaire

de la planète Terre. Les opérations de bornage, y compris physique, c’est-à-dire la pose d’une borne, n’y change rien, y compris lorsqu’il s’agit de bornes dites naturelles ou anthropiques (cf. supra §155). Le sol surface est un concept qui appartient au monde de l’esprit. Sa qualité tient seulement dans sa capacité à représenter une chose, en l’occurrence une portion de l’écorce terrestre. Le niveau de représentativité du concept de sol surface est d’ailleurs satisfaisant puisqu’il peut rendre compte de la délimitation du sol de type bornage, mais aussi du façonnage d’un champ plutôt carré ou plutôt rectangulaire en fonction du mode de culture. Il n’en demeure pas moins que le sol surface n’est qu’une présentation du sol.

Un autre argument permet d’en attester ; il se rapporte aux techniques de mesurage. La triangulation évoquée lors de l’examen du cadastre (cf. supra §137 et s.) se relève être un modèle mathématique. Les distances qu’il permet de définir sont exprimées selon le système métrique, qui est un autre modèle mathématique. Le mètre unité de mesure équivaut à la formule datant de 1799 : 1 mètre = un ¼ du 1/10 000 000e partie du méridien terrestre406. De même, la géodésie, « la science de la forme et de la dimension de la terre et de son champ de pesanteur »407 relève des mathématiques. Tous ces modèles sont des conventions qui évoluent. Par exemple, a également été modifié le Nivellement General de la France (NGF), qui est une trame altimétrique, un autre type de modèle mathématique, auquel on se réfère volontiers en matière de volume immobilier 408(cf. infra §640 et s.). En d’autres termes, le volume immobilier du début du 19ième, s’il avait existé, n’aurait pas été exactement le volume d’aujourd’hui. Pour compléter notre démonstration, il aurait également possible d’aborder la question des coordonnées géographiques, les conventions cartographiques, ou encore de la distorsion qu’entraîne la transposition sur une surface place d’un objet localisé à l’aide de ces coordonnées (longitude, latitude et altitude)409

.

Tous ces éléments démontrent que le sol géométrique en deux dimensions est seulement un concept, une entité abstraite propre distincte de la chose qu’elle représente. D’ailleurs, pour revenir aux coordonnées, les scientifiques nous indiquent : « En physique moderne, le système de coordonnées n’est rien d’autre qu’une fiction utile »410

. Le même constat aurait pu être fait à propos du mesurage et du système métrique.

Cette affirmation d’un sol surface se limitant à n’être qu’un artefact, fait naître une question quant à la possibilité de disposer d’autres représentations de type géométrique.

406 http://education.ign.fr/sites/all/files/geodesie_histoire.pdf dernier accès 10 février 2012. 407 http://education.ign.fr/sites/all/files/geodesie_histoire.pdf dernier accès 10 février 2012. 408 La France a eu recours successivement à trois modèles NGF.

409 www.ign.fr>Accueil>La gamme>Géodésie>Systèmes de coordonnées dernier accès 10 février 2012. On utilise les

coordonnes planes pour représenter une surface plane, obtenir une valeur métrique plus exploitable et rendre plus facile le calcul des distances. Pour autant cette projection induit une certaine déformation (les distances ne sont jamais conservées) : « pour s’en convaincre il suffit d’essayer d’aplatir une peau d’orange ! ».

2. À un concept de sol géométrique en trois dimensions ?

(156) Faire du sol surface une simple représentation du sol invite à repenser le sol, notamment en trois dimensions (a), ce qui semble attester l’idée d’une évolution naturelle allant de la surface au volume (b).

a. Le sol surface une invitation à penser le sol en trois dimensions

(157.) Le sol surface concept géométrique représente une ouverture significative dans la façon dont le sol peut-être pensé.

En ne marquant pas de différence entre le sol surface et la chose « sol », la science juridique a enfermé cette chose relevant du monde tangible, dans une représentation unique, dont il était impossible de sortir. Penser le sol autrement relèverait de l’ineptie. Suivant ce raisonnement, le volume immobilier du doyen Savatier est une douce vision, puisque « les arbres ne sont pas attachés au ciel par des fils invisibles » (cf. infra). Il serait tentant de répondre à la raillerie par la raillerie, et de voir dans cet enfermement conceptuel une forme d’archaïsme, mais il s’agirait là d’un autre raccourci trompeur. Le sol surface tra duit pour l’étendue, la matérialité exacerbée par les rédacteurs du code de la matière de la chose « sol ». Il faut se souvenir que cette approche matérialiste du fonds de terre s’explique par la volonté de réserver exclusivement la chose objet de propriété à son propriétaire. Cette exclusion emporte autant que faire se peut l’Etat, auquel il est imparti un rôl e minimal (cf. supra §58 et s.). Le sol surface se confondant avec le sol a donc sa raison d’être dans le régime de la propriété du code. Il n’en demeure pas moins un carcan oppressif qui peut, et doit, être contourné. Si, comme tout concourt à le penser, le sol surface est un concept qui ne peut pas être confondu avec son objet, alors une, voire des autres, formes de représentation sont possibles. Il apparaît notamment concevable de développer une représentation du sol proche du sol géométrique en deux dimensions qui émergea aux alentours de la Révolution. Cette représentation n’est autre qu’un sol en trois dimensions. Le sol volumique pensable sur le principe n’aurait d’autre contrainte que celle afférente à tout concept : être en mesure de représenter efficacement son objet, soit le sol. Or, l’unité volumique semble sur le principe équivalente à l’unité surface. La division en volume du sol ne semble pas moins efficiente qu’une division plane, voire serait en mesure de mieux rendre compte du caract ère ellipsoïdal de la planète Terre. De plus, identifier une portion de l’écorce terrestre à un volume est au moins aussi pertinent qu’une surface. Le sol surface est, et restera, une représentation forte du sol, mais rien ne s’oppose à la reconnaissance en parallèle d’un sol

volumique. D’ailleurs, au quotidien notre expérience du sol est autant synonyme d’un volume que d’une surface. Cette expérience est, au demeurant, confortée par le constat de la science physique et juridique (cf. infra §757).

En ouvrant le champ de la représentation du sol, le concept du sol surface laisse entrevoir le principe d’un concept de sol volumique. Cette transition d’un sol représenté par une surface à un sol volume repose la question de l’évolution de la représentation du sol évoquée en introduction de ce paragraphe. On peut en particulier s’interroger les raisons de cette transition.

b. Le volume immobilier : évolution naturelle du sol surface ?

(158.) Pourquoi le droit a-t-il d’abord perçu le sol en deux dimensions, puis est maintenant tenté de le représenter en trois dimensions ? S’agit-il de l’irrémédiable évolution des choses dont parle Challaye en conclusion de son histoire de la propriété, à laquelle nous faisions allusion en introduction de ce paragraphe ?

Une réponse exhaustive paraît hors d’atteinte, à peine la question est-elle posée. Sans prétendre à l’exhaustivité, deux aspects, l’un connexe au droit et l’autre extérieu re à la science juridique, semblent présenter un intérêt. Ces aspects valideraient la thèse évolutionniste, même s’il faut se garder de toute conclusion hâtive.

Le premier élément confortant l’idée d’une évolution correspond au phénomène d’urbanisation. Le sol matière fait écho à une société essentiellement rurale, agricole. La terre y était la principale source de richesse. Le sol s’identifie à la matière terre ou aux cultures qui s’y développent, avec ou sans intervention de l’homme. Le sol surface franch it une étape nouvelle en comparaison de ce premier niveau. L’homme commence à compter (cf. supra §107 et s.) ; le sol n’est plus seulement un outil de production, mais un bien objet de commerce. La surface correspond également à un développement horizontal du sol, se traduisant par le binôme un sujet, une parcelle. Le volume lui correspondrait à l’étape suivante : un développement vertical, qui s’est généralisé sous l’impulsion de la ville du 20ième siècle faite de tours, de cités sur dalles, d’équipements en sous-sol routiers, ferroviaires, etc. Cette urbanisation est d’ailleurs très présente dans les travaux du doyen Savatier, qui élabora le concept de volume immobilier au sortir de la guerre, dans une France en pleine reconstruction (cf. infra §626 et s.). Le sol surface serait ainsi l’ancêtre du sol volumique, ou autre variante, le volume serait la représentation du sol arrivé à l’âge adulte. Ce stade de développement de la représentation du sol, éventuellement ultime, équivaudrait à la relégation du sol surface. Celui-ci serait alors réduit à une image naïve, voire infantile du sol ; un concept mineur susceptible de ne rendre compte qu’une d’une étape dépassée de la croissance de l’homme. Ce sort peu enviable réservé au sol surface s’assimilerait à la faç on

dont la géométrisation du sol, à l’origine du sol surface, se comporta à l’égard des formes de représentations antérieures. Tout comme les hommes du 18ième aveuglés par la lumière des incroyables progrès du savoir de leur temps actèrent la nécessité d’une tabula rasa du passé ; la froide rationalité de la science, y compris juridique, validerait l’avènement d’un sol volumique, que les formidables outils de mesure et géolocalisation modernes se chargeraient de transformer en réalité.

Le second élément proposé à la discussion conforte ce point de vue. B. Bachelet en s’interrogeant sur l’espace, rapporte une expérience sans relation avec la science juridique, mais en lien avec notre sujet, puisqu’il s’agit de l’apprentissage du rapport à l’espace de l’enfant. Selon l’auteur, chez l’enfant : « La saisie de l’espace n’est pas immédiate et innée, mais elle se construit dans la représentation à partir d’une conquête, d’une appropriation du monde des choses »411. B. Bachelet, sur la base des travaux de J. Piaget : «distingue nettement l’espace de l’action, l’espace de la perception, l’espace de la représentation. L’élaboration du troisième espace est nettement plus tardive que celle des deux premiers.». De plus, « L’espace euclidien et métrique apparaîtra comme le stade ultime. » ; « une chose frappe immédiatement quand on examine les performances des enfants, c’est que pas un seul dessin ne respecte la métrique du modèle avant l’âge de dix ans environ.»412. « Selon l’âge

des enfants, on voit la fidélité de la copie au modèle s’accroitre.»413. Cette expérience met en évidence un processus d’apprentissage de l’appréhension de l’espace et de sa représentation, un processus par ailleurs caractérisé par une progressivité. Un espace perçu en trois dimensions, et plus seulement en deux, serait l’une des étapes de cette évolution. D’ailleurs, l’apprentissage de la géométrie à l’école fait état de cette progression, la troisième dimension étant enseignée plus tardivement. B. Bachelet conclut en disant : « l’espace enfantin est donc topologique d’abord, parce que les formes closes, dans son action motrice d’exploration senso-motrice initiale, ou plus tard dans ses dessins, sont celles qu’il maîtrise en premier lieu. […]L’idée d’un espace homogène apparaît bien comme n’étant ni naturelle, ni spontanée. Elle est une convention scientifique historique.»414.

L’espace homogène ou géométrique chez l’enfant, comme plus généralement chez l’homme, s’opère via une démarche positive relevant de la convention sociale. Au sein de cette démarche progressive même, un séquencement peut être identifié, validant pour le sol le passage de la surface au volume. Cette conclusion corroborerait l’idée d’un processus évolutionniste. Une telle affirmation semble cependant devoir être relativisée.

411 B. Bachelet, « L'Espace », Paris, PUF, Que sais-je n0 3293, 1998 p. 36. 412 B. Bachelet, « L'Espace », Paris, PUF, Que sais-je n0 3293, 1998 p. 37. 413 B. Bachelet, « L'Espace », Paris, PUF, Que sais-je n0 3293, 1998 p. 38.

Dans le document De la propriété du sol en volume (Page 191-196)