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Évolution ou mutation de la représentation du sol ?

Dans le document De la propriété du sol en volume (Page 196-200)

§1 Caractère évolutif de la représentation du sol ?

C. Évolution ou mutation de la représentation du sol ?

(159.) Si évolution signifie transformation, changement, mutation, alors la représentation du sol en un volume s’analyse bien en une évolution. Toutefois, le terme évolution renvoie également à certain ordonnancement, voire hiérarchie du changement. La transformation s’inscrit en cohérence avec le passé et le supplante. Or, cette dimension paraît difficilement justifiable, voire est contestable. Plusieurs arguments vont dans ce sens.

1. La survivance du sol sacré et du sol pouvoir

(160.) La représentation du sol sacré et du sol pouvoir tout en ayant subi des transformations, mais subsistent.

Le sol sacré tel que le voyaient les peuples de l’antiquité appartient à l’histoire. Personne ne voit dans la borne en plastique posée par le géomètre-expert la main de Terminus, gardien du monde. Dans le même temps, cette borne fait l’objet d’une protection particulière incluant une sanction pénale. Par ailleurs, la filiation entre la propriété civiliste est dieu ( cf. supra par exemple §118) atteste d’une forme de sacralité du sol, en raison de sa place dans ce système de propriété. Il serait sans doute également possible d’établir un lien relevant du sacré dans les nouvelles formes de rapport à la Terre. En proposant « un parlement des choses » (cf. infra §599 et s.), au sein duquel la Terre aura, on peut le penser, une place de choix, qu’elle est la place laissée à l’homme ? Celle de croire, de croire à une terre sacrée, voire de croire à cette terre sacrée par-delà la raison, acceptant de mettre sur un pied d’égalité les hommes et les choses, faisant des hommes des choses, ou de certains hommes seulement ?

Le sol pouvoir de l’Ancien Régime a été désavoué par le Code civil. Pourtant, le propriétaire a été fait souverain de sa chose. Le vote censitaire faisait de lui un privilégié. La personne morale introduite au 19ième signa le retour d’une grande propriété, dont la vigueur n’est plus à démontrer. La propriété occupante n’a cessé de progresser en France depuis la Seconde Guerre mondiale, pour être aujourd’hui le statut d’occupation principale. Doit -on en conclure comme le fait l’adage anglais « an Englishman's home is his castle », sans doute pas. Néanmoins, la propriété immobilière pourrait avoir conservé une dimension de pouvoir. Ces survivances de représentations du sol antérieures au Code civil n’auraient pas pour effet de fragiliser le fonds de terre de l’article 517. À bien y regarder ce fonds de terre est d’ailleurs plus hétérogène qu’il n’y paraît.

2. L’hétérogénéité de la représentation géométrique du sol

(161.) La représentation géométrique du sol est un outil puissant notamment en ce qu’il subsume parfaitement le sol marqué par une grande diversité. Néanmoins, aussi puissant e soit-elle, la géométrisation plane n’a pas fait disparaître d’autres formes de représentation du sol, plus anciennes (a). De même, le sol en volume n’aboutira pas, semble-t-il, au rejet du sol surface (b).

a. Le sol surface n’a pas fait table rase du passé

(162.) Le sol surface est un concept puissant ayant vocation à faire table rase du passé. Le droit renforce ce mouvement, mais in concreto le sol même pour le juriste est susceptible de représentations multiples.

Le fonds de terre du Code civil, le sol surface peut prétendre à une certaine homogénéité. U n fonds de terre est équivalent à autre fonds de terre, une surface à une autre surface. Cependant comme nous l’avons vu lors de l’examen de la matérialité du sol. Le bien sol contient une dimension nominaliste. Il réfère à une chose précise exclusive de t out autre. Pris isolément, chaque fonds de terre dispose de caractéristiques propres et en premier lieu de sa localisation, puisque là où est un corps, nul autre ne peut être au même endroit au même moment. Or, le propriétaire d’une parcelle entend disposer de son droit de propriété sur une parcelle précise, pas sur un fonds de terre in abstracto, mais sur ce fonds de terre là (cf. supra §53 et s.). En dehors de la localisation, d’autres aspects que la représentation du sol surface n’appréhende pas pleinement s’avéreront aussi essentiels pour le propriétaire dans certains cas. Un bois et un champ de céréales sont tous deux des fonds de terre, tout en étant distincts l’un de l’autre. Un bois en fonction des essences qu’il contient se distinguera d’un autre bois, etc. Le sol surface géométrique par son homogénéité ne rend pas compte de ces différences. Pour ce faire, il est nécessaire de recourir avec d’autres conceptions du sol, plus rurales, s’attachant à la terre, renvoyant à des représentations plus anciennes. G. Goubeaux aborde ce point dans son article en forme de réponse au volume immobilier abstrait. Pour contrecarrer la proposition d’un sol purement homogène, puisqu’immatériel, l’auteur rappelle l’indépassable matérialité du sol et sa dimension nominali ste (cf. infra §499 et s.). Le sol surface ne peut donc pas prétendre à l’exclusivité du sol y compris dans sa dimension juridique, et cette limite s’appliquerait au sol volumique.

b. Parcelle et volume : deux représentations géométriques du sol (163.) Le sol volume ne se traduirait pas par la mise au rebut du sol surface.

Le sol volumique permet un mode de représentation du sol que ne permet pas par principe le sol en deux dimensions. Il est naturellement mieux adapté aux opérations immobilières complexes modernes, qui supposent un développement vertical du sol. De plus, et c’est là son principal intérêt, le volume immobilier est le moyen d’appliquer la propriété du code à des entités foncières superposées (cf. infra §624 et s.). Toutefois, en dépit de ses qualités absolues, vis-à-vis du sol surface, le volume n’a pas vocation à supplanter la parcelle. En dehors de toutes divisions verticales, chaque fonds de terre est un volume, qui contient une représentation de la surface, le volume en coupe horizontal e (cf. infra §640 et s.). Seulement, il n’y aurait pas d’intérêt à utiliser le volume, là où la représentation du sol surface est satisfaisante. Il est préférable de réserver le volume aux situations pour lesquelles le sol volumique a du sens. Les deux représentations (surface et volume) se cumulant, le sol pourrait être représenté au choix via le concept de surface ou de volume en fonction des circonstances. Les moyens modernes de mesurage et repérage du sol laissent à penser que la mise en volume du territoire français serait moins longue, à défaut d’être moins couteuse, que sa parcellisation (cf. supra §137 et s.). On peut également imaginer une approche plus sélective.

Ainsi, l’avènement d’un sol en volume ne signerait en rien la fin du sol surface. Le volume ne ferait pas disparaître la parcelle. Au contraire, ces deux représentations géométriques pourraient coexister utilement, suggérant l’ouverture vers d’autres représentations.

3. Vers une diversité des représentations du sol ou la jonction d’un sol topocentrique et géométrique ?

(164.) Le sol en volume introduit une dualité dans la représentation géométrique du sol. Cette dualité ne débouche pas sur un schéma avant, après signant la fin de la parcelle au profit du volume.

Le sol en volume est au contraire une invitation à découvrir ou redécouvrir la diversité du sol et de ses représentations (b). L’approche topocentrique pourrait donc à cet effet être perçue comme un complément des représentations géométriques du sol (a).

a. Le sol géométrique et/ou topocentrique ?

(165.) Le sol volumique n’exclut pas le sol surface, ni d’autres formes de représentation du sol.

Le sol sacré ou le sol pouvoir n’ont pas complément disparu. Des représentations anciennes du sol cohabitent avec le sol surface. Le sol surfac e lui-même défié par le sol volumique coexiste avec ce dernier. Tout ceci concourt à penser que le droit est en contact avec de nombreux concepts de sol. Le lien tissé avec le sol surface est sûrement d’une teneur particulière, tant cette représentation capture l’essence, ou l’essence traditionnelle du sol. La représentation du sol volumique ne signifierait donc pas tant la diversité des représentations, mais la diversité dans la représentation de principe du sol civiliste. Cette ouverture serait de nature à remettre en cause un autre clivage. Selon E. Leroy, le traitement de l’étendue du sol se diviserait en deux grandes catégories qu’il dénomme « matrice géométrique » et « matrice topocentrique »415. Très schématiquement, la matrice géométrique est celle du sol civiliste et même occidental, alors que la matrice topocentrique serait le modèle de la propriété coutumière des sociétés traditionnelles. Cette dernière ne serait cependant pas étrangère à l’occident qui aurait organisé le passage de l’une à l’autre. Selon E. Leroy : « … avec les voyages des grandes découvertes du XVe siècle, le passage de la cosmographie à la géographie moderne en maîtrisant la capacité à mesurer la surface du globe, ce qui est littéralement la fonction de la géométrie. »416. Ainsi, en considérant que le sol a accepté la diversité des représentations, au moins alternativement, rien une réintroduction d’une représentation topocentrique serait envisageable. D’ailleurs a-t-elle réellement disparu ? Pas si sûr. Peut-être est-elle simplement ignorée par le droit, le sol surface apparaissant plus pertinent pour représenter le sol ? Réintroduire une représentation topocentrique n’a pas pour objectif d’écarter la matrice géométrique. Il ne s’agit par de faire de « l’occidentolocentrisme » (pour reprendre le terme d’E. Leroy) à l’envers. Le sol surface est une représentation puissante qui s’est avérée fort utile au corps social depuis le Code civil pour se limiter au cas français, et le sol volume qui en est la suite développe encore cette représen tation. Toutefois, cette autre représentation géométrique est une invitation pour la science juridique à penser plus largement, ce que permet la jonction des deux modes de traitement de l’étendue du sol (topocentrique et géométrique).

Sur la base de ce constat, le concept de sol serait évalué en considération de sa capacité à représenter le sol dans un contexte donné, en considération de sa finalité (cf. supra § 63 et s.). Le sol surface ou le sol volume répondrait au contexte actuel, qui débuta aux alento urs de la Révolution. Toutefois, ce contexte semble aussi se complexifier, se diversifier sous l’influence de préoccupations nouvelles, telle l’écologie, impliquant des variations dans le mode d’appréhension du sol. Notons que le concept de fonds de terre du Code civil à cheval

415 E. Leroy, La terre de l'autre, Une anthropologie des régimes d'appropriation foncière, Droit et société, Maison des

entre tradition et modernité, entre matérialité et immatérialité, possède un champ d’application transcendant le sol géométrique (cf. infra §689 et s.).

Le concept de fonds de terre aux traits quelque peu suranné pourrait être à la fois l’outil d’une nouvelle transition, et celui de la réconciliation du sol civiliste avec son passé. Dans l’expérience de J. Piaget rapporté par B. Bachelet, l’enfant appréhende l’espace progressivement. Son espace est d’abord topologique avant de devenir géométrique, mais le second ne semble pas éliminer le premier. Pourquoi en irait -il autrement du juriste ?

b. La diversité du sol et de ses représentations

(166.) Pour conclure, une autre analogie, la peinture, pourrait être évoquée afin de dévoiler les différentes alternatives pour signifier le sol.

La peinture figurative de la renaissance empreinte de construzione legitima était une vision réaliste du monde, supposé exprimer les choses en elles -mêmes. Le procédé utilisé est mathématique, géométrique, et «le pavement est l’une des plus importantes de ces techniques». En d’autres termes, le peintre se fait cartographe417

. Depuis le 19ième, il a été révélé que la toile du peintre n’est pas la réalité, mais une interprétation de la réalité (cf. infra

§

553,

§

556). Magritte l’a démontré avec brio avec ses tableaux « Ceci n’est pas une pipe » ou « Ceci n’est pas une pomme », dans lesquels des objets plus vrais que nature se voient refuser, non sans ironie, d’être ce qu’ils représentent. Le tableau n’étant qu’une représentation des choses, considérer que seules certaines représentations correspondraient aux choses prises objectivement, niant toute légitimité à d’autres formes de représentations n’a pas de sens. L’opposition entre peinture figurative et abstraite est dans cette perspective stérile. L’intérêt de l’art repose sur sa capacité à montrer, avec une intensité sans égal et sous forme allégorique, ce que l’homme peine à voir. La forme de la représentation est secondaire. Sans émettre le moindre son, « Le Cri » de Munch n’est-il pas le plus assourdissant de tous ? Inversement, cela ne signifie pas qu’un tableau, voire que « Le Cri » de Munch soit la seule représentation possible du cri, le cri universel, même si Munch touche à l’universalité. L’effroi, la peur, l’angoisse, la violence n’appartiennent ni au passé ni à Munch (malheureusement ou heureusement ? un cri seulement passé pouvant être interprété comme un signe de mort de l’homme).

De la même manière, la représentation civiliste n’a pas le monopole conceptuel du sol ; elle peut être complétée, voire dépassée par d’autres concepts. Un sol topocentrique a donc toute sa place aux côtés d’un sol géométrique. La géométrisation du sol, débouchant sur le sol

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