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Cadastre et Code civil : enfants des idées révolutionnaires

Dans le document De la propriété du sol en volume (Page 173-176)

§1 L’apport du cadastre au concept de sol civiliste

A. Cadastre et Code civil : enfants des idées révolutionnaires

(138.) La question du cadastre est contemporaine du Code civil, et plonge comme lui ses racines dans la période révolutionnaire.

Le cadastre a partie liée avec la Révolution. Plusieurs figures emblématiques de cette période sont associées à cet outil. Babeuf (1760-1797), fin connaisseur du sujet en sa qualité

345 J. Rubini, « La borne de Cantabrie », Histoire & mesure [En ligne], XIX - 1/2 | 2004, mis en ligne le 21décembre 2007,

consulté le 05 février 2015. URL : http://histoiremesure.revues.org/809 ; DOI : 10.4000/histoiremesure.80 9, §16.

346 R. Savatier, « Vers de nouveaux aspects de la conception et de la classification des biens corporels » : RTD civ. 1958, p. 1

d’ancien commissaire terrier,347

fut un fervent partisan du cadastre. Dans son ouvrage le « cadastre perpétuel », il y voit un moyen d’assurer d’une redistribution égalitaire de la ressource foncière (cf. supa §122). Mirabeau avait lui aussi été commissaire à terriers. Il contribua largement à promouvoir une propriété du sol individuelle et purement exclusive, même si comme nous le verrons avec la mine de 1810, Mirabeau, en politicien averti, sut faire preuve d’un certain pragmatisme (cf. infra §190 et s.). Bien avant la Révolution, l’établissement d’un cadastre était déjà un sujet politique d’importance. En 1763, une tentative de réforme suggérant l’idée d’un cadastre général avait d’ailleurs été initiée sans réussir,348 et certaines régions relevaient de ce système349. Soucieux de rompre avec l’arbitraire de l’Ancien Régime qu’incarnait la fiscalité, plusieurs cahiers de doléances réclamèrent la généralisation du cadastre. L’aspiration répondait à la défiance suscitée par les terriers. Registres fonciers de l’Ancien Régime auxquels étaient joints des plans terriers ancêtres du cadastre350, les terriers contenaient la présentation des terres d’une seigneurie, incluant les droits et redevances attachés à ces terres. Or, ces terriers avaient fait l’objet d’une large mise à jour au cours du XVIIIème siècle, conduisant à faire revivre des droits tombés en désuétude. Ce dépoussiérage minutieux, orchestré par les commissaires terriers, se fit aux dépens de la paysannerie, qui voyaient resurgir des charges appartenant à un temps jugé révolu, provoquant une forte réaction antiféodale (cf. supra §121). C’est pourquoi peu de temps avant le début de la Révolution, l’Assemblée constituante adopta en 1791 pour des raisons fiscales, des dispositions351 décrétant la levée de plans masses des terres cultivées ; les anciens impôts avaient été, eux, remplacés par une contribution foncière unique par la loi du 23 novembre 1790. Puis, en 1793352, une nouvelle loi fut votée avec cette fois pour ambition la réalisation d’un cadastre général. Sans allocation de moyens, ni un réel accompagnement technique pour la mise en œuvre, cette loi resta lettre morte.

C’est Napoléon, en clôture de la période révolutionnaire, qui quelques années plus tard, relança le processus du cadastre lui donnant à l’occasion une dimension nouvelle.

(139.) Le cadastre parcellaire, et plus simplement le cadastre tel que nous le co nnaissons aujourd’hui, est né avec la loi de finances du 15 septembre 1807. Il est aussi dénommé

347 M. Bloch, « Les plans parcellaires », Annales d’histoire économique et sociale 1929, p. 393.

348 M. Touzery « Cadastre en Europe à l’époque moderne. Modèles continentaux et absence anglaise »

http://www.economie.gouv.fr/files/Introduction_Touzery.pdf dernier accès 06/03/2015 p.4 « …il faut attendre 1763 pour voir revenir un projet de cadastre général, et sans conviction semble-t-il, tant la monarchie était la première consciente des risques politiques inhérents à la démarche et de la vigueur des résistances qui ne pourraient être surmontées qu’en redéfinissant le pacte social tacite sur lequel reposait le régime. » .

349 P.-M. Grinevald, « Le Cadastre. Guide des sources, Comité pour l'Histoire Économique et Financière de la France »,

Paris, 2007, p. 16.

350 P.-M. Grinevald, Le Cadastre. Guide des sources, Comité pour l'Histoire Économique et Financière de la France, Paris,

2007, p. 13.

cadastre napoléonien, tout comme le Code civil a d’abord était le code Napoléon. Et, comme le Code civil, si le cadastre ouvre une nouvelle ère, c’est aussi la fin d’un long processus353

. Avec le cadastre napoléonien, la fonction fiscale est toujours présente, mais elle est complétée par une préoccupation foncière plus affirmée ; ceci donne à l’ensemble une certaine unité placée sous le signe des mathématiques. Le Code civil venant tout juste de fonder le droit de propriété (1804), le cadastre est pressenti comme le complément indispensable permettant de venir préciser les contours du fond de terre. Napoléon déclare d’ailleurs : « un bon cadastre parcellaire sera le complément de mon Code en ce qui concerne la possession du sol. Il faut que les plans soient assez exacts et assez développés pour servir à fixer les limites des propriétés et à empêcher les procès. »354. La problématique des biens nationaux a sans doute aussi contribué a encouragé le cadastre napoléonien. Sans aller jusqu’à reprendre la célèbre conclusion de Taine355

, suite à la vente des biens nationaux de nombreux transferts de propriété ont eu lieu. De vastes domaines découpés pour l’occasion ont été vendus. Dès lors, le cadastre légitime ces propriétés nouvelles. Au-delà, le cadastre est assez naturel lorsque l’on songe à la proximité entre la propriété du code, exclusive par nature, et le besoin de géométrisation du sol de ce type de propriété ( cf. supra §118). En figeant les contours d’une parcelle, même si originairement les raisons sont essentiellement fiscales, le cadastre entre en contact les limites de la propriété usitées dans une dimension de droit privé. La géométrie du cadastre est compatible avec celle du bornage, d’ailleurs les deux sont intimement liés en pratique. Des tiraillements existent les exigences fiscales n’allant pas toujours de pair avec celles touchant à la propriété, et le recours à cet outil peut avoir des incidences sur la propriété comme nous le verrons avec la question de la publicité foncière. Toutefois, le sol surface, immeuble du code, et parcelle cadastrale sont tous deux des représentations géométriques, qui plus est en deux dimensions. Ce trait commun porte la marque des idées sous-jacentes à la Révolution. Parallèlement, aux questions proprement sociales et politiques un mouvement de rationalisation fondé sur la raison est identifiable proche de la philosophie des Lumières. Comme l’écrit C. Morana, citant V. Delbos : « le penseur des lumières est persuadé « que l’ensemble des événements et des actes humains forme une série ordonnée dont chaque est un degré dans l’expression ou la réalisation de la vérité » »356. Or, le cadastre représente un formidable moyen de sérier le sol

352 Loi du 23/09/1793.

353 À propos du code civil, voir J.-L. Halperin, Histoire du droit des biens, PUF, 2008, titre chapitre préliminaire p. 15 : « le

code civil, aboutissement et point de départ. ».

354 Correspondance, Paris, Imprimerie impériale, 1858 -1869. 32 vol. gr. In-4. Cité par P.-M. Grinevald, « Le Cadastre. Guide

des sources, Comité pour l'Histoire Économique et Financière de la France », Paris, 2007, p. 17

355 « …, quels que soient les grands noms, liberté, égalité, fraternité, dont la Révolution se décore, elle est par essence une

translation de la propriété : en cela consiste son support intime, sa force permanente, son moteur premier, et son sens historique. ».

dont les vertus sont nombreuses. À un moment par exemple, où la pensée économique naissante commence, notamment sous l’impulsion des physiocrates à voir le sol comme un moyen de production, un sol mathématique est cohérent. Avec les physiocrates l’agricul ture devient aussi mathématique avec le concept de produit net, voire se confond avec le déterminisme d’une opération mathématique357

. La théorie des physiocrates participe elle- même à ce mouvement qui la dépasse, mouvement propice au comptage et recomptage du sol, des habitants, de l’impôt, des fermes …358.

Le cadastre napoléonien reprend cette tendance et la concrétise, permettant l’entrée dans une nouvelle ère, comme la propriété du code qu’elle complète. L’amalgame entre les deux institutions a des limites, mais le cadastre contribua en supplément à modifier dans sa substance l’objet de la propriété foncière. En élaborant un système de sol mathématique, le cadastre produit un concept de sol qui s’éloigne de la matière, ouvrant la voie à l’idéalisation du sol.

B. Le cadastre parcellaire : entreprise scientifique de géométrisation du sol

Dans le document De la propriété du sol en volume (Page 173-176)