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I - PROBLEMATIQUE DES CHANGEMENTS TECHNOLOGIQUES

I- 2- 3- Spécificité de l’engineering et enjeux

L‟engineering et sa constitution nouvelle en structure autonomexxvii est devenu un moyen de lutte au niveau de la concurrence internationale; il constitue une alternative au rétrécissement de certains secteurs d‟activité dans les pays avancés. Le bâtiment fut le plus touché par ce phénomène durant les années soixante dix dans ces pays, période qui correspond aux importations massives de techniques de construction industrialisées en Algérie. Des journaux du monde des affaires, tels que “ Financial Times ”, “ Business International ” etc., insistaient sur les possibilités qu‟offraient les marchés de construction dans les pays du Tiers - Monde (encouragés par des prêts internationaux favorables : surliquidités internationales et pétro - dollars). Les pouvoirs publics des pays du centre lancent des appels pour l‟intéressement des entreprises de bâtiment à l‟exportation et à l‟innovation en tenant compte des exigences à court terme des pays receveurs.

En France un “ appel de propositions ” a été lancé par le Plan Construction sur les techniques exportables; certains éléments se dégagent de cet appel, sur les enjeux que peut représenter l‟engineering. Deux démarches sont préconisées:

D‟une part, adapter ce qui se fait en France au pays importateur (qualité, coût, type de produit etc.).

D‟autre part, une démarche coopérative « choix en fonction de l‟appareil de production du pays d‟accueil : une optique de coopération et non d‟exportation » [Plan Construction Français], paradoxale aux démarches habituelles des vendeurs des pays avancés. En fait, ces pouvoirs publics sont conscients que vu l‟état de la concurrence qui prévalait pour la conquête des marchés, la démarche préférable est « celle qui, à long terme, permettra peut-être de maintenir la vente de savoir-faire, l‟invention et la mise au point de produits adaptés par la connaissance des données locales ».

En effet, les aspects d‟un marché sont nombreux; ils sont techniques, commerciaux, financiers, de même qu‟ils ont trait à l‟organisation de chantier, etc. Aussi l‟accent est-il mis sur l‟aspect savoir-faire technologie, l‟engineering. « Rappelons que l‟exportation de systèmes (de façons de faire technologiques) peuvent entraîner, si les fabrications sont faites sur place, des exportations d‟usines et d‟outillages comme cela s‟est fait pour les techniques de grands panneaux et de béton banché avec le succès que l‟on sait » (Plan Construction).

Tableau 32 : Evolution de la structure des biens d’équipement importés (BTP) (Valeur courante, base 100 = 1970)

1970 1974 1977 1978 1979

V % V % V % V % V %

Matériel de levage et manutention 100 22,58 273 23,70 571 40,22 790 31,83 600 43,26 Matériel de terrassement 100 49,58 252 48,10 168 23,96 531 47 128 20,29

Bétonnières 100 7,83 314 9,30 563 13,53 709 9,76 532 13,20

Matériel de coffrage - - 100 1,66 561 7,59 637 4,84 655 9,03

S / total 100 80 - 83,25 - 87,32 - 93,54 - 85,74

Source : M.T Hamamda : “ l’industrie de la construction dans l’économie algérienne ” Doctorat - 3° cycle- Paris X. L‟évolution de la valeur courante des importations des équipements destinés surtout au bâtiment est la plus élevée entre 70-79 (l‟indice passe à 532 pour les bétonnières et 655 pour les coffrages en 79) alors qu‟il n‟est que de 128 pour le matériel de terrassement (surtout destiné aux T.P). Cette évolution en valeur se traduit en terme de structure dans le total des équipements en faveur des moyens de levage ( de 22% à 43% ) de fabrication de béton ( centrales automatisées de 7% à13%) et de coffrages ( de 0% à 9% ) essentiellement utilisés pour les systèmes de construction industrialisés.

Il apparaît bien qu‟en voulant axer les efforts sur l‟aspect engineering (défini comme réflexion sur les techniques), les pouvoirs des pays exportateurs sont conscients de l‟installation d‟un processus dynamique constituant des enclaves (avant-postes) dans les pays receveurs pour la vente de produits, d‟équipements et de différentes sortes de prestations (gadgétisées ou nécessaires).

Cette première opération de “ vente ” est elle-même dans un premier temps une vente de “ marchandise ” : « qui est la matière grise, mais qui ne peut être comparable aux autres marchandises car le savoir-faire n’est pas une marchandise. Elle sera l’avant-garde pour les ventes de produits semi-finis, d’équipements etc. » [P. Judet et J. Perrinxxviii].

Ce recours (momentané à ce savoir-faire) au détenteur de techniques se transforme en liaison permanente et “ les techniques vendues ne sont opérationnelles que moyennant un flux complémentaire de savoir-faire; ce flux est distillé “ goutte à goutte ” de telle manière que le recours se transforme en une liaison permanente ” [P. Judet et J. Perrin, ibid.]. Ce qui permet de planifier et de prévenir l‟obsolescence technologique. Le Plan Construction explique ses performances dans les termes qui suivent : “ la place que nous occupons est due en grande partie à notre savoir-faire et à notre rapidité d‟adaptation. Mais les techniques employées actuellement (béton branché, coffrage tunnels, grands panneaux) commencent à être assimilées par les pays où nous construisons. Dans quelques années elles seront maîtrisées et les marchés perdus ”.

Cela n‟est pas vrai pour le cas de l‟Algérie, mais la Corée du Sud qui a adopté une politique de “ remontée de filière ” grâce au développement d‟activités d‟engineering a pu détrôner la France de la première place de constructeur au Moyen-Orient entre 1980-85 alors qu‟elle était totalement absente avant cette période.

T.H Hanerxxix esquisse une méthode aux investisseurs étrangers pour forger une stratégie sinon de résistance, du moins d‟adaptation à un contrôle de leurs activités par les pays d‟accueil : « Il s’agit de disposer en permanence (par la recherche et l’innovation) derrière la technique offerte et vendue, d’une technique qui s’enchaîne avec la première et ainsi de suite pour l’étape suivante comme pour chacune des étapes ultérieures ».

Il est difficile ainsi d‟échapper aux liaisons technologiques : pièces de rechange, savoir-faire, marques etc.

Dans le bâtiment, le brevet et la licence ne jouent plus de rôle important dans la liaison avec le partenaire en ce qui concerne le système de construction lui-même. La liaison reste au niveau de la mise en marche du système (souvent non - breveté et combinant plusieurs procédés techniques) et de son exploitation qui nécessitent alors le savoir-faire presque permanent du concepteur - partenaire (voir plus loin tableau "Assistance technique "). Beaucoup de bureaux d‟études étrangers, notamment français, ont repris de l‟essor après le déclin de l‟activité sur les marchés intérieurs, par des interventions de conception et d‟études de systèmes constructifs pour les entreprises publiques algériennes. Parmi eux, le groupe GEFEC (à Tébessa) inexistant avant qu‟un ingénieur de BETREC - international (Paris) n‟arrive à exploiter à son compte en Algérie un système de préfabrication qu‟il a mis au point et qu‟il ne pouvait exploiter en France.

Sous prétexte de favoriser l‟industrialisation, les recettes simplistes du développement ont amené l‟Etat à exempter de toute taxation non seulement les biens d‟équipement mais aussi les services techniques importés dont la part dans les contrats globaux n‟a cessé d‟augmenter.

Tableau 33 : Evolution du coût de l’assistance technique (en milliards de dinars). Année Valeur globale des contrats

(1)

Coût assistance technique (2) part transférable % 2/1 1973 1974 1975 1976 1977 1978 3,6 8,9 14,4 15,3 14,6 22,3 1,0 2,7 4,7 5,0 6,6 8,6 27,7 30,3 33,5 32,6 45,2 38,6

Total 79,4 dont 78% transférables 28,8 36,2

Cette exonération douanière des prestations d‟études a supprimé durant les années soixante dix toute incitation au développement local des activités intellectuelles créatrices qui accompagnent nécessairement tout processus d‟industrialisation notamment les bureaux d‟études spécialisés dans les différents types de travaux.

Tableau 34 : Evolution du nombre de BET Période Secteur public Sociétés mixtes

(national - étranger)

Secteur étranger

1969 - 76 de 4 à 15 de 00 à 12 de 26 à 130

source : Ministère de l’Habitat.

Alors que les besoins en personnels algériens de conception et d‟étude connaissent des taux de satisfaction très faibles.

Tableau 35 : Besoins en personnels d’études dans le BTP pour la réalisation du plan (74-77). Ingénieurs architectes Techniciens Maîtrise Besoins Déficit en % 5 000 60 % 15 000 40 % 40 000 30 %

Source : Bilan Ministère de l’Habitat 1977.

Il devient impossible au petit bureau d‟étude local d‟entrer en compétition avec les grands organismes étrangers et de développer progressivement les capacités de maîtrise de conception et de l‟adaptation des ouvrages ou des processus industriels.

Dans le meilleur des cas, les BET locaux bénéficieront de sous-traitance des parties les moins sophistiquées du travail; les parties “ nobles ” restant le monopole des BET étrangers. La SONATIBA qui disposait d‟un BET d‟une centaine de personnels d‟études (ne faisant que les esquisses architecturales) sous-traitait toutes ses études techniques de projet et de processus au BET français IBSE - PASCAL.

La déprotection douanière des prestations de services d‟études n‟a pas permis la formation d‟une maîtrise d‟ouvrage locale, qui aurait pu profiter de l‟aisance financière et de la multiplication des programmes de logements durant la période interventionniste de l‟Etat, encore moins de concurrencer les études fournies par les BET étrangers pour des grandes opérations difficilement maîtrisables sans expérience antérieure.

Au début des années quatre-vingt et suite à de nombreuses faillites d‟entreprises de réalisation étrangères laissant des chantiers importants inachevés, le Ministère de l‟Habitat a pris des initiatives en direction de différents pays (Belgique, Cuba, Pologne...) en vue d‟associer leurs entreprises (avec garantie étatique de leurs pays respectifs) avec des entreprises algériennes en groupements mixtes pour la réalisation de programmes de logements publics. L‟idée était d‟obliger ou d‟amener les partenaires étrangers à céder des

connaissances technologiques et d‟assurer la sécurité pour l‟achèvement des chantiers, en plus d‟un apport de financement. Cependant ces tentatives ne connaîtront que peu de réalisations effectives puisque dès 1982 déjà, dans le cadre d‟une résorption rapide de la demande (Programme Anti - Pénurie (PAP) ) et des nouvelles orientations politiques (restructuration des entreprises publiques), l‟option prise sera celle du “ Programme Préfa. ” consistant en une importation massive de logements “ clé en main ” (importation d‟éléments préfabriqués et montés sur place) de différents pays (Canada, Danemark, Italie, Espagne, etc.). Ce programme connaîtra un arrêt brutal avec la crise des revenus pétroliers de 1986. Il est remarquable qu‟avec le rétablissement des revenus extérieurs, les mêmes mesures sont préconisées en 2014 par les décideurs (importation d‟unités de préfabrication clef en main et partenariat public-privé étranger) sauf qu‟il ne reste pratiquement plus d‟entreprise publique.

La protection assurée aux importations de ces logements finis, assemblés localement, aura achevé de décourager les progrès locaux dans la maîtrise des processus industriels. Les restrictions budgétaires qui suivront touchant les programmes de logements ne favoriseront certainement pas le développement de compétences en maîtrise d'œuvre (confrontée à des situations de survie) malgré la multiplication de BET de jeunes cadres massivement formés par les universités.