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Cette étude est basée sur un corpus de sources conséquent, de diverse nature. Notre documentation est constituée principalement de dossiers judiciaires se rapportant au décret du Verbotener Umgang, qui ont été croisés avec des sources officielles et complétés par des

135« [La] sexualité [du prisonnier de guerre] n'est jamais évoquée. Aucun homme n'est tondu pour avoir eu des

relations avec une Allemande ou un Allemand. La sexualité masculine demeure une affaire privée. Les hommes disposent d'une liberté sexuelle implicite et si le corps des femmes est objet de réappropriation, celui des hommes est surtout objet de silence. » cité dans : Fabrice Virgili, La France « virile » : des femmes tondues à

59 entretiens.

Les dossiers judiciaires de Verbotener Umgang.

Les dossiers judiciaires se rapportant au délit ont été identifiés de la sorte : grâce au décret relatif aux relations entre femmes allemandes et prisonniers de guerre et compte tenu du classement numérique des sources allemandes, nous avons procédé à une recherche à partir des mots clés « Verbotener Umgang mit Kriegsgefangenen » qui nous a conduit aux sources. Face à l’ampleur du corpus à dépouiller, le choix a été fait de mener une analyse non pas à l’échelle du pays dans son ensemble, mais en sélectionnant quelques régions.

Le choix des régions

Pour ce faire, on est parti du constat que les prisonniers de guerre français étaient répartis aléatoirement mais de manière relativement uniforme dans tout le Reich136. Cette carte illustre la répartition géographique des Wehrkreise :

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Carte des Wehrkreise, 1943-1944137

Trois Wehrkreise (régions militaires) ont été retenus : le Wehrkreis III (Berlin), le Wehrkreis IV (Dresden) et le Wehrkreis V (Stuttgart). La difficulté de cette délimitation géographique réside dans les multiples délimitations contemporaines qui varient et se superposent : délimitation militaire (Wehrkreise), délimitation administrative des Reichsgaue138, délimitation judiciaire des cours d’appel provinciales (Oberlandesgerichtsbezirke). A cela s’ajoute le fait que ces délimitations ne correspondent pas exactement aux Länder actuels, et pas toujours non plus aux répartitions des centres d’archives fédérales (Staatsarchive). Enfin, il est parfois difficile de savoir selon quelle logique les centres d’archives ont hérité des documents qu’ils contiennent, dans la mesure où leur implantation 137 Source en ligne : Historien2208 / CC BY-SA (https://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0),

https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/5/5a/Map_of_military_districts_of_Germany_in_1943- 1944.jpg, consulté le 27/07/2020. Voir également l’annexe n° 1 : carte originale des Wehrkreise en 1943.

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actuelle ne correspond pas toujours aux délimitations de l’époque.

Les dossiers ont donc été dépouillés dans les centres d’archives correspondant au plus près aux Wehrkreise. Ainsi le Wehrkreis III englobe non seulement Berlin, mais aussi la région de Brandebourg, le Wehrkreis IV la Saxe, mais aussi la partie la plus à l’Est de la Thuringe, ainsi qu’une partie du Gau des Sudètes, et le Wehrkreis V englobe le Bade, le Wurtemberg et une partie de l’Alsace.

Le choix de ces trois régions s’est effectué dans le but d’élargir l’étude à différents facteurs qui pourraient influencer les relations. De ce fait, des régions aussi bien urbaines que rurales sont prises en compte, impliquant ainsi des structures professionnelles différentes (ce qui permet de saisir les différents lieux des rencontres : fermes, usines, commerces) et des politiques locales variant selon les Reichsgaue. On peut également se demander si les différences confessionnelles, entre l’Ouest et l’Est de l’Allemagne ont pu jouer un rôle. Majoritairement catholiques, les prisonniers français ont-ils pu pénétrer plus facilement l’intimité des femmes allemandes de même confession qu’eux ? Dans le même registre, le plus ou moins grand éloignement des régions choisies comme cadre de l’étude par rapport à la France a-t-il eu un impact ? Les rapports de voisinage liés à la plus ou moins grande proximité de la frontière entre les deux pays ont-ils facilité les relations interdites ?

Dépouillement des sources

Des recherches systématiques ont donc été effectuées dans les Staatsarchive de chaque région. Pour Berlin-Brandebourg, les Landesarchiv Berlin (LAB), les Brandenburgisches Landeshauptarchiv Potsdam (BLHA), ainsi que les archives nationales : Bundesarchiv Berlin- Lichterfelde (BArch) ont été dépouillées. Les Bundesarchiv Berlin-Lichterfelde regroupent des dossiers de Verbotener Umgang de différentes régions, y compris celles qui nous intéressent, mais aussi des archives officielles du régime national-socialiste. En Saxe, les dossiers qui nous intéressent sont principalement regroupés aux Staatsarchiv Leipzig (SächsStA-L). Pour le Wehrkreis V les documents sont éclatés dans plusieurs ailes des Landesarchiv Baden- Württemberg. Une grande partie se trouvent aux Staatsarchiv Ludwigsburg (StAL), ainsi qu’aux Generellandesarchiv Karlsruhe (GLAK), aux Staatsarchiv Freiburg (StAF) et aux Staatsarchiv Sigmaringen (StAS)139.

Tous les dossiers comportant la mention : Verbotener Umgang mit

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Kriegsgefangenen ont été dépouillés. Ce décret sur lequel nous reviendrons plus en détail dans le chapitre 3, interdit tout contact, hormis les contacts imposés dans le cadre du travail, entre la population allemande et les prisonniers de guerre, toute nationalité confondue. Des hommes ont donc pu également être condamnés pour Verbotener Umgang : des hommes allemands, des travailleurs civils mais aussi des travailleuses civiles de différentes nationalités. Ces cas n’ont néanmoins pas été pris en compte dans l’analyse. Au total, 1785 dossiers ont été conservés pour l’analyse, à l’issue du dépouillement. Les dossiers qui ont été laissés de côté concernaient soit des prisonniers de guerre d’autres nationalités, soit ne concernaient pas des femmes allemandes.

Total

dossiers Wehrkreis III (Berlin) Wehrkreis IV (Dresden) Wehrkreis V (Stuttgart)

1785 748 453 584

Tableau statistique du nombre de dossiers judiciaires dépouillés par Wehrkreis

Les dossiers sont en revanche de nature différente et ne proviennent pas tous des mêmes institutions. Majoritairement ce sont des dossiers judiciaires provenant des tribunaux suivants : Amtsgerichte (tribunaux cantonaux), Landgerichte (tribunaux régionaux) ou Sondergerichte (tribunaux d’exceptions) ou bien des Staatsanwaltschaften (ministère public). Une autre partie des sources provient des dossiers personnels de prison ou de Zuchthaus. Ces derniers sont intéressants pour suivre le parcours d’une femme condamnée dans un établissement pénitentiaire. Toutefois, ils ne contiennent que le jugement de cette dernière, et apportent peu d’informations sur les étapes préalables constituées par l’arrestation, les déclarations des témoins et le déroulement du procès. Le jugement que ces dossiers renferment a néanmoins servi de base pour l’analyse. En s’inspirant des méthodes quantitatives en histoire140, les jugements ont permis d’analyser des informations simples communes à tous les dossiers. Une source type qui contient l’ensemble des pièces de la procédure judiciaire est composée comme suit. Elle est constituée d’un formulaire imprimé à remplir par l’inculpée qui comprend des informations sur l’Etat civil, la profession, la confession religieuse, l’identité des parents, le nombre d’enfants, l’appartenance au parti ou autres organisations politiques141. S’ensuit alors la déposition de la fautive, rédigée à la première personne. La première partie (Zur Person) de cette pièce permet à l’intéressée de se présenter et de retracer brièvement son parcours. Cette

140 Claire Lemercier et Claire Zalc, Méthodes quantitatives pour l’historien, Paris, La Découverte, 2008. 141 Voir annexe n°3.

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partie précède la description des faits (Zur Sache). Les dossiers judiciaires comportent également les dépositions d’éventuels témoins et des personnes partie prenante de l’infraction, notamment le prisonnier de guerre. Les interrogatoires menés par la police auprès des inculpées, lors de l’arrestation, et ceux qui relèvent de la procédure judiciaire proprement dite figurent aussi dans la documentation. Enfin le jugement qui édicte la sentence et précise les sanctions clôt la série d’éléments qui participent d’un dossier judicaire complet.

Ainsi une base de données a-t-elle été élaborée à l’aide des 1785 dossiers judiciaires142. Toutefois, les jugements ont surtout servi à une approche qualitative du corpus. L’intérêt de ces sources réside plus en effet dans les récits individuels, qui ouvrent sur la singularité des situations exposées et mettent en exergue les limites des comparaisons statistiques143.

A ces dossiers s’ajoutent les condamnations des prisonniers de guerre français. Lorsqu’ils font l’objet d’une suspicion au sujet d’une relation interdite avec une femme allemande, les captifs français sont arrêtés et éventuellement condamnés pour délit de « désobéissance » (Ungehorsam) par les tribunaux militaires, plus particulièrement par les « Feldgerichte » (littéralement les tribunaux de terrain) répartis en subdivision militaire. Une dizaine de dossiers ont été trouvés aux Staatsarchiv Leipzig car ces prisonniers ont été incarcérés à la Zuchthaus de Waldheim. Néanmoins, il n’a pas été possible de localiser de manière systématique les dossiers des prisonniers de guerre français en Allemagne. Les archives militaires fédérales de Fribourg-en-Brisgau (Bundesarchiv-Militärarchiv, BArch-MA) ne disposent pas de ces dossiers. En revanche, aux archives politiques du ministère fédéral des Affaires étrangères (Politisches Archiv des Auswärtigen Amts, PA AA), il existe des correspondances entre le ministère des Affaires étrangères allemand et l’Oberkommando der Wehrmacht (OKW) au sujet des arrestations et condamnations de prisonniers de guerre français, ce qui permet d’avoir des traces des jugements de certains captifs144. Néanmoins, ces correspondances, regroupées sous forme de volumes, s’arrêtent en mars 1942 et ne nous permettent pas de faire une recherche nominative.

142 Voir annexe n°16.

143 Les ouvrages suivants en particulier ont servi d’inspiration pour l’aspect méthodologique : B. Beck, Wehrmacht und sexuelle Gewalt, op. cit. ; P. Kannmann, Der Stalag XI A, op. cit. ; Maren Röger, Kriegsbeziehungen : Intimität, Gewalt und Prostitution im besetzten Polen ; 1939 bis 1945, Francfort-sur-le-Main, Fischer, 2015. ;

Claire Zalc, Dénaturalisés : les retraits de nationalité sous Vichy, Paris, Éditions du Seuil, 2016. ; K. Theis,

Wehrmachtjustiz an der « Heimatfront ». Die Militärgerichte des Ersatzheeres im Zweiten Weltkrieg, op. cit. 144 PA AA, R 40850 – 40914. Voir : R. Scheck, « Collaboration of the Heart », art cit. p. 356.

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C’est finalement aux Archives Nationales à Pierrefitte-sur-Seine (AN Pierrefitte) que la recherche s’est avérée fructueuse. Tout au long de la guerre, lorsque des procès sont intentés contre des prisonniers de guerre, une copie du jugement est envoyée à Paris par la Délégation de Berlin145. Ainsi les archives nationales disposent d’environ 21 000 dossiers concernant les affaires judiciaires des prisonniers de guerre français. Il existe deux registres microfilmés, l’un d’une série alphabétique de dossiers s’étendant d’octobre 1940 à août 1944, l’autre d’une série numérique s’étendant de novembre 1943 à avril 1945146. Ces registres ne sont cependant pas numérisés. Afin de pouvoir établir des statistiques intéressantes, nous avons manuellement numérisé les registres et les informations contenues sur ces fiches dans une base de données comportant les informations suivantes : Nom, prénom, numéro de matricule, Stalag, date du procès, durée et type de peine.

66% des dossiers concernent des relations interdites avec des femmes allemandes. Nous n’avons pas mené une étude aussi systématique que celle conduite sur les dossiers de femmes allemandes conservés en Allemagne, et seul un échantillon a été consulté. Les 90 dossiers dépouillés sont le pendant des dossiers des femmes allemandes sur lesquels on a travaillé de l’autre côté du Rhin. Cette double lecture permet d’avoir une perspective élargie sur un même acte. La composition des dossiers des prisonniers est cependant très variable. Certains ne contiennent qu’une page résumant l’accusation en langue française, d’autres contiennent une copie entière du jugement original en allemand, ainsi que parfois l’argumentaire de l’avocat du prisonnier de guerre. Ces dossiers sont dans l’ensemble moins fournis que les dossiers des femmes allemandes provenant des tribunaux ou Staatsanwaltschaften. Ils ne permettent pas par exemple de suivre le processus d’arrestation et les déclarations des témoins, alors que ces pièces se trouvent dans les dossiers des femmes allemandes. La déposition de ces dernières est d’ailleurs utilisée dans les procès des prisonniers de guerre. Le croisement des sources a été utile néanmoins. La présence dans les dossiers de Pierrefitte-sur-Seine de la sentence réservée à l’homme dans le couple jugé fautif, nous a permis d’accéder à l’argumentation des juges, de mesurer la part des circonstances atténuantes ou aggravantes dans la décision finale, et de comparer les types de sanctions et les différences des peines infligées aux femmes allemandes et aux prisonniers de guerre français.

Le problème majeur que nous avons rencontré est que, au moment de nos recherches,

145 Affaires militaires, prisonniers de guerre, tome 1 (1940-1945). Répertoire numérique détaillé (F/9/2001 –

F/9/3094) par M. Th. Chabord, 2002, p.4. https://www.siv.archives- nationales.culture.gouv.fr/siv/IR/FRAN_IR_003886, consulté le 14/05/2020.

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les fonds concernant les affaires judiciaires des prisonniers de guerre français étaient en cours de reconditionnement, ce qui a rendu leur accès très difficile. Il a été possible d’avoir accès exceptionnellement à quelques dossiers, mais ce processus nous a obligée à faire des choix et à réduire les dossiers à consulter.

Si cette remarque témoigne que l’historien est soumis aux aléas du fonctionnement des centres d’archives, on rappellera aussi qu’il est tributaire de la conservation des documents. Les dossiers dépouillés ne sont souvent en aucun cas exhaustifs. Nous savons par exemple que les dossiers judiciaires du Sondergericht de Stuttgart ont été perdus lors d’un bombardement en septembre 1944147, ou encore que d’autres archives ont été rapatriées par les alliés à la fin de la Seconde Guerre mondiale148. Enfin de nombreux dossiers sont incomplets ou en mauvais état.

Sources officielles

Des sources imprimées sont venues compléter le corpus de dossiers judiciaires. Dans un premier temps, les Meldungen aus dem Reich (rapports du SD) ont été fortement mises à contribution149. Il s’agit de rapports émanant du Sicherheitsdienst des Reichsführers SS (SD) écrits pendant la guerre dont le but est d’informer les fonctionnaires nationaux-socialistes su comportement général de la population allemande. Les relations entre les femmes allemandes et les étrangers font l’objet de 21 rapports. Environ la moitié d’entre eux fait explicitement référence aux prisonniers de guerre français.

Par ailleurs, des publications émanant de l’appareil judiciaire ont été également utilisées. Le Deutsches Strafrecht est une publication de 1941 rédigée, entre autres, par Roland Freisler, juriste allemand qui accède à la présidence du Volksgerichtshof en 1942150. Une partie est consacrée au Verbotener Umgang et décrit les enjeux de ce délit. De manière similaire, les Richterbriefe se sont révélés très utiles. C’est un instrument mis en place par le ministère du Reich en 1942, dont l’objectif est d’avoir la mainmise sur la justice151. Un Richterbrief du 1er mars 1943 est dédié au délit de Verbotener Umgang. Il donne de précieuses indications au sujet de l’évaluation de la peine et du type de sanctions à infliger.

147 Voir : https://oberlandesgericht-stuttgart.justiz-bw.de/pb/,Lde/Startseite/Gericht/NS-Justiz+1933-1945,

consulté le 14/05/20.

148 Voir entre autres : Sophie Cœuré, La Mémoire spoliée. Les archives des Français, butin de guerre nazi puis soviétique, de 1940 à nos jours, Paris, Petite Bibliothèque Payot, 2013.

149 Heinz Boberach, Meldungen aus dem Reich, Herrsching, Pawlak Verlag, 1984.

150 Freisler Roland, Grau Fritz, Krug Karl, Rießich Otto, Deutsches Strafrecht, Band 1, erläuterungen zu den seit dem 1.9.1939 ergangenen strafrechtlichen und strafverfahrensrechtlichen Vorschriften, Decker, Berlin, 1941. 151 Heinz Boberach, Richterbriefe. Dokumente zur Beeinflussung der deutschen Rechtsprechung 1942-1944,

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Enfin, divers arrêtés et ordonnances émanant du ministère de la Justice du Reich (Reichsjustizministerium) au sujet du comportement de la population avec les prisonniers de guerre, ont été pris en compte. C’est le cas surtout d’un document du ministère de la Justice du Reich datant d’octobre 1942152. Otto Thierack, alors ministre de la Justice du Reich, ordonne en personne aux présidents des cours d’appel provinciales et aux procureurs généraux de recenser tous les cas de Verbotener Umgang de l’année 1942. Le résultat de l’enquête délivrée par chaque juridiction des cours provinciales est précieux car il donne une vision d’ensemble, à l’échelle locale, du délit en s’appuyant sur des statistiques, mais aussi sur des rapports rédigés détaillant plus ou moins longuement le phénomène153. Nous reviendrons plus en détail sur ces différentes sources au chapitre 3.

Sources privées

Enfin, afin de compléter ce corpus, nous avons également eu recours à des sources privées provenant principalement des enfants de la guerre, nés de ces relations. La prise de contact avec ces personnes s’est effectuée quasi-exclusivement grâce aux associations d’enfants de la guerre Cœurs Sans Frontières / Herzen Ohne Grenzen et l’ANEG (Amicale Nationale des Enfants de la Guerre)154. Entre décembre 2016 et septembre 2017 des entretiens d’histoire orale ont été réalisés avec cinq enfants de la guerre : Lutz Würzberger155, Elke P.156, Monika G.157, Rainer S.158, Barbara Z. et sa mère Gertrude K.159. Âgée de 94 ans au moment de l’entretien, Gertrude nous a livré son témoignage sur son histoire avec le père de Barbara, nous permettant d’avoir un témoignage direct sur les événements. Les témoignages des contemporains se font de plus en plus rares et sont difficiles à obtenir, étant donné le temps écoulé. Pourtant ce type de témoignage est essentiel et permet de combler au mieux l’absence d’ego-documents (correspondances, journaux intimes relevant du récit de soi). Un autre cas est venu enrichir notre corpus qui ne provient pas des rencontres avec les associations. Hannah Sprute, historienne rattachée au Mémorial national de Ravensbrück, a, dans sa propre famille, entendu

152 BArch Berlin R 3001/20066, « Verbotener Umgang mit Kriegsgefangenen » document du 10/10/1942 de

Thierack aux Oberlandesgerichtspräsidenten et aux Generalstaatsanwälte.

153 BArch Berlin R 3001/23238.

154 Un premier contact s’est effectué avec la plupart des enfants de la guerre avant le début de la thèse, durant les

années de préparation de nos deux mémoires de master portant sur les enfants de la guerre et le rôle des associations : G. Cicottini, L’enfant de l’étranger, op. cit.

155 Entretien avec Lutz Würzberger, le 13/12/2016, Leipzig. 156 Entretien avec Elke P., le 25/09/2017, Königs Wusterhausen. 157 Entretien avec Monika G., le 7/10/2017, Potsdam.

158 Entretien avec Rainer S., le 26/06/2017, Potsdam.

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parler pour la première fois du Verbotener Umgang. En effet, sa grande tante Ilse B. a eu une relation avec un prisonnier de guerre français, de laquelle Ingrid K. est née. Nous avons eu l’honneur de pouvoir réaliser en collaboration avec Hannah Sprute une série d’entretiens en 2019, d’Ilse B. elle-même, âgée de 101 ans au moment de l’entretien160, d’Erika R., sœur d’Ilse, âgée de 16 ans au moment des faits161, d’Helmut B., fils d’Ilse, né d’un premier mariage, âgé de 5 ans au moment des faits162, et d’Ingrid K., l’enfant née de cette relation interdite163. Cette extraordinaire constellation d’entretiens permet de disposer de différentes perspectives, de différents points de vue, croisant le genre, les générations, les expériences. Elle donne l’occasion d’observer à la fois le phénomène tel qu’il a été vécu pendant la guerre grâce aux témoignages d’Ilse et d’Erika surtout, mais aussi de voir les conséquences de cette relation sur un temps long grâce au témoignage d’Helmut et d’Ingrid elle-même. Inspirés des méthodes de l’histoire orale164, des entretiens semi-directifs ont été menés auprès de nos interlocuteurs. Une grille de question générale a été établie afin de guider l’entretien, mais l’expérience a montré que les témoins s’exprimaient volontiers librement. Tous les entretiens cités ont été enregistrés et durent en moyenne 1 à 2 heures. D’autres prises de contacts avec des enfants de la guerre, qui sont plus informelles (échanges non-enregistrés lors de rencontres associatives, entretiens téléphoniques, ou échanges d’email) ont pu être utilisés ponctuellement dans notre étude et seront signalés comme tels.

Au-delà de ces témoignages, les prises de contacts avec ces enfants de la guerre et leur famille nous ont permis d’avoir accès à des archives personnelles165. Si certaines de ces personnes n’ont toujours pas à ce jour retrouvé leur père français ou du moins leurs descendants, d’autres disposent de documents précieux concernant la période de la guerre ou de l’après- guerre, notamment des photographies qui ont parfois été reproduites dans la thèse.

160 Entretien avec Ilse B., le 31/03/2019, Potsdam. 161 Entretien avec Erika R., le 03/05/2019, Otterndorf. 162 Entretien avec Helmut B., le 15/06/2019, Potsdam. 163 Entretien avec Ingrid K., le 02/05/2019, Hambourg.

164 Daniel Bertaux, Le récit de vie : l’enquête et ses méthodes, Paris, A. Colin, 2010 ; Fabrice Almeida et Denis