• Aucun résultat trouvé

Chapitre 1- Présentation des acteurs : des ennemis sous le IIIème Reich ?

1.3 En Allemagne : des soldats partis au front aux femmes qui sont restées

Malgré les 40 millions de femmes présentes sur le territoire du Reich à l’époque255, la recherche historique à leur sujet demeure difficile en partie car les sources sont rares. Le conflit leur confère toutefois une visibilité plus grande, entre ceux qui sont alors absents du théâtre de leur vie quotidienne (rappelons que près de 18 millions de soldats allemands sont mobilisés tout au long de la guerre256) et ceux qui les ont remplacés au travail (entre 8 et 13 millions de travailleurs étrangers, forcés de rejoindre le Reich257). Cette guerre totale entraîne, on le sait, la mobilisation des femmes sur le « Heimatfront », la mobilisation « à l’arrière », terme qui désigne l’implication des civils dans la guerre, loin des champs de bataille258. Le rôle de la femme s’en trouve donc renforcé, même s’il diffère de celui des hommes. Le contexte de guerre exacerbe l’assignation des rôles genrés construits en partie sur le dimorphisme sexuel : aux hommes le combat, aux femmes le soin d’assurer le « front interne », leur nature pacifiste et leur « naturel féminin » (weiblichen Naturell) leur imposant de s’occuper de la maison et de la famille259. Le conflit leur impose cependant de franchir le seuil de l’espace domestique et de subvenir aux besoins de la communauté. Un communiqué du Reichsfrauenführung (Encadrement des femmes du Reich) de juin 1941 l’indique en mentionnant que les femmes se sont habituées à vivre et à travailler de manière autonome et indépendante260. Amenées à prendre en charge des fonctions qu'elles n'ont pas l'habitude d’assumer, du fait de l'absence du mari, elles ont été appelées à gérer des fermes, des négoces, à travailler dans les usines. La Première Guerre mondiale l'a déjà montré, les femmes servent de relais à l'arrière, et ne cessent de jouer un rôle important notamment sur le plan économique. Elles passent du rôle d'auxiliaire de l’époux à la fonction de « chef de famille ». Tout en continuant d'occuper leur place de mère, elles assurent désormais la rentrée de revenus financiers au sein du foyer. Les travaux consacrés à ces questions démontrent que la vie des femmes dans la guerre varie fortement en fonction de

255 Voir : Statistisches Jahrbuch für das Deutsche Reich 59, Berlin 1942, p. 25 cité dans : N. Kramer, Volksgenossinnen, op. cit. p. 14.

256 Rüdiger Overmans, Deutsche militärische Verluste im Zweiten Weltkrieg, Munich, De Gruyter Oldenbourg,

2004. Ici p. 223. Ces chiffres sont à mettre en perspective avec les 38 millions d'hommes en tout selon le recensement de 1939 dans le Statistisches Jahrbuch für das Deutsche Reich, Band 1939, http://www.digizeitschriften.de/dms/toc/?PID=PPN514401303_1939, consulté le 25/05/2018.

257 On parle de 8 à 13 millions d’étrangers selon les estimations. Voir à ce sujet : U. Herbert, Fremdarbeiter, Ed. 1985, op. cit. p. 11. M. Spoerer, « The Nazi War Economy, the Forced Labor System, and the Murder of Jewish

and Non-Jewish Workers », art cit. Ici p. 140.

258 A ce sujet voir: N. Kramer, Volksgenossinnen, op. cit. 259 B. Kundrus, Kriegerfrauen, op. cit. p. 14.

96

l’espace où elles vivent. Selon qu’elles demeurent à la campagne ou en ville, le travail à effectuer sera très différent, mais tout autant difficile261.

a) Une propagande ciblée pour les femmes

L’approche que l’idéologie national-socialiste privilégie quant au rôle des femmes repose sur trois entrées : la race, le mariage et la reproduction262. Un livre de propagande publié en 1933 décrit leur fonction dans la société national-socialiste, parlant en leur nom en ces termes :

« Les femmes allemandes veulent globalement être des épouses et des mères, elles ne veulent pas être des camarades. […] Elles n’ont pas d’aspiration à l’usine, au bureau, et pas non plus au parlement. Un foyer chaleureux, un mari à chérir, et de nombreux enfants heureux lui tiennent plus à cœur263 ».

Avant que la guerre ne débute, la place assignée aux femmes dans la société les renvoie à leur condition d’épouse et de mère, la maternité et le mariage étant les valeurs primordiales attachées à leur nature biologique et à leur fonction sociale. Le partage traditionnel qui découle de cette perception genrée des rôles rattache la femme à la sphère privée tandis que l’homme se consacre à la sphère publique. Le terme « femme allemande » dont nous faisons usage mérite néanmoins un éclaircissement. Il désigne dans le cadre de cette étude, les femmes de nationalité allemande (reiche Deutsche) ou de sang allemand (deutschblutig) non-juives et qui appartiennent à la Volksgemeinschaft264. Soulignons dès à présent que la femme étant le « moyen » par lequel la « race » se transmet, son rôle biologique est sacralisé. « Recréer » une race pure passe par une politique pro-nataliste qui fait du corps féminin la matrice de son renouvellement. Une fois le pays installé dans le conflit, cette politique pro-nataliste répondra à des exigences concrètes : visant à contrebalancer les pertes humaines de la guerre, elle est

261On renverra entre autres pour la France à : Françoise Thébaud, La femme au temps de la guerre de 14, Paris,

Stock, 1986 ; U. Daniel, Arbeiterfrauen, op. cit.

262 Gabriele Czarnowski, « Der Wert der Ehe für die "Volksgemeinschaft”. Frauen und Männer in der

nationalsozialistischen Ehepolitik » dans Zwischen Karriere und Verfolgung. Handlungsräume von Frauen im

nationalsozialistischen Deutschland, Francfort-sur-le-Main, Campus-Verlag, 1997, p.78.

263 « Die deutschen Frauen wollen in der Hauptsache Gattin und Mutter, sie wollen nicht Genossin sein. […] Sie

haben keine Sehnsucht nach der Fabrik, keine Sehnsucht nach dem Büro und auch keine Sehnsucht nach dem Parlament. Ein trautes Heim, ein lieber Mann und eine Schar glücklicher Kinder steht ihrem Herzen näher. » cité dans Stefan Bajohr, Die Hälfte der Fabrik. Geschichte der Frauenarbeit in Deutschland 1914-1945, Marbourg, Verlag Arbeiterbewegung und Gesellschaftswissenschaft, 1979. Voir p. 235.

97

aussi une des conséquences de la solution finale dont la mise en œuvre doit aboutir à exterminer les Juifs.

Dès les années 1930 et à des fins de propagande, le culte de la mère est mis en place. En 1933 le jour de la fête des mères (Muttertag) est déclaré officiellement férié ; fin 1938 est instaurée la Croix d’honneur de la mère allemande (Ehrenkreuz der Deutschen Mutter) dont le but est de décorer les mères de familles nombreuses dans le cas où la famille entière est « de sang allemand » (deutschblütig) et en bonne santé (erbgesund)265. La femme allemande est donc réduite à son rôle de génitrice. Censée ne pas travailler, elle doit se consacrer à éduquer ses enfants selon les principes du régime nazi. Parallèlement, elle est soumise à un endoctrinement très fort par le biais notamment des organisations d’Etat dédiées spécifiquement aux femmes. En novembre 1933, Gertrud Scholtz-Klink est nommée « Reichsfrauenführerin » (Guide des femmes du Reich), et est dès 1934 à la tête de deux organisations la NS-Frauenschaft (NSF) et le Deutsches Frauenwerk (DFW). Gertrud Scholtz-Klink fait état, dans un discours de 1934, du renouveau générationnel qui s’opère dans le Reich et met en exergue l’union des femmes au sein d’une même direction. Ce contrôle social propre à un régime totalitaire s’exerce aussi sur les citoyennes plus jeunes à travers le Bund Deutscher Mädel (BDM), organisation spécifiquement conçue pour les jeunes femmes qui seront embrigadées par la suite dans la NSF. L’éducation des membres (Volksgenossinnen) de la communauté (Volksgemeinschaft) est décisive, et certaines reçoivent même une formation complète visant à leur octroyer des fonctions haut placées au sein de la NSF ou de la DFW. La majorité en revanche est appelée à recevoir des cours au contenu pratique, centrés sur les tâches ménagères ou le soin des nourrissons. Pour les femmes mariées, cet enseignement est même une obligation266.

D’autres organisations existent267 dont le but est identique : mettre l’action des femmes au service de l’Etat et de la propagande. Birthe Kundrus qui a travaillé sur l’aspect financier de la politique familiale, soutient l’idée que les aides financières consacrées à la famille sont un instrument de l’Etat qui agit directement sur la politique sociale268. En effet, afin de permettre aux femmes de se consacrer à ce rôle de génitrice à temps plein, une politique familiale se met en place pendant la guerre, apportant un soutien financier aux femmes de soldats. Ce système assure la pérennisation des normes sociales d’avant-guerre : pendant que l’homme « travaille »

265 Irmgard Weyrather, Muttertag und Mutterkreuz : der Kult um die « deutsche Mutter » im Nationalsozialismus,

Francfort-sur-le-Main, Fischer-Taschenbuch-Verl., 1993. Instauration de la « Mutterkeuz » le 16 décembre 1938.

266 N. Kramer, Volksgenossinnen, op. cit. p. 32-39.

267 A titre d’exemple : Hilfswerk Mutter und Kind, Deutschen Roten Kreuz, Nationalsozialistische Volkswohlfahrt

(NSV).

98

en remplissant sa mission au service de la patrie en tant que soldat, la femme demeure à la maison et s’occupe des enfants269.

Le mariage

La politique national-socialiste encourage le mariage en le réglementant strictement. Afin d’encourager le mariage et l’éducation des enfants, une aide spécifique est octroyée dès l’été 1933 qui s’ajoute aux aides liées à la politique familiale : le Ehestandsdarlehen. Cette aide est similaire à un prêt consenti aux familles qui permet aux femmes de ne pas avoir à travailler. Le remboursement du prêt prend deux formes : sous forme pécuniaire ou par la naissance d’enfants, sorte de tribut payé à la communauté270. En 1938, environ 1/3 des ménages a déposé une demande de prêt de ce type. Soulignons que dans le cadre de l’hygiène de la race à laquelle se rattache cette mesure, il faut réaliser un examen médical pour bénéficier de cette aide, l’objectif étant de vérifier l’origine raciale des futurs époux ainsi que leur bonne santé (Erbgesundheit). Cette mesure devient obligatoire pour tous les couples à partir de 1935 à la suite des lois de Nuremberg271. Pour contracter une union, il faut donc pouvoir présenter une autorisation de mariage (Eignung zur Ehe).

Un des paradoxes de la politique de l’Etat pendant la Seconde Guerre mondiale réside dans cette volonté de privilégier d’une part le mariage, d’autre part de lui imposer de nombreuses restrictions, voire même de faciliter les divorces, certains du moins272. Les mariages sont en effet rendus plus accessibles par la possibilité de légaliser une union à distance, ou un mariage post-mortem par exemple. Pour Elizabeth Heineman, ces légalisations ont surtout pour but de lutter contre les enfants illégitimes « racialement purs » nés de femmes allemandes et de soldats de passage. Elles visent également à lutter contre le célibat des femmes, statut qui pourrait les inciter à avoir plus facilement des activités sexuelles hors-mariage273. Les divorces, quant à eux, conformément aux lois de Nuremberg de 1935, vont être facilités pour les mariages mixtes ou lorsque l’un des deux partenaires ne respecte pas les attentes eugénistes du régime ou est stérile274. Le but est de pouvoir libérer les sujets sains pour qu’ils se tournent vers d’autres partenaires qui le sont tout autant, et d’accroître donc le potentiel procréatif de la

269 Ibid.

270 G. Czarnowski, « Der Wert der Ehe », art cit. p. 79. 271 Ibid. p. 84.

272 Cf chapitre 5, 5.1.

273 Elizabeth D. Heineman, What Difference Does a Husband Make ? Women and Marital Status in Nazi and Postwar Germany, Berkeley, Univ. of Calif. Press, 2003. Ici p. 46.

99 communauté.

Absence du mari et divorces

La réalité néanmoins ne recoupe pas forcément les attentes idéologiques de l’Etat national-socialiste. En dépit de cette politique visant à favoriser les mariages, le conflit qui implique des séparations longues, introduit une nouvelle donne. L’absence du mari pèse sur les femmes mariées, menaçant la stabilité du couple. En outre, du côté des femmes célibataires, trouver un partenaire s’avère plus difficile. Les statistiques à ce sujet sont lacunaires pour la période de la guerre, mais l’historienne Gabriele Czarnowski montre que l’étude des chiffres disponibles jusqu’en 1941 reflète une hausse d’environ 20% des divorces entre 1939 et 1941275. Par ailleurs, on observe que le nombre de divorces explose juste après la guerre, pour se stabiliser dans les années 1950276. Les problèmes de couple ne passent d’ailleurs pas inaperçus et le rapport d’une assistante sociale en 1942 mentionne les « nombreux problèmes des derniers mois » à ce sujet. Une des raisons évoquées pour expliquer l’échec de ces mariages est que de nombreux jeunes couples n’ont jamais connu de vie commune et n’ont pas eu le temps d’apprendre à se connaître avant la guerre. Birthe Kundrus cite le témoignage d’une femme mariée à un soldat qui déclare ne pas supporter la distance qui la sépare de son époux et le manque de communication. Son mari, qui ne vit pas les mêmes expériences qu’elle au quotidien, ne connait presque pas son enfant et ne le voit pas grandir.

A ces expériences douloureuses de séparation s’ajoutent également les nouvelles habitudes prises par ces femmes qui vivent « sans » les hommes. S’étant habituées à gérer l’ordinaire seules, à occuper d’autres positions, les femmes ont du mal à revenir en arrière277. Les autorités s’inquiètent de ce problème. Dans un rapport du 18 novembre 1943, le SD se dit préoccupé par la situation et parle de l’expérience des couples comme d’un « vivre à côté » (Auseinanderleben) qui va à l’encontre de la vie commune. Cette source décrit la réalité de couples pour lesquels la permission obtenue par le mari débouche sur une véritable crise. Loin d’être vécue positivement, la permission révèle la difficulté de chacun à retrouver sa place dans l’économie conjugale et accentue le désintérêt du conjoint pour les soucis du quotidien278.

275 Ibid. p. 87. Voir également : Annemone Christians, Das Private vor Gericht : Verhandlungen des Eigenen in der nationalsozialistischen Rechtspraxis, Göttingen, Wallstein Verlag, 2020. Ici p. 99 – 174.

276 E.D. Heineman, What difference does a husband make?, op. cit. Annexe, Figure A.3. 277 B. Kundrus, Kriegerfrauen, op. cit. p. 369-371.

278 Rapport du SD du 18 novembre 1943. Voir : SD-Berichte zu Inlandsfragen vom 18. November 1943 (Grüne

100

Au prisme de l’idéologie racialiste, cette crise des couples mariés est perçue par les autorités comme mettant en péril le but du mariage : fonder une famille racialement pure. C’est le sens de la circulaire du 2 octobre 1942 prise par Himmler concernant la France qui donne le droit aux femmes de soldats de venir dans les baraquements où ils vivent une fois tous les quinze jours, l’objectif étant de permettre la procréation de davantage d'enfants « purs279 ». En ce qui concerne l’infidélité des femmes, elle entraîne d’autres enjeux. Eviter une grossesse impure est l’obsession principale, d’autant plus que la procréation et la grossesse se jouent dans les limites du Reich. Ce dernier risque donc d’être mis en péril directement. Au-delà des conséquences démographiques, les dérives de l’infidélité conjugale se mesurent aussi sur le plan éthique. La fidélité des femmes est attendue en tant que celles-ci sont les « garantes de la morale280 ».

Ces questions sont vivement discutées par les autorités dans un rapport du SD du 13 avril 1944 qui consacre une partie de cette publication au « comportement immoral des femmes allemandes » (Unmoralisches Verhalten deutscher Frauen). Une partie non négligeable d’entre elles se « laisseraient aller à leurs désirs sexuels » (sich geschlechtlich aus[…]leben), parmi lesquelles on compterait des femmes de soldats281. Les inquiétudes du régime sont avérées : en laissant des femmes seules en présence de millions d’étrangers hommes travaillant pour le Reich, les rencontres sont inévitables.

Des femmes comme main d’œuvre indispensable

La logique de la guerre oblige le régime national-socialiste à déroger aussi à ses principes en ce domaine. Comment contenir les femmes au foyer alors que l’économie a besoin de leurs bras ? Ce constat appelle cependant une remarque. Comme l’historiographie l’a montré, la réalité du travail féminin ne date pas du conflit et avant 1939, selon les milieux sociaux, l’appartenance au milieu rural ou urbain, les femmes travaillaient déjà. Les travaux de l’historien Frank Bajohr vont dans ce sens. Il appuie son étude sur le travail des femmes sur des statistiques qui révèlent une constante augmentation, même si modérée, du travail féminin entre la fin du XIXe siècle et la Seconde Guerre mondiale282. Une baisse légère est cependant visible entre 1933 et le début de la guerre, séquence durant laquelle, on l’a vu, des politiques sont mises

banque de données en ligne.

279 BArch NS 19/2769.

280 Kerstin Thieler, « Volksgemeinschaft » unter Vorbehalt : Gesinnungskontrolle und politische Mobilisierung in der Herrschaftspraxis der NSDAP-Kreisleitung Göttingen, Göttingen, Wallstein Verl., 2014. Voir p. 418. 281 Rapport du SD du 13 avril 1944.Voir : Bericht an den Reichsschatzmeister der NSDAP vom 13. April 1944

dans : Nationalsozialismus, Holocaust, Widerstand und Exil 1933-1945. De Gruyter. Banque de données en ligne.

101

en place pour permettre aux femmes de rester à la maison et d’éduquer leurs enfants283. Frank Bajohr constate une diminution d’environ 200 000 femmes actives entre mai 1939 et fin 1941284. Une hypothèse sur les causes de ce repli serait que les aides familiales destinées aux femmes mariées et ayant des enfants sont encore suffisamment élevées au début de la guerre pour que certaines préfèrent rester dans leur foyer plutôt que d’aller travailler285. Cette donnée s’ajoute au fait que de nombreuses plaintes sont enregistrées quant aux mauvaises conditions de travail qui tiennent aux nombreuses heures supplémentaires effectuées et aux salaires très bas comparés à ceux que perçoivent les hommes286. Néanmoins, cette politique familiale est victime de son succès : si la volonté d’assigner les femmes à leurs rôles d’épouses et de mères a fonctionné, il n’en reste pas moins que la nation en guerre a besoin de main d’œuvre.

Hitler aurait, dès sa prise de pouvoir, évoqué le fait que si les femmes n’étaient pas faites pour le travail, elles n’en demeuraient pas moins des auxiliaires précieuses. Dans le cas d’une mobilisation de leur force de travail, la fonction qui leur échoie est d’être subordonnée à l’homme considéré comme l’« organisateur de la vie287 ». Pour remédier au manque de main d’œuvre, dès le début du conflit, le Dienstpflichtverordnung (Décret sur le service obligatoire) oblige les civils à se mettre au service de l’effort de guerre. En ce qui concerne les femmes, ce sont la plupart du temps les jeunes filles célibataires, les Dienstmädchen, qui sont enrôlées. On leur assigne des métiers dits « féminins » : femmes de ménage, gouvernantes, etc… A partir de 1943, l’état de « guerre totale » accélère le phénomène. Dans un discours du 8 janvier 1943, Goebbels déclare que le travail des femmes est désormais une « nécessité absolue ». Durant l’année 1943, les administrations du travail recensent toutes les femmes capables de travailler. Jusqu’en juin 1943, environ 1 500 000 d’entre elles entrent sur le marché et se voient attribuer un poste de travail288. Les changements qui s’opèrent alors ne sont pas cependant que quantitatifs mais aussi qualitatifs.

En effet, plus encore que le nombre de femmes actives, c’est le niveau des postes qu’elles occupent qui fait la différence. Sylvie Schweitzer le montre bien dans son étude sur le travail des femmes françaises aux XIXe et XXe siècles, intitulée significativement : Les femmes ont toujours travaillé. Posant le principe que les femmes ont toujours travaillé (que ce soit dans des métiers typiquement « féminins » ou aux côtés de leurs maris dans les boutiques ou à la ferme), l’auteure démontre que les guerres du XXe siècle constituent une rupture en permettant

283 Ibid. p. 250-257. 284 Ibid. p. 252.

285 B. Kundrus, Kriegerfrauen, op. cit. p. 330. 286 S. Bajohr, Die Hälfte der Fabrik, op. cit. p. 257. 287 Ibid. p. 219.

102

leur affectation à des métiers qui leur étaient jusque-là interdits : « conductrices de tramways, factrices, professeures des lycées de garçons289 ». Ce phénomène se vérifie dans l’Allemagne national-socialiste. Ainsi, plus le besoin de main d’œuvre devient important, plus il est inévitable que les femmes allemandes travaillent dans les usines d’armement (Rüstungsproduktion)290. Elles vont même jusqu’à s’engager directement dans la Wehrmacht, comme le montre l’étude de Nicole Kramer sur les Volkgsgenossinnen an der Heimatfront291. Ces données se reflètent dans le corpus que nous avons analysé : les sources révèlent en effet