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Le décret sur le Verbotener Umgang : historique et contenu a) Aux origines : l’apport de la Première Guerre mondiale

Chapitre 3 – Enfreindre la norme, des pratiques risquées

3.1 Le décret sur le Verbotener Umgang : historique et contenu a) Aux origines : l’apport de la Première Guerre mondiale

Le Verbotener Umgang mit Kriegsgefangenen qui a pu s’apparenter selon Herbert à un « délit de masse » pendant la Seconde Guerre mondiale416, a connu un précédent pendant le conflit antérieur. Les sources à ce sujet sont plus rares, mais il existe bien une interdiction de fréquenter les prisonniers de guerre sous peine de sanctions entre 1915 et 1918. Ute Daniel a abordé dans ses travaux la question de la sexualité des femmes pendant cette période dans un contexte où l’absence d’hommes et l’arrivée des prisonniers de guerre étrangers se posent déjà. Elle cite ce témoignage contemporain des faits, qui fait écho aux jugements rédigés en France sur les femmes des territoires du nord du pays, occupés par les troupes allemandes417 :

« Il y a des femmes de soldats qui oublient l’amour et la fidélité, la discipline et les mœurs, et se jettent au cou des hommes étrangers, pendant que les hommes à l’extérieur se privent et saignent ; des femmes de soldats qui, ne pensent qu’à la danse et au plaisir. Avec l’argent que les hommes envoient, elles s’habillent comme des prostituées ou s’empiffrent de nourritures, pendant que leurs enfants, vêtus de guenilles, déambulent dans les rues418 ».

De tels discours sont encouragés par les autorités dans le cadre d’une propagande destinée à faire pression sur les femmes. Quelques 2,5 millions de prisonniers de guerre419 sont alors répartis en Allemagne dans les industries et les exploitations agricoles et des relations se sont nouées déjà à cette époque. Ute Daniel relate des témoignages émanant de la population elle- même, telle cette femme en Bavière qui déclare en 1918 que la guerre doit finir immédiatement et que les hommes doivent rentrer au plus vite, car les femmes de la ville sont folles de « leurs prisonniers français et belges » (gefangenen Franzmänner et Belgischen Rusen)420. Des récits similaires émanent des autorités, comme d’un poste de gendarmerie à Rothenbach qui confirme que, malgré l’interdiction, les contacts entre les prisonniers et les femmes sont récurrents dans

416 U. Herbert, Fremdarbeiter, Ed. 1999, op. cit. p. 122.

417 Ces jugements se multiplient au cours de la reconquête de ces territoires durant l’été 1918 ou après l’armistice,

cité dans F. Virgili et al., Sexes, genre et guerres, op. cit. p. 254-255.

418 « Es gibt Kriegerfrauen, die Liebe und Treue, Zucht und Sitte vergessen und sich fremden Männern an den Hals

werfen, während die Männer draußen darben und bluten ; Kriegerfrauen, die zum Tanz und ins Vergnügen laufen, die mit dem Geld, das die Männer schicken, sich wie Dirnen putzen oder im Essen schlemmern, während sich die Kinder mit zerissenen Strümpfen und Kleidern verwildert auf der Straße herumtreiben. » cité dans : U. Daniel, Arbeiterfrauen, op. cit. p. 144.

419 Jochen Oltmer, Kriegsgefangene im Europa des Ersten Weltkriegs, Paderborn, Schöningh, 2006. Ici p. 16. 420 U. Daniel, Arbeiterfrauen, op. cit. p. 145.

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les entreprises, et que certaines femmes ont été arrêtées et condamnées pour ces raisons421. Par ailleurs des relations sont aussi suspectées dans les fermes, même si elles sont moins visibles. Un procès-verbal datant du début de l’année 1918 à Aichach mentionne les nombreux contacts qui ont donné lieu à des procédures judiciaires pour « relations sexuelles interdites avec des prisonniers », relations qui « ne sont pas restées sans conséquences » puisqu’il s’agit de cas où des femmes sont tombées enceintes. Le procès-verbal estime que les coupables qui ont été arrêtées sont uniquement celles pour lesquelles une grossesse ou la naissance d’un enfant ont pu confirmer ce type de relations. Ces remarques laissent entendre que le phénomène est donc plus répandu que ces quelques cas ne l’indiquent et qu’il est difficile d’appréhender les fautifs. Les femmes pouvaient être condamnées au titre du paragraphe 9b de la loi relative à l’état de siège (Gesetz über den Belagerungszustand) du 4 juin 1851, complétée le 11 décembre 1915. Le paragraphe 9b interdit à quiconque de transgresser les ordres instaurés dans l’intérêt de la sécurité publique et édictés par le commandement militaire allemand (Militärbefehlshaber)422. Des décrets et ordonnances, pris au niveau local, permettent également d’édicter des interdictions plus précises telles que celle relative aux prisonniers de guerre. Une ordonnance du 21 décembre 1916 du commandement militaire de Prusse précise ainsi que : « Chaque rapprochement, et particulièrement tout rapport qui transgresserait les bonnes mœurs entre une femme et un prisonnier de guerre, est à interdire423 ». Or une ordonnance du commandant général adjoint du XIVème corps d’armée en date du 4 mars 1916 est déjà en vigueur et s’applique à ce type de relation424. Le caractère redondant de l’interdiction semble donc témoigner de la persistance des faits. Exprimées dans la presse ou retranscrites dans les procès, les critiques adressées aux femmes sont les mêmes que celles qui seront formulées pendant la période national-socialiste. On leur reproche d’être des « femmes sans honneur », d’avoir peu de « conscience nationale » et de « traîner la dignité nationale dans la poussière425 ». Le discours stigmatisant à leur encontre dans la presse locale est récurrent, l’expression « au pilori » (An den Pranger) fait déjà partie du champ lexical utilisé. Un livre paru en 1919, traitant du comportement des femmes envers les prisonniers de guerre allemands, mais aussi des

421 Ibid. p. 145.

422 « Wer in einem in Belagerungszustand erklärten Orte oder distrikte […] vom Militärbefehlshaber im Interesse

der öffentlichen Sicherheit erlassenes Verbot übertritt. » cité dans :

http://www.verfassungen.de/preussen/gesetze/pbelagerung51.htm, consulté le 23/05/2019.

423 « Jede […] Annäherung, insbesondere ein gegen die guten Sitten verstoßender Verkehr weiblicher Person mit

Kriegsgefangenen ist verboten. » cité dans : U. Daniel, Arbeiterfrauen, op. cit. p. 146.

424 « Vergehen gegen §9b Belagerungszustandsgesetzes vom 4.VI.51, Verordnung des stellvertretenden

kommandierenden Generals des XIV. Armeekorps vom 4.III.1916 » cité dans : GLAK 507/4262, procès de Frieda H., le 19/06/1917, Schöffengericht de Bruchsal.

425 « Ehrlose Frauen » ; « wenig Gefühl für Nationalbewußtsein » et « ihre nationale Würde … in den Staub

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femmes allemandes envers les prisonniers étrangers, réunit divers articles parus dans la presse tout au long de la guerre426. Les titres sont explicites : « Jeune fille sans honneur », « femmes indignes », « les “femmes à Français” punies427 », et mentionnent des cas où les femmes ont été condamnées428. Comme en France dans les territoires occupés429, les peines ont été cependant très légères, de quelques semaines à quelques mois de prison, même dans les cas impliquant des rapports sexuels. Le cas d’une femme condamnée à Bruchsal (Bade) découvert par hasard au Generallandesarchiv Karlsruhe nous montre à quel point les procès pour relations interdites pendant la Première et Seconde Guerre mondiale se ressemblent. Cette ressemblance est réelle du point de vue formel, au point que nous n’avons pas perçu que le dossier en cours de dépouillement datait de la Première Guerre mondiale. Les caractéristiques étant en tous points semblables, ce n’est que progressivement que nous avons constaté que le procès datait de 1917. La femme en question a été condamnée pour « contacts interdits avec un prisonnier de guerre » à une peine de deux mois430. Ces similitudes dans la procédure interpellent. Elles confortent l’approche de notre objet au prisme de la thématique d’une appropriation du corps des femmes par l’Etat, renforcée en temps de guerre et qui tend donc à minorer dans le cas présent les différences entre l’Allemagne wilhelmienne et l’Allemagne national-socialiste. Ce contrôle sur ces corps, revendiqué par les autorités, explique que l’écart commis soit jugé, en 1917 comme de 1940 à 1945, au prisme de l’honneur national, que les femmes incarnent et qu’elles ont trahi. Des différences sont cependant perceptibles d’une période à l’autre qui laisse penser que le régime national-socialiste a réinvesti un dispositif ancien en le repeignant aux couleurs de son idéologie. Ainsi, du Premier au Second Conflit mondial, ce ne sont pas les mêmes instances qui condamnent. Le délit commis en 1917 incombe au Schöffengericht, qui est une branche de l’Amtsgericht composé de juges bénévoles, tandis que les cas de Verbotener Umgang sont, en général, du ressort des Landgerichte ou des Sondergerichte. En outre, le délit de Verbotener Umgang, à proprement parler, n’existe pas encore durant la Première Guerre, seules des ordonnances qui dépendent de la loi relative à l’état d’urgence sont en vigueur. Inscrit dans le bulletin législatif du Reich allemand (RGBl), le délit de Verbotener Umgang devient en revanche une pièce maîtresse du dispositif répressif mis en place par le régime national-

426 Chr Beck (ed.), Die Frau und die Kriegsgefangenen, Nürnberg, Döllinger, 1919.

427 Ce terme entre en résonnance avec les « femmes à Boches » des territoires français occupés pendant la Première

Guerre mondiale, auxquelles on faisait allusion ci-dessus.

428 « Ehrlose Mädchen », « Würdelose Frauen », « Bestrafte Franzosenliebchen » cité dans : C. Beck (ed.), Die Frau und die Kriegsgefangenen, op. cit. p. 187.

429 Et à l’inverse de ce qui s’est passé en Belgique, cité dans F. Virgili et al., Sexes, genre et guerres, op. cit. p. 255. 430 « wegen eines Vergehens des verbotenen Verkehrs mit einem Kriegsgefangenen zu einer Gefängnisstrafe von

– zwei Monaten -. » cité dans : GLAK 507/4262, procès de Frieda H., le 19/06/1917, Schöffengericht de Bruchsal.

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socialiste. Enfin, il est clair que la peine infligée en 1917, qui se monte à deux mois de prison, est minime comparée aux peines encourues entre 1939 et 1945. En l’occurrence, l’inculpée a entretenu pendant plusieurs mois une relation impliquant des rapports sexuels réguliers avec un prisonnier de guerre russe. Bien que l’exercice de la transposition soit à manier avec précaution, on peut dire que le même acte pendant la Seconde Guerre mondiale, impliquant une relation sexuelle, qui plus est avec un prisonnier de guerre russe, lui aurait valu au moins deux ans de Zuchthaus431. Cette comparaison n’est pas sans intérêt : elle témoigne de l’impact de la configuration idéologique dans lequel le délit est commis, sur la gravité de la peine. C’est au nom des mêmes valeurs (l’honneur national) et des mêmes représentations genrées que les femmes sont jugées pour leur faute de 1917 au Second Conflit mondial. L’appréciation du délit est cependant plus sévère durant cette dernière période.

Le rapport final des juges en 1917 est bien évidemment expurgé du jargon national- socialiste, centré sur un discours racial, et en l’occurrence antibolchevique. Le terme d’« ennemi » est néanmoins utilisé. Cependant, élément intéressant, l’acte est jugé au prisme du « peuple d’origine » (Volksstamm) dont l’amant est issu. Or, cet homme est considéré comme provenant d’une « région civilisée » de la Russie, disposant d’une formation du fait de ses études et de son niveau intellectuel, ce qui permet d’atténuer la gravité de son acte. Le cas n’est donc en rien comparable avec ce qui arrive pendant le Troisième Reich : les prisonniers de guerre soviétiques étant alors considérés comme les ennemis politiques les plus dangereux, le recours à de tels arguments est impensable. Au regard de ce qui vient d’être exposé, on notera aussi que dès 1917 la notion de « peuple d’origine » est présente, confirmant les prémisses de l’idéologie de l’appartenance à la Volksgemeinschaft qui ne repose pas sur la seule nationalité, mais sur l’appartenance plus large à une communauté. Ce type de discours pourra par exemple s’appliquer aux Polonais qui, selon leur « origine » (Abstammung) pourront être intégrés au peuple allemand.

Ainsi dès la Première Guerre mondiale, des relations avec des prisonniers ont eu une existence dans l’espace public. Les condamnations qui ont frappé les « coupables » ont donné à ce phénomène une visibilité accrue. Ces faits ont en tout cas incité certains contemporains à établir des théories sur les raisons qui expliqueraient l’attirance des femmes pour les étrangers. Un psychanalyste Wilhelm Steckel publie à ce sujet en 1916 un ouvrage sur les conséquences

431 A titre d’exemple : SächsStA-L 20036/10015, procès de Annelies S., le 22/01/1945, Sondergericht de

Würzburg, condamnée à deux ans de Zuchthaus pour une relation amoureuse avec un prisonnier de guerre soviétique.

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psychologiques de la guerre, dans lequel il consacre une partie à « l’amour du prisonnier » (Gefangenenliebe)432. L’hypothèse qui sous-tend son argumentation repose sur l’idée d’une « guerre éternelle » entre les femmes et les hommes. Dans cette perspective, les femmes se serviraient des guerres pour « conquérir la position des hommes », et cette guerre des sexes ferait de l’homme « l’ennemi naturel du féminin ». Wilhelm Steckel poursuit en expliquant que « l’amour du prisonnier » naîtrait dans ce contexte : « Les femmes aiment les ennemis, parce qu’ils [les soldats allemands] (et non pas à cause !) détestent les ennemis ». Les femmes se serviraient donc des étrangers pour exercer une forme de vengeance et atteindre les hommes de leur propre communauté nationale. Sa théorie se résume en une formule : « Je t’aime, car nos hommes te haïssent433 ». Si le fondement de cette interprétation psychanalytique fondée principalement sur une opposition genrée entre femmes et hommes est contestable du point de vue scientifique, son expression n’en est pas moins intéressante. Elle traduit en premier lieu l’angoisse que font naître ces relations tant parmi les autorités que dans l’opinion publique. Cette angoisse est également toute masculine. Favorisée par le contexte de guerre, l’inversion des rôles aboutit à saper la position dominante sur laquelle s’est construit le registre de la masculinité434. La théorie de Wilhelm Steckel reflète clairement la peur de l’émancipation féminine qui passerait, en l’occurrence, par la maîtrise de la sexualité. Toutefois dans l’optique de l’auteur, plus que d’une maîtrise, il conviendrait plutôt de parler d’une instrumentalisation du plaisir sexuel ou du sentiment amoureux, montrés comme mis au service d’un projet mu par la vengeance, le ressentiment du moins. Cette grille de lecture appliquée à l’infidélité des femmes ne comporte-t-elle pas une part de relative consolation pour leurs maris ou fiancés trompés ? Ces dernières sont présentées en effet comme recherchant la compagnie des étrangers non pas pour eux-mêmes, mais pour accroître leur pouvoir. Epoux comme amants apparaissent en ce sens au même titre victimes de stratégies qui disqualifient les femmes dont la nature perfide est soulignée.

On retiendra donc que le phénomène des relations entre femmes et prisonniers de guerre n’est pas nouveau. Il est moins répandu cependant entre 1914 et 1918, les étrangers retenus captifs en Allemagne étant moins nombreux. Cette réalité a été cependant suffisamment marquante pour laisser des traces dans la presse et dans l’opinion publique. Signalons enfin que

432 Wilhelm Stekel, Unser Seeleben im Kriege. Psychologische Betrachtungen eines Nervenarztes, Berlin, Otto

Salle Verlag, 1916.

433433 « ewiger Krieg » ; « um die Position der Männer zu erobern » ; « Dieser Kampf der Geschlechter macht aus

dem Manne den natürlichen Feind des Weibes » ; « Die Frauen lieben die Feinde, weil (nicht troztdem !) die Männer sie hassen » ; « Die Formel lautet also : Ich liebe Dich, weil Dich unsre Männer hassen » cité dans : U. Daniel, Arbeiterfrauen, op. cit. p. 322, note de bas de page n° 69.

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dans le livret publié en 1939 pour mettre en garde la population vis-à-vis des prisonniers de guerre 435, une partie concerne le « sabotage des mœurs » et rappelle la stricte interdiction des relations entre femmes et ennemis qui remonte à des temps plus anciens. Ce livret publié au début de l’affrontement pour prévenir ces situations, repose sur des événements passés, survenus notamment pendant la Première Guerre mondiale. Le Verbotener Umgang ne naît donc pas ex nihilo et les autorités comme la population ont déjà été confrontées à ce phénomène. Le Verbotener Umgang est toutefois porteur de l’esprit de son temps, tout entier investi par les lois raciales du régime. Il prend acte également des nouvelles institutions juridiques mises en place par les nationaux-socialistes, tels les Sondergerichte.

b) La ségrégation raciale comme matrice du Verbotener Umgang.

Le Verbotener Umgang repose sur une ségrégation raciale. Avant que les prisonniers de guerre ne deviennent la figure dont il faut se protéger, d’autres catégories ont fait les frais des politiques d’exclusion du régime. Johann Chapoutot évoque ainsi plus de 400 lois et décrets qui s’abattent tout particulièrement sur la communauté juive436. Silke Schneider fait le lien avec les lois frappant les Juifs, qui auraient été une sorte de modèle pour l’élaboration du Verbotener Umgang437. A côté des lois excluant les Juifs de la vie sociale, d’autres plus spécifiques à la protection de la « Volksgemeinschaft » sont adoptées, notamment la loi sur la protection du sang et de l’honneur allemands dans le cadre des lois de Nuremberg de 1935438. Cette loi, le Rassenschande, interdit, entre autres, les mariages et relations sexuelles hors-mariages entre les Juifs et des citoyens de sang allemands ou apparentés439. On compte également la loi sur la stérilisation forcée de 1933440, l’introduction d’une autorisation de mariage (Eignung zur Ehe) à partir de 1935 permettant aux autorités de s’immiscer dans la vie privée des citoyens et de la contrôler441. L’obsession vis-à-vis du « sang allemand » a conduit à ce traitement drastique.

435 Voir note 375.

436 J. Chapoutot, Le « droit » nazi, une arme contre les juifs, op. cit. p. 6. 437 S. Schneider, Verbotener Umgang, op. cit. p. 168.

438 Gesetz zum Schutz des deutschen Blutes und der deutschen Ehre und Reichsbürgergesetz de 15/09/1935, RGBl

1935, p. 1146.

439 Voir note 79.

440 Sur la stérilisation forcée voir : G. Bock, Zwangssterilisation, op. cit. ; Astrid Ley, Zwangssterilisation und Ärzteschaft : Hintergründe und Ziele ärztlichen Handelns ; 1934 - 1945, Francfort-sur-le-Main, Campus-

Verlag, 2004.

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Silke Schneider a montré comment l’interdiction de mariage est fondée sur ce qui s’est passé dans l’empire colonial allemand. Ce type d’interdiction en contexte colonial avait servi jusque- là à protéger le « sang pur » d’un « mélange » visible, mettant en cause des personnes de couleur. Le mélange racial avec les Juifs est en revanche invisible, ce qui entretient la logique de « l’ennemi interne ». Une nouvelle césure apparaît quand des étrangers arrivent dans le Reich, notamment lors de la venue massive de Polonais à partir du début de la guerre en 1939. Les Polonais sont toutefois un cas particulier dès le départ. Ils peuvent à la fois être récupérés par la Volksgemeinschaft si leur Abstammung le permet, mais peuvent aussi être considérés comme des « sous-hommes » et comme un danger racial.

Les lois de Nuremberg condamnent donc les relations sexuelles et les mariages avec les Juifs et avec les « étrangers » (Artfremde), terme qui désigne spécifiquement les « tziganes et les nègres442 ». Dans ce contexte, le Verbotener Umgang fait ainsi suite à de nombreuses autres lois qui régulent ou qui touchent à la sexualité des Allemands.

c) Les chars d’assaut de la justice : les Sondergerichte

Au niveau des institutions judiciaires, les Sondergerichte sont amenés à jouer un rôle essentiel dans l’application du décret. Bien qu’existant déjà sous la République de Weimar, ils deviennent un rouage fondamental de la justice dans tout le Reich à partir de l’ordonnance du 21 mars 1933. Le régime confie aux Sondergerichte l’application des lois concernant la protection du peuple et de l’Etat (en date du 28 février précédent443, qui font suite à l’incendie du Reichstag) ainsi que de la loi contre la perfidie (Heimtückegesetz)444. La finalité de cette institution pour les nationaux-socialistes est double : exerçant un monopole sur le traitement de certains délits, les Sondergerichte ont pour fonction de gérer des affaires dites « spéciales » très rapidement. Chaque juridiction de cour d’appel provinciale (Oberlandesgerichtsbezirk) se voit dotée d’un Sondergericht, ce qui porte leur nombre à 26 en 1933. Avec l’élargissement de leurs fonctions et l’expansion du nombre de dossiers à traiter, d’autres seront créés par la suite. On en compte ainsi 74 pendant la Seconde Guerre mondiale. Le Sondergericht se compose de trois juges et d’un avocat de la défense, en général choisi par les juges445. Les juges des Sondergerichte disposent d’une grande liberté dans l’application des jugements. Les travaux de

442 « Die « Artfremdheit », die den Juden zugeschrieben wurde, wurde darüber hinaus nur für die « Zigeuner und