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Application des lois et du droit en accord avec l’idéologie national-socialiste a) Une modification des pratiques du droit en fonction du concept de Volksgemeinschaft

Chapitre 2 – Contrôler : quelles normes raciales et juridiques pour la

2.3 Application des lois et du droit en accord avec l’idéologie national-socialiste a) Une modification des pratiques du droit en fonction du concept de Volksgemeinschaft

La spécificité du droit allemand au temps du national-socialisme tient à ce qu’il a été façonné à l’image d’une idéologie très forte et qu’il est surtout extrêmement réglementé et ordonné. Johann Chapoutot, dans un article sur le « droit nazi » affirme que « parler de "droit nazi" peut sembler être, au mieux, un oxymore, au pire, une mauvaise plaisanterie382 ». Si ce droit repose à partir de 1933 sur une multitude de nouvelles ordonnances, arrêtés et décrets qui modifient profondément sa nature, il ne s’inscrit pas moins dans le sillage d’un modèle

379 « Das strikte Verbot des Umgangs mit Kriegsgefangenen von der Bevölkerung sei "innerlich nie akzeptiert"

worden » cité dans : Rapport du SD du 13 décembre 1943. Voir : « SD-Berichte zu Inlandsfragen vom 13. Dezember 1943 » dans : Nationalsozialismus, Holocaust, Widerstand und Exil 1933-1945, De Gruyter, banque de données en ligne ; Sur l’assouplissement de la surveillance voir note 244.

380 Voir la note de bas de page n° 154 dans : P. Kannmann, Der Stalag XI A, op. cit. p. 66.

381 Christine Schoenmakers, « Die Belange der Volksgemeinschaft erfordern ... » : Rechtspraxis und Selbstverständnis von Bremer Juristen im Dritten Reich, Paderborn, Schöningh, 2015. p. 80.

382 Johann Chapoutot, Le « droit » nazi, une arme contre les juifs, Paris, Collection les études du Crif, 2015. Ici p.

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traditionnel383. Comme on l’a vu, les réflexions sur la « race » et le peuple (« Volk ») tirent en effet leur origine de temps plus anciens. L’arrivée au pouvoir des nationaux-socialistes a donc surtout joué dans le sens où ces termes vont être inclus et devenir la base du nouveau droit. Hans Frank, nommé commissaire du Reich pour l’harmonisation de la justice et le renouvellement du droit384, écrit en 1935 que les juristes nationaux-socialistes se sont vu attribuer une nouvelle mission. Ils ont dû donner au droit allemand une nouvelle structure, de nouveaux fondements, guidés à la fois par un système politique, mais aussi par la réorganisation de l’Etat et de la société selon les principes idéologiques nationaux-socialistes385. Les bases de cette nouvelle conception du droit reposent sur la « clause générale » (Generalklausel), sur la conception du monde (Weltanschauung) national-socialiste, sur les théories raciales (Rassenlehre) et sur le principe de « volonté du Führer » (Führerprinzip)386. Selon Silke Schneider, ces nouveaux principes ne sont pas seulement idéologiques mais mis en action dans la pratique juridique. Dans ce but, on assiste à un renouvellement du droit attesté par la nouvelle littérature scientifique et les nombreuses interprétations qui fleurissent sur le sujet au début des années trente387.

« Das gesunde Volksempfinden » ou la légitimation du juge

« Das gesunde Volksempfinden » ou le « sentiment sain du peuple » compte comme la clause qui modifie profondément le principe du nulla poena sine lege (Principe de légalité en droit pénal), et ce par la loi du 28 juin 1935 modificative du Code pénal. Cette clause laisse une grande marge d’interprétation aux juges afin qu’ils puissent faire face rapidement aux nouvelles situations pénales. L’historien Bernd Rüthers parle à ce propos d’une « interprétation illimitée » qui s’offre à eux388. Cette clause découle de l’idée de Volksgemeinschaft : sachant qu’il n’y a dans la « communauté » que des éléments sains et que la « communauté » sait ce qui est bon pour elle, elle ne peut produire que des valeurs saines pour elle-même. Cela revient à faire du

383 J. Chapoutot, La loi du sang, op. cit. p. 173.

384 En allemand : « Reichskommissar für die Gleichschaltung der Justiz und für die Erneuerung der

Rechtsordnung ». Il est nommé à cette fonction en 1933. Il cumule également d’autres fonctions, telles que celle de Reichsleiter, et en octobre 1939, il devient gouverneur général des provinces polonaises occupées.

385 S. Schneider, Verbotener Umgang, op. cit. p. 124. Voir aussi: J. Chapoutot, La loi du sang, op. cit. p. 175. 386 S. Schneider, Verbotener Umgang, op. cit. p. 127.

387 Entre autres : Hans Frank, Nationalsozialistisches Handbuch für Recht und Gesetzgebung, Munich,

Zentralverlag der NSDAP, 1935 ; Falk Ruttke, Die Verteidigung der Rasse durch das Recht, Berlin, Berlin Junker und Dünnhaupt, 1939 ; Robert Bartsch, Das « gesunde Volksempfinden » im Strafrecht, Thèse de droit, Hamburg Universität, Hambourg, 1940.

388 Bernd Rüthers, Die unbegrenzte Auslegung. Zum Wandel der Privatrechtsordnung im Nationalsozialismus,

Tübingen, Mohr Siebeck, 1968. Cité dans: J. Chapoutot, Le « droit » nazi, une arme contre les juifs, op. cit. p. 25. Sur ces questions voir aussi : O. Jouanjouan, Justifier l’injustifiable, op. cit. p. 197-201.

132 peuple l’aune à laquelle la justice est rendue :

« En recourant au "sentiment sain du peuple", au bon sens populaire, le juge permet que "le droit soit créé et dit à partir de l’esprit du peuple" et que le peuple, sans médiation, soit lui- même juge389 ».

Ces trois mots, omniprésents dans les jugements durant la période national-socialiste, sont la garantie que les juges agissent au nom de la communauté. Ils suffisent à eux seuls à justifier la peine. Si ce terme n’est pas une « invention » du national-socialisme, il s’ajuste toutefois parfaitement à sa conception de la justice : « les représentations morales mises en place ont eu une influence massive sur l’interprétation juridique390 ». Ainsi le rôle du juge, son interprétation devient principe de droit.

Roland Freisler, juriste allemand, qui devient à partir de 1942 président du Volksgerichthof, soutient la position selon laquelle le juge doit « rénover le droit existant » et s’adapter aux évolutions constantes de la vie. C’est pourquoi le juge est, selon lui, invité à pratiquer « l’analogie », c’est-à-dire à s’éloigner de la loi elle-même si cela correspond au « sentiment sain du peuple » et à la « volonté du Führer ».Johann Chapoutot a montré pour sa part comment les textes sur le rôle du juge à l’époque le placent au premier plan, lui octroyant la possibilité et même le devoir, de « combler les lacunes des lois existantes391 ». Otto Georg Thierack, ministre de la Justice du Reich entre 1942 et 1945, va dans le même sens quand il écrit que « le meilleur juge est celui […] dont les arrêts incarnent [sic] le sentiment juridique du peuple ». En effet, « le droit positif doit certes aider [le juge], mais il ne doit pas [le] dominer et lui faire perdre tout lien avec la sensibilité de son peuple392 ». Cette interprétation est conforme à la volonté de Hitler lui-même, qui dans un discours en 1933 rappelle que le « système judiciaire doit en premier lieu servir à préserver la communauté du peuple » et évoque une jurisprudence qui doit être « élastique393 ».

C’est dans ce sens que sont écrites en 1942 les Richterbriefe. Ce corpus de textes est mis en place par le Secrétaire d’État du Ministère du Reich, Curt Rothenberger, et permet d’harmoniser les peines infligées, notamment dans les cas les plus graves, étant donné que les

389 J. Chapoutot, La loi du sang, op. cit. p. 175-176.

390 « Die herrschenden oder durchgesetzten Sittlichkeitsvorstellungen bekommen einen massiven Einfluss auf die

Rechtsinterpretation » cité dans : S. Schneider, Verbotener Umgang, op. cit. p. 129.

391 Freisler cité dans: J. Chapoutot, La loi du sang, op. cit. p. 174-177. 392 Thierack cité dans: Ibid. p. 177.

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juges sont censés être très libres concernant l’application de la loi. Otto Georg Thierack écrit, dans l’avant-propos des Richterbriefe, que :

« Le juge est en conséquence le "détenteur de l’autoconservation du peuple" […] et les Richterbriefe doivent donner une idée de la ligne de conduite que la justice national- socialiste doit appliquer. De cette façon, elles donnent au juge une profonde sécurité et la liberté de prendre la bonne décision394 ».

Le juge est donc invité à s’éloigner de la loi, à partir du moment où il respecte la « volonté du Führer », qui « en tant qu’incarnation et représentant du peuple, a le mieux compris et formulé ce qui habite et définit l’âme allemande395 ».

Des lois qui ont pour fondement les théories raciales

Les théories raciales constituent la clé de voûte du droit national-socialiste. Le droit étant directement lié au concept de « race » élève le principe d’inégalité face à la loi au rang de valeur fondamentale (Ungleichheit als Rechtsprinzip). Dit autrement, le droit et l’égalité face à la loi ne s’appliquent que pour les membres de la Volksgemeinschaft et excluent totalement ceux qui n’en font pas partie. L’appartenance au peuple (Volkszugehörigkeit) va donc déterminer quel droit s’applique à une personne donnée396. Ce principe implique que les « exclus de la communauté », les Gemeinschaftsfremden, sont exclus du droit et tombent sous le coup d’autres lois raciales qui s’appliquent à leur cas397. Ainsi l’appartenance ou non au peuple alimente de nombreuses discussions pendant les années 1930. Au cœur des enjeux qu’elles recèlent se trouve non pas la question de la nationalité, mais plutôt celle du « sang » (Blut) et de l’« origine » (Abstammung) des individus. La définition du peuple et de la Volksgemeinschaft qui en résulte constitue le pivot de l’introduction de la « race » comme catégorie du droit. Ainsi les caractéristiques qui vont justifier le rapatriement au sein du Reich des Allemands ou minorités allemandes depuis d’autres territoires, fondées sur des aspects culturels et linguistiques, ne

394 Citation d’Otto Georg Thierack : « Der Richter ist demnach « Träger der völkischen Selbsterhaltung » […]

und [Die Richterbriefe] sollen […] eine Anschauung davon geben, wie sich die Justizführung nationalsozialistische Rechtsanwendung denkt und auf diese Weise dem Richter die innere Sicherheit und Freiheit geben, die richtige Entscheidung zu finden » dans : Susanne Schott, Curt Rothenberger – eine

politische Biographie, Universität Halle (Saale), Halle (Saale), 2001. Voir p. 210. 395 J. Chapoutot, La loi du sang, op. cit. p. 174.

396 S. Schneider, Verbotener Umgang, op. cit. p. 130-137.

397 Pour approfondir cette question se référer entre autres à : Ian Kershaw, Jörg W. Rademacher et Martin Zwilling, Hitler: 1889 - 1936, Stuttgart, Dt. Verl.-Anst., 1998 ; C. Essner, Die Nürnberger Gesetze, op. cit.

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vaudront pas pour les Allemands de confession juive398.

L’obsession du régime à caractériser les individus et à leur appliquer une réglementation différente rend compte d’une des particularités du droit national-socialiste, qui est de juger la personne pour ce qu’elle est et non pas seulement pour son acte. Issue des théories lombrosiennes399, l’ombre portée de la typologie des criminels plane sur l’idéologie national- socialiste. Il y a pour elle une constitution biologique et génétique propre aux criminels400.

« La définition du criminel ne peut être saisie seulement par la description des faits, mais doit être reconnue et catégorisée selon sa "façon d’être" (Seinsweise), telle qu’elle est développée dans la théorie de la typologie des criminels401 ».

Le crime présumé devient l’occasion de porter un jugement général sur la « façon d’être » de la personne inculpée plus que l’acte pour lequel elle est condamnée à l’origine. Cette logique va de pair avec les politiques de prévention, notamment les stérilisations forcées des individus qui évoluent dans la sphère de cette « typologie des criminels ». Ces mesures prises par les autorités judiciaires et policières ne sont donc pas des sanctions, mais des mesures de sécurité pour préserver la Volksgemeinschaft402.

L’idéologie national-socialiste entraîne donc une modification profonde des bases du droit allemand, afin de servir la Volksgemeinschaft. Ce changement structurel des fondements juridiques, qui est compatible avec une certaine « élasticité », montre à quel point le droit s’adapte aux situations particulières et révèle en creux des configurations non prévues par les garants de l’idéologie national-socialiste : le Verbotener Umgang en est un exemple significatif.

b) Le Verbotener Umgang mit Kriegsgefangenen : des pratiques qui modifient les normes

Le Verbotener Umgang concerne en effet un délit illustrant bien l’application du droit allemand en faveur de la Volksgemeinschaft. Il exprime à la fois dans sa philosophie « la préservation de la race », la garantie des valeurs morales ou des « bonnes mœurs » et le rejet de

398 Pour aller plus loin voir : S. Schneider, Verbotener Umgang, op. cit. p. 136-140.

399 Cesare Lombroso, criminaliste et professeur de clinique psychiatrique italien du XIXe siècle. Cesare Lombroso, L’homme criminel. Étude anthropologique et psychiatrique., Trad. Régnier et Bournet., Paris, Félix Alcan,

1887. Voir également : Olivier Bosc, La foule criminelle : Politique et criminalité dans l’Europe du tournant

du XIXe siècle, Paris, Fayard, 2007.

400 S. Schneider, Verbotener Umgang, op. cit. p. 144-147.

401 « Dazu passt auch die Vorstellung vom Verbrecher, der nicht durch Tatbestandsbeschreibungen erfasst werden

könne, sondern in seiner "Seinsweise" erkannt und typisiert werden müsse, wie sie in der Tätertypenlehre entwickelt wird. » cité dans : Ibid. p. 162.

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l’ennemi, de l’étranger. Dans le cadre de notre étude, il permet d’interroger la question de l’écart entre norme et pratiques défini comme un des fils rouges de notre recherche. Mis en place au début de la guerre, reflétant fidèlement l’idéologie national-socialiste, le principe des relations interdites est transgressé à plusieurs reprises par la population civile si l’on en juge le nombre de procès qu’il engendre. Le fait que les autorités aient instauré une telle règle n’est-elle pas déjà en soi la preuve que la norme raciale, dont les fondements juridiques et culturels remontent pourtant au début de l’instauration du régime, demeure encore à consolider, une fois le pays engagé dans le conflit ? Si l’on suit en effet le raisonnement selon lequel la Volksgemeinschaft serait constituée d’éléments sains, qui sauraient forcément ce qui est bon pour eux, pourquoi alors ses membres iraient nouer des contacts avec les Fremdvölkische ? Les nombreux procès qui ont eu lieu à propos de ce délit permettent d’interroger les limites de l’intégration de la norme par la société. En ce sens, l’existence de relations interdites témoigneraient non seulement de la capacité des femmes à braver l’interdit, mais aussi de la fragilité relative du lien d’appartenance à la Volksgemeinschaft.

Exemple de distorsion entre normes et pratiques dans la société allemande en guerre, notre étude met en relief la dualité entre politique imposée par le haut et expériences vécues par le peuple, par le « bas403 ». Elle recèle aussi un autre intérêt, dans une perspective d’histoire des rapports franco-allemands. Rappelons en effet que le décret sur les relations interdites a été appliqué à toutes les nationalités. Or, on constate que les sources (Meldungen aus dem Reich et les Richterbriefe) révèlent tout particulièrement la difficulté à faire appliquer cette interdiction avec les prisonniers de guerre français. Une dizaine de rapports du SD appréhendent en effet la question en prenant en compte leur cas et font référence à des contacts interdits les mettant en cause404. On le montrera dans l’exemple suivant.

Un Richterbrief qui date du 1er mars 1943 est ainsi consacré spécialement aux délits du Verbotener Umgang. Selon cette source, il y aurait eu pas moins de 2469 procès pour Verbotener Umgang pour le troisième trimestre de l’année 1942405. Cette information fait suite à une enquête menée en 1942 sur les délits de Verbotener Umgang. Elle révèle l’inquiétude des autorités au sujet d’un phénomène qui les dépasse406. Ce phénomène reflète le « manque de contrôle et de discipline », comportement social qui « contrecarre la logique d’efficacité du

403 Voir note 96.

404 Cf chapitre 3, 3.2, b).

405 Voir : « Richterbriefe – Mitteilungen des Reichsministers der Justiz – Nr. 6 vom 1. März 1943 » dans Richterbriefe. Dokumente zur Beeinflussung der deutschen Rechtsprechung 1942-1944, Boppard am Rhein,

Pawlak, 1975, p. 81‑95. Ici voir p. 82.

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régime nazi407 ». Autrement dit, les relations interdites avec des étrangers vont à l’encontre des principes édictés et mis en place par les autorités qui doivent ainsi s’adapter.

A la suite de nombreux procès, et compte tenu visiblement des différences de traitement, le Richterbrief tente de donner des indications aux magistrats qui doivent faire face à ce type de délit devenu récurrent. On rappelle que le jugement et le choix de la peine doivent être faits en gardant à l’esprit la protection de la Volksgemeinschaft408. Le « juge détient de ce fait ici une responsabilité particulièrement importante et doit avoir constamment pleinement conscience de la signification de cette tâche (dans la guerre) ». Ce décret permet de protéger en amont la communauté des risques d’espionnage, de sabotage, d’évasion des prisonniers de guerre. Il garantit aussi l’honneur de la patrie409. Des recommandations sont donc données aux juges, permettant d’établir une ligne de conduite à adopter pour les condamnations.

Des différences de traitement apparaissent cependant entre les prisonniers de guerre selon leurs nationalités. Il est explicitement écrit dans le texte que les prisonniers de guerre français, qui ont subi de nombreux changements de statuts faisant de certains d’entre eux, des prisonniers transformés, sont à condamner plus légèrement. En revanche les « membres des peuples, qui sont d’un point de vue racial éloignés du peuple allemand, inférieur d’un point de vue culturel ou qui révèlent des opinions politiques particulièrement divergentes, sont à sanctionner plus sévèrement410 ». Une hiérarchie des catégories de l’exclusion est donc ici esquissée, au sein même des Fremdvölkische. Certains seraient encore plus ostracisés que d’autres. En l’occurrence, les juges sont incités à condamner un prisonnier polonais plus sévèrement qu’un prisonnier français. La dimension raciale est donc majorée dans le cas des prisonniers polonais. On sait que le Verbotener Umgang permet de condamner les contacts entre la population et les prisonniers de guerre au nom de considérations raciales mais aussi militaires. Selon la nationalité, la première de ces considérations semble donc l’emporter sur la seconde411.

407 « Dies konnotierte Unkontrollierbarkeit und Disziplinlosigkeit - ein Sozialverhalten, das die Effektivitätslogik

des NS-Regimes Konterkarierte. » cité dans : Gabriella Hauch, Frauen im Reichsgau Oberdonau :

geschlechtsspezifische Bruchlinien im Nationalsozialismus, Linz, Oberösterreichischen Landesarchiv, 2006. p.

269.

408 Voir : « Richterbriefe – Mitteilungen des Reichsministers der Justiz – Nr. 6 vom 1. März 1943 » dans Richterbriefe. Dokumente zur Beeinflussung der deutschen Rechtsprechung 1942-1944, art cit. p. 88.

409 « Der Richter trägt deshalb hier eine besonders hohe Verantwortung und muß sich stets der Bedeutung dieser

Kriegsaufgabe voll bewußt sein » cité dans : Ibid. p. 87.

410 « Der Umgang mit Angehörigen von Völkern, die dem deutschen Volk rassisch ferner stehen, ihm kulturell

unterlegen sind oder politisch besondere Unversöhnlichkeit zeigen, schwerer zu ahnden [ist] » cité dans : Ibid. p. 91.

411 Rappelons que d’autres dispositifs comme le Rassenschande permettent de condamner les relations interdites

au seul titre de considérations raciales. Sur le Rassenschande consulter, entre autres : C. Essner, Die Nürnberger

Gesetze, op. cit. ; L. Gruchmann, « “Blutschutzgesetz” und Justiz. Zur Entstehung und Auswirkung des

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Les normes juridiques se mettent donc au service de la protection de la Volksgemeinschaft, et le délit de Verbotener Umgang permet de dessiner clairement les contours de cette politique juridique orientée vers un idéal. Les fondements de cette nouvelle conception, laissant une « interprétation illimitée » au juge, ne doivent pourtant pas être assimilés à un « droit libre » (Freirecht). Johann Chapoutot fait la distinction entre le « droit libre » prôné par Ernst Fuchs au début du XXe siècle et le « droit au cas par cas » (Fallrecht) appliqué pendant le national- socialisme. Hans Frank constate également : « Adolf Hitler a, depuis le premier jour de sa prise de pouvoir, clairement dit qu’il ne voulait pas d’un régime d’arbitraire, mais d’un Etat de droit national-socialiste412 ». L’Etat de droit national-socialiste ne serait donc pas arbitraire, puisqu’il repose sur les quatre sources du droit413. En montrant une volonté d’unifier les sanctions appliquées à certains délits, en l’occurrence celui du Verbotener Umgang, les Richterbriefe témoignent ainsi de ce principe de ne pas vouloir tomber dans l’arbitraire.

Cette exploration de la notion de Volksgemeinschaft nous a paru indispensable compte tenu de notre objet qui met en jeu de façon éminente la dynamique inclusion/exclusion. La Volksgemeinschaft occupe une place de premier plan dans la recherche sur le national- socialisme. Tirant son origine de la pensée sur la société et sur l’Etat au XIXe siècle, cette notion a été monopolisée par le régime nazi. Le NSDAP s’est approprié ce terme et l’a utilisé comme objet de propagande, le rendant omniprésent dans l’espace public. La Volksgemeinschaft a été ainsi investie par l’idéologie raciale propre au régime, s’immisçant dans toutes les strates de la